Le processus de trahison de Birleşik Metal
Pendant les longues négociations de convention collective dans le secteur de la métallurgie, les manœuvres derrière des portes closes qui ont servi à détourner la colère des ouvriers et à les distraire ont permis d’écarter temporairement la seconde vague de tempête de métal avec la signature du même accord par les trois syndicats du secteur. À la suite de la signature de l’accord par les syndicats Çelik-İş et Türk-Metal, les regards s’étaient tourné vers Birleşik-Metal. Ce syndicat avait décidé la grève suite à une réunion sur les conventions collectives à Gebze. Birleşik-Metal avait affirmé avec insistance qu’il irait jusqu’à la grève et qu’il ne reconnaîtrait pas une éventuelle interdiction de celle-ci, et avait ainsi donné l’image d’avoir « brûlé ses vaisseaux et qu’il n’y avait plus de retour en arrière possible ». Durant la réunion de Gebze, les slogans « C’est partout Kavel, résistance partout » et « Occupation, grève, résistance » avaient résonné. Birleşik-Metal, qui avait fait des déclarations aussi ambitieuses, a accepté une discussion 3 jours avant la grève à l’appel du MESS et du ministère du travail. Durant ces discussions, toutes les revendications ouvrières et toutes les déclarations au sujet de la grève se sont retrouvées à la poubelle. Birleşik-Metal a signé la copie carbone de l’accord signé par Türk-Metal. Et pour ce faire, il n’a ni consulté ses membres, ni obtenu un accord de sa base. Après avoir signé la convention, la direction de Birleşik-Metal s’est fait un devoir de remercier le ministère du Travail. De même, Türk-Metal avait remercié le MESS après la signature. Alors qu’il adopte des postures relativement combatives et d’opposition, Birleşik-Metal confisque depuis de longues années la volonté de grève des ouvriers, et signe la copie conforme des conventions que signe Türk-Metal qu’il qualifie pourtant de syndicat jaune. Il est devenu caractéristique de Birleşik-Metal d’obéir aux interdictions de grève, de rendre passifs les ouvriers en limitant la lutte à l’échelle de chaque entreprise. Birleşik-Metal, tout comme les autres syndicats du secteur, n’est rien d’autre qu’un appareil destiné à maintenir les ouvriers sous le contrôle du patronat et de l’État.
La situation des syndicats
Alors que la crise économique s’aggrave de jour en jour et qu’elle provoque des dégâts considérables chez les masses laborieuses, les syndicats, au lieu d’être plus actifs que jamais, sont au contraire dans un silence de mort. La lourdeur bureaucratique a cours dans tous les syndicats qui n’ont, de nous jours, d’autre activité que de faire reculer la lutte des ouvriers les plus combatifs. Particulièrement depuis la tentative avortée de putsch militaire le 15 juillet [2016], il existe des pressions extraordinaires devant la syndicalisation et les luttes ouvrières. Même si les interdictions de grève et les pressions de jure et de facto devant les possibilités de s’organiser augmentent drastiquement, même si la bureaucratie syndicale adopte des positions visant à refréner les luttes, il existe une augmentation visible des luttes ouvrières malgré tout. Bien que la confiance des ouvriers envers les syndicats baisse en raison de l’attitude pacifiste et conciliante des bureaucraties syndicales, il existe malgré tout une augmentation du taux de syndicalisation. Cette dernière année, presque 100 000 ouvriers se sont syndiqués. Même si les syndicats sont des appareils gigantesques intégrés au capital et à l’État, ils conservent la caractéristique d’être le premier lieu où se rendent les ouvriers qui décident de s’organiser. À cause de ce manque d’alternatives, les luttes ouvrières ne parviennent pas à se développer. Aujourd’hui, le taux d’ouvriers syndiqués en Turquie est de l’ordre de 12,8 %. Comme ils ne parviennent pas à dépasser le barrage de 1 %, 110 syndicats sont légalement privés de leurs droits aux conventions collectives. La majorité écrasante de la classe ouvrière turque est sans organisation et n’est pas syndiquée. Dans le pays, les syndicats qui ont le plus de membres ne sont rien d’autres que des unités liées à la dictature d’Erdoğan. La situation n’est pas très différente des autres syndicats pour DİSK dont le nom apparaît relativement de gauche et qui comprend le terme « révolutionnaire ». Face à toutes les attaques contre les acquis de la classe ouvrière qu’Erdoğan a mené durant son pouvoir, le syndicat DİSK n’a organisé que des activités pacifistes visant à sauver les apparences et a évité d’utiliser sa force qui provient de la production. Il vise à enfermer les luttes sur les lieux de travail et se contente de tenter d’améliorer les salaires. Il a toujours servi de ceinture de sécurité face aux luttes ouvrières qui se radicalisaient. Cette situation est particulièrement visible dans les interdictions de grève et la dernière convention collective des ouvriers métallurgistes. Aujourd’hui, le DİSK est l’un des principaux obstacles empêchant la classe ouvrière de se mettre en mouvement contre la crise et la guerre. Le combat contre la bureaucratie syndicale qui sert de ceinture de sécurité au sein de la classe ouvrière au patronat et à l’État est devenu indissociable du combat contre la dictature d’Erdoğan et le capital.
La fonction de la bureaucratie syndicale
Les syndicats, de par leur structure et leur fonctionnement, ne comprennent pas l’ensemble de la classe ouvrière. Ils s’enracinent plutôt dans les très grands lieux de travail et les secteurs de l’industrie lourde. Même dans les pays où la lutte des classes est la plus prononcée, les syndicats ne parviennent pas à dépasser 30 % de la classe ouvrière. L’écrasante majorité de la classe ouvrière se trouve encore en dehors des syndicats. Ces derniers organisent des parties relativement privilégiées de la classe ouvrière. Leurs revendications ne représentent pas l’ensemble de la classe mais les intérêts de leurs membres. La bureaucratie syndicale s’appuie avant tout sur l’aristocratie ouvrière. L’attitude qu’elle adopte dans la lutte des classes porte les caractéristiques de la petite bourgeoisie. La bureaucratie syndicale se place entre le travail et le capital et le rôle objectif qu’elle adopte repose sur la conciliation entre ses deux classes. Par rapport aux masses laborieuses, ses revenus, ses conditions de travail et son style de vie sont privilégiés. La bureaucratie ouvrière, de par le rôle « représentatif » (parlementaire ou syndicale) qu’elle se donne, rencontre le grand patronat et l’État des patrons quotidiennement et les concessions qu’elle parvient à leur arracher dépend du soutien que lui apportent les ouvriers. La bureaucratie ouvrière, qui voit dans le fascisme une menace qui risque de détruire ses organisations et dans la révolution une autre qui mettra fin à son rôle de médiateur, est profondément conservatrice. Elle a peur avant tout des actions de masse dont « le contrôle pourrait lui échapper » et qui pourraient dissoudre ses organisations et abolir ses privilèges, qui pourraient également pousser la classe dominante à passer à l’attaque et à affaiblir sa position de force fragile d’équilibre entre les classes. Ce dont elle a besoin d’un point de vue politique est une idéologie qui reporte le socialisme aux calendes grecques et qui, dans les faits, rend possible la passivité et la conciliation. Elle a besoin de la classe ouvrière pour que les organisations syndicales qui payent son salaire puissent continuer à exister ; pour la bureaucratie ouvrière la classe ouvrière est comme une armée de réserve qu’elle peut pousser sur le champ de bataille afin d’obtenir des concessions du patronat et en échange obtenir du soutien pour ses organisations de la part des ouvriers.
La bureaucratie syndicale a toujours besoin de classe ouvrière et des militants révolutionnaires de la classe. Car l’existence de la bureaucratie dépend des ouvriers, son seul capital est constitué par les ouvriers. En revanche, la classe ouvrière et les militants révolutionnaires de la classe n’ont pas besoin de la bureaucratie syndicale. Les ouvriers ont la capacité non seulement de diriger les syndicats sans les bureaucrates, mais de plus ils possèdent l’expérience et la force pour construire des organisations de masse alternatives aux syndicats. L’expérience des formes d’auto-organisation comme les comités, les chouras, les conseils et les soviets occupent une place importante dans l’Histoire de la classe ouvrière.
À l’époque actuelle, les syndicats ne peuvent pas être plus longtemps réformistes, parce que les conditions objectives ne permettent plus de réformes sérieuses et durables. Les syndicats de notre époque peuvent ou bien servir comme instruments secondaires du capitalisme impérialiste pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien au contraire devenir les instruments du mouvement révolutionnaire du prolétariat. (Trotsky, Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, 1940)
Cette détermination conserve toute sa brûlante actualité. Mais de nos jours, la situation des syndicats et qu’ils servent entièrement le rôle d’appareil secondaire de la bourgeoisie. Dans cette situation, nous faisons face à la question suivante à laquelle nous devons répondre d’urgence :
Alors, que faire des syndicats ?
Il apparaît aujourd’hui clairement que les syndicats sont le principal obstacle devant la lutte des classes. Il est aussi très clair que l’on ne se débarrassera pas de cet obstacle tant que la bureaucratie syndicale ne sera pas abolie. Alors, que faire des syndicats ? Devons-nous leur tourner complètement le dos afin de les abandonner à leur sort ? Devons-nous construire d’autres syndicats en nous disant que les syndicats actuels sont mauvais ? Devons-nous viser à devenir l’aile gauche de la bureaucratie au moyen d’alliances sans principes venues du haut pour changer les syndicats de l’intérieur ? Toutes les stratégies mises en avant par la gauche socialiste se limitent pour ainsi dire à ces propositions. Bien que les syndicats soient entièrement des appareils du système, ils constituent aussi des organisations ouvrières de masse en termes d’adhérents et en termes d’activité militante. Laisser les syndicats totalement en dehors de notre champ d’activité reviendrait avant tout à laisser une partie de la classe ouvrière qui aurait décidé de s’organiser aux mains de la bureaucratie syndicale. Pour cette raison, tourner le dos entièrement aux syndicats reviendrait à offrir la partie organisée de la classe ouvrière au système. Il en découle que les syndicats font obligatoirement partie du champ des activités révolutionnaires. Adhérents syndicaux ou non, et même s’ils appréhendent la lutte syndicale, la grande majorité des travailleurs voient en dernière analyse les syndicats comme leurs propres organisations. Pour cette raison, il serait aussi aberrant de tourner le dos aux syndicats que de réduire la lutte des classes aux seuls syndicats et à un combat pour l’augmentation des salaires. Tout travail syndical qui sera mené sans la perspective d’abolition de la bureaucratie syndicale sera une façon différente de s’intégrer à l’ordre établi. Pour nous, révolutionnaires marxistes, la lutte contre la bureaucratie syndicale est une partie indissociable de la lutte des classes. Nous défendons à la fois la politique révolutionnaire de classe contre la bourgeoisie et son État, et la nécessité de la lutte pour l’abolition des bureaucraties syndicales en exposant leurs aspects de collaboration de classe. Nous sommes radicalement opposés à ce que les tâches de la lutte des classes soient réduites à la lutte syndicale. Nous croyons que l’une des tâches fondamentales des communistes est de conduire des activités pour la construction des organisations propres de la classe ouvrière. Nous pensons que la lutte contre la bureaucratie syndicale et la construction d’un mouvement ouvrier révolutionnaire passent par cette voie.
Programme de lutte contre la bureaucratie syndicale
Il existe deux dimensions à la lutte pour neutraliser la bureaucratie syndicale et réduire ses zones d’influence. La première consiste à gagner des positions en dehors des zones d’influence de la bureaucratie syndicale et y construire des organisations propres de la classe où dominera la démocratie ouvrière.
La seconde consiste à construire un mouvement ouvrier antibureaucratique au moyen d’une organisation à la base au sein des syndicats. Une lutte qui sera seulement menée depuis l’intérieur contre la bureaucratie syndicale sera condamnée à l’échec. Car le fonctionnement de la bureaucratie syndicale est expert pour éliminer l’opposition qui se développerait à la base ou pour l’intégrer à son propre mécanisme bureaucratique. Il est impossible d’assiéger les zones d’influence de la bureaucratie syndicale sans avoir construit les propres organisations de la classe où l’hégémonie de la démocratie ouvrière serait assurée et qui auraient gagné un caractère de masse. La voie pour cet objectif passe par le gain de positions dans les endroits où la bureaucratie syndicale n’a pas prise. La bureaucratie syndicale s’oriente toujours vers les lieux de travail où elle sera assurée de toucher les cotisations et où elle pourra signer confortablement des conventions collectives. Il s’agit là de grands lieux de travail et ceux-ci concernent les parties relativement privilégiées de la classe. La bureaucratie syndicale ne s’intéresse jamais aux précaires, à ceux qui travaillent dans des conditions de flexibilité, chez des sous-traitants ou à ceux qui sont au chômage. Car dans ses domaines il n’y a pas de continuité, et comme il n’y a pas de continuité il n’existe pas garantie pour les cotisations et ce ne sont pas des domaines qui conviennent au syndicalisme de négociation de convention collectives et de salaires. Dans ces domaines, il est impossible de conduire une activité conformément aux dispositions légales déterminées par le ministère du Travail. La seule manière d’y conduire la lutte des classes repose sur des luttes légitimes, directes, fondées sur l’initiative de la base. Commencer une lutte des classes dans ces domaines revient dès le début à accepter de ne pas se limiter aux lois de l’ordre établi. Nous avons besoin de deux catégories fondamentales pour construire une activité dans cet axe : un programme qui mettrait en avant la perspective d’une lutte classe contre classe, et les outils pour mettre ce programme en pratique. Alors que la crise économique et la guerre marquent cette période, et bien que la classe ouvrière soit sans organisation, divisée et isolée de ses diverses composantes, ses tentatives extraordinaires font face à la position restrictive de la bureaucratie syndicale. Dans cette période où la pauvreté, l’exploitation, le chômage et la faim se répandent comme la peste, ils apportent avec eux le potentiel d’explosions de colère dans les masses ouvrières—laborieuses. Mais les révolutionnaires prolétariens n’attendent pas un mouvement spontané pour, lorsque ce mouvement survient, se donner la tâche d’activisme solidaire. Ils se préparent en toute circonstance à de tels processus et militent pour que dans les points stratégiques de la classe les perspectives révolutionnaires se transforment en une organisation enracinée.
Tout mouvement politique vise sans aucun doute le pouvoir. Le but du mouvement communiste est également le pouvoir. Mais à la différence des partis bourgeois et des réformistes, ils visent le pouvoir non pour mieux conduire l’ordre établi mais pour le renverser. Le but des communistes révolutionnaires est clair : renverser entièrement l’ordre mondial capitaliste, et parvenir à la civilisation la plus développée de l’Histoire humaine en construisant un monde sans classe, sans exploitation, sans frontières. Le mouvement communiste est obligé de mener ses activités et ses organisations d’une manière conforme à l’ordre qu’il imagine dès aujourd’hui. L’élément fondamental d’un État ouvrier sont les soviets qui constituent les propres organes de direction de la classe ouvrière. Ces organes sont à la fois des organes de démocratie directe et des organes d’auto-organisation. Ils se construisent sur le refus intégral de la démocratie représentative imposée par la démocratie bourgeoise, de la bureaucratie de l’État et des appareils d’État bourgeois. C’est pourquoi les révolutionnaires communistes sont obligés de conduire toutes leurs activités au sein de la classe d’une manière soviétique. Et la voie pour cela passe par la construction des propres organisations de la classe reposant sur la démocratie ouvrière.
Les comités des lieux de travail
Lorsqu’il est question de comités sur les lieux de travail, des comités d’usine, la gauche socialiste vide ce concept de son sens et en donne une définition syndicaliste. L’écrasante majorité de la gauche socialiste de Turquie qui a du militantisme de classe une conception uniquement syndicale fondée sur l’économisme, dès qu’elle établit un lien avec un segment déterminé à s’organiser et à lutter, montre comme première cible le syndicat. Et elle voit le comité du lieu de travail comme un outil pour accélérer la syndicalisation et rendre le mouvement plus discipliné. Lorsque la syndicalisation est achevée, le comité du lieu de travail se laisse contrôler par les représentants de la bureaucratie syndicale ou au processus de bureaucratisation des ouvriers d’avant-garde. Il ne sera question du comité que quand le processus de négociations de convention collective sera bouché et qu’une décision de grève sera prise. Alors que le comité mis sur pied ne s’occupera que des préparations techniques du processus de grève, le dernier mot reviendra encore à la direction de la bureaucratie syndicale. Le fonctionnement bureaucratique syndical est la forme matérialisée de la démocratie représentative de la démocratie bourgeoise au sein de la lutte ouvrière. Pourtant, les comités ouvriers ne sont pas en substance des appareils de la bureaucratie syndicale. Ils sont l’un des outils d’auto-organisation de la classe ouvrière. Ces comités qui sont construits sur la base du lieu de travail, sont établis dans chaque département. Le comité élit lui-même ses propres représentants et il conserve le droit de révoquer un élu quand il le désire. Il détermine ses revendications démocratiquement au moyen d’un vote. Il fait des efforts pour l’organisation dans les autres usines du secteur d’activité. Grâce aux représentants élus entre les usines, il établit des conseils au niveau du secteur d’activité. Et ces conseils prennent leur propre décision d’action et se mettent en mouvement. Quant à la bureaucratie syndicale, il s’agit du plus grand obstacle devant cette organisation. Tant que les comités des lieux de travail seront fonctionnels, les contradictions avec la bureaucratie syndicale apparaîtra au grand jour. Car plus les comités s’étendent et fonctionnent, une dualité du pouvoir apparaîtra sur les lieux de travail.
Les bureaucrates des syndicats s’opposeront, en règle générale, à la création de comités d’usine, de même qu’ils s’opposeront à tout pas hardi dans la voie de la mobilisation des masses. Il sera, cependant, d’autant plus facile de briser leur opposition que le mouvement aura plus d’ampleur. Là où les ouvriers de l’entreprise, dans les périodes « calmes », appartiennent déjà tous aux syndicats, le comité coïncidera formellement avec l’organe du syndicat, mais il en renouvellera la composition et en élargira les fonctions. Cependant, la principale signification des comités est de devenir des états-majors de combat pour les couches ouvrières que le syndicat n’est, en général, pas capable d’atteindre. C’est d’ailleurs précisément de ces couches les plus exploitées que sortiront les détachements les plus dévoués à la révolution. Dès que le comité fait son apparition, il s’établit en fait une dualité de pouvoir dans l’usine. Par son essence même, cette dualité de pouvoir est quelque chose de transitoire, car elle renferme en elle-même deux régimes inconciliables : le régime capitaliste et le régime prolétarien. L’importance principale des comités d’usine consiste précisément en ce qu’ils ouvrent, sinon une période directement révolutionnaire, du moins une période prérévolutionnaire, entre le régime bourgeois et le régime prolétarien. Que la propagande pour les comités d’usine ne soit ni prématurée ni artificielle, c’est ce que démontrent amplement les vagues d’occupations d’usines qui ont déferlé sur un certain nombre de pays. De nouvelles vagues de ce genre sont inévitables dans un prochain avenir. Il est nécessaire d’ouvrir à temps une campagne en faveur des comités d’usine pour ne pas se trouver pris à l’improviste. (Trotsky, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938)
Les patrons essayent de contrôler chaque mouvement des ouvriers, voire leur respiration dans les lieux de travail et dans les usines. Dans ce but, ils installent des caméras partout dans les lieux de travail, ils ne se contentent pas de placer des contremaîtres et des superviseurs à chaque poste, ils tentent de placer des informateurs patronaux parmi les ouvriers. Les patrons savent très bien que s’ils laissent les ouvriers un peu libres, ces derniers peuvent communiquer entre eux et agir à la suite de l’interaction résultant de cette communication. De même, les bureaucraties syndicales agissent de manière similaire aux patrons pour garder les ouvriers sous leur contrôle. Parfois, les bureaucrates syndicaux agissent de concert avec les patrons en établissant la liste des ouvriers conscients de leur appartenance de classe et qui tentent de faire sortir les ouvriers en dehors des lignes fixées par la bureaucratie syndicale afin de les faire licencier. Le but des patrons et de la bureaucratie syndicale est identique, ne pas perdre leur hégémonie sur les ouvriers. La création des comités d’usine est une tentative des travailleurs de briser toutes les chaînes qui les retiennent et d’obtenir la liberté d’agir à leur guise.
Les comités de solidarité
La solidarité de classe est parmi les armes les plus efficaces du mouvement ouvrier. Cependant, les parties de la solidarité de classe qui constituaient une menace pour l’ordre établi ont été effacées et on tente de les faire oublier aux masses. Le concept de solidarité de classe a été révisée de manière à maintenir le mouvement ouvrier au sein du système. La bureaucratie syndicale et les mouvements socialistes qui existent grâce à elle ont complètement sapé ce concept et l’ont enfermé dans une pratique syndicaliste étroite. La solidarité de classe a été réduite seulement aux visites de solidarité aux grèves et résistances, à faire entendre la voix de la résistance et parfois à organiser des soirées de solidarité et à envoyer des aides matérielles. Ces pratiques que nous venons d’énumérer sont naturellement des actes de solidarité et leur rôle ne peut être sous-estimé. Le problème n’est pas constitué par ces pratiques de solidarité, mais par le fait que la solidarité de classe se trouve enfermée à ces seuls actes. La solidarité de classe vient avant tout de la force tirée de la production, c’est-à-dire par des grèves et actions de solidarité et par des boycotts. La classe ouvrière fait toujours l’expérience de gains de conscience de masse au sein des luttes. Un ouvrier qui, en dehors de ses propres problèmes, se met en lutte pour ses frères et sœurs de classe, atteint le niveau de conscience d’agir en tant que classe. Tant que les grèves de solidarité ne sont pas répandues, il n’y aura pas de grève générale, de grève politique. Une classe ouvrière qui n’entre pas dans la pratique de solidarité de classe, ne peut appendre à lutter comme une classe entière. La capacité à organiser des grèves générales et politiques dépend de l’utilisation généralisée des grèves de solidarité. Avant les années 1980, les grèves et actions de solidarité représentaient une tendance répandue. Suite au coup d’État du 12 septembre [1980], les grèves de solidarité ont été interdites. Ni les syndicats, ni les groupes socialistes ne mettent en avant la revendication de la levée de cette interdiction et ne tentent pas d’organiser à nouveau des grèves de solidarité. Cette revendication représente une ligne qui peut porter la lutte de la classe ouvrière en dehors des frontières de l’ordre établi. Et le principal obstacle qui se dresse devant cette ligne est constitué par la bureaucratie syndicale et ses mouvements de gauche satellites. La voie pour regagner le droit aux grèves de solidarité passe par la construction des organisations propres de la classe ouvrière. Ce n’est que quand ces organisations s’enracineront qu’il sera possible de voir une réelle pratique de solidarité de classe.
L’organisation des chômeurs et des précaires
Avec le processus de transformation néo-libérale qui a débuté à partir de la fin des années 1970 et qui avait pour centre les États-Unis et la Grande-Bretagne, une grave désintégration a commencé dans la production. Une transformation totale s’est imposée dans le système de production dominant. Le modèle de production fordiste qui était dominant depuis de longues années rassemblait en masse la classe ouvrière dans des grands lieux de travail. En tant que résultat de cet état de fait, l’organisation et des actions de masses étaient possibles et la classe ouvrière montrait qu’elle existait en tant que classe au monde entier. Le processus de transformation néo-libérale a provoqué des révisions fondamentales dans ce mode de production. Les grands lieux de travail n’ont pas vécu une transformation sur la forme, mais avec le système de sous-traitance, les ouvriers ont été complètement démantelés. Sur un même lieu de travail travaillaient de nombreux sous-traitants, voire des sous-traitants de sous-traitants, et cette situation divisait les ouvriers. Avec le développement du secteur des services, des chaînes de petits lieux de travail se sont répandues. Une même entreprise faisait travailler des milliers de personnes, mais ces ouvriers étaient divisés dans des lieux de travail qui employaient peu de travailleurs. Avec le processus de transformation néo-libérale, la sous-traitance et la précarité sont devenues depuis les années 1980 la forme d’embauche la plus commune. Tout cela a entraîné une baisse importante du niveau d’organisation de la classe ouvrière et de la syndicalisation. L’intégration de l’URSS au capitalisme a rendu populaire les thèses selon lesquelles la classe ouvrière était morte dans le monde et que la lutte des classes était terminée. Cette attaque idéologique a sérieusement affecté les mouvements socialistes au niveau mondial. Un grand nombre de ces mouvements a avancé que la classe ouvrière n’avait plus son ancienne force révolutionnaire et s’est mis en recherche de nouveaux débouchés. Ces mouvements se sont soumis à ligne de la société civile centrée sur l’écologie, le féminisme ou l’ethnicité et se sont intégrés à l’ordre. Quant aux syndicats, ils n’ont pas réussi à développer un programme d’organisation et d’action adapté à la transformation néo-libérale. Ils se sont contentés de s’organiser dans les grands lieux de travail et de mener des actions limitées à chaque lieu de travail pour augmenter les salaires. Les chômeurs, les précaires, les employés des sous-traitants, les travailleurs réfugiés et les immigrés sont toujours restés en dehors de la portée de la bureaucratie syndicale. Même si des revendications de titularisation des employés de sous-traitants ont été avancées et des luttes partielles ont eu lieu dans cet objectif, le véritable but n’avait d’autre perspective que d’augmenter le nombre de membres. Cet espace qui restait hors la portée pour la bureaucratie syndicale s’est agrandi comme une avalanche et s’est trouvé condamné au manque d’organisation et de sécurité de l’emploi, en un mot au manque d’avenir.
L’importance du mouvement des chômeurs et des précaires
Depuis les années 1980, le mouvement ouvrier a davantage lutté pour préserver ses acquis et les utiliser que pour élargir ses droits. Aujourd’hui, le mouvement ouvrier n’a plus d’acquis notable qui lui reste. Même le droit de grève lui a été retiré de facto. La bureaucratie syndicale n’a pas pour but de gagner de nouveaux droits, elle est coincée dans une ligne qui ne va pas au-delà du syndicalisme salarial dans le respect des lois. En dehors de cela, elle constitue le plus grand obstacle à l’élargissement des luttes.
Mettre en mouvement les segments qui n’ont aucune sécurité de l’emploi ni de droits porte en lui le potentiel de commencer des luttes pour gagner des nouveaux acquis. Plus les luttes qui commenceront sur des fondements économiques gagneront un caractère de masse, plus elles feront face à l’oppression de l’État, et cela mènera à un processus de politisation avec un caractère de classe prononcé.
L’organisation de ces segments démontera qu’il est possible d’impulser un mouvement de travailleurs en dehors des syndicats et augmentera ainsi la pression sur la bureaucratie syndicale.
La voie de la massification de la lutte de ces segments passera par la lutte légitime directe. C’est pour cette raison que la lutte de ces sections est intrinsèquement obligée d’avancer sur une ligne non conforme à la loi.
Les noyaux syndicaux
Tout au long de notre article, nous avons fait état du rôle restrictif de la bureaucratie syndicale sur le mouvement ouvrier. La voie d’une intervention depuis l’intérieur contre la bureaucratie syndicale passe par la construction à la base d’un mouvement ouvrier antibureaucratique. Ce mouvement, à la différence de luttes de manœuvre pour la course à la direction des syndicats, doit être conduit avec un programme visant à abolir la bureaucratie syndicale. Nous pouvons mettre en avant le programme d’opposition à la bureaucratie syndicale comme suit :
- Élimination des nominations à tous les niveaux des syndicats !
- Élection de tous les représentants et de la direction avec les voix des ouvriers !
- Possibilité de révoquer si nécessaire les représentants et dirigeants élus avant le terme de leurs mandats !
- Préparation de tous les projets de convention collective avec la participation et le vote des ouvriers !
- Négociations des conventions collectives rendues claires et transparentes avec la possibilité pour tous les ouvriers de les suivre !
- Aucune embauche au sein du syndicat sans approbation par les ouvriers !
- Ouverture de toute la compatibilité des syndicats aux ouvriers, aucune dépense sans contrôle ouvrier !
- Aucun salaire plus élevé que la moyenne du salaire du secteur pour les travailleurs syndicaux !
- Afin d’empêcher que le syndicalisme ne devienne un métier et pour permettre le renouvellement des cadres depuis la base, limitation à deux mandats pour tous les niveaux de direction !