Aujourd’hui, en Espagne, la nomination du nouveau gouvernement du PSOE [Parti socialiste], avec Pablo Iglesias comme vice-président et quatre ministres Podemos [Nous pouvons, mouvement « populiste de gauche » né en 2014 avec le soutien en France du PCF, du PdG-LFI et du NPA], domine momentanément « la scène politique » de l’État espagnol. Sa formation a nécessité l’abstention, voire le vote favorable, de toutes sortes de partis régionalistes, nationalistes et indépendantistes, dont la plupart -et surtout les plus importants, l’ERC de Catalogne et le PNV du Pays basque- représentent directement une fraction d’une bourgeoisie périphérique.
Pas de problème pour nos sociaux-démocrates traditionnels (PSOE) et nouveaux (Podemos, ceux qui, il y a cinq ans, prétendaient « monter à l’assaut du ciel »). Le programme de gouvernement qu’ils ont annoncé ne remet en question aucun élément stratégique pour le maintien du statuquo social, politique et économique de l’État espagnol.
En 50 pages truffées d’expressions totalement vides comme « on examinera », « on étudiera », « on pariera sur », « on promouvra », le document signé par Pedro Sanchez [secrétaire général du PSOE] et Pablo Iglesias [chef de Podemos] se distingue bien plus par ce qu’il tait que par ce qu’il dit.
Ainsi, dans un paragraphe reprenant une ancienne promesse électorale et intitulé La réforme du travail de 2012 sera abrogée, il n’est envisagé que d’annuler les aspects les plus agressifs de cette réforme et d’en maintenir la majeure partie ainsi que toutes les réformes du travail précédentes. Le texte promet hypocritement de « progresser dans la réduction de la précarité et de la pauvreté », alors que ce sont précisément ces réformes qui sont à l’origine de la généralisation de la précarité de l’emploi au sein de la classe ouvrière, des salaires de misère qui en résultent et de la perte de droits face au pouvoir patronal. Dans ce contexte, l’annonce d’un « nouveau statut des travailleurs » doit être comprise comme la volonté d’intégrer les réformes du travail au rang de loi organique et d’introduire le licenciement libre des travailleurs, en mettant en œuvre la mochila austríaca défendue par le PSOE [le « sac à dos autrichien » remplacerait l’indemnité de licenciement par une cotisation à la charge des salariés, versée à un fonds géré par les banques, argent qu’il/elle pourrait retirer en cas de chômage].
Le programme de gouvernement avalise la réévaluation des pensions selon l’IPC [l’indice des prix à la consommation qui mesure l’inflation] arrachée par la grande lutte des retraités, mais il prévoit aussi de maintenir la réforme des pensions du gouvernement Zapatero et d’en adopter une autre.
Le problème du logement, qui concerne des millions de familles, est abordé avec de belles paroles (« nous limiterons », « nous impulserons »), alors que des centaines de milliers d’appartements sont entre les mains des banques et des fonds vautours, qui n’ont rien à craindre de la nouvelle coalition gouvernementale.
L’enseignement de la religion cessera de faire partie du programme d’études, mais le financement de l’enseignement privé, principalement religieux, et de la religion dans les écoles publiques ne sera pas touché. Il est clair que le scandaleux financement général de l’Église catholique ne le sera pas non plus.
La Ley de Extranjería [loi sur les étrangers], l’existence des CIE [centres d’internement pour étrangers sans papiers], la militarisation des frontières contre les migrants, l’adhésion à l’OTAN et les interventions des troupes espagnoles à l’étranger n’entrent pas non plus dans la volonté « réformiste » du nouveau gouvernement.
L’appareil répressif sera maintenu tel quel, mais au cas où quelqu’un serait inquiet, l’augmentation de l’effectif des « forces de sécurité de l’État » ainsi que « un plan d’équipements pour la Guardia Civil [gendarmerie] » sont évoqués à plusieurs reprises dans le programme de gouvernement PSOE-Podemos.
Même la Ley Mordaza [loi du bâillon qui limite sévèrement la liberté d’expression] ne sera pas vraiment abrogée : ils disent simplement qu’ils vont faire une autre loi qui la « remplacera ». Nous pouvons être certains qu’ils la feront dans le même esprit que le Decreto ley de mordaza digital [le décret du bâillon numérique qui permet au gouvernement de fermer des sites web sans ordonnance du tribunal] récemment approuvée par le gouvernement de Pedro Sánchez, pour renforcer la répression des protestations de masse contre la condamnation des prisonniers indépendantistes catalans.
Le gouvernement du PSOE et de Sánchez n’a pas réduit d’un iota la répression développée contre la Catalogne par le gouvernement Rajoy [du Partido Popular, post-franquiste]. Il n’a pas non plus modifié la tristement célèbre politique pénitentiaire envers les prisonniers basques mise en œuvre par Felipe Gonzalez. Aujourd’hui, entre les mains du gouvernement PSOE-Podemos, la négation du droit du peuple catalan à l’autodétermination prend la forme d’une offre de dialogue « dans le cadre de la Constitution », qui ne peut avoir d’autre sens que de gagner du temps pour désamorcer les mobilisations catalanes de ces dernières années et celles, récurrentes, au Pays basque, qui remettent directement en cause la monarchie, c’est-à-dire le système actuel de domination politique du capital dans l’État espagnol.
Bref, le nouveau gouvernement entend proposer quelques réformes pour donner à la classe ouvrière (dont font partie les retraités), aux nationalités opprimées et aux secteurs sociaux ayant la plus grande capacité de mobilisation (comme les femmes et les homosexuels), l’illusion du changement.
Le gouvernement de coalition a déjà obtenu (et continuera d’acheter) l’aval explicite des bureaucraties syndicales, la collaboration des dirigeants nationalistes et des mouvements LGTB et féministes majoritaires, comme l’ont fait les gouvernements du PSOE à d’autres occasions. Mais la stabilisation politique qui vise à clore la crise historique de la monarchie et à obtenir la « paix sociale » est la quadrature du cercle, car aucun des problèmes qui ont été à la base de la crise politique de ces dernières années ne sera résolu.
Les conditions de vie de la classe ouvrière se sont fortement dégradées au cours des dernières décennies, en raison des crises économiques successives, de l’attaque de tous les gouvernements (y compris ceux du PSOE) contre les anciennes conquêtes sociales et surtout en raison du prix effréné des logements. Il y a 3,2 millions de chômeurs et parmi les jeunes de moins de 25 ans, le taux de chômage est de 33,4 %. Les salaires ne récupèrent pas leur pouvoir d’achat, 92 % des nouveaux contrats de travail sont temporaires et la plupart d’entre eux sont conclus en jours, voire en heures. La journée de huit heures est devenue un rêve. Et la prochaine crise approche, ce qui renforcera nécessairement les exigences de la bourgeoisie envers le gouvernement pour qu’il l’aide à augmenter sa part du gâteau qui s’amenuise et à réprimer sans trop de scrupules les luttes ouvrières et sociales.
Pour la même raison, l’agressivité des partis du trifachito [les partis bourgeois PP-Ciudadanos-Vox néo-franquiste] contre le gouvernement de la coalition « de gauche » -déjà amorcée– ira croissante, même si le gouvernement se révèle être un loyal gestionnaire du capitalisme et un défenseur de l’unité de l’Espagne. Lorsque les choses tournent mal, le maître préfère gouverner directement plutôt qu’à l’aide d’intermédiaires.
De plus, face à ce type de gouvernement, le message de populisme fascisant de Vox est susceptible d’accroître son audience parmi les couches de la petite bourgeoisie menacée de paupérisation et même dans certaines franges de la classe ouvrière. Ces couches sociales, lorsqu’elles n’attendent plus du gouvernement qu’il améliore leur situation, et ne voient pas les organisations de la classe ouvrière se battre pour un avenir différent, deviennent particulièrement perméables aux discours plus réactionnaires et activement anti-ouvriers présentés sous la bannière de la patrie, de la race, de la religion et de la suprématie masculine.
En définitive, ce gouvernement PSOE-Podemos travaillera à améliorer la « gouvernabilité » bourgeoise de l’État, mais il n’obtiendra pas un seul jour de répit de la part des partis, des médias et de l’appareil d’État, aux mains de la droite espagnole, héritière -toutes branches confondues- du franquisme.
Aux révolutionnaires déterminés à construire un véritable parti de la classe ouvrière combattant pour mettre fin une fois pour toutes à la pourriture économique, politique et sociale du capitalisme, nous disons très clairement : malgré un « esprit » apparemment différent, ce gouvernement œuvrera pour la bourgeoisie et, pour cette raison même, ne résoudra pas les problèmes des travailleurs et des travailleuses. Il ne libérera pas non plus les peuples de l’oppression. Par conséquent, il n’a aucun avenir. Ce n’est que si nous parvenons à arracher le pouvoir à la classe capitaliste et à le prendre en main que nous éviterons de rendre notre existence plus difficile et plus misérable chaque jour.