La grève des éboueurs lyonnais

Une double grève d’une importance et d’une durée inhabituelles a touché le ramassage des poubelles de l’agglomération lyonnaise pendant près d’un mois. Une majorité des travailleurs, agents de la métropole de Lyon, se sont mis en grève du 19 mars au 5 avril. Puis, à partir du 2 avril et jusqu’au 18 avril, les salariés de Pizzorno, une des sociétés privées assurant une délégation de service public pour le compte de la métropole de Lyon se sont joints au mouvement. Cette double grève a mis en avant des revendications salariales importantes ainsi que des revendications relatives à l’organisation du travail.

La grève trahie de 2012

Il n’en a pas toujours été ainsi dans ce service. En 2012, la grève contre la privatisation de la collecte à Lyon et à Villeurbanne avait été contrôlée du début à la fin par une intersyndicale de huit organisations, paravent des appareils de la CGT et de l’UNSA. Le président du Grand Lyon, Gérard Collomb, alors au Parti socialiste (PS), avait décidé de transférer aux entreprises privées le ramassage des ordures à Lyon et Villeurbanne, là où le travail est plus concentré et donc plus rentable. Les éboueurs du service public étaient envoyés, eux, dans les communes périphériques. Pour imposer ce cadeau aux entreprises privées (Suez, Pizzorno et Nicollin), Collomb s’était alors comporté en patron de choc. À la veille du premier tour de l’élection présidentielle de 2012, la complicité des directions syndicales du Grand Lyon et des partis « réformistes » PS, PCF, GU, etc. avait dévoyé la grève pour ne pas gêner l’arrivée au pouvoir du PS, l’entrainant dans une défaite retentissante malgré 17 jours de lutte des travailleurs [voir Combattre pour en finir avec le capitalisme n° 26, 18 juin 2012]. Les travailleurs ont gardé cet épisode en mémoire : « en 2012, on a fait 17 jours de grève pour rien et, en plus, on a perdu. On a perdu des jours de grève, c’est tout. À la fin, chaque syndicat essaye toujours de tirer la couverture à lui », a rappelé un chauffeur (Rue 89 Lyon, 3 avril).

Une lutte contrôlée par les grévistes

Chez Pizzorno, le préavis de grève a été déposé par le syndicat Solidaires, la première organisation syndicale de l’entreprise. Il n’en fut pas de même chez les éboueurs de la fonction publique. Aucun drapeau ou autocollant de syndicats n’était visible durant le conflit.

Ce qui ne veut pas dire que les syndicats étaient absents du mouvement. Des délégués venaient régulièrement discuter avec les grévistes. Certains syndiqués ou représentants du personnel participaient au blocage mais sans afficher leur appartenance syndicale. De fait, très rapidement le mouvement s’est doté d’un collectif des éboueurs et des chauffeurs de la collecte marquant une certaine défiance vis-à-vis des principaux syndicats (CGT, UNSA, FO) de la métropole. Commentant cette situation, un responsable syndical de FO a dit dans les colonnes du journal Le Progrès (26 mars) : « cela me fait vraiment penser au mouvement des Gilets jaunes. Les agents sont très remontés. Nous sommes donc à leurs côtés pour les accompagner dans ce mouvement et faire remonter leurs revendications » (Rue 89 Lyon, 3 avril).

C’est la question des salaires qui a mis le feu aux poudres, d’autant plus qu’une réorganisation des tournées était aussi prévue. De façon spontanée, avec la création du collectif de lutte, les éboueurs de la métropole ont débordé le dispositif traditionnel du dialogue social cher aux bureaucrates syndicaux. La défiance envers les responsables syndicaux a été très forte dès le départ. Un éboueur résumait ce ressenti en précisant : « on en avait ras le bol. Mais les syndicats n’auraient rien fait. C’est pour ça qu’on est parti en grève sans eux » (Rue 89 Lyon, 3 avril).

Instruits par l’expérience, de nombreux travailleurs de la métropole voulaient cette fois conserver le contrôle de leur lutte, avec, par exemple la mise en place d’un collectif de grève se comportant comme un comité de grève et d’action, un vote des grévistes quotidien en assemblée générale, des piquets de grève, etc.

Pour contrecarrer l’auto-organisation, des bureaucrates syndicaux ont monté une intersyndicale CGT-UNSA-SUD, mais celle-ci n’a tenu que quelques jours avant de disparaitre corps et âme quand la grève est devenue totale.

Pour éviter de perdre toute influence, CGT, UNSA, SUD d’un côté et FO de l’autre, ont dû déposer des préavis de grève. Pendant ce temps, les assemblées générales ont rapidement adopté un cahier de revendications portant principalement sur quatre points :

augmentation immédiate de 200 euros par agent ;

non à la mise en place du mono-ripper (un camion ramasse de 6 à 11 tonnes par tournée. Ils sont actuellement deux agents à l’arrière, la métropole proposant une expérimentation pour passer à un seul agent) ;

congés d’été sur les mois de juillet et d’août ;

maintien de la prime d’intéressement de février

Seule FO avait repris l’ensemble du cahier de revendication. Tel n’était pas le cas des préavis de l’intersyndicale CGT-UNSA-SUD.

Les travailleurs de la collectivité locale font plier le patron macroniste

Dans un premier temps, pour contourner le collectif des grévistes, les représentants du président de la métropole (David Kimelfeld, LREM) ont décidé de ne négocier qu’avec « l’intersyndicale » qui n’était pas à l’origine de la grève, refusant, à la fureur des travailleurs, l’accès aux négociations aux membres élus du collectif des grévistes ainsi qu’aux délégués de FO.

Au dixième jour de grève, l’intersyndicale a signé un accord a minima, très loin des quatre revendications, avec l’employeur et a retiré par conséquent son préavis de grève. Le journal régional Le Progrès annonça victorieusement : « La grève est finie, les poubelles seront ramassées demain ». Mais, à la surprise des caciques syndicaux et des responsables de la métropole, l’ensemble des dépôts n’a pas reconnu l’accord. En assemblée générale, le collectif des grévistes a fait voter à la quasi-unanimité la poursuite et l’extension de la grève avec la réaffirmation des quatre points et « l’exigence d’ouverture de négociations avec le collectif et le syndicat FO qui n’a pas retiré son préavis de grève ».

Parallèlement, pour briser la grève, le président de la métropole Kimelfeld avait fait assigner cinq agents du collectif et de FO au tribunal « pour blocage illégal des fours ». Il avait aussi fait ramasser les ordures par des entreprises privées en prenant un arrêté de « maintien de la sécurité et de la salubrité publique ».

Mais, le 2 avril, c’était au tour des employés de l’entreprise privée Pizzorno de rentrer massivement dans la danse, provoquant la grève totale sur l’ensemble des communes de la métropole et particulièrement dans le centre-ville de Lyon.

Le seizième jour de grève, contraint et forcé par la puissance du mouvement, par l’alliance entre les travailleurs du secteur public et du secteur privé du ramassage des déchets, le patron macroniste fut contraint de négocier avec le collectif des éboueurs. Le 5 avril, la métropole satisfaisait une grande partie des revendications et signait un protocole avec le collectif et les syndicats. Les grévistes ont obtenu :

  • des augmentation indemnitaires pour chaque agent de la collecte allant de 90 euros à 130 euros net par mois ;
  • l’embauche de vingt agents d’ici au 1er juillet 2019 ;
  • la levée de toutes les assignations et poursuites devant les tribunaux ;
  • diverses mesures ayant trait aux conditions de travail.

Les dépôts votaient alors la reprise du travail.

La poursuite de la grève chez Pizzorno

Encouragés par cette victoire de leurs camarades, les travailleurs de Pizzorno n’avaient pas l’intention de lâcher sur leurs revendications comprenant une hausse des salaires de 300 euros nets et une amélioration des conditions de travail.

En face, la direction de Pizzorno n’avait pas l’intention non plus de céder la moindre miette à ses employés. Le patron a d’abord catégoriquement refusé de négocier, aidé en cela par les dirigeants de la métropole, tout en attaquant la grève par tous les moyens possibles : recours à des salariés d’autres villes, embauche d’intérimaires, intimidation des grévistes, et même poursuites judiciaires contre les piquets de grèves pour « entrave à la liberté de travail et diffamation ».

Stimulée par la victoire des éboueurs du secteur public, cette seconde grève a permis de faire sauter le verrou et d’arriver à des concessions du patron tant sur des questions économiques que d’organisation du travail : une prime de 65 euros bruts par mois, six jours de grève payés…

Les leçons

Cette grève a recoupé des éléments du programme communiste parce que ce dernier est lui-même la synthèse de la lutte des classes de deux siècles. En effet, pour pouvoir l’emporter, les travailleurs doivent :

  • rompre le cadre du « dialogue social » ;
  • mettre en place des piquets de grève pour rendre effective la cessation collective du travail ;
  • contrôler leur mouvement par des assemblées générales souveraines ;

désigner des comités de grève et les coordonner quand la lutte s’étend à plusieurs sites.

C’est ce qu’ont fait pour partie les éboueurs lyonnais, remportant une victoire partielle et engrangeant une expérience importante. Pour approfondir et étendre de telles pratiques, il faut rassembler des fractions lutte de classe dans les syndicats et construire un parti ouvrier révolutionnaire et internationaliste en lien avec les travailleurs avancés de tous les pays.

26 mai 2019, correspondant