La violence d’État au service de la classe capitaliste

Fin novembre et début décembre, le mouvement des gilets jaunes a brisé un temps l’offensive couronnée de succès du gouvernement au service de la bourgeoisie, jusqu’à créer une crise d’hégémonie de la classe dominante, un sentiment de perte d’autorité. Macron a surmonté la crise politique, même si, dans les profondeurs de la société, gronde toujours la révolte.

Mais aucun parti ne l’exprime en la dirigeant vers la classe dominante, contre la bourgeoisie française. Le Pen, élevée dans un château, a remporté les dernières élections en protégeant les exploiteurs, en déviant le mécontentement populaire contre « l’étranger » (l’Union européenne, les immigrés).

Une tentative d’intimidation de toute lutte sociale

Pour Macron et son gouvernement à la botte du capital, leur mise en cause par les Gilets jaunes était insupportable. Ils ont écrasé ce mouvement : une morte, 8 700 gardes-à-vue, 1 800 condamnations, 800 personnes en prison, 280 blessures à la tête, 24 éborgnés, 5 mains arrachées… Ces chiffres répertoriés par David Dufresne, journaliste indépendant, témoignent de la violence avec laquelle l’État français a répondu aux laissés pour compte de la faible reprise économique.

Dès le début du mouvement, le gouvernement a choisi la violence en dégageant les péages d’autoroutes, en détruisant les cabanes des ronds-points, en empêchant la convergence des manifestations, en filtrant aux entrées des villes, en nassant les manifestants, en tirant des gaz lacrymogènes dès le début des manifestations, en tirant des balles en caoutchouc (LBD) sur les manifestants et les journalistes…

Il est reproché aux gilets jaunes la « dégradation ou détérioration de biens », la « violence sur personne dépositaire de l’autorité publique », la « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences »…

Si un député LREM veut « oublier l’affaire Malik Oussekine » (Jean-Michel Fauvergue, France 5, 30 avril), en référence au jeune homme assassiné le 6 décembre 1986 par les voltigeurs de Pasqua, c’est à la fois pour blanchir l’appareil de répression et pour effacer une défaite devant les étudiants. Aujourd’hui les voltigeurs, qui avaient été dissous, ont été reconstruites sous le nom de DAR (détachements d’action rapide) ou BRAVM (brigades de répression de l’action violente motorisée).

Le 1er mai, la BAC agressait un étudiant qui habite dans la résidence étudiante de l’hôpital La Pitié-Salpêtrière. Son tort ? Avoir vu que les manifestants qui se réfugiaient là étaient pourchassés par des CRS, que ce n’était en rien une « attaque » de blacks blocs, ni une « intrusion violente » (Le Figaro, 3 mai) contre l’hôpital, comme l’a d’abord prétendu Castaner, avec le relais complaisant de nombreux médias. En réalité, le cortège était « encerclé par devant et par derrière par des CRS ». Les manifestants ont « subi une pluie de lacrymogènes et de LBD dans un incroyable mouvement de foule, tout le monde était visé, y compris des personnes âgées et des enfants » (Mediapart, 4 mai). 34 manifestants se sont alors réfugiés dans l’hôpital pour échapper aux charges policières, aux gaz lacrymogènes, avant d’être interpellés et gardés à vue pendant trente heures.

« Dans un État démocratique républicain, le monopole de la violence légitime, c’est celle des policiers et des gendarmes. » (Gérald Darmanin, RTL, 6 janvier). La police use de la violence, jusqu’à un point qui frise le grotesque. Le 23 mars à Nice, lorsque Geneviève Legay, 73 ans, a été grièvement blessée par une charge policière, le procureur décide de confier l’enquête policière à Hélène Pedoya, la compagne de Rabah Souchi, qui était le commissaire chargé des opérations ce jour-là. Odile Maurin, une manifestante handicapée, est accusée de violence « avec usage et menace d’une arme ». Cette prétendue arme n’est autre que son fauteuil roulant qui, poussé par un policier, a terminé sa course dans un car de police.

Les manifestants sont traqués, puisque les dossiers médicaux des gilets jaunes (les dossiers SI-VIC, instaurés en 2015 pour identifier les victimes des attentats) sont utilisés pour les ficher.

Lorsqu’un gendarme passe aux aveux – « malheureusement, quand les manifestants parlent de violences policières, quand je vois ça, je suis obligé d’aller dans leur sens » (Mediapart, 11 mai 2019) – il se fait traiter de « balance » dans un tract du syndicat d’officier de police Synergie (qui appartient à Alliance), qui ne se prive pas de demander au ministre de l’Intérieur de « condamner ces propos et de rappeler à l’ordre la gendarmerie, qui n’est pas la directrice de conscience des policiers » (Synergie-officiers, CFE-CGC, 8 avril). Le secrétaire général d’Unité SGP FO, interrogé sur un gilet jaune à la main arrachée, ne craint pas de dire que « c’est bien fait pour sa gueule » (Yves Lefebvre, C-News, 11 février).

Comme toujours, l’appareil d’État ment lorsque c’est nécessaire pour défendre ses intérêts : le ministre de l’Intérieur affirme qu’il n’existe pas de violence policière, que l’hôpital La Pitié-Salpêtrière a été attaqué par des manifestants… Pour l’Inspection générale de la police nationale « il n’y avait pas de faute… pas de comportements déviants de la part des policiers » (Libération, 16 mai), alors que 151 lycéens avaient été mis à genoux contre un mur à Mantes-la-Jolie le 6 décembre dernier.

Or, les chefs syndicaux de la CFDT, de la CGT et de FO ont refusé de condamner la violence policière. Le gouvernement a mal récompensé Martinez en faisant agresser non seulement le cortège de Solidaires, mais celui de la CGT le 1er mai, facilitant une attaque fasciste.

Un membre du service d’ordre de la CGT tient le décompte : «  On a dénombré sur le carré de tête au minimum neuf gazages plus le canon à eau, et on a subi au moins deux charges avec matraquage, ça fait beaucoup. » (L’Humanité, 3 mai)

La liberté de manifester est de plus en plus restreinte par la dissuasion policière et par une nouvelle loi adoptée par l’Assemblée nationale à majorité LREM-MoDem et le Sénat à majorité LR-Nouveau centre.

Macron mène à terme sa reprise en main

La liberté d’informer est largement entravée. Depuis le début du mouvement, 90 journalistes « ont été victimes de violences policières », d’après Reporters sans frontières (Le Parisien, 10 mai 2019). Pour le syndicat SNJ-CGT, « des dizaines de consœurs et confrères ont été empêchés de travailler, injuriés, agressés, matériels saisis et détruits, cartes de presse subtilisées. Des journalistes ont été visés délibérément par les forces de l’ordre et blessés » (Politis, 8 mai 2019). La liberté de la presse n’est pas compatible avec la liberté du capital, comme en témoignent également les intimidations contre les journalistes ayant dévoilé que des armes françaises sont utilisées par l’Arabie saoudite pour écraser le Yémen.

Le 25 avril, le président a clos son « grand débat », qui s’est déroulé grâce aux maires PS et LR. Lors de la conférence de presse, il prétend avoir entendu le mécontentement. En fait, il fait des concessions à son électorat, ce qui s’est révélé payant et annonce que le gouvernement va reprendre ses attaques contre la classe ouvrière.

Le gouvernement accepte de réindexer les petites retraites (moins de 2 000 euros) sur l’inflation. Mais les autres continueront donc à perdre du pouvoir d’achat et cela ne revalorisera en rien les pensions modestes. Il promet « 5 milliards d’euros de baisses d’impôts sur le revenu » mais cela ne concerne que ceux qui en payent et non pas les plus pauvres. La moitié la plus pauvre de la population n’est pas assujettie à l’IRPP mais elle restera ponctionnée d’une bonne partie de ses faibles revenus par le taux élevé de la TVA (20 %) sur les dépenses de consommation. Il refuse de rétablir l’ISF (qui ne frappait qu’une partie du patrimoine des plus riches) et n’envisage pas d’augmenter les droits de succession.

Macron promet : « pas de fermetures d’écoles ou d’hôpital sans l’accord du maire ». D’une part, de nombreux hôpitaux ont déjà été démantelés, dont 15 maternités sous Macron, et le gouvernement a fermé au moins 200 classes dans les zones rurales en septembre 2018. D’autre part, la formule n’empêche pas de continuer à fermer des classes, des services hospitaliers, ni de fusionner des établissements. La plupart des fermetures scolaires sont opérées sous forme de « regroupements ». La récente loi santé prévoit la transformation de 500 établissements en « hôpitaux de proximité ».

Il lâche apparemment du lest sur la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires. Mais il précise : « On doit réinvestir dans la sécurité, l’éducation, la justice ». Autrement dit, il y aura plus de policiers, de militaires, de gardiens de prison et de juges professionnels.

Macron garantit que les grandes sections de maternelle seront à 12 élèves dans les « réseaux d’éducation prioritaire » (18 % des écoles sont en REP et REP+). Mais la rentrée de septembre 2019 est déjà préparée avec la création de 1 900 postes, loin des 10 000 minimum selon le journal patronal Les Échos que ces mesures nécessitent. Il faudra donc gonfler encore plus les effectifs des autres niveaux ou des autres écoles. Ainsi, la qualité de l’enseignement risque de pâtir de la loi Blanquer qui prévoit l’embauche d’étudiants de licence et de master, hors concours et sans formation professionnelle, pour combler par des précaires mal payés le manque de remplaçants titulaires dans les écoles, collèges et lycées.

La preuve que Macron a, pour l’instant, rétabli son autorité aux yeux de la bourgeoisie française, est que sa liste, à défaut d’avoir dépassé celle de Le Pen, a écrasé celle de LR.

Le mouvement des Gilets jaunes n’a pas profité aux listes du mouvement ouvrier

Les élections au Parlement européen étaient le premier scrutin depuis le mouvement des gilets jaunes. Les deux listes qui s’en réclamaient ont fait beaucoup moins que la liste du Parti animaliste. Les Gilets jaunes ont peu voté LFI, ils se sont abstenus ou ont choisi le RN (qui apparaissait mieux placé pour battre Macron).

Les attaques que le gouvernement français prépare contre le droit à la retraite, conte les travailleurs de la fonction publique, contre les chômeurs ne sont pas dictées par l’Union européenne. Comme les mesures fiscales antérieures au mouvement des gilets jaunes, les ordonnances contre le travail et la loi contre les cheminots, elles correspondent avant tout aux besoins de la bourgeoisie française. Pourtant, la plupart des partis « réformistes » ont dit le contraire à l’occasion des élections au Parlement européen : « les politiques austéritaires et anti-écologistes organisées par les traités européens » (profession de foi de la liste de LFI) ; « l’Europe nous impose ses politiques d’austérité » (profession de foi de la liste du PCF). Ceux-ci, comme les listes partisanes de l’UE capitaliste (PS-ND-PRG-PP, Générations) prétendent que la solution viendra des urnes. Elles ont même passé un accord avec LR pour déclencher un référendum pour tenter d’empêcher la privatisation d’ADP. Mais les travailleurs des aéroports de Paris pourraient l’empêcher avec l’aide de toute la classe ouvrière, si les organisations syndicales les mobilisaient pour leurs propres intérêts.

Tous les partis qui se sont présentés, même la liste de LO, sont d’accord pour ne pas dénoncer la participation des directions syndicales à l’élaboration des plans de Macron et Philippe et leur sabotage des luttes par les « journées d’action » ou les grèves intermittentes.

Les travailleurs se sont donc largement abstenus. Si le taux de participation (50 %) a augmenté en référence aux précédentes élections européennes, à peine un électeur sur deux s’est déplacé. Les organisations issues de la classe ouvrière sont réduites à des scores anecdotiques : LFI 6,3%, PS 6,2 %, Générations 3,3 %, PCF 2,5 %, LO 0,8 %. Ainsi, moins d’une voix sur cinq, soit à peine un dixième des inscrits, s’est portée sur l’une d’entre elles. Ce n’est pas le cas uniquement en France, et il est remarquable que les organisations sœurs de LFI (Podemos dans l’État espagnol) ou ex-sœur (Syriza en Grèce…) qui étaient présentées par LFI et le NPA comme une solution de rechange, comme une « gauche radicale », ont subi de lourdes défaites.

Si le parti traditionnel de la bourgeoisie française (LR) s’effondre, les rivaux ne manquent pas : quatre listes de partis bourgeois sont en tête : RN 23,3 %, LREM 22,4 %, EELV 13,5 %, LR 8,5 %.

Dans le viseur du gouvernement : les retraites

Ayant maintenu « l’ordre républicain » avec la complicité des partis « réformistes » et des directions syndicales qui se sont tous rendus à l’Élysée, Macron a pu mettre en scène son « grand débat », quitte à lâcher un peu de lest. Ainsi stabilisé, il entend reprendre son offensive contre les travailleurs.

Le droit à la retraite a considérablement reculé au fil des ans. Les femmes sont particulièrement touchées : elles perçoivent en moyenne 1 065 euros brut de pension. Mais c’est encore trop pour le capital. Le gouvernement en place avait dans un premier temps décidé de ne revaloriser les pensions que de 0,3 % en 2019 et 2020, tandis que l’inflation devrait être entre 1 et 2 %, avant de limiter cette mesure aux pensions mensuelles supérieures à 2 000 euros. Dorénavant, il dévoile peu à peu ce qu’il a prévu contre les retraites après 18 mois de concertation avec les appareils syndicaux : la « mise en place d’un système universel » (Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, Les Échos, 11 octobre 2018).

Le système par points tel qu’il se dessine est un moyen d’obtenir une baisse des pensions et un recul de l’âge de départ à la retraite en en faisant porter la responsabilité aux salariés eux-mêmes, puisque ce sont eux qui décideraient de leur âge de départ. Ce stock de points accumulés serait transformé en pension de retraite, grâce à un coefficient de conversion qui prend en compte deux facteurs : l’âge de départ à la retraite, mais aussi l’espérance de vie de chaque génération au moment du départ. Le montant accumulé, divisé par le coefficient donne le montant annuel de la pension qui sera versée. Delevoye affirme, non sans cynisme, que l’âge de départ à la retraite restera à 62 ans, « pour protéger contre eux-mêmes » (Les Échos, 11 octobre 2018) les assurés qui souhaiteraient partir tôt, avec une trop faible pension.

Non seulement cette contre-réforme supprime les régimes spéciaux mais elle conduira à une baisse mécanique des droits à la retraite puisque toutes les années seront prises en compte dans le calcul (finies les 25 meilleures dans le privé, sans parler des six meilleurs mois pour les titulaires de la fonction publique).

Pourtant, toutes les directions syndicales ont accepté de négocier ce projet durant 18 mois et Berger, secrétaire général de la CFDT ose saluer une réforme « qualitative, et non punitive » (Les Échos, 11 octobre 2018).

Donner aux luttes sociales une perspective politique

Après le scrutin, pour ne pas gêner la liste LERM, de nouveaux licenciements collectifs ont été annoncés, notamment sur le site GE de Belfort.

Le mouvement des gilets jaunes, bien qu’affaibli, persiste. De nombreux travailleurs de la santé expriment leur exaspération devant les conséquences de la politique de Macron et de ses prédécesseurs. Le mécontentement, saboté par plusieurs journées d’action inefficaces, gronde dans l’enseignement public. Il faut ouvrir, contre les projets réactionnaires en cours, la perspective de la grève générale.

Après la répression intense des gilets jaunes et l’agression policière inouïe des cortèges syndicaux le 1er mai, il faut soulever la question de l’autodéfense des manifestations contre la police et les groupes fascistes.

Aucune des listes présentes aux dernières élections n’a dégagé de telles perspectives. Il est urgent de construire un nouveau parti avec tous les éléments révolutionnaires et internationalistes actuellement éparpillés, donc vulnérables face au rouleau compresseur des bureaucraties syndicales et des partis sociaux-impérialistes. Serait alors réellement posée la question du pouvoir, et ouverte la voie vers un gouvernement ouvrier, vers les États-Unis socialistes d’Europe.