Plus qu’aux manifestants (quelques centaines de milliers de salariés des petites villes, retraités, autoentrepreneurs et petits patrons) et à la majorité de la population qui les a soutenus, Macron s’adresse, avant tout, à la classe sociale qu’il incarne (la bourgeoisie) et dans une moindre mesure aux classes sociales petites-bourgeoises qui perçoivent quelques miettes de la première (les cadres, les professions libérales, les commerçants, etc.).
Macron leur explique qu’il conserve le cap des attaques contre les salariés de base : « il n’y aura aucun recul dans mon ambition de réformer le pays ». Délibérément vague sur la baisse des impôts, le président refile la patate chaude au premier ministre. Le 29 avril, sans être beaucoup plus précis, Philippe (ex-LR) précise le calendrier.
L’injustice du système fiscal préservée
Macron assure que des « niches fiscales pour les entreprises » seront supprimées tout en ajoutant « la nécessité de travailler davantage et des réductions de notre dépense publique ». Il serait très surprenant que Macron prenne 5 milliards « aux entreprises » et revienne sur ses cadeaux aux patrons comme le CICE.
Pour la réduction de la dépense publique, Macron reste vague. Il évoque la suppression de « comités et organismes inutiles » mais veut créer un Conseil de défense écologique en mai, un Haut conseil pour le climat en novembre.
Le gouvernement accepte de réindexer les petites retraites (moins de 2 000 euros) sur l’inflation. Mais les autres continueront donc à perdre du pouvoir d’achat et cela ne revalorisera en rien les pensions modestes.
Il promet « 5 milliards d’euros de baisses d’impôts sur le revenu » mais cela ne concerne que ceux qui en payent et non pas les plus pauvres. La moitié la plus pauvre de la population n’est pas assujettie à l’IRPP mais elle restera ponctionnée d’une bonne partie de ses faibles revenus par le taux élevé de la TVA (20 %) sur les dépenses de consommation. Le système qui permet au 1 % le plus riche de la population de payer proportionnellement moins d’impôts et de cotisations que la majorité n’est pas menacé. Entre autres, Macron refuse de rétablir l’ISF (qui ne frappait qu’une partie du patrimoine des plus riches) et n’envisage pas d’augmenter les droits de succession.
Le plus probable est que le déficit de l’État augmentera, ce qui prouve que, contrairement à ce que prétendent le RN, LFI et le PCF, il n’est pas guidé par l’Union européenne qui limite le déficit public.
Pour l’État, les perspectives se sont franchement dégradées. Il y a un an, le gouvernement prévoyait que son besoin de financement devait être ramené progressivement de 2,9 % du PIB en 2017 à 1,2 % en 2022. Las ! En 2019, le déficit devrait bondir à 3,6 % du PIB, du fait de la transformation du CICE en baisse de charges pérenne. (Les Échos, 9 mai)
Bref, comme il n’est pas question que les riches paient plus d’impôts et les patrons plus de cotisations sociales, il faudra « travailler plus » pour rembourser les emprunts et payer les intérêts aux banques.
Promesses mensongères sur les services sociaux
Désormais, le président ménage les maires. Le « pacte territorial » va transférer aux collectivités locales « les politiques de la vie quotidienne ». On sait que les plus riches communes, communautés urbaines et départements offriront de meilleurs services que les paupérisées.
Dans le même ordre d’idées, Macron promet : « pas de fermetures d’écoles ou d’hôpital sans l’accord du maire ». D’une part, de nombreux hôpitaux ont déjà été démantelés, dont 15 maternités sous Macron, et le gouvernement a fermé au moins 200 classes dans les zones rurales en septembre 2018. D’autre part, la formule n’empêche pas de continuer à fermer des classes, des services hospitaliers, ni de fusionner des établissements. La plupart des fermetures scolaires sont opérées sous forme de « regroupements ». La récente santé prévoit la transformation de 500 établissements en « hôpitaux de proximité ».
Il lâche apparemment du lest sur la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires. Mais écoutons-le avec attention : « On doit réinvestir dans la sécurité, l’éducation, la justice ». Autrement dit, il y aura plus de policiers, de militaires, de gardiens de prison et de juges professionnels. Quant à « l’éducation », il veut la confier davantage à l’armée (« le développement rapide du service national universel », « c’est la matrice indispensable au cœur de notre école »), au patronat (l’apprentissage) et continuer à écarter des facultés (« en développant massivement les formations professionnelles courtes »).
Et la qualité des enseignants risque de pâtir de la loi Blanquer qui prévoit l’embauche d’étudiants de licence et de master, hors concours et sans formation professionnelle, pour combler par des précaires mal payés le manque de remplaçants dans les écoles, collèges et lycées.
Macron garantit que les grandes sections de maternelle seront à 12 élèves dans les « réseaux d’éducation prioritaire » (18 % des écoles sont en REP et REP+). Mais la rentrée de septembre 2019 est déjà préparée avec la création de 1 900 postes, loin des 10 000 minimum selon le journal patronal Les Échos que ces mesures nécessitent. Il faudra donc gonfler encore plus les effectifs des autres niveaux ou des autres écoles.
Macron annonce la création de « maisons France service ». En vérité, elles datent d’avril 2000 et sont au nombre de 1 616 sous le nom de maisons du service au public.
L’axe : la poursuite de la régression sociale
Sous le prétexte que « le travail doit payer », Macron veut persécuter davantage les chômeurs.
Le projet de loi contre la fonction publique de Macron, Philippe et Darmanin prévoit la flexibilité des fonctionnaires, la rémunération au mérite et le recours encore plus massif aux CDD.
Macron veut porter un nouveau coup aux retraites ! « Nous devons rebâtir un système de retraite juste par point ». Les négociations sur les retraites avec tous les dirigeants syndicaux se sont déroulées sur la base de la retraite par points, qui ne permettra plus le calcul des pensions sur les 6 derniers mois de carrière pour les fonctionnaires ou les 25 meilleures années pour le secteur privé et qui mettra la valeur du point dans les mains de l’État. En plus, Macron envisage que l’âge de départ passera au-delà de 62 ans pour une pension complète : « On peut allonger la période de référence sans bouger l’âge légal pour avoir un système de décote qui incite à travailler davantage, mais sans forcer tout le monde ».
Une bonne dose réactionnaire
Le « progressiste » Macron a chanté les louanges des frontières, du « patriotisme » et de « l’enracinement » : « Une nation, elle se tient aussi par ses limites et ses frontières ».
Le gouvernement a décidé récemment d’augmenter énormément les droits d’inscription des étudiants étrangers et il expulse plus de migrants que Sarkozy.
Alors que les « gilets jaunes » étaient plutôt discrets sur cette question, Macron cible les immigrés et les musulmans. Pour les premiers, il confirme le programme de la liste LREM conduite par l’ancienne candidate du GUD, un « syndicat » étudiant fasciste, Nathalie Loiseau. Selon lui, il faut « refonder Schengen » pour une « Europe souveraine » qui « tient ses frontières » mais aussi fragiliser toujours plus les travailleurs étrangers : « Nous sommes aujourd’hui confrontés à des détournements, très profonds du regroupement familial comme des migrations liées à l’asile… », « Je souhaite que nous puissions instaurer chaque année au Parlement, un débat sur la politique migratoire ».
En guise de laïcité, le seul danger qu’il décèle est la religion musulmane, « de gens qui au nom d’une religion poursuivent un projet politique, celui d’un islam politique qui veut faire sécession avec notre république ». Pas question de remettre en cause les énormes subventions à l’Église catholique qui répand toujours l’obscurantisme et s’oppose aux droits des femmes et des homosexuels.
Ainsi, Macron apporte sa contribution à l’islamophobie et à la xénophobie répandues par LR, DLF, le RN.
Toujours moins de démocratie
D’un côté, Macron annonce un peu de poudre aux yeux ; de l’autre, en pratique, le pouvoir reste centré sur la présidence et l’État est plus policier que jamais.
Macron jette en pâture l’ENA mais seuls les naïfs croiront que les hauts fonctionnaires ne jouiront plus de privilèges exorbitants et ne seront plus liés aux grands groupes capitalistes français.
La 5e République confère l’essentiel du pouvoir politique à la présidence, ce que Macron ne remet pas en cause. La constitution permet même de passer par-dessus la tête du parlement avec des lois décidées par le gouvernement lui-même, les ordonnances. En deux ans, Macron et son adjoint Philippe ont usé des ordonnances pour, entre autres, affaiblir les protections du Code du travail (2017) et démanteler le bastion social que constituaient les cheminots (2018).
Lors de la conférence de presse, le président rappelle qu’il veut une part de proportionnelle aux élections législatives, comme Mitterrand l’avait déjà fait en 1986, comme Sarkzoy et Hollande l’avaient promis sans le faire et qu’il veut restreindre le nombre de parlementaires (députés, sénateurs). Toutefois, ces mesures nécessitent le vote des deux chambres concernées…
Macron préfère au « référendum d’initiative citoyenne » (RIC) chers à LFI et au RN l’assouplissement du « référendum d’initiative partagée » (RIP). Cet exutoire existe déjà : le RIP vient d’être activé par une bizarre coalition du PCF, de LFI, du PS et de LR à propos de la privatisation des Aéroports de Paris. Macron propose d’abaisser le nombre de signataires de 4,7 à 1 million de « citoyens » en vue de demander le réexamen par le parlement (aujourd’hui une Assemblée à majorité LREM et un Sénat à majorité LR) d’une loi déjà adoptée et qui, le cas échéant, pourrait être soumis à référendum… avec l’accord du président.
Selon Macron, le Conseil économique, social et environnemental deviendra un Conseil de la participation citoyenne comprenant 150 « citoyens » tirés au sort. Le CESE ne décide de rien. Il publie occasionnellement des rapports dont personne ne se soucie (Créer plus de richesses et mieux les partager ; Fractures et transitions : réconcilier la France…). Sa fonction est de recaser des amis et de corrompre les bureaucraties syndicales : CGT, FO, CFDT, Solidaires, UNSA, FSU y sont présents et rémunérés.
Une nouvelle loi restreignant le droit de manifester a été votée en début d’année. Les gilets jaunes eux-mêmes continuent à subir des fouilles policières, des arrestations, des condamnations, des jets d’eau, des gaz lacrymogènes, des coups de matraques, des balles en caoutchouc, etc. Le bilan est une morte (une vieille dame atteinte le 1er décembre à sa fenêtre par un éclat de grenade), 24 éborgnés et 5 mains arrachées. Il s’agit d’intimider : 151 lycéens ont été contraints de s’agenouiller les mains sur la tête le 6 décembre à Mantes-la-Jolie. Un journaliste se voit interdire de faire son métier.
Le journaliste Gaspard Glanz est sorti de garde à vue. Il sera jugé pour « outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique ». D’ici là, il a pour interdiction de paraître à Paris tous les samedis et le 1er mai. (Le Figaro, 23 avril)
Lors de sa conférence de presse, le président trouve que la presse en a trop fait sur les brutalités de son homme de main, Benalla, contre des manifestants désarmés et la protection dont il a bénéficié. Quelques jours après, Macron, Philippe et Castaner lancent la police contre les cortèges syndicaux de la CGT et de Solidaires le 1er mai à Paris. Plusieurs journalistes sont menacés ou agressés par la police. Ce jour-là, le ministre de l’intérieur (ex-PS) qualifie d’attaque la tentative de manifestants de se réfugier dans l’enceinte de l’hôpital la Pitié-Salpêtrière.
Voilà le véritable visage d’un pouvoir qui se pose devant les médias comme « progressiste ».