Deux hommes de main du président molestent des manifestants
Tout semblait sourire à Macron début juillet : les cheminots reprennent le travail battus et l’équipe de France de football gagne la coupe du monde. Mais survient le premier gros accroc de la « présidence exemplaire » : le 17 juillet, le quotidien Le Monde révèle une vidéo qui identifie le personnage qui, avec un brassard de police et la complicité des policiers en uniforme, brutalise deux personnes le 1er mai, place de la Contrescarpe à Paris. Il s’agit d’Alexandre Benalla qui est chargé de mission à l’Élysée et adjoint au chef de cabinet du président de la République.
Un couple est attablé à une terrasse de café, à l’endroit où un « apéro » est convoqué par un Comité d’action inter-lycéen animé par des anarchistes, appel relayé par le syndicat étudiant UNEF et le parti politique la France insoumise (LFI). L’appel ne rassemble que quelques dizaines de personnes. Face à la charge brutale des CRS, le couple qui était à la terrasse d’un café fait partie de ceux qui protestent. Ils jettent des objets pris sur leur table. Les deux sont aux mains des policiers quand Benalla les brutalise à tour de rôle et frappe à plusieurs reprises l’homme sans défense. Benalla est accompagné d’un officier de réserve de la gendarmerie, Vincent Crase, salarié du parti présidentiel La République en marche (LREM), qui menace physiquement la victime au sol. Celle-ci est contrainte à six jours d’arrêt de travail.
Les deux nervis de Macron arborent du matériel policier (radio, casque, brassard). En outre, Crase est armé d’un pistolet. Libération dévoile le 27 juillet des images du même duo. Le 1er mai, 3 heures avant l’agression à la Contrescarpe, ils interpellent et frappent au Jardin des plantes de Paris d’autres manifestants qui étaient jusqu’alors repoussés par des policiers en tenue. Un homme subit deux jours de garde à vue et sa compagne (fonctionnaire au ministère de la justice et militante du PCF) qui filme se fait effacer les images de son téléphone.
Manifestement, l’existence de la vidéo inquiète leurs interlocuteurs. Noémie se souvient qu’on lui hurle alors distinctement : « Éteins ! Éteins !» Quelqu’un lui demande ensuite sa carte d’identité, s’éloigne de 10 à 15 mètres, et la regarde longuement. « Je me souviens qu’à côté, un manifestant avait mal, il saignait, mais on m’a dit « regarde ailleurs », raconte Noémie, encore très choquée. Ce n’est d’ailleurs qu’à ce moment-là que je réalise que Romain aussi est interpellé. » Celui qui est parti avec la carte d’identité est de retour. Un nouvel échange vif débute : « On n’a pas le droit de manifester en France le 1er mai ? » s’emporte la plaignante. Réponse de son interlocuteur, selon son récit : « Non, t’as qu’à aller au Venezuela ou à Cuba. » La jeune femme, « terrorisée », garde les mains en l’air depuis de longues minutes. Son interlocuteur la menace pour récupérer la vidéo, assure-t-elle : « Donne-moi ton téléphone, sinon on t’embarque. »… Selon la militante, l’homme examine alors les photos et les vidéos, et en supprime plusieurs. Puis lui rend l’appareil et leur ordonne de « dégager ». « Est-ce que je peux savoir votre numéro de matricule », s’énerve Noémie. Toujours selon elle, l’homme répond « 007 ». Le soir, Noémie parvient à récupérer la vidéo effacée. (Libération, 27 juillet)
Sur la vidéo, on reconnait nettement Benalla et Crase.
Macron et sa bande tentent d’étouffer l’affaire
Benalla, âgé de 26 ans, a été avant d’être affecté à la présidence, le responsable de la sécurité du candidat victorieux. Détenteur d’un master de droit, il est fasciné par la violence, surtout celle de ceux qui ont le pouvoir. Il a fait ses débuts en 2008 au PS (comme tant d’autres macronistes).
« Il est venu me trouver en 2010, il voulait aider », nous explique Éric Plumer, l’ex-responsable national du service d’ordre du PS. « C’était un bon gamin, même s’il était parfois impulsif. Il voulait toujours être là où ça se passe, du côté des personnalités et n’aimait pas quand je lui demandais de surveiller une porte. » (Le Parisien, 20 juillet)
Il assure la protection d’Aubry en 2011, de Hollande en 2012 et de Montebourg en 2012. Ce dernier, alors ministre, le licencie : « il avait provoqué un accident de voiture en ma présence et voulait prendre la fuite ». Macron, s’il ne le savait pas avant, l’a forcément appris quand il est devenu président.
Benalla émarge de 2012 à 2015 dans une entreprise de police privée (Velours) fondée par d’anciens policiers. Avec Crase, il fonde en 2016 une Fédération française de la sécurité privée mais la politique laisse entrevoir la même année de bien plus belles perspectives. Il devient le responsable de la campagne de Macron. Il est intime, jusqu’à détenir les clés de la maison des Macron au Touquet. Il a même un badge qui lui permet d’accéder à l’Assemblée nationale.
Une fois que l’affaire éclate, Macron fait dire à son directeur de cabinet que son « chargé de mission » avait été puni de 15 jours de suspension à compter du 1er mai. Macron et sa bande mentent : Benalla a continué de toucher sa paie (6 000 euros par mois), il apparaît à plus d’une occasion après le 1er mai et son badge d’accès à l’Assemblée n’est désactivé que le 20 mai.
La présence de M. Benalla à la cérémonie de panthéonisation de Simone Veil, le 1er juillet ; lors du défilé du 14 juillet, place de la Concorde ; ou encore dans le bus des Bleus à l’occasion de leur descente des Champs-Élysées, le 16 juillet, montrent que l’homme n’avait renoncé à aucune de ses prérogatives, malgré l’assurance de l’Élysée qu’il était désormais confiné à des tâches administratives au sein du palais. (Le Monde, 21 juillet)
Le 19 juillet, des commissions parlementaires sont mises en place. Le 23 juillet, à celle de l’Assemblée, le ministre de l’Intérieur Collomb (ex-PS) prétend ne pas connaître Benalla mais celui-ci dit le tutoyer. En tout cas, Collomb est contraint d’avouer avoir été mis au courant dès le 2 mai. Le Préfet de police de Paris, Delpuech, prétend que les deux victimes de la Contrescarpe n’avaient pas de pièces d’identité et avaient déclaré « de fausses identités », ce qui se révèle faux d’après la police elle-même.
Le 24 juillet, Macron visite les députés et sénateurs LREM opportunément réunis à Paris. Pour la première fois, il parle de l’affaire. Il fanfaronne comme la Ve République le lui permet : « S’ils veulent un responsable, qu’ils viennent le chercher ! Et ce responsable, il répond au peuple souverain, et à personne d’autre ».
Le 27 juillet, Benalla passe au journal télévisé de TF1 pour assurer qu’il n’a fait que prêter main forte à la police, comme tout bon citoyen doit le faire. En effet, ce qui aide Macron et sa bande dans cette passe difficile est que personne ne remet en cause l’appareil policier et l’État bourgeois.
Tous les partis liés au capital veulent préserver l’honneur de la police
Le RN et LR affectent de s’indigner.
Ce scandale, c’est celui d’un chef de l’État qui a protégé, qui a privilégié un homme qui lui a rendu des services, barbouze s’il en est… (Jacob, président du groupe LR à l’AN, 31 juillet)
Mais le RN vient du FN qui a été fondé par un tortionnaire, a toujours bénéficié de la complaisance de militaires et de policiers ; ses frontières sont poreuses avec les voyous fascistes et racistes ; d’ailleurs, des membres du FN ont assassiné en 1995 un jeune noir à Marseille. Et LR se revendique du général De Gaulle et de la filiation RPF-UNR-UDR-RPR qui ont toujours pratiqué à l’échelle industrielle (avec le SAC) ce que Macron fait pour l’instant encore à l’échelle artisanale, c’est-à-dire la liaison entre le sommet de l’État et le banditisme contre le mouvement ouvrier (les barbouzes). Plus d’une fois, le SAC, les CDR ou l’UNI ont agressé, voire assassiné, des militants communistes avec la complicité de la police [voir Révolution communiste n° 12]. Foccart, l’exécuteur des basses oeuvres de De Gaulle, et Pasqua, son remplaçant auprès de Pompidou et Chirac, ont fait des émules comme Benalla, Crase et d’autres restés dans l’ombre.
Hélas, les partis présents au parlement qui sont issus de la classe ouvrière et qui ont appelé à manifester le 1er mai (LFI, PCF, PS) brouillent une fois de plus les cartes, comme en avril 2017 quand le Parti « socialiste » et le Parti « communiste » appelèrent à voter Macron. Certes, LFI se résigne à une motion de censure avec le PCF et le PS, mais leur initiative tente d’effacer la lutte entre les classes, au lieu de montrer qu’elle est à la racine des agissements du président, de la police et des nervis type Benalla.
À la sortie de la commission d’enquête, Philippe Gosselin (LR), Danièle Obono (LFI) et Marine Le Pen (RN) se tiennent côte à côte devant les caméras. Ils s’applaudissent les uns les autres pour défendre « les droits du Parlement ». « J’en viens, moi, trotskiste, à défendre les institutions bourgeoises de la Ve République, mais on rêve, on rêve » soupire Mme Obono. (Le Monde, 29 juillet)
Pour duper les travailleurs et les jeunes, certains réformistes et beaucoup de semi-réformistes sont prêts à invoquer de grandes figures révolutionnaires. La contrefaçon est particulièrement criante dans le cas de la députée LFI : d’évidence, cette dame n’a rien à voir avec Marx, Lénine ou Trotsky. Sinon, elle ne voudrait pas augmenter les effectifs de la police [voir Révolution communiste n° 21 & n° 22], elle ne serait pas membre d’un parti nationaliste, elle ne poserait pas avec Le Pen, elle ne défendrait pas les institutions bourgeoises.
Fin juillet, lors du dernier épisode de la farce parlementaire, Jacob (LR) applaudit Mélenchon (LFI). Les députés PCF et LFI votent avec le RN la motion de LR, le parti de Wauquiez, Fillon et Sarkozy, le parti qui vient de voter les lois LREM-MoDem contre les travailleurs de la SNCF contre les immigrés.
143 députés ont voté la première motion de la droite, mardi 31 juillet… Dans le détail, 101 députés du parti Les Républicains mais aussi 17 élus de la France insoumise, 14 du PCF et 11 non-inscrits [dont Le Pen]. (Le Monde, 2 août)
Macron peut enfin profiter de sa nouvelle piscine à Brégançon et préparer les prochains coups contre la classe ouvrière (budget, chômeurs, retraite…). Pendant ce temps, Mélenchon invite des représentants de LR à l’université d’été de LFI.
Leçons pour la classe ouvrière
Tout d’abord, il faut dénoncer le pacifisme des dirigeants syndicaux et des partis réformistes qui a abouti à laisser les manifestants du 1er mai sans défense face aux bandes armées de l’État capitaliste, officielles et parallèles. L’affaire Macron-Benalla dévoile la véritable nature de l’État bourgeois : la police et la justice ne sont pas neutres, pas plus que l’armée de mercenaires qui intervient en Afrique et au Proche-Orient dans des pays dominés et contre des peuples opprimés.
Ensuite, la domination politique de la minorité des exploiteurs est camouflée sous une démocratie tronquée, sous le chantage permanent des capitalistes, par leur contrôle des médias de masses, avec l’élection tous les 5 ans d’une sorte de monarque d’où découle le résultat des élections législatives. Le président devient intouchable et une seule personne détient plus de pouvoir que tout le parlement.
Enfin, les travailleurs ont besoin non d’un nouveau bloc électoral avec des partis bourgeois (PRG, MRC, EELV…) mais d’un front unique ouvrier pour l’action commune. Face à l’appareil répressif de l’État et au régime présidentiel, tous les partis et syndicats qui prétendent être aux côtés des travailleurs et des étudiants doivent défendre un programme réellement démocratique :
- Levée des poursuites contre les militants arrêtés durant des manifestations et contre ceux défendant des migrants !
- Condamnation des policiers coupables de délits et de crimes envers la population ! La police, hors des manifestations des travailleurs et des étudiants ! Services d’ordre unitaires pour protéger les manifestants, les grévistes et les lieux de réunion !
- Dissolution des corps de répression et de l’armée de métier ! Armement du peuple !
- Mêmes droits politiques pour tous les travailleurs du pays, quelle que soit leur nationalité ! Suppression du Sénat, de la Présidence de la République, du Conseil constitutionnel ! Révocabilité de tous les élus ! Indemnisation des élus au salaire d’une travailleuse qualifiée !
De tels mots d’ordre ne peuvent devenir réalité qu’avec un gouvernement des travailleuses et des travailleurs qui procède de la mobilisation et de l’auto-organisation, qui exproprie les capitalistes, qui désarme toutes les bandes armées du capital, qui ouvre la perspective des États-Unis socialistes d’Europe. Pour cela, il faut construire, dans les entreprises et les administrations, les lieux de formation et les quartiers, ainsi que dans les conseils territoriaux et au parlement, un véritable parti ouvrier, qui soit révolutionnaire et internationaliste.