Mai 1968 (3) Le surgissement de la classe ouvrière avec la grève générale

À la fin des années 1960, une vague révolutionnaire secoue l’ordre européen et mondial administré par la bourgeoisie des États-Unis avec la connivence de la bureaucratie de l’URSS [voir Révolution communiste n° 28]. En France, elle apparaît d’abord sous la forme de nombreuses grèves combatives où les jeunes ouvriers débordent fin 1967 et début 1968 le cadre des « journées d’action » et des « grèves tournantes » des directions syndicales, parfois avec le renfort des étudiants [voir Révolution communiste n° 28] puis sous la forme d’une révolte massive de la jeunesse scolarisée, souvent rejointe dans les affrontements avec la police par des jeunes employés et ouvriers [voir Révolution communiste n° 28 & n° 29]. Les syndicats sont contraints par leur base de venir en défense des étudiants victimes d’une répression brutale, ce qui préserve ces derniers [voir Révolution communiste n° 29]. Après la journée de manifestations du 13 mai appelée par la CGT, la CFDT, FO et la FEN, le gouvernement de Gaulle-Pompidou pense en être quitte en annonçant qu’il suspend la répression du mouvement de la jeunesse.

Du 14 au 24 mai, la classe ouvrière déborde les appareils

Le 14 mai, 2 000 ouvriers de l’usine Sud-Aviation (devenue Airbus) de Bouguenais près de Nantes, où intervient l’Organisation communiste internationaliste (OCI), déclenchent une grève illimitée, occupent l’usine et séquestrent leur directeur (il restera prisonnier jusqu’au 29).

Des débrayages prennent la forme de défilés dans les ateliers… Les premières propositions d’occupation naissent de la section FO, d’où vient depuis plusieurs mois une propagande incessante sur les comités de grève, le front unique ouvrier à la base et l’action immédiate. Le leader trotskiste de FO [Yvon Rocton] est suivi par les jeunes que ses idées brûlantes et tranchées attirent… (Philippe Artières & Michelle Zancarini-Fournel, 68, une histoire collective, La Découverte, 2008, pp. 327-328)

Les cheminots de la gare de triage de Badan, dans la région lyonnaise, entrent en grève ainsi que les ouvriers de Claas à Woippy, dans la banlieue de Metz. Au total, on compte 3 100 grévistes.

Le 15 mai, la journée d’action de la CGT et de la CFDT contre les ordonnances du 21 août 1967 contre la sécu (éclatement en 4 branches, réduction du nombre de représentants de salariés dans les organes de cogestion), prévue de longue date, ne rencontre guère d’écho. Le quotidien du PCF, L’Humanité, annonce la grève de Sud-Aviation par 9 lignes, celle de Renault par 14 lignes mais consacre plus de 90 lignes à la diversion de la journée d’action. Or, la grève générale s’étend à l’automobile, à l’usine Renault de Cléon. Ce sont les jeunes qui ont poussé. Beaucoup d’entre eux sont employés comme simples « ouvriers spécialisés » (OS) alors qu’ils ont souvent un CAP qui correspond aux « ouvriers qualifiés » (OQ) mieux payés.

Les délégations syndicales se sont succédé à l’Assemblée nationale. Des arrêts de travail symboliques sont organisés dans toute la France. Une journée d’action comme il y en a tant. À Cléon, on apprend la grève de Sud-Aviation par la radio. Quelques cent cinquante jeunes OS commencent à défiler dans les ateliers… Les grévistes demandent à être reçus par la direction. Refus. Les OS, suivis par les syndicalistes, bloquent les portes avec des barres de fer. Bientôt le directeur est séquestré… (Laurent Joffrin, Mai 68, Seuil, 1988, pp. 172-173)

Le 15 mai, le Mouvement du 22 mars et une poignée d’artistes anarchistes s’emparent avec 3 000 étudiants du théâtre de l’Odéon, situé au Quartier latin, sans et même contre ses travailleurs. Ce sera un lieu de logorrhée impuissante, substitut à la fois à la prise des lieux de réel pouvoir et à des organes soviétiques de travailleurs capables de prendre des décisions et de postuler au pouvoir.

Le 16 mai, d’autres sites de la régie Renault se mettent en grève à leur tour : Flins (11 000 travailleurs dont 20 % d’immigrés), Le Mans, Sandouville, Orléans. De même que Lockheed à Beauvais et Unelec à Orléans. Au soir, on compte 75 000 grévistes.

Le 17 mai, la plus grosse usine du pays, celle de Renault à Billancourt (30 000 salariés), est en grève illimitée pour aucun salaire inférieur à 1 000 F par mois, la réduction de la semaine de travail de 48 h à 40 sans baisse de salaire, la retraite à 60 ans, la sécurité de l’emploi… Sud-Aviation de Saint-Nazaire, la Saviem (devenue Renault Trucks-Volvo) à Caen, Nord-Aviation aux Mureaux, Hispano-Suiza, Babcock, Berliet, Rhodiaceta, Rhône-Poulenc, la Snecma, Farman, Chausson, Alsthom, Rateau cessent le travail. Les PTT (aujourd’hui éclatées entre La Poste et France Telecom) sont touchées avec les bureaux de gare d’Austerlitz et du PLM, Paris Brune ainsi que les CCP (la plus grosse concentration féminine de la région parisienne avec 24 000 employés). Afin de ne pas subir le sort de l’Odéon, les personnels de l’Opéra et de l’Opéra-Comique décident d’occuper eux-mêmes leurs locaux. Le nombre de grévistes s’élève à 2 millions.

Dans les banlieues des grandes villes et particulièrement dans la région parisienne, par dizaines, les petites entreprises, annexes à bas salaires des grandes firmes qui emploient 20 ou 50 travailleurs, se mettent aussi en grève. Partout, les locaux sont occupés et partout flotte le drapeau rouge. (François de Massot, La Grève générale de mai-juin 1968, Sélio, 1969, p. 82)

Le lundi 20 mai, c’est au tour de Sud-Aviation à Toulouse, de Roussel-Uclaf (depuis Hoechst) à Romainville, de la Lainière (disparue depuis) de Roubaix, du CEA de Saclay, de la CSF (aujourd’hui Thales) de Brest, de Tréfimétaux au Havre, de Michelin à Clermont-Ferrand, de Dunlop à Montluçon, des abattoirs de la Villette à Paris, des Houillères de l’Aveyron, de Dassault, de Peugeot à Sochaux-Montbéliard et de Citroën (Peugeot et Citroën sont devenus PSA) à Javel-Paris et Levallois dont c’est la première grève depuis 1952. Le patron emploie 40 000 ouvriers dont de nombreux immigrés et fait régner la terreur dans ses usines grâce à un syndicat maison, la CFT (aujourd’hui CISL), une milice patronale composée de barbouzes gaullistes et fascistes. Les transports en commun sont paralysés dans tout le pays. Les raffineries de pétrole sont à l’arrêt (Marseille, Lyon, Le Havre, Paris). Même la Banque de France s’y met. 4 millions de travailleurs sont en grève.

Le mardi 21, la grève se développe encore : textile, banques, arsenaux, grands magasins, fonction publique, ORTF (éclatée depuis entre TF1 et France télévision) avec 6,5 millions de grévistes. Les idéologues de la classe dominante commencent à paniquer : « Les derniers secteurs épargnés par la grève sont gagnés un à un » (Le Figaro, 23 mai 1968). Le 24 mai, 10 millions de salariés ont arrêté le travail, 3 fois plus qu’en 1936.

La vieille taupe de la révolution montre qu’elle a creusé bien plus qu’à Nanterre et au Quartier latin. En effet, la classe ouvrière française déferle, échappe au contrôle de sa direction stalinienne en déclenchant une grève générale qui pose brusquement devant le monde stupéfait la question du pouvoir, met en cause le général de Gaulle (dont l’autorité avait été bâtie durant la 2e guerre mondiale avec l’aide du PS-SFIO et du PCF) et fait réapparaître la possibilité d’une révolution prolétarienne.

Ce ne sont pas des grèves corporatives, ce ne sont même pas des grèves. C’est la grève. C’est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, c’est le début classique de la révolution. (Léon Trotsky, « La révolution française a commencé », 9 juin 1936, La France à un tournant, GB, p. 32)

La grève générale ouvre une crise révolutionnaire

Pour la première fois, les fonctionnaires font grève en même temps que les salariés des entreprises. Le pays est paralysé. La classe ouvrière montre sa force et en prend conscience.

Pour accomplir une action politique de masse, il faut d’abord que le prolétariat se rassemble en masse; pour cela il faut qu’il sorte des usines et des ateliers, des mines et des hauts fourneaux et qu’il surmonte cette dispersion et cet éparpillement auxquels le condamne le joug capitaliste. Ainsi la grève de masse est la première forme naturelle et spontanée de toute grande action révolutionnaire du prolétariat. (Rosa Luxemburg « Grève de masse, parti et syndicat, » 1906, OEuvres t. 1, Maspero, p. 153-154)

Dans la plupart des grandes entreprises, ce sont les jeunes travailleurs qui initient la grève. Ils le font, au départ, malgré les dirigeants de la CGT (généralement membres du PCF). Ils s’inspirent des étudiants et entraînent leurs aînés.

La grève illimitée de masse est spontanée. Aucune confédération n’y a appelé. Les chefs de la CGT, de la CFDT et de FO y sont en fait hostiles. La bureaucratie de FO explique que, si le gouvernement UDR-RI l’avait écoutée, « la catastrophe aurait été évitée ».

Le bureau de la confédération Force ouvrière n’a cessé, depuis des années, d’attirer l’attention du gouvernement sur les dangers résultant de l’accumulation des revendications non satisfaites… (FO, Communiqué, 16 mai 1968)

La cessation du travail est décidée sans limitation de durée, souvent avec occupation et parfois même avec séquestration des patrons, ce que condamnent les directions syndicales : « La CGT n’approuve pas la séquestration des directeurs d’usines » (Georges Séguy, Europe 1, 18 mai).

Les bureaucrates syndicaux, à partir du 14 mai, accompagnent le mouvement, en prennent la tête, tentent d’interdire le contact des grévistes avec les étudiants, instaurent des « comités de grève » qui ne sont que des intersyndicales, enferment les grévistes dans leurs locaux, tentent de détourner l’énorme portée politique de la grève générale vers des négociations sur le seul terrain économique. Par conséquent, le double pouvoir qui s’esquisse en Loire-Atlantique reste exceptionnel.

Le comité de grève composé des principales forces syndicales occupe l’hôtel de ville de Nantes et décide d’organiser par lui-même le ravitaillement… Le comité central de grève se charge d’éditer et de distribuer des bons d’essence et d’alimentation… Le comité intersyndical CGT-CFDT-CGTFO-FEN veille à ce que les petits commerces maintiennent des prix « normaux »… (Ludivine Bantigny, 1968, de grands soirs en petits matins, Seuil, 2018, p. 89)

Les travailleurs manifestent une soif d’apprendre, de comprendre.

Profitant du dimanche, les curieux sont venus en grand nombre voir comment ce qui fut le temple du savoir le plus abstrait [la Sorbonne] est devenu le cadre d’une fête permanente et désordonnée… les badauds écoutent les orateurs débattre de la révolution sexuelle, de l’esthétique révolutionnaire ou de la libération des théâtres… Demain soir, Jean-Paul Sartre, Marguerite Duras, Jean Vilar et d’autres personnalités viendront participer à un débat (AFP, 19 mai 1968)

À cette époque, il n’y a que deux chaînes publiques de télévision. Les journaux télévisés sont soumis à l’approbation du ministre, il s’agit d’une censure qui ne dit pas son nom et qui interdira les images des manifestations et de leur répression par la police. Ne supportant plus cette tutelle, le 20 mai, à une large majorité, les journalistes de l’ORTF votent la grève pour le lendemain, « pour garantir l’objectivité de l’information », ce que beaucoup paieront d’un licenciement après la contre-attaque de la classe dominante et la revanche du parti gaulliste.

Par son intervention intempestive, la classe ouvrière protège la jeunesse scolarisée que l’État pensait pouvoir isoler et réprimer. En retour, elle a un précieux allié, en dépit du PCF et de la direction de la CGT. Les étudiants, où interviennent le Mouvement du 22 mars, la JCR, la FER, le PCMLF, l’UEC, la JSU… ; les lycéens et les élèves des CET (aujourd’hui appelés LP), sous l’impulsion de la TMR, de la JCR, de la FER, de la JC, etc., tiennent des assemblées générales, souvent avec les enseignants et parfois des jeunes travailleurs, réunissent des commissions dans les établissements scolaires occupés.

Là où les sites de travail ne sont pas cadenassés par les bureaucrates de la CGT, travailleurs et étudiants nouent des liens.

Dès le 14 mai, des étudiants rejoignent en cortège depuis Nantes la première usine occupée, Sud-Aviation à Bouguenais, apportant aux grévistes couvertures et argent : près d’un millier discutent toute la nuit avec les ouvriers sur les piquets de grève. Trois jours plus tard, 3 000 étudiants partent du Quartier latin vers Boulogne-Billancourt… les responsables de la CGT ferment les grilles de l’usine pour les empêcher d’entrer… chacun doit rester chez soi… Le 24 mai, la marche d’environ 300 étudiants de Caen vers les usines en grève, telles Radiotechnique, Moulinex et Citroën, est quant à elle couronnée de succès : la rencontre a bien lieu et s’entretient. (Ludivine Bantigny, 1968, de grands soirs en petits matins, Seuil, 2018, p. 54-55).

Le 16 mai, à Unelec à Orléans, un seul atelier débraye et séquestre le directeur. Les étudiants de l’université se rendent devant l’usine, apportent un soutien matériel aux grévistes et discutent le soir avec les occupants. Les tout premiers jours sont propices à cette fraternisation. (Philippe Artières & Michelle Zancarini-Fournel, 68, une histoire collective, La Découverte, 2008, pp. 227-228)

Dans les bâtiments occupés coiffés du drapeau rouge, les travailleurs prennent soin des marchandises et des équipements. Bien que le mouvement étudiant et ouvrier reste marqué par la prédominance des hommes, sa force d’émancipation pousse les femmes en avant.

La grève générale est aussi majoritairement une grève de femmes : la dynamique gréviste est extrêmement forte dans les usines de l’électronique ou de l’électroménager où les femmes sont très largement majoritaires… Cumulant les discriminations et la déqualification sociale, elles font preuve d’une combativité qui surprendra (et/ou inquiétera) les militants syndicaux. (Jean-Marc B, Mediapart, 18 mai 2018)

Dans le grand amphi de la Sorbonne, le débat sur le thème « Femmes et révolution » animé par le groupuscule féministe FMA fait salle comble.

Les travailleurs immigrés sont intervenus activement dans la grève, même si leurs revendications spécifiques n’apparaissent guère. Ils sont parfois en première ligne contre les agressions fascistes des piquets de grève et des occupations. Après la reprise en main par le pouvoir, nombre d’entre eux seront expulsés.

Les bandes fascistes apparaissent tandis que le sommet de l’État bourgeois tangue

La grève générale est perçue par la presse du monde entier comme ouvrant une crise politique. Les gouvernements bourgeois et la bureaucratie de l’URSS s’inquiètent. Pas question qu’une révolution socialiste éclate en France qui pourrait faire sa jonction avec les travailleurs et les étudiants de Tchécoslovaquie et de Pologne, susciter le soulèvement des travailleurs d’URSS contre la caste privilégiée qui usurpe leur pouvoir.

Pour les fascistes, l’heure est venue de prendre leur revanche sur les gaullistes qui les ont supplantés en 1944-1945 et réprimés en 1958-1961, en apparaissant comme le meilleur rempart contre la grève et la révolution sociale.

L’extrême-droite s’était très tôt affichée dans la rue à Paris comme en province, à Dijon, Nantes, Aix et Montpellier. Le point de départ de la cristallisation d’une mouvement anticontestataire aux accents nationalistes est un événement imaginaire – un manifestant aurait uriné sur la flamme sacrée du soldat inconnu le 7 mai. Le 13 mai, une cérémonie se déroule sur les lieux pour « réparer l’outrage ». Les différents mouvements d’extrême-droite y participent aux côtés des associations d’anciens combattants. Le groupe Occident manifeste ensuite jusqu’à l’ambassade de Chine aux cris de « La France aux Français ! », « Fusillez Cohn-Bendit ! » et « Libérez Salan »!  tout en chantant « La Marseillaise »…. Le 19 mai, ils s’en prennent aux grévistes de la gare Saint-Lazare et le surlendemain aux locaux de « L’Humanité ». (Philippe Artières & Michelle Zancarini-Fournel, 68, une histoire collective, La Découverte, 2008, pp. 243-244)

Le pouvoir exécutif hésite. Le président, de retour d’un voyage officiel en Roumanie, est partisan de la manière forte.

Le 15 mai, dès l’atterrissage, de Gaulle a laissé percer sa fureur… à Pompidou : « Nous allons reprendre ça en main »… Le 16 mai : « on évacue la Sorbonne, on reprend l’Odéon et l’ORTF ». C’est Fouchet qui monte bravement en ligne sous l’orage : « Pourra-t-on éviter les coups de feu ? », bredouille-t-il. De Gaulle : « Monsieur le ministre de l’Intérieur, il est des circonstances où il faut savoir donner l’ordre de tirer »… Grimaud vient au secours de Fouchet. Pompidou renchérit. (Laurent Joffrin, Mai 68, Seuil, 1988, pp. 184-185)

Le Premier ministre a tenté de calmer l’agitation étudiante dès le 11 mai. Il est convaincu qu’il faut isoler les « groupuscules ». Le 16 mai, de Gaulle refuse sa démission et lui laisse une chance de rétablir l’ordre pacifiquement.

Françaises, Français, j’ai fait la preuve de ma volonté d’apaisement. Avec l’accord du Président de la République, qui s’adressera à vous dans quelques jours, j’ai rendu l’Université à ses maîtres et à ses étudiants. Je leur ai tendu la main pour la concertation la plus large et la plus constructive. J’ai libéré les manifestants arrêtés. J’ai annoncé une amnistie totale. Mes appels n’ont pas été entendus par tous… Des groupes d’enragés se proposent de généraliser le désordre avec le but avoué de détruire la Nation et les bases mêmes de notre société libre. Françaises, Français, le Gouvernement doit défendre la République. Il la défendra… Je m’adresse à vous avec calme mais avec gravité. Étudiants, ne suivez pas les provocateurs… (Georges Pompidou, Discours, 16 mai 1968)

Pompidou veut négocier la sortie de la crise révolutionnaire en s’appuyant directement sur la direction de la CGT et indirectement sur le PCF qui obéit à la bureaucratie du Kremlin.

En même temps, le gouvernement mobilise les nervis gaullistes, avec un pied dans la police et un autre dans la pègre, contre la grève générale et le mouvement ouvrier.

Les premières réactions gaullistes se situent immédiatement après la nuit des barricades, le 11 mai, autour de Jacques Baumel… en collaboration avec le Service d’action civique (SAC) animé par Charles Pasqua… Dès le 17 mai, un manifeste signé du Comité de défense de la République (CDR) dénonce à Marseille l’agitation entretenue par une minorité… Le lendemain, les locaux du PCF sont plastiqués. (Philippe Artières & Michelle Zancarini-Fournel, 68, une histoire collective, La Découverte, 2008, p. 244)

Les directions syndicales secourent le gouvernement

Pompidou se révèle avoir raison. Les bureaucraties syndicales et les partis ouvriers-bourgeois vont tout faire pour préserver l’État bourgeois, pour empêcher l’apparition d’organes soviétiques qui pourraient constituer une alternative au pouvoir gaulliste et à la Ve République. Tous les sommets syndicaux sont prêts à vendre la grève générale contre quelques concessions en faveur des travailleurs… et des avantages pour leurs propres appareils.

La CGT l’emporte alors nettement sur la CFDT, sans parler de FO ; le PCF qui a aussi une fraction dans la FEN tient la principale confédération (la CGT) d’une main de fer et en expulse ceux et celles qui cherchent la voie de la lutte de classe. La direction de la CGT donne des gages : elle refuse d’appeler à la grève générale, elle sépare les salariés des étudiants, elle empêche quand elle le peut les militants révolutionnaires de parler en assemblée générale, elle s’efforce d’éparpiller le mouvement en une multitude de grèves isolées qui ne poseraient pas la question du pouvoir.

La CGT appelle tous les travailleurs à se réunir sur les lieux de travail, à déterminer avec leurs responsables syndicaux les conditions de leur entrée dans la lutte et les bases revendicatives de leur action. (CGT, Communiqué, 16 mai 1968)

Le CCN de la CGT met en garde les militants et les organisations de la CGT, les travailleurs contre toute tentative d’immixtion extérieure. (CGT, Déclaration, 17 mai 1968)

Il n’est pas question de lancer un ordre de grève générale illimitée. Nous préférons de beaucoup la prise de responsabilité des travailleurs eux-mêmes qui décident des propositions qui leur sont faites par les syndicats. (Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, Conférence de presse, 17 mai 1968)

La bureaucratie de la CGT fait libérer les directeurs séquestrés. Elle empêche que les grévistes d’EDF et des PTT coupent l’électricité ou les télécommunications au chef de l’État, au gouvernement et à l’appareil d’État. Elle fait publier les quotidiens bourgeois, y compris les plus hostiles aux grèves. Elle défend ouvertement « l’ordre », alors que l’exploitation n’est que suspendue, que l’État bourgeois et son appareil répressif sont intacts. Elle condamne « la violence » en général sans distinguer celle des exploités et des opprimés de celle des milices patronales, des forces de répression de « la République » et des fascistes.

L’opinion publique, bouleversée par les troubles et la violence, angoissée par l’absence complète d’autorité de l’État, a vu, en la CGT, la grande force tranquille qui est venue rétablir l’ordre au service des travailleurs contre les troubles et la violence. (Georges Séguy, Conférence de presse, 21 mai 1968)

Elle prêche la résignation quand la police défait les piquets de grève. Elle dénonce par avance l’insurrection que personne ne pense possible à cet instant.

La CFDT sait s’associer à la CGT pour ouvrir une porte de sortie au gouvernement de Gaulle-Pompidou.

La CFDT et la CGT sont prêtes à prendre part à de véritables négociations sur les revendications essentielles des travailleurs, garanties pour l’avenir par l’extension des droits syndicaux. (CFDT & CGT, Communiqué commun, 22 mai 1968).

N’ayant pas le premier rôle dans l’opposition à la grève générale puis dans la défense de l’ordre capitaliste, la bureaucratie sociale-chrétienne de la CFDT peut se permettre plus de souplesse. Elle profitera d’ailleurs ce printemps-là et les années suivantes du rejet grandissant des pratiques brutales et autoritaires des staliniens, au grand dam de celle de FO. Tout en flattant les étudiants, elle oriente ceux-ci et les travailleurs vers « l’autogestion » qui recouvre la cogestion université par université, entreprise par entreprise, laissant le pouvoir politique à la bourgeoisie et maintenant l’exploitation capitaliste.

En se déclarant solidaire des manifestations étudiantes, la CFDT en a ressenti les motivations profondes… La lutte des étudiants pour la démocratisation de leurs universités est de même nature que celle des travailleurs pour la démocratie dans les entreprises… À la monarchie industrielle et administrative, il faut substituer des structures démocratiques à base d’autogestion… (CFDT, Déclaration, 16 mai 1968)

FO, qui est née de la guerre froide, joue un rôle négligeable à l’échelle nationale. Sa pire crainte n’est pas le maintien au pouvoir de de Gaulle, mais l’accession au gouvernement du PCF. Sa bureaucratie, qui n’entretient plus guère de liens avec le PS-SFIO, s’appuie sur l’arrière-garde des travailleurs pour éteindre l’incendie, transformer la crise révolutionnaire en simple lutte pour l’aménagement du salariat.

L’action doit être maintenue sur le plan revendicatif. Les militants FO sont invités à ne répondre qu’aux seules directives des organisations Force ouvrière. (FO, Communiqué, 16 mai 1968)

La FEN a maintenu l’unité syndicale des travailleurs de l’enseignement lors de la scission réactionnaire entre la CGT et FO, elle contrôle la MGEN, la MAIF et la CAMIF. Elle est dirigée par le PS-SFIO mais sa bureaucratie reconnait le droit de tendance en son sein. La FEN est la seule à appeler à la grève générale… après que celle-ci fut imposée dans l’enseignement. Pour le reste, elle est d’accord avec FO et la CGT.

Le but de la FEN durant toute cette période aura été de chercher toutes les ouvertures possibles du côté du gouvernement pour éviter un affrontement dont nous craignions les conséquences dramatiques. (James Marangé, secrétaire général de la FEN en 1968, 11 janvier 1984)

La défense de l’ordre bourgeois par le PCF et le PS-SFIO

Le PCF reste hégémonique dans le mouvement ouvrier, il contrôle la CGT et de multiples associations, il compte 350 000 membres et rassemble 22,5 % des électeurs. Après avoir tenté d’écraser, par la calomnie et la violence, les « groupuscules » qui dénoncent son opportunisme, il veut empêcher la grève générale de se transformer en révolution. Cela passe surtout par la CGT qui est de loin la première centrale syndicale en 1968. En tant que parti, il va compléter la besogne des bureaucraties syndicales en déviant, comme le PS-SFIO, la révolte vers le parlement et en préparant une solution bourgeoise en cas de renversement du gouvernement de Gaulle-Pompidou.

Le bureau politique réaffirme sa solidarité totale avec les travailleurs… Il considère qu’il est urgent d’aboutir à un accord sur un programme social avancé entre les partis de gauche… Des réformes profondes doivent tendre à soustraire l’État à l’emprise des monopoles capitalistes. (Waldeck-Rochet, secrétaire général du PCF, L’Humanité, 18 mai 1968)

Le PS-SFIO dirige la FEN et conserve des positions dans FO et même dans la CGT. Comme parti politique, il est exsangue, à cause de son rôle dans la guerre d’Algérie (qu’il a payé d’une scission, le PSU) et de sa compromission dans le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958. Il a quasiment disparu dans une coalition avec des partis bourgeois, la FGDS, qui sert de marchepied à Mitterrand, un ancien haut fonctionnaire du régime de Vichy et un ancien ministre de la 4e République partisan de l’Algérie française. Parmi les rivaux de Mitterrand, figure l’ancien premier ministre de la 4e République Mendès-France, qui a zigzagué du Parti radical au PS-SFIO et du PS au PSU, avant de quitter après 1968 le PSU pour la FGDS.

Un « front populaire » s’esquisse au parlement. Le PCF (73 députés), la FGDS (121 députés) et le parti bourgeois PDM (41 députés) soumettent ensemble à l’Assemblée nationale une « motion de censure » le 21 mai.

L’opposition réclame unanimement la démission du gouvernement. Les communistes proposent à la Fédération de la Gauche la mise sur pied, en commun, d’un programme social avancé. M. Mendès-France demande que « le pouvoir » se retire. M. Mitterrand exige des élections générales. (Le Monde, 21 mai 1968)

Le 22 mai, la motion de censure est rejetée (233 pour, 244 contre). Le gouvernement en place est donc, selon les crétins parlementaires, légitime malgré la grève générale, la révolte de ceux qui produisent toutes les richesses de la société.

Le 24 mai, la tension monte

Le 23 mai, la CGT appelle à une « journée de revendications ». Le lendemain, elle organise à Paris deux cortèges séparés, marchant en sens opposé, de chaque côté de la Seine. L’UNEF appelle à manifester à la gare de Lyon pour protester contre l’interdiction de séjour de Cohn-Bendit, approuvée par le PCF. Plusieurs manifestations paysannes sont prévues aussi le 24 en solidarité avec les étudiants et les ouvriers.

Le 24 mai, de Gaulle tient un solennel discours à la nation. Dans la tradition bonapartiste qui lui a si souvent réussi, il annonce un référendum : « au cas où votre réponse serait non, il va de soi que je n’assumerais pas plus longtemps ma fonction ». Les manifestants répondent : « On s’en fout! », « 10 ans, ça suffit ! »,« Adieu, de Gaulle ! ». Le Premier ministre Pompidou annonce à la télévision, aussitôt après l’allocution du président, que les négociations vont s’ouvrir le lendemain entre État, patronat et syndicats.

150 000 personnes manifestent gare de Lyon. Des barricades sont érigées autour de la Bastille. La police charge, les victimes sont nombreuses . Les CRS s’acharnent. Des officiers arrêtent les ambulances et en arrachent les blessés pour les fouiller violemment sur la chaussée. Le quartier de la Bastille étant repris, vers 22 h, une partie des manifestants se met en marche vers la Bourse. Le palais Brongniart, qui n’est pas protégé, est pris d’assaut et incendié. Les manifestants se regroupent au Quartier latin et attaquent des commissariats. Les CRS donnent l’assaut, c’est le déchainement de violence de ceux qui ont les armes, les grenades sont lancées à tir tendu. Les six barricades tombent, aussitôt déblayées par le bulldozer qui suit les escadrons. La police s’énerve sur les isolés. Ni le brassard de presse ni celui de la Croix-Rouge ne permettent d’éviter les coups. Des émeutes du même genre se déroulent dans la nuit du 24 au 25 mai à Lyon (où un commissaire malade cardiaque meurt d’infarctus), à Nantes et à Strasbourg, et le lendemain à Bordeaux.

Le 24 mai, un dirigeant de la CGT démissionne.

À l’heure où des millions de travailleurs, d’étudiants et de Français de toutes conditions participent au plus puissant mouvement populaire que notre pays ait jamais connu, je tiens à proclamer ma conviction qu’il était possible d’aller beaucoup plus loin, d’avancer vers le socialisme et à tout le moins d’abattre le régime gaulliste. En ne répondant pas à l’aspiration profonde des travailleurs et des étudiants qu’elles n’ont pas su ou pas voulu comprendre, les grandes formations syndicales et politiques se réclamant de la classe ouvrière et de la gauche portent une lourde responsabilité historique. (André Barjonet, Le Monde, 25 mai 1968)

Dans la nuit du 24 au 25, le ministre de l’Intérieur désigne les manifestants comme de la « pègre ».

La pègre chaque jour plus nombreuse qui rampe, enragée, depuis les bas-fonds de Paris, qui se cache derrière les étudiants et se bat avec une folie meurtrière. (Christian Fouchet, France Inter, 25 mai 1968)

Le PCF reprend immédiatement le terme.

Toute la nuit durant, dans différents districts de Paris, on trouve une racaille des plus douteuses, cette pègre organisée dont la présence contamine ceux qui l’acceptent, et plus encore, ceux qui la sollicitent. (L’Humanité  dimanche, 26 mai 1968)

Le gouvernement attribue la mort du policier de Lyon à un camion lancé contre la police par les manifestants. Par contre elle dissimule la mort d’un manifestant blessé à Paris par un éclat de grenade, Philippe Mathérion.

Mérites et limites des « groupuscules »

Les jeunes travailleurs qui ont mené des grèves annonciatrices en 1967-1968, qui ont été les moteurs de la grève générale, sont souvent en contact avec telle ou telle des organisations qui se situent à gauche du PS-SFIO et du PCF : PSU, FER et OCI, VO, UJCML, JCR et PCI, PCMLF… Le PCMLF, VO, l’OCI et le PCI, malgré leur taille réduite (d’où l’appellation méprisante de « groupuscules » employée par la presse et le gouvernement) étaient actifs depuis longtemps dans des entreprises. L’UJCML et dans une moindre mesure VO avaient envoyé avant 1968 des militants étudiants s’y établir. Même la JCR a une partie de ses membres qui sont employés ou ouvriers.

Les médias, le PCF et l’UEC les présentent comme des « gauchistes », mais, en termes marxistes, ils relèvent plus du centrisme (semi-réformisme) que du gauchisme (semi-anarchisme). L’hégémonie du stalinisme et la multiplication des « groupuscules » français sont la rançon de la destruction de la 4e Internationale. Celle-ci a incarné dans les années 1930 et 1940 la continuité du bolchevisme. Sa fondation en 1938 par Trotsky, qui a combattu la bureaucratie depuis 1923, avait pour but de supplanter le stalinisme et la social-démocratie pour mener à bien la révolution socialiste mondiale. Mais sa propre direction avait cédé au stalinisme en 1949-1951, ce qui a entraîné son explosion en 1952-1953.

Plus le groupe est éloigné de la 4e Internationale, plus confuse est sa ligne. Plus tard il a rompu avec son programme, meilleure est sa ligne. En 1968, de même qu’il y a des centaines de milliers de travailleurs qui ont participé à la grève générale de 1936 quand ils étaient jeunes et plus encore qui ont connu la poussée révolutionnaire de 1944-1945, il y a dans l’OCI et le PCI des militants qui ont adhéré à la 4e Internationale dans les années 1920, 1930 et 1940.

Le PSU est quasiment réformiste : dirigé par Rocard, il regroupe des sociaux-démocrates et des chrétiens qui s’étaient opposés à la guerre d’Algérie. Il alimente la CFDT en cadres et en idéologie autogestionnaire. Son organisation de jeunesse JSU est tiraillé entre M22M, UEC, UJCML, JCR… Le PSU a disparu au profit du PS et d’EELV.

Le PCMLF et l’UJCML sont des staliniens de gauche alors que le PCF incarne un stalinisme ouvertement réformiste. Or, la bureaucratie chinoise veut tout, sauf une révolution socialiste en Europe. Le PCMLF, le plus lié à l’État chinois, déserte la CGT et milite à la CFDT. Il soutient les manifestations étudiantes début mai 1968. Il se prononce pour un « gouvernement du peuple » sans le lier aux comités de grève et à leur centralisation. L’UJCML est la plus nombreux des « groupuscules » et est plus dynamique que le PCMLF. Dirigée uniquement par des étudiants de l’élite (ENS), elle abandonne les facultés. Elle se prononce pour une CGT lutte de classe et pour en expulser les bureaucrates. Elle condamne les manifestations étudiantes début mai ; elle enjoint aux étudiants de « servir le peuple ». Elle ne préconise pas la grève générale. Ses militants sont en première ligne des affrontements, mais ne posent pas le problème de l’autodéfense aux comités de grève et aux syndicats. L’UJCML accorde une grande importance aux travailleurs immigrés. Elle ne se bat pas pour l’élection des comités de grève ni leur centralisation. En guise de perspective politique, elle avance « front populaire » et reprend « unité populaire » au PCF. Son organe en mai, La Cause du peuple, n’est pas publié au nom d’une organisation communiste. Pierre Victor, le chef de l’UJCML en mai-juin, sombre dans le mysticisme dès les années 1970. Il ne reste de cette mouvance que le PCOF et Partisans.

VO se réclame du « trotskysme » mais n’a aucune racine dans la 4e Internationales. Sa ligne est économiste et tributaire de la direction de la CGT. La direction de VO analyse la vie politique en termes de « gauche » et de « droite », comme le PCF. Contrairement au Parti bolchevik et à la 4e Internationale, elle refuse d’intervenir à l’université et dans les lycées tout en y recrutant la majorité de ses membres. Début mai, elle est réticente envers les manifestations étudiantes. Elle n’appelle jamais à la grève générale. Certes, elle l’applaudit quand elle se réalise, mais elle continue à expliquer paradoxalement que la situation n’est pas révolutionnaire. Même si ses militants se battent dans leur entreprise pour l’élection d’un comité de grève, VO ne combat pas la bureaucratie de la CGT sur cette question. Elle ne pose guère le problème de l’autodéfense. Elle néglige les travailleurs immigrés. Elle n’ouvre jamais de perspective politique. Pour VO, il faut seulement beaucoup de revendications satisfaites pour pouvoir reprendre le travail. VO est devenue LO, mais a aussi engendré une partie du NPA (dont Poutou), CR-L’Étincelle, L’Ouvrier et VdT-M&R.

La TMR, la JCR et la PCI viennent des destructeurs de la 4Internationale (Pablo, Mandel, Frank et Maitan). La TMR constitue en 1968 l’aile droite du pablisme, la plus autogestionnaire. Son intervention se réduit aux comités d’action lycéens. La JCR et le PCI constituent l’aile gauche du pablisme, numériquement plus importante. Quoique raconte Krivine aujourd’hui, la JCR s’affiche plus castriste que trotskyste. Comme l’UJCML et VO, elle déserte l’UNEF. Elle s’aligne, quand le mouvement étudiant débute, sur les anarchistes. Elle rejoint le Mouvement du 22 mars dont la ligne petite-bourgeoise est « provocation-répression ». La JCR et le PCI soulèvent le problème de l’autodéfense, se prononcent pour l’élection de comités de grève, mais la JCR ne lutte guère pour leur centralisation. En guise de perspective politique, les deux s’alignent sur « gouvernement populaire » du PCF. Aujourd’hui ce courant est représenté par le NPA, Ensemble, la LTF et la GR mais il a aussi apporté au PS (Weber, Dray, Filoche…), au PCF (Piquet…), à LFI (Coquerel…), au POID (Gluckstein…).

L’OCI et son organisation de jeunesse FER sont issues de la liquidation au milieu des années 1950, par Lambert, de la section française de la 4e Internationale PCI [voir Cahier révolution communiste n° 9]. L’OCI est la seule organisation qui se prononce parfois pour la grève générale, pour la centralisation des comités de grève et, mais plus rarement encore, pour un gouvernement ouvrier. Cependant, pour ne pas gêner la bureaucratie de FO et de la FEN, elle n’appelle pas le PCF et le PS-SFIO à rompre avec la bourgeoisie et postuler au pouvoir. Pour les mêmes raisons, même si les militants de la FER n’hésitent pas à affronter la police et les fascistes, l’OCI ne pose pas la question de l’autodéfense aux directions syndicales. Sa conception du front unique ne vise pas à la destruction des bureaucraties, contrairement à la perspective de l’Internationale communiste et de la 4e Internationale. L’OCI est indifférente aux travailleurs immigrés. Elle n’intervient presque pas sous son nom, mais sous couvert des « comités d’alliance ouvrière », des « comités de liaison » ou de la FER ; d’ailleurs, son journal, Informations ouvrières, n’est pas publié au nom d’une organisation communiste. De ce courant sont issus le POID, le POI, le GlC, le GCPOR, Révoltes et aussi de nombreux cadres du PS (Cambadélis, Jospin, Assouline…) et de LFI (Mélenchon, Corbière…).

Si une organisation ne développe pas un programme transitoire (échelle mobile des salaires, milice ouvrière, organes soviétiques, gouvernement ouvrier…) durant une grève générale combinée à un soulèvement de la jeunesse, quand le fera-t-elle ?

Ces faiblesses politiques expliquent, en sus de leur taille réduite, pourquoi ces groupes seront incapables de faire face politiquement aux manoeuvres de la direction de la CGT, de FO et du PCF (accords de Grenelle, reprise du travail, élections décidées par de Gaulle) ainsi qu’à celles de la direction de la CFDT, de la FEN, du PSU et de la FGDS (la même chose plus le meeting de Charléty) qui vont sauver le capitalisme français et même le gouvernement de Gaulle-Pompidou.

4 août 2018