Le congrès de FO tiraillé entre Berger et Martinez

Le 24e congrès de FO, troisième confédération syndicale derrière la CGT et la CFDT, s’est tenu à Lille du 23 au 27 avril 2018, à un moment où les étudiants et les cheminots tentaient de s’opposer à la politique du gouvernement Macron-Philippe. Ce congrès, à la différence du précédent de 2015 [voir Révolution communiste n° 10], s’est tenu dans une ambiance tendue.

FO alignée sur la CGT en 2016 et sur la CFDT en 2017

La direction de FO est écartelée entre le nationalisme étroitement français (elle s’est prononcée pour le Non au référendum de 2005) et l’acceptation de l’UE capitaliste ; entre l’influence du FN et de LR d’un côté (qui explique sa difficulté à syndiquer les immigrés), du POID et de l’UAS de l’autre. Plus généralement, elle éprouve la plus grande difficulté à justifier son existence entre les deux pôles rivaux du « syndicalisme de proposition » :

la CGT et Solidaires qui tentent de conserver le contrôle d’une base souvent combattive au prix de multiples ruses (cautionnées par le PCF, LFI, LO, le NPA, le POID, AL…) ;

la CFDT et l’UNSA qui s’appuient sur les illusions procapitalistes des travailleurs (avec l’aide de LREM, du MoDem, de l’UDI, du PS…) pour soutenir plus ouvertement les plans de leur bourgeoisie.

Pour bien comprendre ce qui s’est passé au congrès, il faut revenir sur les récentes contorsions de celui qui fut secrétaire général de 2004 à 2018. En 2016, face à la loi Hollande-Valls-El Khomri, Mailly a, comme les chefs de la CGT et de Solidaires, détourné la colère des travailleurs dans de multiples journées d’action, tout en acceptant, comme tous les sommets syndicaux, de discuter de l’attaque réactionnaire avec le gouvernement. Par contre, en 2017, face aux ordonnances Macron-Philippe-Pénicaud, Mailly a, comme les chefs de la CFDT, refusé de faire semblant de s’opposer à l’aggravation de la flexibilité de l’emploi et des salaires, de la précarité des prolétaires.

Comme tous les chefs syndicaux, il a accepté de discuter le projet, mais sans participer cette fois-ci aux « journées d’action ».

M. Mailly change de braquet après l’élection de M. Macron. Il se félicite de la « concertation intense » et qui « va dans le bon sens » sur le code du travail, avec le renforcement du rôle des branches, tout en critiquant sur le fond plusieurs « régressions ». Il met fin au « main dans la main » avec la CGT et se rapproche de la CFDT, louant la qualité de sa relation avec Laurent Berger. (Le Monde, 23 avril 2018)

FO, tout en restant unie sur la négociation des attaques avec le gouvernement, s’était coupée en deux sur la question : faut-il faire semblant de s’opposer en même temps dans la rue ? Une partie grandissante de l’appareil réclamait de revenir à l’unité avec la CGT, tandis qu’une autre (dont Mailly et la fédération de la métallurgie) se rapprochait de la CFDT.

Lors de la réunion de la Commission exécutive (CE) du mois de mai 2017, seulement deux abstentions se sont exprimées contre la ligne de la confédération. En juin, l’opposition a Mailly a recueilli 5 votes sur les 34 membres de la CE. Après l’été, plus de 80 % des unions départementales (UD) et des fédérations se sont opposées à l’orientation de la direction nationale. Résultat : le 4 septembre 2017, la CE prend ses distances avec la position défendue par son secrétaire général. Puis vient le tour du CCN (Conseil confédéral national) composé des 130 responsables de fédération et d’UD, qui a imposé au bureau confédéral un appel à une manifestation bidon contre la loi travail en octobre.

Cependant, avant même l’élection du nouveau secrétaire général, ce qui calmé le jeu, c’est le fait que, à la SNCF, FO (qui n’est pas représentative) n’a pas eu à choisir. En effet, CGT, CFDT, SUD et UNSA ont appelé ensemble à des grèves perlées tout en négociant toutes le projet de loi.

Huées et sifflets au congrès

En avril, à Lille, après avoir écouté respectueusement Martine Aubry, la maire PS, et aussi Xavier Bertrand, le président LR de la région, les délégués représentant officiellement 500 000 adhérents se sont divisés en deux camps numériquement équivalents, avec d’un côté les défenseurs de Mailly et de l’autre ses adversaires qui l’ont même sifflé.

Ainsi, Nadine Hourmant, secrétaire de l’UD du Finistère et du syndicat FO de l’entreprise Doux en liquidation judiciaire, a reproché à Jean-Claude Mailly d’avoir « vendu la classe ouvrière à Macron et au Medef ». Marc Hébert, de l’UAS (qui anime trois unions départementales en Bretagne), a condamné fermement, sous les huées de l’aile droite, la politique du secrétaire général sortant ainsi que sa prochaine nomination au Comité économique et social européen (pour mémoire, l’ancien secrétaire général de la CGT Bernard Thibault a obtenu une sinécure bien rétribuée à l’Organisation internationale du travail).

A contrario, les bureaucrates de la métallurgie et Patrick Hébert, dirigeant national du POI, ont défendu le bilan de Mailly au nom de « l’indépendance syndicale » à géométrie variable.

Certains chefs de fédération ont décidé de quitter les commissions chargées de définir la ligne pour les années à venir. Le rapport d’activité a été voté in extremis avec 50,54 % de voix. Lors des précédents congrès, en 2015 à Tours et en 2011 à Montpellier, il avait recueilli plus de 97 % de voix. En outre, l’abstention a grimpé fortement à la hauteur de 13 %.

Le successeur de Jean-Claude Mailly, Pascal Pavageau, était présenté par la direction précédente.

Le numéro un sortant a martelé tout au long de ces quatre jours que, lors des discussions sur les ordonnances, les décisions avaient été prises à l’unanimité du bureau confédéral dont M. Pavageau est membre. (Le Monde, 28 avril 2018)

Sans aucun autre candidat, ce qui montre les limites de l’UAS et de son appel à la grève générale, Pavageau a recueilli 5 841 voix sur 6 032, soit un score de 96,8 %. Il y a tout à parier que le POI, après avoir soutenu jusqu’au bout Mailly, se mettra avec le POID au service de Pavageau. Quant à la ligne syndicale, elle ne changera pas. La bureaucratie se dispose pour négocier les prochaines attaques de Macron.

Parce qu’il n’est pas dans notre habitude de pratiquer la « chaise vide », nous sommes présents là où il le faut pour faire entendre notre voix et ainsi celle des travailleurs. (Pavageau, FO hebdo, 30 mai 2018)

Pour une CGT unifiée, démocratique et de lutte de classe

Les prétendus trotskystes, dans FO comme dans la CGT, la FSU ou Solidaires, empêchent que les militants lutte de classe engagent le combat contre les bureaucraties, pour que les syndicats servent réellement à la défense des exploités contre les exploiteurs.

Le mot d’ordre essentiel dans cette lutte est : indépendance complète et inconditionnelle des syndicats vis-à-vis de l’État capitaliste. Cela signifie : lutte pour transformer les syndicats en organes des masses exploitées et non en organes d’une aristocratie ouvrière.

Le second mot d’ordre est : démocratie dans les syndicats. Ce second mot d’ordre découle directement du premier et présuppose pour sa réalisation la complète liberté des syndicats vis-à-vis de l’État impérialiste ou colonial.

En d’autres termes, à l’époque actuelle, les syndicats ne peuvent pas être de simples organes de la démocratie comme à l’époque du capitalisme libre-échangiste, et ils ne peuvent pas rester plus longtemps politiquement neutres, c’est-à-dire se limiter à la défense des intérêts quotidiens de la classe ouvrière. Ils ne peuvent pas être plus longtemps anarchistes, c’est-à-dire ignorer l’influence décisive de l’État sur la vie des peuples et des classes. Ils ne peuvent pas être plus longtemps réformistes, parce que les conditions objectives ne permettent plus de réformes sérieuses et durables.

Les syndicats de notre époque peuvent ou bien servir comme instruments secondaires du capitalisme impérialiste pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien au contraire devenir les instruments du mouvement révolutionnaire du prolétariat. (Trotsky, Les Syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, 1940)

Pour empêcher les trahisons répétées, pour combattre le « syndicalisme de proposition », de collaboration de classe et de cogestion, il faut que les militants syndicaux lutte de classe aujourd’hui dispersés dans presque une dizaine de confédérations se rassemblent dans une tendance trans-syndicale et luttent pour une seule confédération, démocratique et lutte de classe.

Il faut qu’ils imposent le contrôle des luttes avec des assemblées générales qui décident réellement, que les travailleurs envoient leurs délégués à des coordinations locales, régionales et nationale. Ce combat est inséparable de la reconstruction d’une internationale ouvrière révolutionnaire.

30 mai 2018