Italie : les élections générales du 4 mars

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Les grands partis bourgeois de la période précédente (PD, FI) s’effondrent ; ceux qui restent du mouvement ouvrier (PRC, LeU) n’en bénéficient pas ; deux partis autrefois marginaux (M5S, LN) l’emportent.Pour les partisans du dégagisme, les élections générales en Italie de mars confirment qu’« il y a une vague dégagiste en Europe » (Bastien Lachaud, député La France insoumise, LCI, 5 mars). Un terme qui confond le début de la révolution sociale de Tunisie en 2011 avec la victoire électorale du capitaliste Trump aux États-Unis en 2016 ou celle de partis réactionnaires d’Italie aujourd’hui n’est guère éclairant. D’ailleurs, à cette date, LFI n’a pas présenté d’analyse véritable des élections italiennes, pas plus que le PCF ou le PS.

Le gouvernement Macron-Philippe-Collomb en profite pour justifier sa chasse aux migrants à la Trump et son projet de loi inspiré de Sarkozy et Le Pen.

Je prends note que, dans le monde où nous vivons, on peut défendre des belles idées mais on ne peut pas les défendre en faisant abstraction de la brutalité du contexte. L’Italie a aujourd’hui indéniablement souffert dans le contexte d’une très forte pression migratoire dans lequel elle vit depuis des mois et des mois. (Emmanuel Macron, AFP, 5 mars)

Il faut comprendre qu’accueillir les réfugiés (la « belle idée ») se heurte à la dure réalité (« une forte pression migratoire ») et peut conduire le pays qui l’oublierait à une crise politique. Par son explication des élections italiennes par l’excès d’étrangers, Macron est-il si différent des « populismes » dont il prétend protéger la France ? Toute les fractions politiques de la bourgeoisie décadente dissimulent que :

    • La pauvreté et l’instabilité politique des pays dominés sont les résultats de la domination et de l’exploitation étrangères (qui inclut les grands groupes capitalistes français ou italiens…)
    • L’armée française, avec l’armée britannique, a joué un rôle décisif dans la destruction de la Libye en 2011 (que le gouvernement italien a tenté alors d’empêcher) et elle participe aux dévastations en cours en Syrie et en Irak
    • L’inégalité et les conflits et d’Asie de l’Ouest et d’Afrique entraînent inévitablement des déplacements de population mais ces déplacements touchent surtout les pays dominés. Par exemple, c’est au sein de la Syrie ou en direction du Liban, de la Jordanie et de la Turquie que les Syriens ont majoritairement fui
    • L’État français a contribué à la « forte pression migratoire » en Italie, en suspendant les accords de Schengen, en fermant depuis 2015 sa frontière italienne aux migrants, comme l’État suisse (non membre de l’UE, mais membre de l’espace Schengen). La plupart des migrants qui abordaient les côtes italiennes n’avaient pas l’intention d’y rester mais s’y sont trouvé enfermés. Cette politique de Hollande et de Macron n’a pas peu contribué au succès des slogans xénophobes et anti-UE dans le pays voisin : « il y a un sentiment, largement répandu, que l’Italie a été laissée par ses partenaires de l’UE se confronter seule à l’immigration » (The Economist, 10 mars).

La fragilité du capitalisme italien révélée par la crise mondiale

Le capitalisme italien a réussi à accumuler à grande échelle après la 2e Guerre mondiale, en s’appuyant sur les trahisons du PSI et du PCI, sur la reconstruction de l’économie et sur la CEE-Union européenne.

De 1950 à 1963, l’économie italienne a connu une phase d’expansion sans équivalent dans l’Europe d’après-guerre avec une croissance de 7,5 % en 1955. (Pierre Milza, Histoire de l’Italie, 2005, p. 927)

Avec la croissance économique et l’émigration, le taux de chômage tombe à 3,6 % en 1963.

Mais l’Italie a été particulièrement affectée par les crises capitalistes mondiales de 1973-1975 et de 2007-2009 (le PIB a baissé de -5,5 % en 2009 par rapport à 2008). Elle a subi quatre années de récession (2008-2009 puis 2012-2013), ce qui a entraîné un recul du PIB de près de 9 % par rapport à sa situation de 2007 et un doublement du taux de chômage (de 6 % en 2007 à 13 % fin 2014). En quinze ans, 200 000 diplômés ont quitté le Sud pour migrer vers le Nord ou à l’étranger.

Comme tous les autres États capitalistes, y compris la Chine, l’État italien a recouru au déficit budgétaire face à la crise (solde budgétaire de -5,2 % du PIB en 2009) sans se soucier des règles de l’Union européenne en vigueur depuis 1992 (3 % du PIB au maximum). Les finances publiques restent caractérisées par un endettement élevé (132 % du PIB, alors que la règle est moins de 60 % au maximum), ce qui limite les marges de la politique budgétaire de l’État bourgeois italien.

Les gouvernements Letta (2013-2014), Renzi (2014-2016) et Gentiloni (2016-2018) se sont efforcés de réduire le déficit (-1,9 % du PIB en 2017) et ainsi la dette. Ces gouvernements dirigés par le PD ont procédé, comme tous les gouvernements bourgeois, en coupant les dépenses publiques qui servent d’abord les travailleurs et en accusant volontiers l’UE d’être coupable de l’austérité : « les politiciens ont rejeté la responsabilité de la croissance réduite sur l’austérité imposée par l’UE ». (The Economist, 10 mars).

LFI attribue l’austérité, qu’elle soit italienne ou française, à l’étranger, à « l’Europe » alors qu’elle est appliquée encore plus sévèrement en Grande-Bretagne qui a pourtant gardé sa monnaie et qui a décidé de sortir de l’Union européenne. Comme le dit un ancien président du conseil (premier ministre) de 2011 à 2013 : « même sans les contraintes européennes, on devrait avoir une certaine discipline. » (Mario Monti, Le Monde, 2 mars). Il est notable que l’UE, tout en exerçant une pression, n’a jamais sanctionné l’Italie pour ses manquements aux deux règles.

La persistance du chômage de masse

Entre la crise capitaliste et l’austérité étatique, des centaines de milliers de personnes ont sombré dans la misère, spécialement dans le Sud. Par contre, l’armée, la police et les banques reçoivent plus que jamais la manne publique, sans parler du grand banditisme qui parasite toujours l’Italie.

Le gouvernement italien a officialisé le sauvetage de deux banques mutualistes de taille moyenne – Banco popolare di Vicenza et Veneto banca, au bord de la faillite. Le décret lançant la procédure de liquidation des deux banques a été approuvé par le président du conseil, Paolo Gentiloni. L’État italien mettra 4,785 milliards d’euros sur la table pour qu’Intesa Sanpaolo, la première banque de détail du pays, récupère les deux banques. Pier Carlo Padoan, ministre de l’économie, a précisé que le coût total des garanties publiques dans cette transaction pouvait s’élever jusqu’à 17 milliards d’euros, pour couvrir les crédits détériorés des deux banques. (Le Monde, 25 juin 2017)

Pour tenter de sortir du marasme, tous les gouvernements bourgeois italiens ont aidé le capital et porté des coups aux travailleurs : coupe dans les dépenses sociales (enseignement, santé, etc.), baisse des prélèvements sur le capital, report de l’âge de départ en retraite (65 ans pour les hommes, 60 ans pour les femmes), réduction des pensions (calcul sur les salaires de l’ensemble de la carrière…), contrat de travail plus flexible, augmentation des droits d’inscription à l’université, salaire « au mérite » des enseignants, etc.

Grâce à l’augmentation du taux d’exploitation et à la conjoncture européenne et mondiale, le capitalisme italien a fini par renouer avec la croissance à partir de fin 2014 : +1 % en 2015, +0,9 % en 2016, +1,6% en 2017 (mais c’est +2,2 % dans la zone euro et +3,7 % dans le monde pour la même période).

Malgré cette embellie, l’Italie reste le malade de la zone euro : le PIB en volume y est toujours inférieur de plus de 6 % à son niveau d’avant-crise, et la reprise y est moins soutenue que chez ses partenaires de la zone euro. Par ailleurs, la dette publique, supérieure à 130 %, n’a pas encore amorcé sa décrue et le secteur bancaire demeure fragile. (Céline Antonin, Italie : l’horizon semble s’éclaircir, OFCE, décembre 2017)

La reprise se traduit par une création nette d’emplois (+900 000 sur la période 2015-2017), le taux d’emploi de la population en âge de travailler a retrouvé son niveau d’avant 2008 (58,4 %) et le taux de chômage a fini par baisser. Mais il reste élevé : 10,8 % de la population active et même 32,2 % chez les jeunes actifs de 15-24 ans. Le chômage reste à 18 % dans le Sud.

Dans ces conditions, le capitalisme italien, s’il ne se prive pas de surexploiter les travailleurs étrangers, n’a pas besoin d’une immigration massive, contrairement au capitalisme allemand. Les partis italiens (LN, FI…) qui font des étrangers leur cible principale totalisent plus du tiers des suffrages exprimés. Si on y ajoute ceux qui, sans en faire l’axe de leur politique, veulent aussi refouler les migrants (M5S, PD…), on dépasse 84 %.

Le chef du M5S Luigi Di Maio, au printemps 2017, prend des positions très dures dans la crise migratoire en Méditerranée, popularisant l’expression des « taxis des mers » pour qualifier les navires affrétés par les ONG humanitaires pour effectuer des opérations de secours au large de la Libye. (Le Monde, 7 mars)

Les trahisons répétées des bureaucraties syndicales

À part le PRC, les seules organisations ouvrières de masse qui subsistent sont les syndicats traditionnels. Les principales confédérations sont dans l’ordre : la CGIL (à peu près équivalente de la CGT), la CISL (équivalente de la CFDT) et l’UIL (équivalente de FO). Mais, dans tous les pays impérialistes, les appareils des syndicats sont corrompus par l’État bourgeois et les capitalistes. De temps en temps, elles sont contraintes d’appeler à des « journées d’action » qui servent d’exutoire à la base, tout en négociant les attaques interrompues contre la classe ouvrière, exacerbées par le retour des crises capitalistes et la concurrence internationale.

En juillet 1992, les bureaucraties de de la CGIL, de la CISL et de l’UIL renoncèrent à l’échelle mobile des salaires sur l’exigence de la Confidustria (le Medef italien). En juillet 1993, elles signèrent un accord de négociation collective à deux niveaux : la branche et l’entreprise. Les syndicats s’engageaient à tenir compte aussi bien des contraintes macroéconomiques que de la compétitivité des entreprises.

En novembre 2012, les bureaucraties de la CISL et de l’UIL signèrent avec le patronat un accord « de productivité » liant les salaires aux résultats des entreprises. Les accords d’entreprise se substituaient aux conventions collectives pour l’organisation du travail.

En juin 2013, les bureaucraties des confédérations de la CGIL, de la CISL et de l’UIL signèrent avec le patronat un accord sur la représentativité. Aux signataires est garanti le monopole de la représentation du personnel dans les entreprises. Il devient par conséquent presque impossible, pour les autres syndicats (COBAS, CUB, USB, CSB…), de participer aux élections des délégués du personnel dans les entreprises.

En janvier 2014, les bureaucraties des confédérations de la CGIL, de la CISL et de l’UIL signèrent avec le patronat un accord permettant des dérogations aux conventions collectives nationales de travail sur les conditions de travail les horaires et les salaires.

Le 28 février, à la veille du scrutin, les bureaucraties des confédérations de la CGIL, de la CISL et de l’UIL signent avec la Confindustria un accord sur les salaires qui privilégie le niveau de l’entreprise et conditionne les augmentations aux gains de productivité.

Ainsi, les appareils sociaux-impérialistes des syndicats contribuent à la désorientation politique et idéologique de la classe ouvrière, complétant les trahisons historiques de l’ex-PSI et de l’ex-PCI, ainsi que l’orientation « réformiste » des petits partis surnageant du naufrage de la social-démocratie et du stalinisme (LeU, PRC…).

La politique migratoire de l’État bourgeois

L’ancien « centre gauche » L’Olivier-PD, quand il était à la tête du gouvernement (2006-2008, 2013-2018), comme l’ancien « centre droit » PDL-FI quand c’était son tour (2001-2005, 2008-2011), a tenté de limiter l’immigration. D’une part, l’État a enfermé des travailleurs et des jeunes qui n’avaient commis aucun crime ou délit (dans des CIE, des CARA, ou des CDA) ; d’autre part, il a tenté d’empêcher l’entrée (accords avec les seigneurs de guerre de Libye, patrouilles en mer), le tout avec l’aide de l’UE. Ainsi, en octobre 2013, après la mort en un seul naufrage de 366 migrants à Lampedusa, le gouvernement Letta (coalition du PD avec, entre autres, le PDL de Berlusconi) déclencha l’opération Mare nostrum, remplacée en novembre 2014 par l’opération Triton, moins coûteuse et prise en charge par l’UE.

Lors de la commémoration hypocrite de la chaîne de cercueils, le ministre de l’intérieur Angelino Alfano annonce que le gouvernement a décidé de remodeler sa « mission », en employant plus de moyens de patrouille afin de sauver les naufragés ; et précise qu’il a appelé ce changement Mare nostrum. Évidemment, Mare nostrum ne se substitue pas à Frontex – le mécanisme européen de contrôle des frontières extérieures de l’UE – effectif depuis 2005 par le biais de deux dispositifs : Hermès (dédié au contrôle du Canal de Sicile et des îles Pélagie) et Aeneas. Mare nostrum n’a pas pour réel objectif de sauver la vie des migrants ou de traduire en justice les passeurs, mais plutôt de faire front, grâce à un contrôle militaire minutieux, et ce jusqu’aux côtes libyennes, à l’afflux migratoire croissant qui fin octobre représentait plus de 50 000 arrivées. Mare nostrum, ce contrôle intensif de l’aire méditerranéenne concernée par les flux migratoires est donc mis en place en novembre 2013. (Rivoluzione comunista, Fronte proletario contro guerra statale anti-immigrati, 2017, p. 14)

En juillet 2017, le gouvernement PD, comme celui de LREM en France au même moment, s’en prend aux organisations qui secourent les migrants.

Né il y a soixante et un ans à Reggio de Calabre, fils de général, Marco. Minniti est un pur produit du Parti communiste italien (PCI)… En Libye, ancienne colonie italienne où les intérêts économiques transalpins restent importants et les services de contre-espionnage très actifs, le ministre de l’intérieur multiplie sans états d’âme les contacts avec les chefs locaux, pour faire cesser les départs de bateaux vers l’Europe, tout en équipant les garde-côtes de navires flambant neufs. Dans le canal de Sicile, il contraint les ONG chargées des opérations de secours en mer à s’engager sur un « code de bonne conduite ». (Le Monde, 14 septembre 2017)

Accusée de « favoriser l’immigration clandestine » plutôt que de sauver des vies, l’ONG allemande Jugend Rettet a été privée de son navire de secours en Méditerranée par les autorités italiennes, mercredi 2 août. (Le Monde, 3 août 2017)

Les policiers ont investi dimanche matin l’Open-Arms, affrété par l’ONG espagnole Proactiva… La raison ? La veille, le bateau avait obtenu le droit de débarquer 218 personnes qu’il avait refusé de remettre aux gardes-côtes libyens. (Le Monde, 23 mars 2018)

Bloqués en Libye, les migrants africains sont souvent rançonnés, réduits à l’esclavage, victimes de sévices, violés, assassinés.

Un attentat raciste et une mobilisation antifasciste

Le 3 février 2018, un ancien candidat en 2017 de la Lega, après avoir fait le salut fasciste et crié « Viva Italia ! » tire sur un groupe de Noirs à Macerata, dans le centre de l’Italie. Six personnes sont blessées. Le fasciste invoque le viol et le meurtre de Pamela Mastropietro par des trafiquants de drogue nigériens pour tirer sur des innocents dont le seul crime était d’avoir la peau sombre. Berlusconi, dont la formation FI réclame l’expulsion de 600 000 étrangers et est alliée à la LN sein du « centre droit », minore  : « il me semble qu’il s’agit du geste d’un déséquilibré, qui mérite la plus ferme condamnation, mais qui ne peut être considéré comme ayant une connotation politique claire ».

Le PD utilise le ministre de l’intérieur et le maire de Macerata, ainsi que son influence dans la CGIL (la principale centrale syndicale) et dans l’Associazione nazionale partigiani d’Italia (l’Association des anciens résistants), pour empêcher les manifestations de protestation. Malgré l’interdiction officielle, les fascistes de Forza nueva se rassemblent à Macerata le 8 février, avec la complaisance de la police et des carabiniers (gendarmerie).

Les Centri sociali (CS, une mouvance anarchiste dont une aile soutient la coalition électorale PaP) appellent à manifester le 10 février à Macerata. Ils sont rejoints par les coalitions de partis Liberi e uguali et Potere al popolo, la FIOM (la fédération de la métallurgie de la CGIL), les COBAS (des sortes de SUD), etc. : 20 000 manifestants au moins répondent à l’appel. Le 25 février, 20 000 personnes, surtout des jeunes, manifestent à Milan. À Livourne, quand les CS contre-manifestent face aux provocateurs FdI, le dirigeant du PaP Maurizio Acerbo approuve les antifascistes mais le porte-parole de LeU Pietro Grasso les condamne.

Le naufrage de la représentation politique antérieure de la bourgeoisie

Le 4 mars, la participation aux élections des deux chambres (Chambre des députés, Sénat) est élevée : 73 % des inscrits, quoiqu’en légère baisse depuis les précédentes élections générales, en février 2013 (75 %).

Le Partito democratico (PD, Parti démocrate) est le parti bourgeois qui a été l’axe des gouvernements précédents. Il est issu de la fusion en 1998 des renégats du stalinisme (PDS, la majorité de l’ancien Parti communiste italien) et des survivants du cléricalisme lié à l’Église catholique (PPI, principale composante issu de feu le Parti démocrate-chrétien qui avait dirigé le pays pendant 40 ans). Il a chuté de 25,4 % des voix en 2013 à 18,7 % en 2018. Son secrétaire générale, Mateo Renzi, a été contraint de démissionner.

La première victime du scrutin est le Parti démocrate de l’ancien premier ministre Matteo Renzi, qui subit une défaite humiliante. Avec moins de 19 % des voix, soit à peine 112 députés et 57 sénateurs, le principal parti de gauche atteint un plus bas historique. (Le Monde, 7 mars)

L’autre parti bourgeois de gouvernement, Forza Italia (FI, Force italienne), fondé en 1994, s’effondre aussi (il est passé de 21,6 % à 14 %). Il n’est pas sûr qu’il survive à son chef, âgé de 81 ans.

Le deuxième perdant des législatives, Forza Italia, est peut-être dans un plus piteux état encore. En réalisant à peine 14 %, un chiffre ridiculement bas pour une formation censée représenter l’ensemble de la droite modérée, la formation née en 1994 par la seule volonté de Silvio Berlusconi est en bout de course. (Le Monde, 7 mars)

Le succès de deux partis « populistes »

Le grand vainqueur des élections du 4 mars est le Movimento 5 stelle (M5S, Mouvement 5 étoiles), un parti petit-bourgeois démagogique et xénophobe créé sur la base du dégagisme en 2009 par un pitre qui a passé le relais à Luigi Di Maio. En dénonçant l’abandon du Sud et grâce à la promesse d’un « revenu citoyen », le M5S a capté plus de 32,7 % des voix dans tout le pays (contre 25,5 % en 2013) et est nettement majoritaire au Sud. Il a reçu les félicitations de Farrange, l’ancien dirigeant de l’UKIP, le parti qui a promu le Brexit.

L’autre parti qui tire son épingle du jeu avec 17,4 % (contre 4,1 % en 2013) est la Lega de Matteo Salvini (ancienne Lega Nord, Ligue du nord). Elle n’avait jamais dépassé 10,2 % des voix. Elle a gardé son racisme antérieur mais a basculé de son programme antérieur (la sécession de la partie la plus riche de l’Italie) à un nationalisme italien agressif.

Le chef de la Ligue aura réussi son pari : celui de parachever la mutation du parti fédéraliste et anti-italien dont il a pris la tête voilà moins de cinq ans en une grande formation nationaliste et xénophobe, rayonnant dans tout le pays. (Le Monde, 7 mars)

La LN l’emporte au sein de la coalition dite de « centre droit » (sic) qui comprenait, outre FI, un autre parti fascisant, Fratelli d’Italia (FdI, Frères d’Italie), qui a atteint 4,35 % des voix. Elle a reçu les félicitations de la chef du FN-RN français.

En outre, deux listes fascistes, CasaPound et la coalition Italia agli Italiani (L’Italie aux Italiens, formée par la FN et le MS-FT) ont respectivement 0,95 % et 0,38 % des voix. Ces groupes attaquent physiquement les militants ouvriers et les étrangers.

La marginalisation électorale du réformisme

Les deux grands partis réformistes d’après-guerre, le Partito socialista italiano (PSI) et le Partito comunista italiano (PCI) ont disparu, respectivement en 1994 et en 1991-2007.

L’héritage de la sociale-démocratie, c’est la collaboration de classe la plus répugnante : sabotage par le PSI de la révolution de 1920, reconstruction de l’État bourgeois après la 2e Guerre mondiale, participation répétée à des gouvernements avec la DC, direction du gouvernement qui a mis fin à l’échelle mobile des salaires, aide à la prise de contrôle par Bersluconi de la télévision privée, corruption…

L’opération Mani pulite (mains propres) a commencé en février 1992 lorsque deux magistrats milanais, enquêtant sur une banale affaire de corruption, ont pris en flagrant délit de versement occulte un membre important du PSI, Mario Chiesa… Suivit un véritable raz-de-marée d’arrestations, de perquisitions, de dénonciations, d’aveux… Deux anciens maires PSI de Milan sont inculpés. Craxi lui-même, après avoir tenté d’ameuter l’opinion contre le « gouvernement des juges », doit rendre des comptes : convaincu d’avoir détourné à son profit des sommes considérables, il est contraint de démissionner de son poste de secrétaire général du PSI. Il n’aura bientôt d’autre ressource de s’exiler en Tunisie. (Pierre Milza, Histoire de l’Italie, 2005, p. 927)

Ce qui tient lieu aujourd’hui de social-démocratie en Italie, les scissions de gauche du PD et de droite du PRC rassemblées dans la coalition fourre-tout Liberi e uguali (LeU, Libres et égaux), plafonnent à 3,4 %.

Le principal parti réformiste qui a survécu à la disparition du PCI est le Partito della rifondazione comunista (PRC).

Le PRC est né en 1991 quand le PCI fut dissous à la fin de son 20e et dernier congrès et que fut créé le Parti démocratique de la gauche… Il réunit depuis le début un ensemble de personnalité, de courants culturels et de positions politiques fort divers… unis essentiellement sur la base de leur volonté de s’opposer au « tournant » qu’ils considéraient comme un bradage du patrimoine politique, idéologique et symbolique du Parti communiste. (Les Partis communistes et post-communistes en Europe occidentale, 1999, La Documentation française, p. 72)

En 2013, son mini front populaire avec le Movimento arancione et la Federazione dei verdi avait rassemblé 4,4 % des voix. En 2018, il forme de nouveau une coalition, Potere al popolo (PaP, Pouvoir au peuple). Elle comprend le Partito comunista italiano (une scission du PRC qui arbore le drapeau bourgeois italien à côté du drapeau rouge), la Piattaforma eurostop (un front europhobe), les CRAC (des stalino-maoïstes), la Sinistra anticapitalista (SAC, Gauche anticapitaliste liée au NPA)… Ce bloc électoral est soutenu en France par le NPA, le PCF et LFI. Il recueille seulement 1,32 % des suffrages exprimés et n’obtient aucun député.

La scission néo-stalinienne du PRC, le Partito comunista (PC), qui s’est présenté séparément, est marginal avec 0,32 %.

Le PRC, le PCI, le PC, les CRAC… n’ont jamais tiré les leçons du stalinisme. L’histoire du stalinisme-togliattisme, c’est la main tendue du PCI au fascisme en 1936 (« appel aux fascistes »), la trahison de la révolution de 1943-1944, la participation aux gouvernements bourgeois de 1943 à 1947, la tentative de restaurer la monarchie en 1944 (« tournant de Salerne »), la trahison de la situation révolutionnaire de 1969, la proposition de gouverner en commun avec la DC en 1973 (« compromis historique »), le reniement ouvert du marxisme par la transformation en 1991 du PCI en PSD, la liquidation du PSD en 2007 dans un parti bourgeois commun (PD) avec ce qui restait de la DC discréditée et poursuivie par la justice.

Le crétinisme réformiste et pacifiste du PRC

Cela n’a pas empêché la plupart des courants centristes du monde d’apporter, au PRC, durant toute la fin du XXe siècle un soutien enthousiaste, y inclus les courants « trotskystes » ralliés au protectionnisme, au pacifisme et au réformisme. Cela s’est traduit par l’adhésion de leurs affiliés locaux au PRC (et leur intégration aux bureaucraties syndicales anciennes ou nouvelles) comme ils participaient au même moment à Syriza en Grèce, à Die Linke en Allemagne, etc.

Le PRC a pratiqué la collaboration de classe à l’échelle internationale en mettant en place la supercherie du Forum social mondial en 2001, avec l’aide de la bureaucratie castriste de Cuba, du gouvernement bourgeois du Brésil et d’une aile de l’Église catholique. À l’échelle nationale, le PRC a soutenu un gouvernement bourgeois en 1996 puis a participé à un gouvernement dirigé par un ex-DC en 2006. Il est toujours lié au PCF qui a plus d’une fois gouverné au compte de la bourgeoisie et à la Syriza qui le fait toujours en Grèce.

La stratégie communiste a été résumée dans une motion du congrès de La Haye de la 1re Internationale : hégémonie de la classe ouvrière, nécessité du parti, prise du pouvoir.

Dans sa lutte contre le pouvoir uni des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir en tant que classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct et opposé à tous les anciens partis politiques créés par les classes possédantes. Cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de sa fin suprême : l’abolition des classes. La coalition des forces de la classe ouvrière, déjà obtenue par la lutte économique, doit ainsi lui servir de levier dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs. Puisque les seigneurs de la terre et du capital utilisent toujours leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs monopoles économiques et pour subjuguer le travail, la conquête du pouvoir politique est devenue le grand devoir du prolétariat. (AIT, article 7a des statuts, 1872)

Lors de la campagne électorale, le PRC et ses alliés ne parlent ni de socialisme ou de révolution, ni d’expropriation ou de renversement de l’État bourgeois. En guise de « pouvoir au peuple », le « pouvoir » semble partout (et finalement nulle part), ce qui laisse aux mains des exploiteurs le plus formidable instrument du pouvoir, l’État.

Nous pratiquons chaque jour la solidarité, le mutualisme et le contrôle populaire sur les institutions qui n’ont cure de nos exigences… (PaP, Manifesto, 2017)

« Peuple » permet de remplacer la lutte entre les classes par l’addition des mouvements opposés non au capitalisme, mais à l’Union européenne et à la « marchandisation du monde ».

Un mouvement de travailleurs et de travailleuses, de jeunes, de chômeurs et de retraités, de toutes les personnes qui mettent leurs compétences au service du bien commun, qu’elles soient engagées auprès d’associations, de comités territoriaux, ou plus ponctuellement lors de mobilisations citoyennes sur les territoires, ou bien qu’elles militent sur le terrain dans des syndicats, des partis ou toute autre organisation attachée aux idéaux de la gauche sociale et politique: anticapitaliste, communiste comme libertaire, écologiste, féministe, laïque, pacifiste, « méridionaliste ». (PaP, Manifesto, 2017)

Potere al popolo vante le sauvetage du capitalisme et la reconstruction de l’État bourgeois par leurs prédécesseurs du PCI et du PCI de 1943 à 1947.

Nous avons lutté contre le travail de sape de notre Constitution, née de la Résistance, et pour sa véritable application… (PaP, Manifesto, 2017) ; Notre République est fondée sur le travail… La réappropriation de la souveraineté populaire à tous les niveaux et sur tous les plans de la société… Redonner une dignité et une centralité aux salariées et aux salariés. (PaP, Programma, 2017)

La coalition PaP vaut en fait améliorer le capitalisme et l’État bourgeois.

L’exigence d’un système judiciaire apte à en garantir le respect efficace et rapide. La justice fait également partie du bien commun… Pour nous, pouvoir au peuple signifie restituer aux classes populaires le contrôle sur la production et sur la distribution de la richesse, réaliser la démocratie dans son sens vrai et originel. Pour y parvenir, il nous faut emprunter des passages intermédiaires et, surtout, construire et expérimenter une méthode que nous avons nommée contrôle populaire. (PaP, Programma, 2017)

La coalition PaP prêche aux exploités et aux opprimés le pacifisme que les bandes fascistes, l’armée impérialiste, les services secrets, les carabiniers, les policiers et les mafieux se gardent bien de respecter.

Coupée du peuple, constituant une caste professionnelle fermée d’hommes dressés à sévir contre les pauvres, d’hommes relativement bien payés et jouissant des privilèges du pouvoir (sans parler des revenus licites), la police demeure infailliblement, dans toutes les républiques démocratiques où règne la bourgeoisie, l’instrument, le rempart, le bouclier le plus sûr de cette dernière. Des réformes sérieuses, radicales, en faveur des masses laborieuses ne peuvent pas être effectuées avec son aide. C’est objectivement impossible. La substitution d’une milice populaire à la police et à l’armée permanente est la condition du succès de toute réforme… (Lénine, Ils ont oublié l’essentiel, 18 mai 1917)

Une rupture incomplète avec le réformisme

Per una sinistra rivoluzionaria (PuSR, Pour une gauche révolutionnaire), la coalition électorale de deux organisations qui se réclament du trotskysme, n’obtient que 0,08 %. Il s’agit du Partito comunista dei lavoratori (PCL, Parti communiste des travailleurs) et de Sinistra classe rivoluzione (SCR, Gauche classe révolution) liée à la GR française qui a soutenu la candidature social-impérialiste de Mélenchon dès le premier tour.

En général, les courants qui sont sortis du PRC quand il a fourni un ministre au gouvernement Prodi ont le plus grand mal à s’en distinguer : la SAC continue à semer des illusions sur le PRC.

La reconstruction d’une véritable gauche a commencé lors des élections avec la formation de la liste PaP. (SAC, Déclaration, 5 mars)

Même le PCL, qui a revendiqué un gouvernement des travailleurs durant sa campagne, peine à se débarrasser du front populisme : il a appelé en mai 2011 à voter lors des élections municipales de Naples pour le « progressiste » Luigi de Magistris, du parti bourgeois Italia dei valor. Le programme de Per una sinistra rivoluzionaria ne dit mot de l’autodéfense et de la nécessité de démanteler les corps de répression, comme si on pouvait « contrôler » l’armée et la police.

La vieille bureaucratie de l’État doit être démantelée et le contrôle des travailleurs doit être étendu à toutes les branches de la vie publique. Élection et révocabilité de toutes les responsabilités publiques. Plafond de la rémunération de tous les responsables publics qui correspondra au salaire moyen d’un travailleur qualifié. Contrôle des travailleurs à tous les niveaux de l’administration publique. (PuSR, Il nostro programma, février 2018)

Tout en se revendiquant de Lénine et de Trotsky, le centrisme italien issu de la destruction de la 4e Internationale (comme en France LO, le NPA, le POID, etc.) censure un pan essentiel du programme de l’Internationale communiste : lutte contre les bureaucraties sociales-patriotes (politiques et syndicales), centralisation des soviets, armement des travailleurs, destruction de l’État bourgeois, insurrection, pouvoir des travailleurs…

L’Opposition de gauche internationale se situe sur la base des quatre premiers congrès de l’IC. Cela ne signifie pas qu’elle jure fidélité à chaque lettre de ses décisions… Mais tous les principes fondamentaux (attitude envers l’impérialisme et l’État bourgeois ; envers la démocratie et le réformisme ; problèmes de l’insurrection ; dictature du prolétariat ; attitude envers la paysannerie et les nations opprimées ; soviets ; travail dans les syndicats ; parlementarisme ; politique du front unique) restent la plus haute expression de la stratégie prolétarienne à l’époque de la crise du capitalisme. (L’Opposition de gauche internationale, ses tâches, ses méthodes, janvier 1933)

Une incertitude institutionnelle

De nouveau, l’Union européenne est ébranlée, mais pas par la classe ouvrière et encore moins au compte de la classe ouvrière. Le coup est porté par la réaction et, plus encore que dans le cas du Brexit, il est nettement xénophobe. Le secteur le plus fragile de la classe ouvrière sert de bouc émissaire aux difficultés du capitalisme italien et aux souffrances que sa survie inflige à ceux qui travaillent pour vivre.

Certes, le grand capital italien et mondial n’a pas apprécié que des partis aussi incertains remportent les élections générales et encore moins qu’aucun d’eux n’ait la capacité à lui seul de former un gouvernement, faute de majorité parlementaire.

Les gains électoraux du M5S et de la Ligue marquent le plus grand bouleversement en Europe depuis le vote pour le Brexit. Ils annoncent une longue période d’incertitude politique et d’âpres négociations avant que l’Italie ait un nouveau gouvernement. (Financial Times, 7 mars)

Mais la bourgeoisie sait plier les partis les plus démagogues à ses besoins. À son apparition, FI n’était pas non plus un parti traditionnel de la bourgeoisie (il a été bâti autour d’un homme, avec l’appui des chaînes de télévision). La LN a déjà participé à des gouvernements de Bersusconi. Quant au M5S, il s’apprête à devenir un parti bourgeois de gouvernement.

Monsieur Di Maio rencontre régulièrement des dirigeants du monde des affaires et des ambassadeurs de l’UE et il s’est même rendu à Londres pour rassurer les investisseurs. (Financial Times, 11 mars)

Et le M5S a déjà renié un ses fondements, refuser toute tractation avec les autres partis.

Alors que le refus des alliances avait toujours été une des singularités du mouvement, en même temps que le gage de sa « pureté », le M5S est donc entré, sans états d’âme, dans une logique de tractations, pour former un gouvernement. (Le Monde, 7 mars)

Quelle que soit le prochain gouvernement, il sera bourgeois de part en part.

La puissance du capital impérialiste ne réside pas dans sa capacité à établir, à son gré, le gouvernement qu’il désire et quand il le désire. Son pouvoir réside dans le fait que tout gouvernement non prolétarien est obligé de servir le capital impérialiste. (Trotsky, Bonapartisme et fascisme, juillet 1934)

Rompre avec la bourgeoisie, regrouper l’avant-garde des travailleurs

Même si le fascisme n’est pas un danger immédiat, l’alternative est de plus en plus clairement : socialisme ou barbarie. Soit une suite de reculs économiques, politiques, idéologiques ; soit l’unité des exploités pour renverser le capitalisme, ouvrir la voie de la révolution européenne et méditerranéenne. Pour cela, il faut un parti ouvrier révolutionnaire.

La crise du mouvement ouvrier atteint un paroxysme en Italie. Il est temps que, en lien avec la construction d’une nouvelle internationale, les militants les plus décidés et les plus conscients, actuellement dispersés dans le PCL, le PRC, les CS, etc. se regroupent pour sur une base révolutionnaire et internationaliste. Ils s’inspireront des efforts d’Antonio Labriola, Amedeo Bordiga, Antonio Gramsci et Pietro Tresso. Ils se guideront sur les programmes de la Ligue des communistes animée par Engels et Marx, de l’Internationale communiste du vivant de Lénine, de la 4e Internationale du vivant de Trotsky.

Sans sombrer dans l’activisme, les militants du parti communiste révolutionnaire en construction devront être au premier rang du front unique en défense des réfugiés, du droit pour tous les travailleurs ou étudiants de circuler et de s’établir dans toute l’Europe, du combat quotidien pour les revendications et pour l’indépendance des organisations syndicales vis-à-vis de l’État, de l’auto-organisation des luttes et de la centralisation d’organes soviétiques, de l’autodéfense contre les forces de répression et les nervis fascistes, pour ouvrir la perspective d’un gouvernement ouvrier et paysan, des États-Unis socialistes d’Europe, de la fédération socialiste de la Méditerranée.

23 mars 2018