Le pouvoir chaviste menacé de putsch par la bourgeoisie compradore liée à l’impérialisme américain

Le Venezuela traverse une crise économique et politique. La baisse du cours du pétrole et l’inconsistance de l’agriculture et de l’industrie manufacturière ont engendré la pénurie pour les masses, porté au bord de la guerre civile les fractions opposées de la bourgeoisie, ravivé l’immixtion étasunienne, conféré un rôle central à l’armée et à la police bourgeoises… On est loin du mythe du « socialisme du XXIe siècle » de feu le colonel Chávez, propagé en France par Le Monde diplomatique, ATTAC, le PCF, le PdG-LFI, la LCR-NPA, le groupe la Commune, la Gauche révolutionnaire, La Riposte-Révolution…

Une position stratégique

Au début du vingtième siècle, alors que le Venezuela faisait partie des importants producteurs de café et de cacao, il découvre d’immenses réserves de pétrole, si bien qu’entre 1920 et 1930, le secteur pétrolier passe de 2,5 % du PIB à près de 40 %, l’agriculture chutant dans le même temps de 39 % à 12,2 %. Aujourd’hui, c’est le pays qui détient les plus importantes réserves connues de pétrole. La matière première est globalement de meilleure qualité que le pétrole de schiste mais de qualité inférieure au pétrole d’Arabie saoudite. Elle a été accaparée tout au long du 20e siècle par la bourgeoisie compradore et surtout par les entreprises multinationales. Le reste de la population n’en a que très peu profité et l’industrie manufacturière est restée squelettique.

En profitant d’une hausse mondiale du cours du pétrole et de la création de l’OPEP, le président Carlos Andrés Pérez (AD, un parti bourgeois nationaliste membre de l’Internationale « socialiste ») fait lors de son premier mandat (1974-1979) des concessions aux travailleurs salariés, nationalise l’industrie pétrolière et celle de l’aluminium, tente de développer l’industrie, distribue des bourses pour faciliter les études… Il refuse de participer à l’opération Condor conçue pour liquider physiquement les militants révolutionnaires d’Amérique latine et noue des liens avec Cuba. Mais, avec la baisse du prix du pétrole et l’inflation galopante, son second mandat (1989-1994) débouche sur la privatisation et la réduction des dépenses publiques. Les travailleurs se soulèvent en 1989 (« Carazo »). L’armée les écrase en causant plusieurs centaines de morts.

En février 1992, des militaires menés par le colonel Hugo Rafael Chávez Frías tentent un coup d’État au nom du « Mouvement révolutionnaire bolivarien » (MBR) contre le chef d’État élu. Il échoue. Le MBR tente un deuxième coup en novembre qui rate aussi. Pérez est destitué en 1993. Son successeur amnistie Chávez.

Le colonel Chávez, un bonaparte

Fin 1998, Chávez est élu président, sous la bannière de la « révolution bolivarienne ». Il ne s’agit en rien d’une révolution sociale mais de la défiance de la part d’une fraction de la bourgeoisie locale contre l’impérialisme américain qui achète largement son pétrole. De nombreux accords sont signés avec les États chinois, iranien, brésilien, russe… en vue de réduire cette dépendance. En nationalisant le pétrole, le gouvernement de Chávez constitue une rente lui permettant de financer des programmes sociaux. Le niveau de vie de la population locale s’est alors sensiblement amélioré jusqu’en 2013. Le taux de mortalité infantile a été divisé par deux, l’analphabétisme a pratiquement disparu, plus d’un million de logements a été construit, le nombre de professeurs des écoles a été multiplié par cinq (de 65 000 à 350 000). Les inégalités ont pour un temps sensiblement diminué (l’indice de Gini a diminué de 0,5 à 0,39 entre 2000 et 2010), et le pays est devenu alors l’un des moins inégalitaires d’Amérique latine. D’après la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (un organisme de l’ONU), il est le pays sud-américain –avec l’Équateur–, qui a le plus réduit le taux de pauvreté (de 65 % en 1999 à 32 % en 2013). Une part de 71,4 % du budget national est consacrée aux dépenses sociales. Alors que seul un retraité sur cinq percevait une pension en 1999, c’est le cas de neuf retraités sur dix à présent…

Le Venezuela est resté un État bourgeois, son régime se présente comme au-dessus des classes. Le programme est celui d’une défense du capitalisme national, en raison de la vulnérabilité de la population locale au marché mondial du pétrole, avec des réformes légères et des nationalisations limitées. Si le pétrole a été nationalisé en 2001, rien de tel qu’un contrôle ouvrier de l’investissement ou une économie planifiée n’a été mis en oeuvre. Il prétend défendre une stratégie qui équilibre les classes sociales antagoniques, qu’il qualifie de « révolution bolivarienne » et qui n’a de révolution que le nom. Bolivar est une icône des luttes contre la colonisation de l’État espagnol en Amérique, il est emblématique des revendications des bourgeoisies locales. Outre Bolivar, Chávez et Maduro font référence à Jésus, à la religion chrétienne, au pape, mais aussi au socialisme, à une Ve Internationale, à Marx et même à Trotsky.

Alors que la révolution d’Octobre avait dépénalisé l’avortement en Russie en 1917, il reste interdit par la prétendue « révolution bolivarienne ». Elle comporte largement les traits du bonapartisme –comme Perón et nombre de dirigeants latino-américains passés–, avec une rhétorique anti-impérialiste, en qualifiant Bush de « diable », de « charlatan cherchant à maintenir le modèle actuel de domination, d’exploitation et de pillage des peuples du monde entier » (Discours à l’ONU, 24 septembre 2006).

Un tel discours attire les populations les plus pauvres et une partie de l’armée séduite par la « libération nationale » en vue de donner à la bourgeoisie nationale et la petite-bourgeoisie intellectuelle une place qu’elles ne parviennent pas à occuper sous domination impérialiste. Son soutien provient surtout de l’armée, largement utilisée dans la répression. À partir de 2005, il vise à renforcer son influence dans la classe ouvrière en se proclamant socialiste. En 2007, il constitue le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), par une fusion de son Mouvement cinquième république avec plusieurs groupes bourgeois (Mouvement électoral du peuple, Unité populaire vénézuélienne…) mais aussi la Ligue socialiste (une scission du MIR).

Le gouvernement louvoie entre le capital étranger et le capital indigène, entre la faible bourgeoisie nationale et le prolétariat relativement puissant. Cela confère au gouvernement un caractère bonapartiste sui generis particulier. Il s’élève pour ainsi dire au-dessus des classes. En réalité, il peut gouverner soit en se faisant l’instrument du capital étranger et en maintenant le prolétariat dans les chaînes d’une dictature policière, soit en manoeuvrant avec le prolétariat, en allant même jusqu’à lui faire des concessions et conquérir ainsi la possibilité de jouir d’une certaine liberté à l’égard des capitalistes étrangers. (Trotsky, Le Mexique et l’impérialisme britannique, 5 juin 1938)

Le PSUV possède une influence réelle pour avoir utilisé une partie de la rente pétrolière afin de financer des politiques sociales (missions). Chávez l’a reconnu en 2007 :

Nous nous engageons dans la construction d’un modèle socialiste très différent de celui qui a été imaginé par Marx au cours du XIXe siècle. Celui-ci est notre modèle, compter sur cette richesse pétrolière. (Chávez, Mediapart, 6 août 2017)

Si la redistribution de la rente pétrolière a réduit un temps la pauvreté elle n’a rien changé structurellement, et le chavisme a renforcé la dépendance du Venezuela au marché mondial du pétrole, au capital mondial. De plus, de telles pratiques impliquaient de porter atteinte aux communautés indigènes, à l’environnement. En position de parti dirigeant, il organise la nouvelle classe dominante, assure ses positions grâce à l’État qui nourrit également la corruption, dont la persistance s’oppose aux libertés démocratiques. Aucune mesure n’a été prise contre la bourgeoisie.

Une perturbation pour l’impérialisme dominant

Les difficultés de l’impérialisme américain en Afghanistan et en Irak ont desserré son étreinte militaire, diplomatique et politique sur l’Amérique latine au début du XXIe siècle. La survivance d’un État ouvrier à Cuba (soumis au blocus, manquant de pétrole mais disposant de nombreux enseignants et médecins hispanophones) offrait en outre une opportunité pour les gouvernements bonapartistes et nationalistes d’Équateur, de Bolivie, du Venezuela…

Cette région du monde a connu de nombreux coups d’État, au moins depuis le Nicaragua en 1936, de la part des bourgeoisies locales, qui ne s’encombrent pas de procédures démocratiques lorsqu’elles ne lui garantissent pas de parvenir au pouvoir. Les derniers en date eurent lieu en Honduras en 2009, au Paraguay en 2012, au Brésil en 2016 [voir Révolution communiste n° 19].

Lorsque ses intérêts lui paraissent menacés, la bourgeoise compradore n’hésite pas à organiser méthodiquement des manoeuvres de déstabilisation du régime en place. Même s’il n’a rien de socialiste, le chavisme est considéré comme une menace pour l’impérialisme américain (et une opportunité pour les impérialismes chinois et russe). Le régime a tenté de contrôler le taux de change (une mission impossible sans abolir le capitalisme), de contrôler les prix des produits de consommation (ce qui, dans le cadre du capitalisme, aboutit vite à la pénurie et à l’inflation, à la contrebande à grande échelle et au marché noir) et de subventionner le prix du carburant (à l’avantage de la petite-bourgeoisie). Il avait commencé par nationaliser (moyennant de grasses indemnités), il privatise au profit des groupes chinois et russes : en 2014-2015, selon le président Maduro, les versements ont atteint 27 milliards de dollars, pendant que les travailleurs font la queue pour manger et ne peuvent plus se soigner. Le gouvernement continue d’augmenter la dette publique et d’acquitter scrupuleusement la charge de la dette dont les intérêts enrichissent la bourgeoisie compradore et le capital de la finance internationale, américain, européen et chinois.

Maduro a nommé 800 généraux ou amiraux, ce qui donne à ce petit pays 2 000 généraux au total (contre 310 en France).

Le pays est resté capitaliste, c’est un pays dominé, et la fraction de la bourgeoisie traditionnellement liée à l’impérialisme américain souhaite un gouvernement à sa botte et cherche à faire chuter le gouvernement en place. Henrique Capriles Radonski, battu par Maduro à l’élection présidentielle en 2013, appelle ouvertement au coup d’État en demandant aux « forces armées… de décider s’ils sont avec la Constitution ou avec Maduro » (Le Monde, 17 mai 2016). Pour préparer le terrain favorable à un changement de gouvernement, elle sabote la fourniture de marchandises de base, trafique sur les changes, cache ses capitaux à l’étranger. Le coup d’État de Pinochet avait été précédé également d’une déstabilisation économique. Les capitalistes locaux sont responsables, Maduro les tolère et les protège : ni annulation de la dette publique, ni expropriation des capitalistes, ni contrôle ouvrier sur la production et la distribution !

L’opposition « démocratique » réclame un coup militaire. Le ministre des Affaires étrangères des États-Unis Tillerson menace d’une intervention directe. À l’échelle continentale, l’Organisation des États américains, traditionnellement sous l’influence de l’impérialisme américain, juge que le Venezuela est une « dictature », le Mercosur suspend le Venezuela et l’ex-président colombien Alvaro Uribe, inculpé pour crimes contre l’humanité, appelle à l’intervention des « forces armées démocratiques internationales en défense de l’opposition au Venezuela » et à la reproduction du « coup juridique parlementaire qui a écarté du pouvoir Dilma Rousseff » au Brésil (Globovision, 14 mai 2016).

Des difficultés croissantes pour l’économie

L’économie vénézuélienne repose aujourd’hui sur un modèle de monoproduction pétrolière puisqu’elle assure 96 % de ses ressources en devises, une dépendance qui s’est accrue au cours des dernières décennies. En effet, Chavez s’est révélé incapable de développer l’industrie et l’agriculture. L’État importe la plupart des marchandises, notamment alimentaires, du marché mondial, les paie avec les dollars du pétrole, et les vend ensuite à des prix subventionnés. Cela fonctionne plus ou moins bien lorsque les prix du pétrole sont élevés. Mais les prix se sont effondrés à cause de la production supplémentaire (pétrole de schiste) et du ralentissement du capitalisme chinois. L’économie est entrée en récession : le PIB baisse chaque année depuis 2015. En 2014, le baril de pétrole était encore à 88 dollars (150 à son pic). En 2015, il n’était plus qu’à 44 dollars et atteignait son plus bas niveau en janvier 2016, à 24 dollars. Il est aujourd’hui à 50 dollars. D’un excédent des échanges de biens de 8,4 milliards de dollars en 2014, le pays est passé à un déficit de 13 milliards, ce qui pose un problème de financement des importations et de paiement des dettes, que le gouvernement s’est engagé à assurer.

D’après les chiffres du FMI, ses revenus du pétrole sont passés de 80 milliards de dollars en 2013 à 20-25 milliards en 2015, si bien que le pays ne parvient pas à importer les biens nécessaires à la consommation locale. Les produits à prix réglementés sont de plus en plus rares –l’inflation était de 141,5 % en 2014, de 180,9% en 2015, de 475,7 % en 2016, prévue à 950 % en 2017 et à plus de 2 000 % en 2018 (FMI), plus encore sur les produits de première nécessité– et la population s’oriente de plus en plus vers le marché noir. Le salaire réel moyen a chuté de 75 %. Le PIB baissait de 4 % en 2014, de près de 6 % en 2015, de 18 % en 2016. Depuis que le cours du pétrole a commencé à chuter en 2013, le pays est de plus en plus fréquemment confronté à des pénuries de nourriture, de soins médicaux… Des coupures électriques à répétition contraignent certains services publics à limiter leurs horaires d’ouverture. L’offre d’eau a également été rationnée. Le transport public souffre du manque de pièces de rechange. Cela a conduit à une détérioration sensible des conditions d’existence pour les travailleurs, d’autant que le gouvernement a coupé les dépenses sociales, licencié des employés publics, et nombre de progrès sociaux obtenus par le passé sont rapidement perdus, à tel point que le gouvernement a cessé de publier les statistiques économiques et sociales, ou il ne le fait qu’avec beaucoup de retard.

La politique économique de Maduro, qui préfère s’accommoder avec le capitalisme que donner le pouvoir à la classe ouvrière, s’est heurtée à la chute des prix du pétrole, mais aussi au sabotage des réseaux de distribution par les riches importateurs et exportateurs et aux sanctions des États-Unis. Plutôt que d’exproprier les capitalistes, Chávez puis Maduro ont entretenu un système de change complexe afin de contrôler les prix, ce qui a contraint les Vénézuéliens à s’approvisionner sur le marché noir, jusqu’à dix fois plus cher en raison de la pénurie.

La perte de la majorité à l’Assemblée nationale

Le 13 avril 2013, Nicolás Maduro, qui prétend à la succession d’Hugo Chávez, était élu président de la République face à Henrique Capriles Radonski, qui appelle immédiatement ses électeurs à exprimer leur haine (« arrechera »). L’impérialisme américain refuse de reconnaître ces résultats et soutient les manifestants (uniquement dans les quartiers riches) qui visent à faire chuter le gouvernement. Le 23 janvier 2014, Leopoldo López, un des dirigeants les plus droitiers de la MUD –il fut condamné en 2015 à 14 ans de prison pour avoir organisé un incendie qui a provoqué 43 morts puis libéré deux ans plus tard, avec assignation à résidence –appelle à mettre en oeuvre le plan La Salida (la sortie) destiné à créer le chaos pour pousser le chef de l’État à la démission. Le 1er avril 2014, le ministère du logement est attaqué à coups de cocktails Molotov et de bouteilles d’essence, sous le regard passif de la police municipale, contrôlée par l’opposition. L’objectif est de chasser Maduro du pouvoir pour écraser encore plus librement la population vénézuélienne et pouvoir surexploiter les travailleurs. Des méthodes fascistes sont utilisées, un climat de guerre civile, avec violence insurrectionnelle, est instauré dans le but d’affaiblir le soutien à Maduro.

L’inflation, la rareté des ressources et la stagnation économique ont alors renforcé l’opposition bourgeoise regroupée dans la MUD (Table de l’unité démocratique), qui regroupe une trentaine d’organisations (la représentation politique de la bourgeoisie compradore, renforcée d’anciens guérilléros des années 1970 et de transfuges du chavisme), appuyée par l’Église catholique, qui a obtenu la majorité aux élections parlementaires le 6 décembre 2015 (7,7 millions contre 5,7 millions soit 109 députés sur 167), une première depuis 1999, avec pour objectif affiché d’écarter Maduro du pouvoir. Le parti au pouvoir PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela) a perdu 2 millions de voix alors que la MUD en a gagné 400 000. Le régime bonapartiste était jusqu’alors plébiscité, il remportait les référendums et les élections. Il mue en régime autoritaire. La déception grandissante des masses le conduit à des mesures de moins en moins démocratiques : suppression de l’Assemblée nationale, renforcement de la place de l’armée, répression policière de l’opposition bourgeoise… et des luttes ouvrières.

La MUD a rapidement présenté une proposition de loi visant à amnistier tous les faits de violence, crimes et délits politiques et économiques commis du 11 avril 2002 au 31 décembre 2015.

L’opposition tente de renverser le gouvernement

Face à cette situation, le gouvernement décrète en janvier 2016 l’état d’urgence économique, qui autorise l’État, pour garantir l’approvisionnement des produits de base, à s’approprier des biens du secteur privé, puis en mai 2016 l’état d’exception qui permet à l’appareil de répression de prendre des mesures exceptionnelles. Mi-mai, Maduro décide de nationaliser les usines qui avaient été fermées par leurs propriétaires. Il dénonce la guerre économique menée par l’opposition bourgeoise compradore, mais au lieu de l’affronter, il négocie en lui accordant toujours plus de concessions, et surtout il entrave l’initiative des travailleurs et des communes, ce qui conduit à la désillusion, à l’abstention électorale et à la recherche individuelle des moyens de survie, au scepticisme et même au cynisme parmi les couches qui auparavant soutenaient le gouvernement.

La MUD organise des manifestations –assez peu suivies et essentiellement composées de la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie– tout au long de l’année 2016 pour accélérer le processus, tandis que le gouvernement organise des contre-manifestations. Tout en faisant de grandes déclarations martiales, des dirigeants de l’opposition étaient engagés dans des négociations secrètes avec le gouvernement, sous la médiation de Zapatero, l’ancien chef du gouvernement espagnol. Les mots d’ordre « Démission » s’opposent aux mots d’ordre « Yankees go home ». Le 28 avril 2016, la MUD annonce avoir recueilli 1,85 millions de signatures pour organiser un referendum révocatoire (au-delà des 195 721 nécessaires pour engager la procédure). Il s’est avéré que figurent parmi les signataires des morts, des mineurs, des prisonniers déchus du droit de vote… Le 28 juin, le Grand pôle patriotique –la coalition chaviste– annonce qu’il demande au Tribunal suprême de justice (TSJ) l’abolition de l’Assemblée nationale. Le 20 octobre, le processus référendaire est suspendu par le Conseil national électoral.

Le 28 octobre, la MUD décide une « grève générale ». Le schéma est similaire à celui de 2002, à la différence près que Maduro ne bénéficie plus du soutien populaire. Le 12 novembre, à l’occasion d’une négociation avec le gouvernement, la MUD reconnaît se livrer à une guerre économique et à des fraudes, avant de rompre la discussion.

Le TSJ lève l’immunité des parlementaires le 28 mars, et s’octroie le 30 mars les pouvoirs de l’Assemblée nationale –« Tant que l’Assemblée nationale sera hors la loi [trois députés étant poursuivis pour fraude par le pouvoir], les compétences parlementaires seront exercées directement par la chambre constitutionnelle » (Mediapart, 31 mars 2017)– avant de renoncer trois jours plus tard. S’engage une série de manifestations –quasi-quotidiennes– à caractère insurrectionnel ; elles ont causé jusqu’à présent près de 120 morts (à comparer avec les 2 500 syndicalistes assassinés au Mexique depuis vingt ans et les 30 000 disparus au Mexique depuis dix ans, sans soulever la moindre protestation de la presse bourgeoise), autant dans les rangs de l’opposition que dans les soutiens au pouvoir (parmi lesquels des crimes racistes). L’opposition bourgeoise a tenté d’incendier le TSJ, d’envahir le Conseil national électoral avec cagoules, boucliers, armes, autant de pratiques plus liées aux paramilitaires colombiens ou aux pratiques mafieuses.

Le 18 avril, Maduro annonce la mise en place d’un plan Zamora –un déploiement de militaires et de civils armés– contre le « coup d’État » et exige des poursuites judiciaires contre Julio Borges, le président de l’Assemblée nationale, accusé d’avoir lancé un « appel ouvert au putsch, à la division des forces armées et à la rébellion contre son commandement » (Le Monde, 20 avril). Maduro s’appuie de plus en plus sur l’armée à la hiérarchie hypertrophiée, accaparant une large part de la rente pétrolière et propriétaire de multiples entreprises capitalistes.

Ces manifestations massives sont de fait interdites aux non-blancs : un jeune homme à la peau mate, Orlando Jose Figuera, est brûlé vif… Elles comprennent des éléments armés, prêts au coup d’État. Toutefois la participation aux manifestations s’est progressivement réduite, notamment en raison de cette violence, et aussi de l’éloignement de la perspective d’une rapide prise du pouvoir. La fraction la plus réactionnaire de la bourgeoisie –parfois qualifiée de « combattants de la démocratie » par la presse bourgeoise nationale et internationale– sont formés par les paramilitaires colombiens, pratique le terrorisme, les attentats à l’explosif, les incendies de bâtiments officiels, la sous-traitance de violences par la pègre, l’utilisation d’enfants-mercenaires, les assassinats, les tortures…

Barack Obama, alors président des États-Unis, a notamment déclaré que le Venezuela représente une « menace extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des États-Unis » (Le Monde, 16 mars 2015), élargissant les sanctions économiques contre ce pays, et le Washington Post, un des organes de la bourgeoisie des États-Unis, appelle à une « intervention extérieure » (12 avril 2016). L’impérialisme américain a aussi besoin de se débarrasser de ce concurrent qui marche sur ses plates-bandes et dont le pétrole est huit fois plus abondant que le sien, d’autant qu’il perd des parts de marché. D’après l’Institut national de statistiques, la moyenne des exportations et importations vers les États-Unis s’est réduite de dix points entre la première et la deuxième moitié de la présidence Chávez alors que les échanges avec le Brésil et avec la Chine ont augmenté dans une proportion similaire. Il serait trop risqué d’interdire l’importation du pétrole vénézuélien, ce qui pénaliserait son marché intérieur. Il était impliqué dans la tentative –avortée en raison du soutien populaire– de coup d’État de 2002 contre le gouvernement Chávez qui a provoqué la mort de 60 de ses soutiens et que seuls Bush et Aznar avaient reconnu.

Le gouvernement américain a admis avoir fourni « l’entraînement, des installations institutionnelles et d’autres moyens de soutien à des personnes et organisations » (New York Times, 7 juin 2017) qui ont participé au coup d’État. Par la suite, il a augmenté le financement de groupes de l’opposition et il continue aujourd’hui de leur attribuer des millions de dollars. En novembre 2015, le lanceur d’alerte Edward Snowden révélait que la CIA a engagé une opération de surveillance massive sur les systèmes informatiques de certaines compagnies pétrolières. Si l’on en croit le directeur de la CIA Michael Pompeo, « les États-Unis ont grand intérêt à s’assurer que le Venezuela soit aussi stable et démocratique que possible… Et par conséquent nous travaillons dur dans ce but » (Aspen Institute, 20 juillet 2017).

Maduro supprime l’Assemblée nationale

L’Assemblée nationale était une institution centrale selon la Constitution chaviste de 1999. Maduro ne l’a jamais mise en cause tant que le PSUV y était majoritaire. Mais elle sert désormais à l’opposition.

Le bonaparte en déclin procède à son propre coup d’État. Le 1er mai, il annonce qu’il remplacera l’AN à partir du 30 juillet, non par des soviets, mais par une Assemblée constituante. Il recourt à l’habituelle démagogie chaviste : « une Constituante ouvrière, communale, paysanne, une Constituante féministe, de la jeunesse, des étudiants, une Constituante indigène, mais surtout, mes frères, une Constituante profondément ouvrière, profondément communale ». Mais il refuse, contrairement aux procédés de Chávez, de faire avaliser le changement de constitution par un référendum. Les élections régionales sont suspendues. Dans le même discours, il s’engage à « respecter toutes les formes de propriété existantes », laissant ainsi l’économie entre les mains de la bourgeoisie qu’elle soit bolivarienne ou compradore. Cette fuite en avant alimente la réaction nationale et internationale.

Le nouveau parlement bourgeois (545 sièges) a deux sortes de membres :

8 élus parmi les indigènes et 173 élus par « secteur d’activité » (travailleurs, retraités, conseils communaux, étudiants, agriculteurs, handicapés et « hommes d’affaires »), en fait largement désignés par le pouvoir et le PSUV ;

364 élus au suffrage universel, par circonscription municipale, ce qui permet de surreprésenter les campagnes par rapport aux villes. Les candidats ne sont pas présentés par les partis !

La constitution, tout en restant bourgeoise, est moins démocratique.

Évidemment, l’Assemblée constituante a été boycottée par la MUD qui a organisé un référendum pour tenter de l’empêcher : elle prétend avoir obtenu 7 millions de signatures. Le 20 juillet, elle organisait une grève nationale, soutenue par le patronat. En réalité, elle fut très peu suivie par les travailleurs. En fait, il s’agissait de lock-out patronaux et de barrages routiers patronaux. Le 30 juillet, 8 millions d’électeurs, soit moins de 42 % des inscrits ont participé au scrutin, ce qui ne saurait s’expliquer seulement par les violences et les pressions des bandes fascistes et de la MUD.

Sur le continent, seuls Cuba, la Bolivie, l’Équateur, l’Uruguay et la Salvador l’avalisent. Comme en témoigne le soutien de l’État russe à l’Assemblée constituante, qui pourrait stabiliser la situation politique locale et faciliter l’accès des entreprises russes et chinoises au pétrole vénézuélien de l’Orénoque moyennant des entreprises privées, cette question est l’enjeu de tensions inter-impérialistes.

L’Assemblée constituante est contestée par plusieurs impérialismes dont ceux des États-Unis et de l’État espagnol –qui étaient les seuls à avoir soutenu le coup d’État contre Chávez en 2002– et par la plupart des États d’Amérique latine : la Colombie, l’Argentine, le Brésil, le Chili, le Pérou, le Mexique, le Costa Rica, le Guatemala, le Honduras, le Paraguay et le Panama.

Pour l’indépendance de la classe ouvrière

En France, la plupart des opportunistes remettent le sort du Venezuela à la fraction bolivarienne de la bourgeoisie, alors qu’elle est en faillite totale, et se fient au régime bonapartiste, passé du plébiscite à la répression.

Le PdG « soutient l’élection de l’assemblée constituante » (10 août). Le PCF se félicite d’un « vote qui appelle le retour immédiat à la paix et au dialogue » (31 juillet). LO, de son côté, apporte un appui critique au gouvernement bourgeois en place, « un gouvernement qui a tenté de corriger des injustices subies par les exploités, par la population pauvre » (2 août). Pour le POID, « le gouvernement du Venezuela est légitime, le peuple vénézuélien a le droit de décider souverainement. Il a le droit d’élire une Assemblée constituante » (5 août). Le POI soutient aussi l’Assemblée constituante de Maduro (Informations ouvrières, 17 août).

Une exception est Ensemble, plus sensible aux medias français (rien ne distingue sur ce plan TF1 ou Arte, Le Figaro ou Le Monde, tous acquis à la MUD). Il condamne les « violences contre les manifestants » ainsi que « la farce électorale » (4 août).

Le PS affecte l’impartialité. En fait, il veut remettre le pays dominé aux mains de la bourgeoisie européenne et surtout du gouvernement impérialiste Macron :

Le Parti socialiste appelle à une médiation internationale neutre, et il attend de la France qu’elle propose cette démarche aux Nations Unies et à l’Union européenne, pour stabiliser le Venezuela et assurer à ses citoyens la paix dont ils ont besoin pour vivre au quotidien. (31 juillet)

Sur le terrain, la classe ouvrière, quoiqu’ayant manifesté du cours des dernières décennies une grande activité au niveau des entreprises et des localités, reste incapable de tracer au plan national une perspective propre, indépendante des deux fractions de la bourgeoisie et qui permette au pays d’échapper à la crise, au sous-développement, à la domination étrangère. Elle est paralysée par ses directions syndicales et par le centrisme capitulard.

Aucune confédération syndicale ne défend réellement les travailleurs salariés. Alors que la direction des principales centrales (Confédération des travailleurs du Venezuela et Alliance syndicale indépendante) appellent à manifester aux côtés de l’opposition bourgeoise de la MUD, l’appareil de la Centrale bolivarienne socialiste des travailleurs de la ville, des champs et de la pêche, minoritaire, soutient le gouvernement bourgeois de Maduro.

Un groupe anarchiste proche d’AL de France, El libertario, ne fait pas de différence entre Cuba et les États-Unis. Il condamne tout gouvernement, « qu’il soit aux ordres de l’impérialisme yankee ou de La Havane » (4 août).

Ce qui reste du stalinisme n’a pas renoncé à subordonner le prolétariat à la bourgeoisie soi-disant nationale au nom d’une « révolution démocratique » anachronique : le PCV a même participé à la Constituante comme une « opportunité d’approfondir la révolution ». Le problème est que l’assemblée constituante est anti-démocratique et qu’elle est instaurée pour empêcher la révolution prolétarienne et pour privatiser.

Hélas, le prétendu mouvement « trotskyste » n’est guère plus clairvoyant. La 4e Internationale avait été fondée, entre autres, sur l’exigence de la rupture du Parti communiste de Chine avec le nationalisme bourgeois du Guomindang. Lors du congrès de 1951, le secrétaire général Pablo a révisé le programme : le front populaire était adopté (contre la révolution permanente) en Amérique latine sous l’appellation de « front uni anti-impérialiste ».

La conception large du programme doit se manifester pratiquement par une participation et une activité exempte de tout sectarisme dans tout mouvement de masse de toute organisation qui exprime, même d’une manière indirecte ou confuse, les aspirations des masses qu’il s’agisse par exemple des syndicats péronistes ou du mouvement du MNR bolivien, de l’APRA au Pérou, du mouvement « travailliste » de Vargas ou de l’AD au Venezuela. (Les Congrès de la 4e Internationale, La Brèche, t. 4, p. 288-289)

Depuis, la plupart des composantes du « trotskysme » (au Venezuela comme ailleurs) sont partisanes du « front uni anti-impérialiste », confondent mouvement ouvrier et nationalisme bourgeois, avancent systématiquement le mot d’ordre d’assemblée constituante même là où les libertés démocratiques sont conquises.

Le PSL (Parti socialisme et liberté), affilié à l’UIT-QI pabliste-moréniste, renie aujourd’hui le chavisme pour se rallier à l’opposition bourgeoise de la MUD, jusqu’à adopter le slogan « Maduro dehors ! » (11 août 2017).

MS (Marée socialiste), affilié au MST-QI pabliste-moréniste (dont est membre le GLC de France), a quitté le parti bourgeois PSUV en 2014. Ce groupe réformiste défend la constitution bourgeoise de Chávez.

Nous exigeons que le CNE rétablisse le fonctionnement de la Constitution de 1999 qu’il assume sa responsabilité historique et active les élections régionales de gouverneurs et de maires… tout ceci avec les plus amples garanties de la participation démocratique de toutes les expressions politiques du pays. (Inprecor, mai 2017)

La LTS, affiliée à la FTQI issue du pablisme-morénisme, avance le mot d’ordre « Assemblée constituante libre et souveraine » (16 mai 2016), ce qui désarme face à la manoeuvre de la bourgeoisie bolivarienne de mai 2017.

OA, affiliée au CRQI pabliste-loriste, soutient de manière critique la convocation de l’Assemblée constituante et elle prétend qu’il faut retourner celle-ci contre le gouvernement Maduro.

Le mot d’ordre d’Assemblée constituante, que le gouvernement Maduro est en train d’imposer est majoritaire et correctement exigée par la gauche… Dans le collège territorial comme dans le collège sectoriel, il y a des éléments chavistes qui présentent des propositions non gouvernementales… À l’assemblée constituante, faisons entendre une contestation et non des applaudissements. (Prensa Obrera, 27 juillet 2017)

Luchas (Ligue unitaire chaviste socialiste) a scissionné de MS en juillet 2016. Elle soutient ouvertement le gouvernement de Maduro, présenté comme « populaire » (et non comme bourgeois).

Nous considérons que la convocation d’une constituante de la part du pouvoir populaire est progressiste… Le président Maduro a pris l’audacieuse initiative de convoquer un processus constituant… La Luchas a décidé de participer activement et ouvertement au processus constituant. (Inprecor, mai 2017)

La MS et Luchas participent par ailleurs toutes deux aux réunions de la « 4e Internationale » pabliste-mandéliste (en France, la direction du NPA).

Seul un mouvement de travailleurs indépendants du PSUV, lié aux travailleurs de toute l’Amérique et du reste du monde, peut s’opposer au MUD et à l’impérialisme américain. Seul l’armement des masses, la constitution de milices par les travailleurs et les paysans peut constituer une défense valable. Elles devront remplacer la police et l’état-major. Des conseils de travailleurs, conscrits, étudiants et paysans permettront de débattre librement entre opprimés et exploités, de remplacer l’Assemblée nationale et l’Assemblée constituante, d’exproprier les groupes capitalistes (étrangers, bolivariens et compradores), de mettre à bas l’État bourgeois et de mobiliser contre les immixtions impérialistes, de former un gouvernement des travailleurs. Pour une économie démocratiquement planifiée, une transformation socialiste de l’économie, avec pour perspective indispensable l’extension de la révolution prolétarienne et les États-Unis socialistes d’Amérique.

Rupture des syndicats avec la MUD et le gouvernement, une seule centrale syndicale démocratique et de lutte de classe ! Assemblées de masse sur les lieux de travail, occupations des usines ! Brigades de défense populaire, organisations armées d’auto-défense ! Arrestation de tous les dirigeants responsables des violences contre les masses ! Arrestation de tous les officiels civils et militaires coupables de corruption et confiscation de tous leurs actifs illégalement acquis ! Conseils dans les entreprises, les quartiers, les villages et les universités, centralisés dans une assemblée populaire nationale qui remplace l’Assemblée nationale et l’Assemblée constituante ! Gouvernement des travailleurs basés sur les conseils ! Fédération socialiste d’Amérique latine !

Non-paiement de la dette ! Réforme agraire ! Expropriation des banques privées et des grandes entreprises capitalistes sans indemnité ni rachat ! Monopole d’État sur le commerce extérieur ! Contrôle ouvrier dans les entreprises et administrations publiques ! Gel des prix, contrôle populaire sur la distribution ! Augmentation générale des salaires et indexation sur les prix ! Planification de la production en vue de satisfaire les besoins de la population ! Fin de la dépendance au pétrole !

19 septembre 2017