Tout nationalisme repose sur un mythe
Une classe sociale existe indépendamment de l’opinion à un moment donnée de la majorité de ses membres, car les rapports sociaux sont réels. Par contre, les divinités et les nations sont des fictions, elles ne jouent un rôle, parfois important, que parce que des millions de personnes accordent un crédit à ces idéologies. Si plus personne ne croit à Nout, Geb, Isis, Osiris et compagnie, la religion égyptienne antique sombre dans l’oubli. Si les Arabes ne veulent pas que l’Algérie soit la France, la majorité d’entre eux se rebelle et l’Algérie échappe au joug français, pour devenir politiquement indépendante. Par conséquent, les idéologues bourgeois peinent à définir la nation.
La nation ne repose pas sur la religion. Sinon, pourquoi la séparation de la Norvège et de la Suède, de la France et de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal, de l’Algérie et du Maroc, de la Syrie et de l’Irak, et à la fin du XXe siècle la rupture sanglante entre le Bangladesh et le reste du Pakistan ? En plus, une partie majoritaire (en additionnant les agnostiques et les athées) de la population européenne n’a aucune religion.
La nation ne repose pas sur la biologie, sur des ethnies identifiables. Il suffit de regarder Hitler pour voir qu’il n’était un géant blond conforme au mythe aryen des nazis. Si la distinction entre hommes et femmes est nette, les autres différences d’apparence physique, parfois très visibles, constituent plutôt des variantes génétiques continues à l’échelle de la planète. Les peuples situés dans des carrefours de migrations historiques (Europe, Levant, sous-continent indien…) sont particulièrement mélangés depuis toujours, sans parler de ceux issus des immigrations plus récentes de diverses zones géographiques (États-Unis, Australie, etc.).
Elle ne repose même pas sur la langue. Sinon, pourquoi les États-Unis ont-ils mené une guerre pour s’émanciper de la Grande-Bretagne ? Pourquoi la France ne se rattache pas au Québec, à la partie francophone de la Suisse ou la partie francophone de la Belgique ?
Elle repose encore moins sur des valeurs. D’un côté, la conduite des chefs des nations ne sont pas inspirées de valeurs, mais des intérêts sociaux. D’autre part, aucune « valeur » n’est propre à un peuple.
En réalité, l’idée de nation (un mythe) n’apparait qu’avec le capitalisme (une réalité) et elle est indissociable de sa fragmentation entre État capitaliste (des réalités). L’idée de nation n’a d’efficacité que lorsqu’un peuple pense pouvoir jouir de la protection d’un État ou parce qu’un peuple vaut échapper à l’oppression d’un État.
Le droit des peuples
L’idée nationale est inséparable de la montée de la bourgeoisie et de sa lutte pour détruire les vestiges de la féodalité et unifier le marché à l’échelle de tout un pays. En Europe, elle s’affirma d’abord dans l’absolutisme, où la royauté centralisait l’État afin de réduire le pouvoir de la noblesse (notamment en Angleterre sous les Tudor et en France sous les Bourbon), puis pleinement dans les grandes révolutions bourgeoises, notamment la française de 1789–1794 et l’européenne de 1848.
À l’époque impérialiste de déclin du capitalisme, l’État national devient un obstacle à l’union internationale de l’humanité.
Pour les pays avancés d’Europe, les frontières nationales sont exactement les mêmes chaînes réactionnaires qu’autrefois les frontières féodales. (Trotsky, février 1933)
Or, les frontières tendant à se multiplier (explosion du Soudan, de l’Irak, de la Syrie…). En Europe, suite au rétablissement du capitalisme en Russie et en Europe de l’Est et à la domination de l’Union européenne par les bourgeoisies impérialistes allemande et française, le chauvinisme s’est fortement développé, conduisant à l’éclatement de certains États, comme la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, au Brexit et à la revendication séparatiste de régions au sein d’autres.
D’une manière générale, les communistes sont favorables au regroupement libre de peuples au sein de grandes entités, ce qui correspond à l’internationalisation des forces productives et représente un mode d’organisation plus rationnel. Cependant, comme pour les relations entre individus, ils s’opposent au mariage forcé et défendent le droit au divorce. Donc, toute population opprimée a le droit de se séparer de l’État auquel elle est rattachée.
Si l’on veut être un homme politique marxiste, on doit, parlant de l’Alsace, s’en prendre aux gredins du socialisme allemand parce qu’ils ne luttent pas pour la liberté de séparation de l’Alsace, aux gredins du socialisme français parce qu’ils pactisent avec la bourgeoisie française qui veut annexer de force toute l’Alsace, aux uns et aux autres parce qu’ils sont au service de l’impérialisme de « leur » pays et qu’ils ont peur de voir se constituer un Etat séparé, même petit : il faut montrer de quelle manière, en reconnaissant le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, les socialistes résoudraient cette question en quelques semaines sans attenter à la volonté des alsaciens. Ergoter, au lieu de cela, sur cette terrible éventualité de voir les alsaciens français « s’imposer » à la France, c’est tout simplement une perle. (Lénine,Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, 1916)
Si les communistes reconnaissent le droit des nations à s’autodéterminer y compris jusque dans la séparation, cela ne signifie pas qu’ils encouragent nécessairement cette séparation. En particulier, quand il s’agit d’une région relativement prospère, comme l’Écosse, le Nord de l’Italie, la Catalogne ou la Flandre, le séparatisme de la bourgeoisie locale s’alimente souvent à l’argument raciste de pas payer pour la partie plus pauvre de l’État (dont les membres sont qualifiés de paresseux et d’assistés). Par contre quand il s’agit de colonies, pays pillés et subjugués par une puissance impérialiste, les communistes soutiennent inconditionnellement la revendication d’indépendance, dès qu’elle se manifeste ouvertement dans la population.
Par exemple, la Palestine n’a jamais existé historiquement, mais la colonisation sioniste, avec son cortège d’expulsion et d’oppression, a fait naître un sentiment national chez les Arabes concernés. Les communistes ne sont pas pour deux États forcément inégaux, ce qui entérinerait l’oppression d’un peuple par un autre, mais pour une seule Palestine démocratique, pluriethnique et laïque, qui ne peut résulter que de l’action de la classe ouvrière de toute la région, dont la composante hébreue.
Pour la démocratie la plus large
Les communistes s’opposent vigoureusement au nationalisme des États impérialistes et des États oppresseurs de minorités dans les pays dominés. À l’opposé, le gouvernement PSOE de Gonzales a réprimé les Basques, LFI de Mélenchon copie le FN.
Chacune des déclarations patriotiques de Blum, Zyromski, Thorez apporte de l’eau au moulin du nationalisme et, en dernière analyse, aide Hitler… Combattre le fascisme avec les armes du nationalisme n’est rien d’autre que de l’huile jetée sur le feu. (Trotsky, 29 juillet 1935)
Dans le cas d’un État regroupant des populations diverses, la plus grande égalité doit régner entre celles-ci. En particulier, il ne faut pas imposer aux minorités une religion, une langue (même si elle est majoritaire, comme l’a fait la France). Chaque citoyen/ne doit pouvoir s’adresser à l’État dans sa langue.
La petite Suisse ne subit aucun préjudice, mais tire au contraire avantage du fait qu’au lieu d’une seule langue commune à l’État, elle en a trois : l’allemand, le français et l’italien… Si les Italiens de Suisse parlent souvent le français au Parlement commun, ils ne le font pas sous la férule de quelque loi policière barbare (il n’en existe pas en Suisse), mais simplement parce que les citoyens d’un État démocratique préfèrent d’eux-mêmes intelligible pour la majorité. (Lénine, Notes critiques sur la question nationale, 1913)
Ainsi, après la Révolution russe de 1917, le pouvoir des soviets instaura dans les nations minoritaires de l’ancien empire, notamment en Ukraine et au Caucase, une politique de développement de la langue et de la culture locales, enseignées à l’école et développées à travers de nombreuses publications. Dans les années 1930, la contre-révolution bureaucratique de Staline revint à la politique de russification forcée du tsarisme, dans le même temps que les divers États bourgeois d’Europe, de l’Espagne à la Pologne, opprimaient leurs minorités nationales et les peuples des colonies.
La bourgeoisie décadente de l’époque impérialiste, les bureaucraties corrompues issues du mouvement ouvrier, les mouvements nationalistes, tous se montrent incapables de résoudre la question nationale (celle des peuples opprimés comme les Palestiniens). Seule le pourra la démocratie ouvrière, organisée par le pouvoir international des conseils de travailleurs, après l’expropriation du capitalisme.