Rupture des travailleurs de Guyane avec le Medef, Gwiyann Dekolé et les 500 Frères !

Un taux de pauvreté à 44 %, un taux de chômage des jeunes à 50 %, une mortalité infantile trois fois supérieure à la moyenne nationale, quatre fois plus de bénéficiaire du RSA et de la CMU-C qu’en métropole, avec des prix à la consommation supérieurs de 12 % (jusqu’à 45 % pour les produits alimentaires), des milliers d’enfants non scolarisés, 40 % d’illettrisme, 12 % de détenteurs du bac, une absence d’eau potable pour 20 % de la population… sont autant d’éléments qui justifient le soulèvement des salariés, des chômeurs, des petits commerçants et des paysans travailleurs de Guyane, une ancienne colonie française devenue département et région. La Guyane fut fin 2008 à l’origine du soulèvement « contre la vie chère » qui avait provoqué une véritable grève générale en Guadeloupe. Samedi 25 mars, les 37 syndicats réunis dans l’Union des travailleurs guyanais (UTG, proche de la CGT) votaient à la quasi-unanimité la grève générale pour « protéger les salariés grévistes ».

Un mouvement interclassiste

Le 16 mars, la ministre de l’environnement Ségolène Royale avait dû quitter la Guyane en raison de blocages organisés par « les sociaux professionnels » (Medef, CGPME, patrons du transport…) qui souhaitaient obtenir deux milliards d’euros de cadeaux, alors que Hollande en avait promis un demi en 2012.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, l’union des socio-professionnels (qui regroupe des syndicats patronaux et de salariés) et plusieurs mouvements citoyens ont mis en œuvre une stratégie imaginée en secret pendant de longs mois. Dès une heure du matin, les transporteurs et leurs partenaires se sont regroupés au niveau du stade de Baduel à Cayenne, pour ensuite aller placer des camions, des pneus et des banderoles devant l’entrée de la Collectivité territoriale Guyane, de l’Établissement public d’aménagement en Guyane, du Parc amazonien et de la Préfecture. (Le Kotidien, 17 mars 2017)

Le mouvement actuel est loin d’être sous hégémonie de la classe ouvrière puisqu’il est sous l’égide du « Kolèktif pou la Gwiyann Dekolé » (Collectif pour que la Guyane décolle) qui comprend le Medef, la FNSEA, des élus locaux de Rassemblement Guyane (lié à LR) et les « 500 frères contre la délinquance ». Cette organisation récente, cagoulée et entièrement masculine, dont le porte-parole est un flic, demande l’éradication des squats, plus de gendarmes mobiles affectés en renfort ou encore le renvoi dans leur pays des détenus étrangers. Avec l’implication de la population d’origine étrangère (Surinamiens, Brésiliens, Haïtiens…) dans le mouvement, les 500 Frères ont mis en sourdine leurs menaces anti-immigrées. Le Kolèktif joue la carte « tous les Guyanais sont unis pour demander plus d’argent à la métropole ».

Dans ce conflit, les patrons ferraillent avec les syndicalistes pour « sortir la Guyane de la spirale de l’échec », « au nom des intérêts sociétaux », se félicite Stéphane Lambert, président du Medef à Cayenne. (La Croix, 2 avril 2017)

Le lundi 20 mars, les salariés d’Endel, la société chargée de la maintenance du centre spatial à Kourou, et les salariés d’EDF se mettaient en grève et construisaient des barrages autour du centre spatial, auxquels s’associèrent des salariés du centre hospitalier. Le port de commerce de Dégrad-des-Cannes fut rendu inaccessible par des transporteurs, rapidement rejoints par les dockers. Le mardi 21, le tir de la fusée était annulé, Air France suspendait ses vols en direction de Cayenne, tandis que des manifestants étaient dispersés à coups de gaz lacrymogènes. Le jeudi 23, des barrages furent établis dans toutes les villes, les ronds-points et le long des côtes, ce qui a conduit à la fermeture des écoles, des mairies, de l’université et des commerces.

Le 24 mars, était décrété une « mobilisation générale », à la fois pour de meilleurs soins hospitaliers, pour plus de flics, pour une meilleure éducation publique, pour de l’argent au patronat, pour la protection des Amérindiens… En une semaine, la majorité des axes routiers a été bloquée par des piquets de routes tenus par les travailleurs. Le mardi 28 mars, la grève générale à l’appel de l’UTG a réuni des milliers de manifestants (8 000 à Cayenne, 4 000 à Saint Laurent…).

Un gouvernement qui veut rétablir l’ordre

Le PCF n’a rien à dire contre la collaboration de classes et présente les « élus locaux » comme un seul bloc. Le POID soutient même les 500 Frères. Macron, qui croit que la Guyane est une île, appelle à la fin du mouvement ; Le Pen poursuit son leitmotiv sur l’immigration responsable de la délinquance ; Mélenchon crie son attachement à son impérialisme : « La Guyane c’est la France » ; Hamon revendique un « dialogue fécond ». De même, la direction de la CGT appelle à « de réelles négociations » et celle de la FSU au « rétablissement du dialogue social ».

La première réponse du gouvernement, fâché que les travailleurs cherchent la voie du combat, fut d’envoyer plus de gendarmes, de réprimer et de menacer. Mais la mobilisation générale a contraint le Premier ministre Cazeneuve à appeler à « l’apaisement…au calme et au dialogue parce que rien ne se construit dans le désordre et l’affrontement » (Le Monde, 25 mars) ; la ministre des Outre-mer Ericka Bareigts demandait la levée des barrages puis proposait des « réunions préparatoires » à Paris avec des élus guyanais et les porte-parole du mouvement, ce que le Collectif refusa.

Vendredi 24 mars, une « mission interministérielle de haut niveau » fut envoyée sur place dans l’objectif de « nouer un dialogue constructif et apaisé ». Le Collectif et 13 des 22 maires refusèrent de la rencontrer la mission interministérielle pour réclamer la venue de la ministre des Outre-mer en personne. Le gouvernement et la mission interministérielle annoncèrent des mesures satisfaisant surtout la réaction : accélération du versement des aides européennes, effectifs supplémentaires de policiers et de gendarmes, création d’une prison et d’un tribunal de grande instance…

Face à la menace d’une grève générale des travailleurs salariés, une nouvelle délégation de 2 ministres tenta de détourner la lutte par la négociation des revendications patronales et sécuritaires qui ont pour but de maintenir la Guyane sous la domination de l’impérialisme français par la force policière que réclament les 500 Frères et pou la Gwiyann Dekolé : « La première priorité, c’est la lutte contre l’insécurité (…) avec le renforcement des moyens » (Hollande, 27 mars). Les « collectifs » demandent trois milliards, le gouvernement ne veut en accorder qu’un.

Grève générale pour les revendications ouvrières !

Les travailleurs de la Guyane doivent tirer la leçon du mouvement d’octobre 2013 en Bretagne qui comportait de nombreux ouvriers et paysans travailleurs mais qui était resté sous l’emprise des patrons et des nationalistes bretons. Les travailleurs des villes et des campagnes avaient servi de troupes à des exploiteurs. Les chefs des « bonnets rouges » ont finalement obtenu du gouvernement PS-PRG-EELV l’abolition d’un impôt sur les transports routiers et des subventions supplémentaires aux capitalistes [voir Révolution communiste n° 3]. Les paysans travailleurs et les ouvriers n’ont rien obtenu : par exemple, le chômage a augmenté (dans le Finistère, il est passé de 8,6 % en 2013 à 9,2 % aujourd’hui selon l’Insee).

Les travailleurs doivent s’extraire du piège en avançant leurs propres revendications, en obtenant la rupture des syndicats de salariés avec le patronat et les partis bourgeois (impérialistes français et nationalistes guyanais), en s’organisant eux-mêmes avec l’élection et la révocabilité de ceux qui parlent en leur nom. Front unique ouvrier contre collaboration de classe sous hégémonie de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers, telle est la condition pour prendre la tête de tous les opprimés et exploités, pour arracher les revendications contre la vie chère, le chômage, pour un plan de grands travaux sous contrôle ouvrier et pour que tous, immigrés inclus, aient un emploi, accèdent au logement, à l’eau, à l’électricité, aux soins et à l’école.

Les travailleurs de métropole doivent forcer leurs organisations syndicales à exprimer leur solidarité avec les travailleurs en lutte en Guyane. Il faut leur imposer un front unique pour engager le combat contre les licenciements, la pauvreté et le chômage, par la grève générale illimitée en France comme en Guyane.

Par le contrôle populaire sur la production et la distribution, les assemblées générales dans les entreprises, les administrations et les lieux d’études, l’élection de comités locaux et leur centralisation, les travailleurs ouvriront une perspective à tous les exploités de Guyane et de France. Appuyés sur ces comités et leur centralisation, les travailleurs et les jeunes organiseront leur propre service d’ordre afin d’assurer la défense de la grève générale contre la gendarmerie et les délinquants. Une telle organisation de la lutte posera alors la question du pouvoir des travailleurs, de l’expropriation des capitalistes, d’une fédération socialiste d’Amérique latine.

Au cours de cette lutte de classe, l’avant-garde doit constituer un parti ouvrier révolutionnaire en lien avec les travailleurs de France, des Antilles et d’Amérique du Sud, qui se batte pour le droit à la séparation de l’État français, pour l’indépendance de classe, pour le pouvoir des travailleurs, des conseils ouvriers et populaires.

2 avril 2017