Afrique du sud : le gouvernement ANC en difficulté

L’État est passé des Blancs aux Noirs…

Le territoire de l’Afrique du Sud a été longtemps le cadre de migrations et de conflits de peuples africains, puis ils ont tous été dépossédés par des Néerlandais. Enfin, des Britanniques ont soumis les « natifs » et les colons « Afrikaners » ou « Boers ». Dès la fin du 19e siècle, dans le cadre de la première phase de mondialisation capitaliste, le capital britannique a exploité férocement les ouvriers noirs privés de tout droit. Le racisme et la ségrégation sont constitutifs de toute colonisation. En 1948, ils furent institutionnalisés en Afrique du Sud sous la forme de l’apartheid contre « les colorés » (Noirs, Indiens et métis) par le gouvernement du National Party (NP) de la minorité Afrikaner qui tentait ainsi d’échapper à la décolonisation.

En riposte, le principal mouvement nationaliste, l’African National Congress (ANC) se lança, sous la direction de Nelson Mandela, dans une guérilla sans grand succès. Que le futur prix Nobel de la paix ait décidé, de manière légitime, la lutte armée est systématiquement passé sous silence par ses nombreux hagiographes, en particulier en France.

Au cours de la vague révolutionnaire mondiale des années 1970, le prolétariat et les étudiants noirs se rebellèrent massivement, malgré la répression brutale, largement en dehors de l’ANC. Celui-ci ne reprit la tête des masses qu’avec l’aide matérielle de l’URSS et l’appui politique du seul parti ouvrier du pays, le South African Communist Party (SACP). En 1991, sous la pression conjointe de Gorbatchev pour la bureaucratie de l’URSS et de Bush père pour la bourgeoisie américaine, le gouvernement Frederik De Klerk du NP confronté à la poussée révolutionnaire, a négocié une transition avec Nelson Mandela, pour mettre fin à l’apartheid tout en préservant l’ordre impérialiste en Afrique et le capitalisme sud-africain. Les nationalistes bourgeois noirs (ANC) et les staliniens (SACP) qui avaient le contrôle du puissant Congress of South African Trade Unions (COSATU) ont constitué un front populaire en barrage à la révolution prolétarienne. Le parti « communiste » l’a justifié par la nécessité d’accomplir d’abord une révolution nationale et démocratique avant de pouvoir envisager une étape socialiste dans un avenir indéterminé [voir Révolution communiste n° 5].

…mais est resté bourgeois

Depuis l’instauration du suffrage universel en 1994, les présidents sont noirs (successivement : Mandela, Mbeki, Zuma) et le gouvernement est celui de « l’alliance tripartite » ANC-COSATU-SACP. La bureaucratie du COSATU est membre depuis plus de 20 ans du gouvernement bourgeois et le SACP n’a présenté des candidats que sous l’étiquette ANC, jamais contre lui, tous deux interdisant toute indépendance politique du prolétariat.

L’appareil répressif d’État s’est aussi coloré, mais dans la plus grande continuité, favorisée par le clergé chrétien avec le mise sur pied de la « Commission de vérité et de réconciliation ». Même si une petite minorité noire issue de l’appareil nationaliste et des bureaucraties ouvrières est devenue capitaliste, rien n’a réellement changé pour les travailleurs, y compris leur majorité noire. Le NP a finalement rejoint l’ANC.

L’ANC n’a pas tenu ses promesses d’égalité, d’emploi, de logement, ce qui explique son affaiblissement progressif que mesurent les élections (perte de métropoles comme Johannesburg, Port Elizabeth et Pretoria aux municipales d’août 2016), la montée d’un parti concurrent de la bourgeoisie blanche et métisse (Democratic Alliance, DA) et la scission de l’ANC de 2008 qui donne dans la surenchère anti-blanche conduite par Julius Malema (Economic Freedom Fighters, EFF).

Exploitation et inégalités

Dans un pays regorgeant de minerais (charbon, or, argent, platine, diamant…), de possibilités agricoles et halieutiques, doté d’une véritable industrie, la richesse n’a jamais été aussi mal répartie. L’indice Gini qui mesure l’inégalité des revenus est le deuxième plus élevé au monde. Le pays est un des plus dangereux. L’emblème de la corruption est le président ANC lui-même, Jacob Zuma, reconnu coupable de détournement pour agrandir sa somptueuse villa. En mars 2016, la justice l’a contraint à rembourser 7,8 millions de rands (480 000 euros).

En plus, l’Afrique du Sud, comme la plupart des « pays émergents », éprouve des difficultés économiques. La croissance économique risque de ne pas dépasser 0,5 % en 2016. Par conséquent, le nombre de chômeurs a officiellement atteint 27,1 % et ce taux grimpe jusqu’à 54 % pour les jeunes de moins de 25 ans. L’inflation est, officiellement, de 7 %. Plus de 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. L’espérance de vie est de 61 ans mais de 71 ans pour les Blancs et de 53 ans pour les Noirs. Le système de santé est tellement défectueux que plus de 15 % de la population adulte serait touchée par le sida. La police et l’ANC tolèrent ou encouragent la xénophobie envers 4 à 5 millions d’immigrés sans papiers africains venus principalement du Zimbabwe.

Grèves ouvrières

Malgré le prestige énorme de Mandela et de l’ANC, les masses ont été conduites, par leur situation objective, à ne cesser de lutter dans les banlieues sous-équipées (« townships »), les lieux de formation, les hôpitaux, les entreprises…

La police a massacré 39 mineurs grévistes en août 2012 à Marikana (province du Nord-Ouest), une mine du groupe Lonmin dont un des actionnaires était le cacique de l’ANC Ramaphosa (ancien président du syndicat des mineurs NUM-COSATU et ancien vice-président du pays). La lutte des mineurs était dirigée par un syndicat (AMCU) qui avait scissionné du COSATU et de son syndicat des mines NUM. Le SACP, la bureaucratie syndicale du NUM et celle de la confédération ont justifié la répression au nom du fait que les grévistes s’étaient armés !

En mars 2016, les 4 000 éboueurs de Durban ont fait grève pour une augmentation de salaire. En juillet, 20 000 salariés du secteur pétrolier ont exigé 9 % d’augmentation contre les 7 % proposés par les groupes Sasol (Afrique du Sud), Chevron (États-Unis) et Total (France). En août, 15 000 travailleurs du groupe de l’électricité Eskom ont cessé le travail, malgré l’interdiction de la justice.

Luttes étudiantes

En Afrique du sud, la moitié de la population de 56 millions de personnes a moins de 30 ans et le nombre d’étudiants a doublé en 10 ans pour atteindre 1 million dont une large majorité noire. Calqué sur le modèle britannique, les universités sont en fait des entreprises.

La jeunesse est moins sensible au prestige historique de l’ANC. En avril 2015, après 5 semaines de manifestations, les étudiants noirs et métis ont fait déboulonner la statue de Cecil Rhodes à l’université du Cap. Rhodes fut le chef de la colonisation britannique, un capitaliste fondateur de la multinationale De Beers et le Premier ministre de la colonie du Cap.

En août 2015, contre la hausse de 10,5 % des droits d’inscription que le ministre de l’enseignement supérieur Nzimande (par ailleurs premier secrétaire du SACP) a tenté d’imposer, les étudiants ont exigé la gratuité des études. Malgré la direction conciliatrice de la Progressive Youth Alliance (PYA, la branche jeune de l’ANC et du SACP), les étudiants, après avoir forcé l’entrée du siège du gouvernement et affronté la police le 23 octobre, ont conduit le président Zuma en personne à différer l’augmentation.

En novembre 2015, les étudiants de l’université de Stellenbosch ont obtenu que les cours se déroulent désormais en anglais (la langue parlée par les Noirs, les métis et une bonne partie des Blancs) et non en afrikans (néerlandais).

En septembre 2016, le ministre « communiste » de l’enseignement supérieur a annoncé 8 % de hausse des droits d’inscription. Et une nouvelle fois, les étudiants ont fait grève, occupé leur lieu d’études et affronté les matraques et les balles en caoutchouc.

Les étudiants continuent de réclamer un accès à l’enseignement supérieur gratuit. Depuis le début des manifestations estudiantines, les affrontements violents avec les forces de l’ordre sont devenus quasi-quotidiens sur de nombreux campus à travers le pays. Certains dénoncent l’usage de la force disproportionnée de la part de la police, qui tente de stopper les violences. Shaeera Kalla, une jeune étudiante, leader du mouvement de protestation à Johannesbourg est toujours hospitalisée après avoir été touchée par les tirs de 13 balles en caoutchouc. Sur des images, on peut voir la police lui tirer dessus alors qu’elle avait les bras en l’air en signe de protestation non violente. A la demande de la gratuité de l’enseignement, le gouvernement répète qu’il n’a pas les moyens d’offrir de la gratuite pour tous. (www.bbc.com, 26 octobre 2016)

Comme les grèves des mineurs de 2012-2013, les luttes étudiantes de 2015-2016 posent la question de l’auto-organisation et de l’autodéfense. En prônant la non-violence et en refusant d’appeler à la grève générale, la PYA aide le gouvernement bourgeois de front populaire.

Pour un gouvernement ouvrier et paysan !

Toutes les revendications conséquentes des travailleurs et de la jeunesse (gratuité des études, emploi, salaires décents, accès aux soins, fin de la corruption, partage des terres…) posent la question du pouvoir. La bureaucratie du COSATU et le SACP subordonnent la classe ouvrière à la nouvelle bourgeoisie noire et bouchent la perspective du socialisme.

La rupture avec l’ANC en 2013 du principal syndicat du COSATU, celui de la métallurgie (NUMSA, 340 000 membres), a montré que le front populaire se fissurait. Exclue du COSATU, la direction du NUMSA n’a pas constitué de parti ouvrier national sur le programme de la révolution et du socialisme, mais un prétendu « Front uni » électoral (UF). Engagé uniquement dans la province du Cap lors des municipales de 2016, UF n’y a obtenu que 2,91 %.

Ainsi s’explique la montée de partis bourgeois comme les EFF et l’AD qui ne peuvent conduire qu’au sauvetage du capitalisme, au maintien des inégalités criantes, aux divisions chauvines et ethniques.

Au sein des organisations de masse de la classe ouvrière (AMCU, NUMSA, COSATU, SACP), il faut mener un combat pour libérer les travailleurs noirs de « leur » bourgeoisie et de ses partis (ANC et EFF), pour édifier un parti ouvrier, révolutionnaire et internationaliste basé sur le marxisme. Alors, la classe ouvrière sud-africaine, aux riches traditions, pourra lutter efficacement contre les exploiteurs de toutes les couleurs, prendre le pouvoir, impulser la révolution permanente dans toute l’Afrique, stimuler la révolution socialiste aux États-Unis et dans le monde entier.

1er décembre 2016