1945-2009 : la bourgeoisie française isole les Comores de Madagascar et les divise
Mayotte (Maoré en shimaoré) est un ensemble d’îles situé dans l’archipel des Comores de l’océan Indien. Au XIIIe siècle, des Persans les colonisent, y apportant la religion musulmane et les reliant au commerce international. Les dialectes comoriens (shimaorés) sont de la famille d’une grande langue africaine, le swahili. La classe dominante est esclavagiste et éclatée géographiquement, chaque île ayant son sultan. Au XIXe siècle, les Comores sont colonisées par la France : Mayotte est achetée en 1841 au sultan Andriantsoly et le reste de l’archipel est soumis en 1886. Entretemps, en 1847, la monarchie française abolit l’esclavage à Mayotte (la moitié de la population) pour y développer le capitalisme. En effet, les rapports d’exploitation antérieurs sont bouleversés, mais l’économie locale est limitée par la taille de l’archipel et déformée par la domination française. La classe capitaliste est largement extérieure aux colonies (les groupes capitalistes dominants sont ceux de la métropole) et la bourgeoisie locale est en outre divisée entre colons français et capitalistes autochtones, plus agricoles et commerçants qu’industriels.
Dès son apparition sur la base de l’écrasement de la Commune de Paris, la « République » idéalisée par le PS, le PCF, le PdG et les POI est brutalement coloniale. Le gouvernement de Front populaire (PS-PR soutenu par le PCF) de 1936 ne fait pas exception, ni le gouvernement d’union nationale (MRP-PS-PCF) en 1945 qui écrase les soulèvements d’Indochine en 1945-1946 et d’Algérie en 1945. Le PS fait partie du gouvernement qui réprime de manière sanglante le peuple de Madagascar en 1947-1948 en utilisant des troupes réunionnaises.
La puissance coloniale s’emploie à séparer La Réunion et les Comores de Madagascar puis Mayotte des autres Comores. En 1946, La Réunion est classée dans les départements d’outre-mer, avec d’autres petites îles où l’indépendance parait difficile et où le quadrillage policier s’avère efficace. En 1958, Madagascar devient autonome. La population des Comores refuse l’indépendance lors d’un référendum organisé par l’État colonial en 1958. En 1960, Madagascar devient formellement indépendante. En 1974, sous la pression de l’ONU, l’État français organise un nouveau référendum sur l’ensemble de l’archipel des Comores. La population de Grande Comore, d’Anjouan et de Mohéli se prononce très majoritairement (plus de 90 %) pour l’indépendance, mais celle de Mayotte vote nettement pour le maintien au sein de la France (64 %). L’explication tient, d’une part, à un particularisme (une certaine méfiance envers les autres îles) et, d’autre part, à l’aspiration à bénéficier de l’emploi, des salaires, de la santé et de l’éducation français, selon le même mouvement qui pousse chaque année des millions de personnes à émigrer ou les habitants de Porto-Rico à choisir d’être rattachés aux États-Unis (référendums de 1967, 1993, 1998, 2010).
L’État impérialiste français reconnait l’indépendance de l’Union des Comores, un État proclamé par les classes dominantes locales (grands propriétaires fonciers, capitalistes) qui fait référence à l’islam. L’Union des Comores revendique toutes les îles, avec l’appui de l’Union africaine et de l’ONU. L’État français passe outre et divise l’archipel en s’appuyant sur un second référendum qui confirme en 1976 le choix de la population de Mayotte de rester rattachée à la France. La population ratifie le statut par un référendum en 2009 (plus de 95 % de oui, même si l’abstention est forte : 43 % des électeurs). Le 31 mars 2011, Mayotte devient officiellement un département français et une « région d’outre-mer », comme la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion
1975-2016 : sous-développement et migrations
Vu la taille du pays, son éclatement géographique et l’arriération de l’économie, l’Union des Comores est politiquement instable : presque une vingtaine de tentatives de coups d’État entre 1975 et 2009, dont la France et l’Afrique du Sud tirent parfois les ficelles. Même si la jeunesse qui fait des études aux Comores apprend désormais l’anglais, et pas simplement le français, la France attire toujours des migrants (concentrés à Marseille et à La Réunion).
Estimée à près de 300 000 personnes, rien qu’en France, la diaspora comorienne contribue chaque année à près de 20 % du PIB. (Jeune Afrique, 21 janvier 2016)
Mayotte paraît plus accessible, malgré les expulsions (Mayotte détient le triste record de reconduites à la frontière, plus de 19 000 en 2014) et le danger des traversées.
Difficile pour les Comoriens de résister à l’attraction qu’exerce le 101e département français, perçu comme un îlot de prospérité dans la sous-région, avec un PIB par habitant presque dix fois supérieur à celui de l’archipel. Chaque année, plusieurs milliers de Comoriens tentent de pénétrer clandestinement sur l’île. Au prix d’une véritable tragédie humanitaires puisque pas moins de 12 000 personnes auraient péri en 20 ans lors de la traversée du canal du Mozambique, selon les estimations de l’ONU. Plus de 70 000 sans-papiers comoriens vivraient actuellement sur Mayotte, soit un tiers de sa population. (Jeune Afrique, 21 janvier 2016)
La population de 212 000 habitants en 2012 a triplé depuis 1985, bien que beaucoup de jeunes tentent leur chance à La Réunion et en « métropole » (la France d’Europe). La proportion « d’étrangers » (sal komor) est importante au Port, à St Louis, au Chaudron de St Denis, mais il s’agit en fait d’autres Comoriens.
En 2012, 84 000 étrangers résident à Mayotte, qu’ils y soient nés ou non ; 95 % d’entre eux sont de nationalité comorienne. En cinq ans, le nombre d’étrangers a augmenté moins vite que l’ensemble de la population (+ 12 % contre + 14 %). Ainsi, la part des étrangers se stabilise à 40 %. (Insee Première, février 2014)
Le département compte plus de 3 000 mineurs isolés, ce qui alimente la délinquance. La prospérité de Mayotte est toute relative.
Le PIB par habitant, bien qu’ayant augmenté de 65 % entre 2005 et 2011, ne s’élève qu’à 7 900 euros, contre 31 500 au niveau national et 18 900 euros à La Réunion. (Cour des comptes, Rapport, 16 janvier 2016)
Il n’y a guère d’accumulation locale du capital, la sphère du capital se réduisant au commerce et au bâtiment.
À Mayotte, plus d’une personne occupant un emploi sur deux travaille dans un établissement administratif, d’enseignement, de santé ou d’action sociale. Ce secteur recouvre pour l’essentiel de l’emploi public. L’importance de l’emploi public dans l’emploi total s’explique principalement par le très faible niveau de l’emploi privé. (Insee Première, février 2014)
Malgré les progrès de la scolarisation, la force de travail reste peu diplômée.
En 2012, parmi les 15 ans ou plus, un habitant de Mayotte sur trois n’a jamais été scolarisé (contre moins de 2 % en France métropolitaine), et encore un jeune de moins de 30 ans sur cinq. (Insee Première, février 2014)
Le taux de chômage officiel était de 36,6 % en 2014.
Le taux de chômage des moins de trente ans s’élève à 41,4 % et augmente de +4,9 points en un an. Les jeunes femmes sont particulièrement touchées avec un taux de chômage de 46,5 % contre 36,5 % pour les jeunes hommes. (Insee Analyses, février 2015)
Le salaire médian était de 384 euros en 2012. En 2016, le salaire minimum (smic) est de 1 141 euros pour 39 heures hebdomadaires contre 1 466 euros pour 35 heures. Le salaire moyen est 20 % inférieur qu’en France, alors que la plupart des prix sont plus élevés. Le RSA est moitié moins : 268 euros contre 549 euros (un parent isolé avec 2 enfants touche 556 euros contre 1 121). En outre, en un an, les prix ont augmenté de 0,3 % dans le département alors qu’ils ont baissé de 0,2 % sur la totalité de la France.
En 2009, les travailleurs de la Guadeloupe et de la Martinique déclenchent une grève générale contre la vie chère [voir Combattre pour en finir avec le capitalisme n° 16 & Révolution socialiste n° 30] ; en 2011, c’est le tour de ceux de Mayotte [voir Combattre pour en finir avec le capitalisme n° 24 & Révolution socialiste n° 36]. En outre, les travailleurs de la fonction publique de Mayotte, majoritaires chez les salariés, se mobilisent en 2013 contre la vie chère.
Le 6 novembre 2015, un mouvement « pour l’égalité réelle » avec les travailleurs de France débute. Comme à Air France en métropole, les directions syndicales l’arrêtent pour respecter l’état d’urgence qu’elles soutiennent toutes, en compagnie des partis sociaux-patriotes (PS, PdG, PCF).
Le 30 mars, les travailleurs débordent les directions syndicales
Le 30 mars, à l’appel d’une intersyndicale constituée des principaux syndicats (CGT, FO, FSU, FAEN, CFDT, Solidaires), les salariés des secteurs public et privé se sont mis en grève. Comme lors de la puissante grève de 2011, les exploités demandent que les conventions collectives, le droit du travail, les prestations sociales et les pensions de retraite soient les mêmes qu’en France, que le droit aux soins et aux études soient identiques, que les salaires soient indexés au coût de la vie.
Lancée le 30 mars par une journée d’action, la grève est reconduite le 31 mars par l’intersyndicale qui appelle, sous la pression de la base, à bloquer les principales routes et les deux principales îles de Mayotte (Petite-Terre et Grande Terre). Les femmes, les jeunes et les chômeurs participent massivement aux manifestations et aux barrages. Alors que l’intersyndicale est reçue par les élus et par le Préfet et qu’elle appelle à la non-violence, les gendarmes attaquent les barrages.
Malgré le soutien des élus, les mobilisations ainsi que les blocages des différents secteurs de l’île (une dizaine tenue par les grévistes ce lundi 11 avril), le gouvernement ne semble pas vouloir entendre la demande de l’intersyndicale et dépêcher en urgence un émissaire dans le département afin d’ouvrir les négociations avec l’intersyndicale… Cette demande de dialogue social ne parait pas insurmontable. Le Préfet ne peut pas soutenir qu’il maîtrise la situation en envoyant des informations incomplètes à Paris. D’autant que l’adhésion de la population est de plus en plus marquée au vu de la multiplication des points de blocages. Jusqu’à ce jour, l’intersyndicale a su contenir les débordements, ce qui risque de ne plus être le cas si le gouvernement ne réagit pas … (Intersyndicale de Mayotte, cgteducationmayotte.com, 11 avril 2016)
En réalité, le gouvernement a rapidement déployé des blindés et des gendarmes en plus, venus de La Réunion, dans le but de briser le mouvement. De nombreux jeunes sont arrêtés et condamnés immédiatement.
Au lieu d’organiser la défense contre les forces de répression et d’appeler à la grève générale jusqu’à l’obtention des revendications, les directions syndicales continuent à négocier avec le préfet qui envoie les gendarmes en concertation avec le gouvernement Hollande-Valls-Cazeneuve et se contente de reconduire quotidiennement le mouvement, sous la pression de la base.
Les bureaucrates syndicaux et les partis « réformistes » locaux, étant incapables de mettre en cause l’ordre « républicain » et de postuler au pouvoir sur la base de la mobilisation des travailleurs, sont paniqués devant la campagne des médias et le chantage des autorités qui demandent la fin de la grève et des barrages en prétextant des exactions de délinquants. Ceux-ci, comme les « casseurs » en France, mais à plus grand échelle vu l’ampleur du chômage et de la misère, profitent de l’occasion pour piller et détruire, avec une certaine complaisance des forces de répression.
L’accord du 13 avril des dirigeants syndicaux avec le gouvernement
Les partis sociaux-impérialistes français tiennent aux confettis de l’empire colonial qui sont autant d’atouts pour l’impérialisme français dans la compétition mondiale. Alors que la victoire exige le soutien total du mouvement ouvrier de métropole et la jonction avec les travailleurs et la jeunesse en lutte au même moment contre le projet de loi Hollande-Valls-El Khomri, le PCF soutient une solution respectueuse de l’État bourgeois et de la domination française.
Le gouvernement français vient de proclamer l’égalité réelle pour tous les territoires d’outre-mer. Le premier acte de cette affirmation doit être l’ouverture de réelles négociations. C’est ce qu’exige le PCF. (www.pcf.fr, 13 avril 2016)
Le PS se tait en tant que parti, tant il est vrai que le gouvernement, le Préfet et les forces de répression parlent et agissent pour lui. Les chefs syndicaux, Martinez (CGT), Mailly (FO), Groison (FSU) et compagnie n’organisent pas la solidarité ouvrière. Après une semaine de grève générale, la direction nationale de FO s’en remet au gouvernement.
Pour Force Ouvrière, il ne s’agit pas de parler simplement d’égalité réelle mais de la réaliser. Elle appelle le gouvernement et les pouvoirs publics à prendre rapidement en compte les revendications des salariés et rappelle sa volonté d’un véritable dialogue social. (FO, 8 avril 2016)
La direction nationale CGT attend 13 jours pour se déclarer solidaire tout en indiquant que « l’ouverture du dialogue et de la négociation sociale sont plus que jamais nécessaires » (13 avril).
Les bureaucrates syndicaux mahorais ont bien appris de leurs chefs parisiens. Dès que Hollande et Valls les sifflent, ils s’envolent pour Paris tout en conseillant aux grévistes de rester désarmés face aux matraques, aux fusils et aux blindés de la gendarmerie de Cazeneuve.
L’intersyndicale a décidé de répondre favorablement à la proposition du gouvernement au sujet du rendez-vous pour une réunion le vendredi 15 avril au ministère des outre-mer… De même consigne est donnée aux manifestants de ne pas s’interposer lorsque les forces de l’ordre lèvent des barrages. (Intersyndicale de Mayotte, cgteducationmayotte.com, 13 avril 2016)
Après plusieurs heures de table ronde, les dirigeants syndicaux se félicitent de l’accord signé avec Pau-Langevin, la ministre PS « des outre-mer », qu’ils présentent comme « des avancées ».
En guise d’accord, ce n’est qu’un simple relevé de conclusions. Il n’accorde aucune des revendications d’alignement sur les acquis sociaux français. Il affirme que le Code du travail s’appliquera le 1er janvier 2018 mais c’était déjà prévu ! Et, de son côté, le Medef local exige que l’exonération des charges soit totale jusqu’en 2021. Quant aux reconnaissances des carrières des fonctionnaires locaux (intégrant la période d’avant 2011, quand la colonie a été transformée en département), à l’indexation des salaires, l’alignement des conventions collectives sur celles en vigueur en France, tout cela reste… à négocier. Rien sur les revendications concernant l’alignement des prestations sociales, l’embauche de professeurs, de médecins, d’infirmiers, de constructions d’écoles et d’hôpitaux. Autant dire que les travailleurs ne verront pas leurs conditions de vie s’améliorer !
Comment faire pour gagner ?
Il a manqué aux travailleurs de Mayotte ce qui a manqué nationalement pour arracher le retrait du projet de loi El Khomri, la grève générale jusqu’à la victoire. Pour vaincre le gouvernement, il faut l’auto-organisation, l’élection et la révocabilité de ceux qui parlent au nom des travailleurs, donc constituer un parti ouvrier révolutionnaire qui se batte pour la grève générale, une centrale syndicale unifiée et démocratique, des conseils ouvriers et populaires.
En rentrant à Mayotte, les bureaucrates syndicaux mahorais ont eu pour mission de la part de leurs véritables maîtres, la bourgeoisie et le gouvernement français, de faire lever les barrages et de suspendre la grève. Procédant très peu démocratiquement, les misérables chefs de l’intersyndicale ont fait avaliser leur trahison à l’assemblée générale, (houleuse). Ils s’en sont tirés à bon compte, malgré la protestation d’une partie des grévistes (qui ne pouvaient s’appuyer sur aucun parti ouvrier révolutionnaire), en promettant de surveiller la tenue de promesses d’un gouvernement ennemi des travailleurs.
« Si le gouvernement ne fait pas un geste, on va vers la guerre civile », n’hésite pas à pronostiquer le négociateur de la FSU. « Si le mouvement continue, il devient incontrôlable. Ils risquent de mettre le feu à l’île. » (Le Monde, 16 avril 2016)
Tant que Mayotte est rattachée à la France et que de nombreux Comoriens vivent et travaillent en métropole et à La Réunion, le prolétariat mahorais est lié à celui de France. Pour cela, l’avant-garde des travailleurs et des étudiants de Mayotte doit participer à la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire à Mayotte mais aussi à La Réunion et en France, d’une internationale ouvrière révolutionnaire en France, à La Réunion, aux Comores, à Madagascar, aux Seychelles, au Mozambique, en Tanzanie, au Kenya, en Afrique du Sud…
Pour obtenir l’égalité réelle, les travailleurs et la jeunesse doivent s’organiser pour imposer leur volonté aux dirigeants syndicaux ou les chasser s’ils refusent.
Par le contrôle populaire sur la production et la distribution, les assemblées générales dans les entreprises, les administrations et les lieux d’études, l’élection de comités locaux et leur centralisation, les travailleurs ouvriront une perspective à tous les exploités de Mayotte, des Comores, de La Réunion et de Madagascar. Appuyés sur ces comités et leur centralisation, les travailleurs et les jeunes organiseront leur propre service d’ordre afin d’assurer la défense contre la gendarmerie et les délinquants. Une telle organisation de la lutte posera alors la question du pouvoir des travailleurs, de l’expropriation des capitalistes, de l’ouverture des frontières et de l’extension de la révolution à toute la région, débouchant sur la Fédération socialiste des îles du sud-ouest de l’Océan indien, partie intégrante des États-Unis socialistes d’Afrique.