Espagne : une crise politique

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Sortie de crise économique sur le dos des travailleurs

La dernière crise mondiale frappe de plein fouet l’Espagne au 3e trimestre de 2008. Le PIB baisse de -3,6 % en 2009 (contre -2,9 % en France), stagne en 2010 (+2 % en France), baisse de nouveau en 2011 de -1,1 % (+2,1 % en France), en 2012 de -2,6% (+0,2 % en France) et en 2013 de -1,7 % (+0,7 % en France). De 2007 à 2013, le taux de chômage passe de 8 % à 27 % de la population active, malgré le départ de nombreux immigrés sud-américains (400 000 étrangers de moins de 2010 à 2013) et l’émigration de nombreux jeunes (80 000 pour la seule année 2013).

En 2009, le gouvernement Zapatero (Partido Socialista Obrero Español) sauve les banques espagnoles : 127 milliards d’euros (dont plus de 41 par l’Union européenne). Par conséquent, le déficit public espagnol explose : 11,2 % du PIB en 2009, bien au-delà de la limite des 3 % fixée par l’UE. Parallèlement, le gouvernement PSOE passe à l’offensive contre la classe ouvrière. En mai 2010, José Luis Zapatero baisse les salaires des travailleurs publics et bloque les pensions de retraite. En juin, la majorité parlementaire PSOE « assouplit » le droit du travail. En décembre, le gouvernement PSOE brise la grève des contrôleurs aériens. En mai 2011, l’âge légal de départ à la retraite passe à 67 ans.

Dans ces circonstances, les élections générales espagnoles de novembre 2011 profitent au Partido Popular. Le gouvernement Rajoy (PP) coupe dans les dépenses publiques et augmente les impôts supportés par le peuple. En 2012, il facilite les licenciements et affaiblit les négociations collectives.

Face aux offensives des deux gouvernements bourgeois, les bureaucraties syndicales des Comisiones Obreras (CCOO, la première confédération, dirigées par le PCE) et de l’Unión General de Trabajadore (UGT, la seconde confédération, dirigée par le PSOE) dissipent la colère des travailleurs dans des journées d’action (des grèves limitées à 24 h). Tous les centristes du mouvement ouvrier (CMR-El Militante, IA-Anticapitalistas, Corriente Roja, Lucha Internacionalista…) soutiennent ces simulacres et les font passer pour leur opposé, la grève générale.

La trahison du PSOE et l’impuissance des confédérations syndicales poussent la jeunesse étudiante et chômeuse −les « indignés »− à occuper les places des grandes villes en 2011-2012 à l’appel du 15-M. Celui-ci interdit toute expression des organisations ouvrières au sein du mouvement, avec l’aide de IA-Anticapitalistas, l’organisation-sœur du NPA, et de En Lucha, le groupe lié au SWP britannique. Le mouvement de la jeunesse se prolonge par des luttes contre les expulsions des logements. Si les conflits à propos de fermetures de sites ont été nombreux, il y a peu de grèves de salariés : transports publics à Barcelone en juillet 2013, entreprises sous-traitantes de Telefónica en juin 2015…

Suite aux faillites et à l’augmentation de l’exploitation, le taux de profit finit par remonter. L’accumulation du capital s’élargit à nouveau. La croissance repart : +1,4 % en 2014 (+0,4 % en France), +3,1 % en 2015 (+1,1 % en France), même si le PIB reste inférieur à celui de 2008. Par conséquent, le chômage décroit enfin (21 % fin 2015), mais la moitié des 4,7 millions de chômeurs ne touche plus aucune prestation. Cependant, la détestation envers le PP ne tourne pas à l’avantage du PSOE.

Menaces de sécession en Catalogne

Le fascisme, en plus de détruire le mouvement ouvrier et de rétablir le catholicisme comme religion officielle, réprima violemment les minorités nationales (Basques, Catalans, Galiciens, Valenciens, etc.). À cette époque, le PSOE et le PCE clandestins se prononçaient non seulement pour une république démocratique mais pour le droit à l’autodétermination des peuples de l’État espagnol. Grâce à la poussée révolutionnaire de 1974-1984 des prolétaires, des étudiants et des Basques, des concessions significatives ont été arrachées (libertés démocratiques, reconnaissance constitutionnelle des « communautés autonomes »).

Aujourd’hui, le PSOE ne présente pas plus de différence significative avec le PP chauvin castillan sur cette question que sur les autres. Mais le nationalisme des minorités d’Europe lui aussi a changé. Il a perdu son caractère progressiste en Ecosse ou en Catalogne. Une partie de la bourgeoisie catalane fait plus d’affaires avec l’Union européenne qu’avec l’Espagne. Ses partis ne veulent plus payer, disent-ils, pour le reste de l’Espagne, plus pauvre.

Le président de la généralité, Artur Mas [CDC], et Oriol Junqueras [ERC] défendent régulièrement et catégoriquement que si la Catalogne était indépendante, la généralité disposerait chaque année de 16 milliards d’euros supplémentaires. Cet argent que « l’Espagne nous vole » pourrait financer de nouveaux services, éviter l’austérité ou réduire la dette. (El Pais, 24 janvier 2014)

En juillet 2015, le président de la Catalogne Artur Mas (CDC) réussit à unir les deux principaux partis nationalistes, CDC et ERC, dans une coalition nommée Junts pel Sí (JxSí, Unis pour le oui à l’indépendance). Des nationalistes petits-bourgeois constituent une autre coalition indépendantiste : Candidatura d’Unitat Popular (CUP, Candidature d’unité populaire) avec l’aide d’anarchistes et de pseudo-trotskystes (Corriente Roja, section de la LIT-QI ; Lucha Internacionalista, section de l’UIT-QI : deux branches du morénisme qui confond depuis 60 ans le nationalisme radical avec la révolution socialiste). Le gouvernement Rajoy (PP) refuse d’organiser un référendum. Le 11 septembre, les nationalistes catalans ripostent par une manifestation qui réunit un million de personnes à Barcelone.

Selon une étude du Centro de Investigaciones Sociológicas parue le 10 septembre, les indépendantistes sont minoritaires dans les grandes villes (Barcelone, Tarragone) et majoritaires dans l’arrière-pays. Seulement 21 % des habitants de Catalogne se sentent uniquement catalans, plus 25 % qui se sentent davantage catalans qu’espagnols. Mais il reste 42,1 % qui se sentent autant espagnols que catalans, 4,4 % plus espagnols que catalans et 5,2 % seulement espagnols, sans parler des travailleurs immigrés que ni les chauvins castillans ni les nationalistes catalans ne veulent voir voter. Grâce à la surreprésentation des campagnes, aux élections régionales du 27 septembre, les deux coalitions nationalistes catalanes gagnent la majorité absolue au parlement (72 députés sur 135) mais restent clairement minoritaires en voix (47,8 % des suffrages exprimés).

L’indépendantisme catalan a rempli ce dimanche son objectif de remporter nettement les élections en Catalogne et à donner à Junts pel Sí et à la CUP la majorité absolue au Parlement autonome. Mais les deux partis n’ont pas atteint les 50 % des votes. (El Pais, 28 septembre 2015)

La coalition bourgeoise JxSí obtient 39,6 % des suffrages exprimés, 62 députés sur 135 ; la coalition petite-bourgeoise CUP 8,2 %, 10 députés. Les deux sont d’accord pour la séparation de la Catalogne (le parlement vote pour l’indépendance le 9 novembre), mais elles diffèrent sur la présidence. Junts pel Sí propose de renouveler le mandat de Mas. Candidatura d’Unitat Popular ne veut pas en entendre parler, ce qui ouvre une crise politique de trois mois dans la communauté autonome. Elle est résolue le 10 janvier quand le politicien bourgeois Carles Puigdemont (CDC) est élu avec le soutien de la CUP. La CUP montre ainsi qu’elle ne défend pas la cause du socialisme, mais celle du capitalisme catalan.

À l’époque de l’impérialisme, il ne peut y avoir d’autre salut pour la majorité des nations du monde que l’action révolutionnaire du prolétariat des nations impérialistes, une action dépassant le cadre des nationalités, brisant ce cadre et renversant la bourgeoisie internationale. (Lénine, « Le principal ouvrage de l’opportunisme allemand sur la guerre », juillet 1915, Œuvres t. 21, p. 282)

Le 11 janvier, le chef du gouvernement en sursis Mariano Rajoy riposte au nom de tous les chauvins castillans que « l’unité de l’Espagne n’est pas négociable » et menace : « Le projet indépendantiste est inacceptable et à la moindre infraction contre la loi, nous réagirons immédiatement avec force ».

Double débâcle des « partis de gouvernement »

Les élections générales espagnoles pour les Cortes (parlement) renouvellent les 350 députés et les sénateurs qui sont élus au suffrage universel : 208 membres sur 266. Le 20 décembre 2015, les deux partis politiques qui alternent d’habitude au gouvernement pour le compte de la bourgeoisie subissent une sévère défaite. Aucun d’entre eux n’obtient la majorité nécessaire pour gouverner seul.

Le Partido Popular (PP, Parti populaire) est le principal parti bourgeois. Il vient de la reconversion d’une fraction des franquistes en « démocrates » en 1989. Dirigé actuellement par Marino Rajoy, le PP perd 4 millions de voix, recule de 15,9 points. Il n’obtient que 7,2 millions de voix, 28,7 % des suffrages exprimés, 123 députés et 124 sénateurs. Ce recul ne profite pas, cette fois-ci, à son rival traditionnel.

Le Partido Socialista Obrero Español (PSOE, Parti socialiste ouvrier espagnol) est le principal parti ouvrier. Le PSOE social-démocrate, le PCE stalinien et les directions syndicales CCOO et UGT permettent le rétablissement de la monarchie voulue par Franco, l’appartenance à l’OTAN et la sauvegarde du capitalisme (Pacte de la Moncloa, octobre 1977). En 1979, le 28e congrès supprime la référence au marxisme. Ensuite, le PSOE gouverne à plusieurs reprises, toujours au compte de la bourgeoisie. Il est dirigé actuellement par Pedro Sanchez. Aux dernières élections, le PSOE perd 1,5 millions de voix, soit 6,7 points. Il recueille seulement 5,5 millions de voix, 22 % des suffrages exprimés, 90 députés et 47 sénateurs.

Le Partido Comunista de España (PCE, Parti communiste d’Espagne) qui était le principal parti ouvrier dans la clandestinité au temps du franquisme, ne se présente plus depuis 1986 sous son nom, mais sous l’étiquette Izquierda Unida (IU, Gauche unie, rejointe par les groupes « trotskystes » de l’époque : LCR-EA, PRT, POR, NC… dont les héritiers sont aujourd’hui plutôt à Podemos ou à la CUP). Aux élections de décembre 2015, l’IU elle-même s’efface au profit d’un minuscule front populaire, Unidad Popular. En vain : l’UP est laminée avec moins de 1 million de voix, soit 3,7 % des suffrages exprimés, et n’obtient que 2 députés, 0 sénateur.

L’abstention a été plus faible en 2015 qu’en 2011. En effet, elle est passée de 28,3 % à 26,8 % ce qui amplifie encore plus la déroute du parti traditionnel de la classe capitaliste et des partis traditionnels de la classe ouvrière. Les gagnants sont des partis qui n’ont jamais gouverné.

Ciudadanos (C’s, Citoyens) est un parti bourgeois débarrassé de tout oripeau franquiste. Il a pour origine l’hostilité à la sécession de la Catalogne d’une nouvelle génération de politiciens capitalistes : à la fondation, en 2006, le président a 27 ans et le secrétaire général 26 ans. Il est dirigé par Antonio Robles. Au détriment du PP, Ciudadanos obtient 3,5 millions de voix, 13,9 % des suffrages exprimés, 40 députés, 0 sénateur.

Podemos (Nous pouvons, en écho au slogan creux de 2008 du politicien bourgeois américain Barack Obama) est un parti petit-bourgeois démocratique proclamé par une partie du 15-M qui avait contrôlé le mouvement des indignados en 2011. Il prétend incarner « le peuple ». IA-Anticapitalistas, la section de la « 4e Internationale » pabliste, et En Lucha, la section de la TSI cliffiste, participent à l’opération. Podemos est dirigé par Pablo Iglesias, un ancien membre de l’organisation de jeunesse du PCE, lié au gouvernement du Venezuela. Aux européennes de mai 2014, Podemos obtient 8 % des suffrages exprimés ; aux régionales de mai 2015, 15 %. En France, le NPA et le PdG, qui viennent de rayer le gouvernement du Venezuela et celui de la Grèce de la liste des modèles à suivre, se rabattent sur Podemos.

Ceux qui veulent gouverner autrement en Europe n’y arriveront donc que s’ils assument un plan B face à l’Europe allemande. L’Allemagne de Merkel doit apprendre que nous pouvons nous passer d’elle. C’est le message que plusieurs forces de l’autre gauche portent désormais. Le Parti de Gauche, Podemos ou encore le Sin Fein. (Parti de Gauche, L’Heure du plan B, 24 août 2015)

Podemos pointe du doigt les compromissions du PSOE avec les politiques dites d’austérité tout comme la collusion des caciques sociaux-démocrates avec les grands groupes capitalistes espagnols. Aux élections générales de décembre, il plume le PSOE, en particulier dans les quartiers populaires des métropoles, avec 5,2 millions de voix, 20,7 % des suffrages, 69 députés, 16 sénateurs. Ce bouleversement électoral aggrave la crise politique engendrée par la poussée du nationalisme catalan et l’intransigeance chauvine et monarchiste du PP.

Podemos sur la voie de Syriza

L’Espagne se trouve sans gouvernement, faute de majorité parlementaire du PP ou du PSOE. La Belgique a été dans cette situation de juin 2007 à mars 2008, puis de juin 2010 à décembre 2011 sans que l’État bourgeois, qui ne repose pas sur le parlement, cesse de fonctionner. Le seul danger pour la classe dominante, qui ne s’est pas réalisé en Belgique et qui semble peu probable en Espagne, est que la classe ouvrière et les autres couches exploitées et opprimées profitent de l’affaiblissement de la légitimité démocratique du pouvoir pour faire irruption et jettent les jalons d’un pouvoir alternatif, bien plus démocratique, celui des soviets.

La grande bourgeoisie espagnole peut imposer une solution, par l’intermédiaire du monarque, soit par accord entre les deux partis bourgeois (gouvernement PP-C’s), soit par entente entre le principal parti bourgeois et le principal parti réformiste (PP-PSOE), soit par une sorte d’union nationale (PP-C’s-PSOE). Et il est possible d’appeler à des élections anticipées. Si les rapports sociaux se tendent, la classe dominante pourra même se rabattre sur une forme de front populaire (gouvernement PSOE-Podemos-…).

Si Podemos maintient, pour l’instant, une attitude correcte sur la Catalogne (appel à un référendum que refuse le PP, sans aucun appui à la séparation), ses chefs, au fur et à mesure que les élections se rapprochaient, n’ont pas hésité à multiplier les signes d’allégeance à la bourgeoisie, à son État et même à la monarchie. Ils ont proscrit les drapeaux républicains des meetings et manifestations qu’ils organisaient. Ils ont intégré sur leur liste à Saragosse le général Rodriguez, ex-chef d’état-major de l’armée. Iglesias a apporté publiquement et bruyamment son soutien total aux mesures réactionnaires infligées au peuple grec par le gouvernement Tsipras (Syriza-ANEL) sous la pression des bourgeoisies française et allemande.

Pour une alliance ouvrière et populaire

Quelle que soit la composition du futur gouvernement bourgeois, il sera amené à poursuivre les coups contre les travailleurs et la jeunesse. Seul un gouvernement ouvrier et populaire issu d’une révolution sociale pourrait commencer à satisfaire les aspirations des travailleurs, des femmes, des jeunes. C’est sur cet axe que les communistes internationalistes doivent se regrouper et intervenir, au premier chef dans les syndicats de masse, pour édifier un parti ouvrier révolutionnaire capable d’aider le prolétariat à prendre le pouvoir.

  • Abrogation de l’ensemble des lois réactionnaires et de toutes les mesures d’austérité prises par le PP et le PSOE !
  • Augmentation des salaires ! Partage du travail jusqu’à disparition du chômage ! Mêmes droits pour tous les travailleurs, locaux et immigrés !
  • Annulation de la dette publique ! Expropriation des banques et des grandes entreprises !
  • Libération de tous les prisonniers politiques basques ! À bas la monarchie héritière du franquisme ! Séparation complète de l’Église et de l’État !
  • Retrait de l’OTAN ! Dissolution de l’armée, de la Guardia Civil et des polices ! Armement du peuple !
  • Droit à l’auto-détermination de l’ensemble des peuples d’Espagne, référendum en Catalogne ! République socialiste des peuples d’Espagne, fédération ibérique de toute la péninsule, États-Unis socialistes d’Europe !
  • Une seule centrale syndicale, démocratique et de lutte de classe ! Création dans les entreprises, les administrations, les universités, les quartiers, de comités de lutte ! Centralisation des comités ! Gouvernement des travailleurs basé sur l’armement du peuple et les comités élus !