(Version espagnole / Versión española)
Probablement Marx dirait de ces messieurs ce que Heine disait de ses imitateurs : j’ai semé des dragons et j’ai récolté des puces. (Friedrich Engels, Lettre à Paul Lafargue, 27 août 1890)
Sur le cadavre de la 4e Internationale
Le Parti ouvrier indépendant (POI) est plongé depuis le printemps dans une crise qui met aux prises deux fractions. Son éclatement en deux organisations distinctes, se réclamant toutes deux du POI, est aujourd’hui consommé. Les lecteurs d’Informations ouvrières, le journal du POI, n’ont rien su des positions politiques qui s’affrontent. D’ailleurs, le site du POI est « en travaux » depuis des mois et celui de l’hebdomadaire n’est plus alimenté depuis début juillet 2015.
D’un côté, on trouve une majorité de l’ancien bureau national du POI, avec Marc Lacaze et le rédacteur en chef de l’hebdomadaire, de l’autre la minorité, autour de Daniel Gluckstein, avec Jean-Jacques Marie et François de Massot. Cette minorité, qui compterait quelques 650 militants, a d’abord tenté de se constituer en tendance, ce qui lui a été refusé car ce courant n’a jamais su fonctionner de manière démocratique. Le 18 juillet parait un nouveau journal, La Tribune des travailleurs, dans lequel Gluckstein, Markun et Schivardi, anciens secrétaires nationaux du POI, démis de leurs mandats par la fraction majoritaire, déclaraient que cette publication « s’inscrit dans la continuité, celle qui nous a vus participer dès 2008 à la fondation du Parti ouvrier indépendant et elle s’inscrit dans ce POI des origines. » Hélas !
Constats d’huissier, changement de serrures des locaux, main basse sur les comptes, menaces de poursuite et autres lettres recommandées tiennent lieu et place de discussion politique. Pas étonnant chez des personnages dont les mœurs ont depuis des décennies plus à voir avec la Mafia qu’avec le Parti bolchevik… Il est probable que l’explosion du POI entraînera la dislocation de ce qui reste du lambertisme international et qu’elle conduira en France plusieurs centaines de militants, âgés et las, à prendre leur retraite politique et à se contenter des banquets de la Libre pensée, tandis que plusieurs centaines d’autres en profiteront pour poursuivre leur carrière dans les appareils syndicaux en se débarrassant de toute contrainte politique.
Le POI, Lutte ouvrière, le Nouveau parti anticapitaliste et les multiples groupes « trotskystes » français ont leur origine commune dans la destruction de la 4e Internationale en 1949-1953. Le NPA est issu de ceux qui l’ont détruite, le POI de ceux qui ont abandonné plus tard son programme, LO n’existerait pas si la 4e Internationale n’avait pas été détruite. Le Groupe marxiste internationaliste est aussi issu de cette matrice (il rassemble des militants venus de l’OCI-PCI, de la LC-LCR et des JCR, de LO…) mais, à la différence des précédents, il reste fidèle au programme révolutionnaire et internationaliste de feue la 4e Internationale, il ne s’est pas adapté à son impérialisme, il n’est pas l’adjoint d’une quelconque bureaucratie syndicale.
La scission du POI est aussi celle du prétendu Courant communiste internationaliste (CCI). À vrai dire, le POI n’existerait pas sans le CCI. Officiellement, ce CCI que personne ne voit jamais est lui-même affilié à une prétendue 4e Internationale (dite « lambertiste pour la distinguer des autres : pabliste, healyste, northiste, posadiste…) qui est fantomatique : seule l’UCI des franchises de LO a une existence encore plus mystérieuse, sans congrès connu et sans déclaration publique. La QI lambertiste anime en sous-main une Entente internationale des travailleurs et des peuples qui est une sorte de minuscule Internationale socialiste, regroupant des centristes de droite, des réformistes de gauche, des bureaucrates syndicaux et des nationalistes de pays dominés.
Une caractéristique de la plupart des courants centristes est leur forte tendance à leur propre liquidation comme organisation ostensiblement révolutionnaire. Elle découle de leur opportunisme, de leur révision du programme communiste, de leur pessimisme sur la capacité de la classe ouvrière mondiale, de la conviction inavouée que d’autres forces sociales peuvent la remplacer. Donc, toutes sortes de forces politiques peuvent servir de substitut au parti mondial de la révolution, à l’internationale ouvrière révolutionnaire. La tâche devient de les pousser de l’avant, voire de les conseiller.
D’où la subordination de LO aux staliniens défroqués du PCF et à la bureaucratie corrompue de la CGT, son intégration grandissante à l’appareil de la CGT. D’où la liquidation de la LCR dans un parti semi-réformiste, le NPA, l’adaptation de ce NPA au PCF et à EELV, son intégration dans les appareils de Solidaires, de la CGT et de la FSU. D’où la liquidation du PCI dans le PT-POI réformiste et social-chauvin, sa subordination à la bureaucratie de FO, ses accointances avec la franc-maçonnerie, son intégration à l’appareil de FO et celui de la CGT. Le jeu des poupées russes (le CCI dans le POI, la prétendue QI dans l’EITP) ne date pas d’aujourd’hui.
De quoi Lambert est-il le nom ?
Les deux fractions se revendiquent du « lambertisme ». Pierre Lambert (1920-2008) n’est apparu au grand public que lors de la candidature présentée par le Mouvement pour un parti des travailleurs (MPPT) à l’élection présidentielle de 1988 (sous son vrai nom : Pierre Boussel, 0,38 % des voix). Son héritage politique est tout autant dans le Parti de gauche (Mélenchon, Corbière, Revol, Goudard…) et dans le Parti socialiste (Jospin, Cambadélis, Assouline…) que dans les deux fractions du POI.
À son enterrement en 2008, étaient présents trois secrétaires nationaux successifs de FO (Jean-Claude Mailly, Marc Blondel et André Bergeron), héritiers assumés de Jouhaux, le bureaucrate syndical social-impérialiste combattu vigoureusement par l’Internationale communiste et la 4e Internationale. Un fondateur du PT, Alexandre Hébert, prononce un éloge. Hébert est l’ancien secrétaire général de l’UD-FO de Loire atlantique, anarchiste tendance Front national. Pourtant, l’ancêtre de la CLAIRE (NPA) enjoint d’étudier la vie et l’œuvre de Lambert.
Pierre Lambert restera comme une figure du mouvement ouvrier français… Un courage admirable… Le courant lambertiste continue de former des militants syndicaux qui défendent les travailleurs sur les lieux de travail… Il continue de fournir aux militants ouvriers, aux travailleurs et aux jeunes des analyses immédiates et quelques propositions utiles pour leur lutte de classe… C’est pourquoi le meilleur hommage à Pierre Lambert est d’étudier maintenant sa vie comme il l’a menée d’un bout à l’autre, en militant ouvrier, de poursuivre le combat trotskyste… (CRI, Communiqué, 22 janvier 2008)
À chacun ses guides. Lambert a détruit la section française de la 4e Internationale et a servi de larbin toute sa vie à la bureaucratie syndicale contre-révolutionnaire.
Dans certaines circonstances, des médiocrités d’un parti passent au premier plan.
Staline représente un phénomène absolument exceptionnel. Il n’est ni penseur ni écrivain, ni orateur. (Léon Trotsky, Staline, 1940, 10-18, t. 1, p. 19)
Lambert était de ce genre : une nullité théorique, un orateur médiocre, un écrivain confus. Opportuniste, manœuvrier et manipulateur, il n’a pris de l’importance qu’avec la destruction de la 4e Internationale, à laquelle il n’a pas peu contribué.
C’était une vraie tête politique, mais dans le genre intriguant, un politicien d’un genre un peu spécial. Il y a des gens capables de manipuler les autres, il est de ceux-là… Lambert était totalement dépourvu de scrupules et de respect des autres… il était plutôt inculte, il me semble qu’il ne lisait jamais. (Boris Fraenkel, Profession : révolutionnaire, Le Bord de l’eau, p. 97)
En 1934, il rejoint la Jeunesse communiste dont il est exclu. En 1935, il rejoint la GR du PS-SFIO. En 1936 ou 1937, il adhère au Parti communiste internationaliste (PCI), un groupe scissionniste du Parti ouvrier internationaliste (section française de la 4e Internationale). En 1946, Lambert fait partie des responsables du travail syndical au sein du Parti communiste internationaliste (section française de la 4e Internationale). Il sera toute sa vie un permanent syndical.
À partir de 1949, la direction de la 4e Internationale (Pablo, Mandel, Frank), installée à Paris, s’aligne sur le stalinisme, ce qui ne sera combattu au début que par les sections suisse (MAS) et française (PCI).
La bourgeoisie et ses projections dans le mouvement ouvrier constituées par les directions traîtres des partis politiques ouvriers bourgeois et des syndicats exercent sur la 4e Internationale une pression énorme qui conduit certains de ses cadres à abandonner le programme communiste et à chercher des raccourcis et des substituts à la construction de l’organisation révolutionnaire. Ainsi, la direction Pablo-Mandel-Frank-Maitan de la 4e Internationale, confrontée au reflux de la révolution en Europe occidentale et au Japon sous hégémonie américaine et aux expropriations du capital dans les pays d’Europe centrale, en Yougoslavie et en Chine sous direction stalinienne, rejette en 1951 le programme de révolution politique dans les États ouvriers bureaucratisés et de révolution permanente dans les pays dominés, régresse à la « réforme » utopique de la bureaucratie dans les États ouvriers dégénérés, aux « réformes de structure » dans les pays impérialistes et au « front unique anti-impérialiste » avec la bourgeoisie nationale dans les pays capitalistes dominés. (Groupe marxiste internationaliste, Pour le communisme, pour en finir avec le capitalisme, 2013, p. 20)
Le secrétaire international Pablo en tire la conclusion qu’il faut entrer dans les partis staliniens, sans avancer son programme. Après avoir tenté de pactiser avec Pablo, Lambert se rallie à la majorité du PCI qui, sous l’impulsion de Marcel Bleibtreu, combat depuis longtemps la capitulation devant le stalinisme du Secrétariat international (SIQI).
Un certain nombre de militants exclus de la CGT s’étaient repliés à FO et commençaient à y rassembler une tendance de gauche. Ces militants et ceux de la FEN, qui luttaient sur le mot d’ordre d’unité syndicale, avaient depuis la fin de 1950, un organe, « L’Unité », codirigé par Lambert et par un syndicaliste de FO, violemment anticommuniste, du nom de Michel Morin, fort peu susceptible d’influencer les militants de la CGT… C’était là le type de voie militante que Pablo voulait éliminer comme allant à l’inverse de sa perspective. Pourtant, Pablo n’engagea pas immédiatement le fer avec Lambert sur ce thème. C’est que celui-ci était resté neutre dans le débat… Pour sauver le bastion de son journal, Lambert tenta une médiation secrète avec Pablo… Mais, avec Pablo, il avait affaire à un homme qui ne transigeait pas sur ce qu’il jugeait essentiel, doublé d’un politique machiavélien… Celui-ci prit le temps de réfléchir au problème, le fit traîner en longueur, puis dénonça l’homme et son marché en pleine assemblée générale. C’est ainsi que Lambert entra dans la majorité française. (Michel Lequenne, Le Trotskisme, une histoire sans fard, 2005, Syllepse, p. 243-244).
Le Comité international de la 4e Internationale (CIQI) mis en place en 1953 par les sections américaine (SWP), britannique (Club), française (PCI) et suisse (MAS) est empreint de graves faiblesses : il renonce au combat pied à pied contre le pablisme au sein de la 4e Internationale et de toutes ses sections, il adopte le fédéralisme, il ne met pas en cause le front uni anti-impérialiste adopté au congrès de 1951.
La crise de la 4e Internationale privait le PCI du cadre des rapports politiques qui lui auraient permis de pallier ses faiblesses et du surmonter ses contradictions. (Stéphane Just, Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI, 1984, GB, p. 55)
En particulier, le front uni anti-impérialiste est la couverture de la capitulation, analogue à celle du stalinisme, au nationalisme petit-bourgeois et bourgeois des pays dominés ou des minorités opprimées. Ainsi, le SWP des États-Unis s’adaptera au nationalisme noir bourgeois et légaliste dans son propre pays, la SLL de Grande-Bretagne aux directions despotiques du Proche-Orient (Irak, Lybie, Palestine, Iran…), le PCI de France au nationalisme algérien. Le fédéralisme (chaque section maîtresse chez elle) empêche la correction des erreurs commises, ce qui conduit à d’autres encore plus graves et à la destruction du CIQI lui-même en 1963… L’hypothèse de Stéphane Just de 1984 a été totalement confirmée.
Si le PCI n’est pas redressé… peut-être faudra-t-il conclure que la 4e Internationale, faute d’avoir pu s’enraciner, faute d’avoir été au rendez-vous de l’histoire en 1951-53, a pourri sur place et a pourri par la tête, faute de se nourrir de la sève dont un parti, une internationale ont besoin, qu’elles ne peuvent puiser que par des racines plongeant et se développant profondément et largement dans le prolétariat. (Stéphane Just, Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI, 1984, GB, p. 58)
Le test de la lutte anticoloniale
Avec l’agonie de la 4e Internationale, l’heure du médiocre Lambert arrive. En 1953, il expulse Jacques Danos et Marcel Gibelin. En 1954, il oriente le PCI vers le soutien inconditionnel au nationalisme bourgeois algérien, le MLTD-MNA de Messali Hadj, teinté de cléricalisme.
P. Lambert se concerte avec Messali Hadj dès les 3 et 4 novembre 1954. Les liens entre les deux organisatons se resserrent encore. La direction du PCI explique à ses militants que les messalistes participent depuis lontemps aux luttes du prolétariat français. De plus, la composition du MLTD est prolétarienne. Il constitue un parti prolétarien révolutionnaire. (Jean Hentzgen, Agir au sein de la classe, les trotskystes français majoritaires de 1952 à 1955, 2006, Université Paris I, p. 140)
Ceux qui s’y opposent, Bleibtreu, Lequenne, Raoul (Claude Bernard)… sont en minorité. En 1955, Lambert parvient à se débarrasser de Marcel Bleibtreu, malgré l’opposition de l’organisation internationale à laquelle est rattachée le PCI (le Comité international de la 4e Internationale). Ce qui reste du PCI se dénature.
Le mode de fonctionnement du MNA -un chef historique disposant d’un puissant appareil qui lui est étroitement subordonné- impressionnait Lambert. Lambert voyait dans Messali et ses rapports avec son appareil un exemple dont on devait tirer beaucoup pour la construction d’un parti révolutionnaire en France. Pour autant que la disproportion des forces de l’époque entre le MNA et le PCI le permettait, Lambert s’efforçait d’établir des rapports de chef à chef, d’appareil à appareil. Étant donné la faiblesse du PCI, cela aboutissait à la subordination de celui-ci au MNA politiquement et organisationnellement, sous prétexte d’aide à la révolution algérienne. Les militants du PCI étaient transformés en « porteurs de valises ». La crise de la 4e Internationale a sans aucun doute porté un coup terrible au PCI, mais la politique de subordination étroite politiquement et organisationnellement du PCI au MNA a contribué considérablement à l’affaiblir, à la réduire à 50 militants en 1958. D’autant plus que cette politique a fait faillite. (Stéphane Just, Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI, 1984, GB, p. 10)
Lambert compare Messali à Lénine. La lutte anti-impérialiste est censée se transformer automatiquement en révolution permanente en Algérie et en révolution socialiste en France. La seule différence avec le PCI minoritaire et le SIQI pabliste, qui s’alignent aussi sur le nationalisme algérien, est que ces derniers choisissent, avec plus de flair, l’aile rivale, le FLN qui déclenche la guérilla contre l’impérialisme français, tandis que le MNA supplie l’ONU d’intervenir. Pablo deviendra, à l’indépendance, conseiller personnel du président Ben Bella.
La République parlementaire est la perspective politique des deux fractions du POI. C’est un tel régime, issu d’une assemblée constituante (1945-1946), qui mène la guerre d’Algérie, emprisonne, torture et assassine les combattants algériens. En France, chez les anarchistes, la FCL qui prend position pour le droit à l’indépendance, est détruite sous les coups de l’appareil répressif de l’État bourgeois ; la FA, qui reste neutre, n’est pas inquiétée. Le PCI majoritaire (CIQI) et le PCI minoritaire (SIQI) sont persécutés par la police, poursuivis par la justice, La Vérité est saisie, Pablo est emprisonné aux Pays-Bas. Par contre, VO (la mère de LO), qui renvoie dos à dos le nationalisme français et le nationalisme algérien, échappe à la répression. Aucun des deux PCI n’entreprend de construire une organisation prolétarienne révolutionnaire chez les travailleurs algériens et VO ne peut pas le faire, vu ses positions.
Le test du syndicalisme de guerre froide
Après 1958, Lambert dissout de fait le Parti communiste internationaliste et fait paraître un hebdomadaire qui correspond à son adaptation grandissante aux bureaucraties syndicales de FO et de la FEN.
Après que De Gaulle avait pris le pouvoir, il n’y eut plus d’organisation trotskyste officielle. La Vérité est devenue une « revue trotskyste » : gérant Pierre Lambert. Rapidement Lambert a fait paraître chaque semaine une feuille ronéotypée « Informations ouvrières » : responsable Pierre Lambert. (Stéphane Just, Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI, 1984, GB, p. 10)
Informations ouvrières n’est pas l’organe d’une organisation qui affiche clairement son nom et son programme, elle se dissimule sous couvert de « tribune libre de la lutte des classes » (sic) qui a un prédécesseur, La Commune, publiée comme « organe de masse » par Molinier et Frank en novembre 1935 (du moins, La Commune se prononçait pour les milices ouvrières et le pouvoir des conseils, deux tabous pour les lambertistes).
C’est le devoir élémentaire d’une organisation révolutionnaire que de faire en sorte que son journal politique soit aussi accessible que possible aux masses… L’impatience opportuniste mène à cette conclusion que les masses n’affluent pas parce que nos idées sont trop compliquées et nos mots d’ordre sont trop avancés. Il faudrait donc simplifier notre programme, alléger nos mots d’ordre, bref, jeter du lest. Au fond, cela signifie que nos mots d’ordre doivent correspondre, non à la situation objective, non au rapport des classes analysé par la méthode marxiste, mais à des appréciations subjectives, très superficielles et très insuffisantes, de ce que les masses peuvent accepter ou non. (Léon Trotsky, Qu’est-ce qu’un journal de masse ?, 30 novembre 1935, Œuvres, ILT, t. 7, p. 174)
Lambert n’a pas fini de « lâcher du lest ». Au passage, la remarque de Trotsky ne s’applique pas seulement à Informations ouvrières, mais aussi à l’ultérieur Lutte ouvrière (le « journal d’Arlette »).
Comme VO hardyste (l’ancêtre de LO) ou le PCI pabliste et la JCR castriste (les ancêtres de la LC-LCR), le « groupe Lambert » se renforce au cours de la vague révolutionnaire mondiale des années 1960, en recrutant dans la jeunesse ouvrière et étudiante (en particulier dans les écoles normales). Il proclame en 1967 l’Organisation communiste internationaliste (OCI, section française du CIQI) dont le manifeste est rédigé par Gérard Bloch qui, à la différence de Lambert, connait la théorie marxiste. Stéphane Just, qui reste ouvrier toute sa vie, étudie le marxisme, analyse l’économie capitaliste et polémique vigoureusement avec le pablisme (entre autres, dans Défense du trotskysme, 1965 ; Révisionnisme liquidateur contre trotskysme, 1971). Pierre Broué, qui consacre sa vie à étudier le mouvement ouvrier révolutionnaire, publie dans les années 1960-1970 sur la révolution espagnole, la révolution hongroise, l’histoire du Parti bolchevik, la révolution allemande, etc. ; il collecte et présente les écrits de Trotsky sur deux pays (Le Mouvement communiste en France, 1967 ; La Révolution espagnole, 1975), il édite les débats de l’Internationale communiste sur la Chine, l’ABC du communisme de Boukharine et Preobrajensky… Boris Fraenkel fait connaître en France Lukacs, Reich, Marcuse… Leur cadet Jean-Jacques Marie apprend le russe et commence à publier (une édition soignée de Que faire ? de Lénine en 1966, une biographie de Staline en 1967, etc.). C’est le zénith de l’OCI. À la même époque, le gourou de VO-LO, Hardy (Robert Barcia), qui est aussi incapable que Lambert d’écrire des livres, interdit à ses cadres de le faire.
Pourtant, cette activité pratique et théorique de l’OCI dissimule la perspective de mettre en place soi-même une formation centriste (« la transition dans le parti » selon Lambert, ce qui est très différent d’intervenir éventuellement dans un parti centriste existant), une conception opportuniste du front unique (érigé en stratégie) et surtout des alliances douteuses (nouées, souvent en coulisse, par Lambert).
L’organisation de ce groupe est tenue par Pierre Lambert qui est en même temps l’homme clef du second pilier, un réseau amicalo-syndicaliste qui devient l’opposition officielle, alliée à la direction dans FO, tout en étant bien présent aussi à la FEN. Ce réseau repose sur des compromis avec les appareils syndicaux… Son développement n’est pas contrôlé par l’organisation, mais par Lambert personnellement ; mais tous les autres responsables politiques, Stéphane Just comme Pierre Broué, acceptent qu’Alexandre Hébert assiste fréquemment aux réunions du bureau politique de l’OCI… Progressivement, le premier pilier (construction d’un parti révolutionnaire) sera adapté et sacrifié au second pilier (le réseau bureaucratico-amical dont Lambert est le centre). (Vincent Présumey, Pierre Lambert 1920-2008, Démocratie et socialisme, février-mars 2008)
Lambert révise aussi le programme communiste sur les syndicats. Il reprend le mythe cher à FO de « l’indépendance » vis-à-vis des partis. Symétriquement, il « oublie » le concept de bureaucratie, qui est l’explication matérialiste de la pratique pro-capitaliste, nullement indépendante, des directions syndicales.
Les faits démontrent que des syndicats politiquement « indépendants » n’existent nulle part. Il n’y en a jamais eu. L’expérience et la théorie indiquent qu’il n’y en aura jamais. (Léon Trotsky, Syndicalisme et communisme, 14 octobre 1929, Classe, ouvrière, parti et syndicat, LC, p. 34)
En effet, la corruption des appareils syndicaux, un phénomène convergent avec la transformation des appareils des grands partis ouvriers en bureaucraties, en fait des agences de la bourgeoisie dans la classe ouvrière.
Les institutions politiques du capitalisme moderne —la presse, le Parlement, les syndicats, les congrès, etc.— ont créé à l’intention des ouvriers et des employés réformistes et patriotes, respectueux et bien sages, des privilèges et des aumônes politiques correspondant aux privilèges et aux aumônes économiques. Les sinécures lucratives et de tout repos dans un ministère ou au comité des industries de guerre, au Parlement et dans diverses commissions, dans les rédactions de « solides » journaux légaux ou dans les directions de syndicats ouvriers non moins solides et « d’obédience bourgeoise », voilà ce dont use la bourgeoisie impérialiste pour attirer et récompenser les représentants et les partisans des « partis ouvriers bourgeois ». (Vladimir Lénine, L’Impérialisme et la scission du socialisme, octobre 1916, Œuvres, Progrès, t. 23, p. 129)
En 1959, le partenaire de Lambert (Alexandre Hébert, secrétaire de l’union départementale de Loire atlantique) vote au congrès national de FO le rapport de la direction Bothereau alors qu’elle vient de refuser de donner une consigne de vote au référendum de De Gaulle qui met en place la 5e République ; les militants du « groupe Lambert » (Daniel Renard, René Dumont) s’abstiennent ; les anciens de la majorité du PCI (Michel Lequenne, Marcel Gibelin) votent contre le rapport de la direction FO avec une opposition lutte de classe (Appel des 58).
Un courant s’est bien dégagé dans FO pour que la centrale appelle au Non en septembre 1958, avec un appel de 58 responsables… Mais ni Hébert, ni Renard, ni Dumont ne figurent dans la liste… Au congrès de 1959, l’opposition de gauche est vive… et les votes contre le rapport moral sont nombreux (environ 11,5 % des mandats…). C’est dans ce contexte précis qu’Alexandre Hébert choisit de se déclarer satisfait de l’orientation confédérale… Hébert apporte aussi son soutien à une résolution rejetant « toute action commune avec la CGT communiste ». (Vincent Présumey, Pierre Lambert 1920-2008, Démocratie et socialisme, février-mars 2008)
Hébert, en plus de diriger le syndicat « indépendant » en Loire atlantique, fait de la politique. En 1965, il soutient la candidature d’André Morice, dirigeant d’un parti bourgeois, à la mairie de Nantes… au nom de la démocratie, bien entendu.
Morice symbolise aux yeux de tous l’Algérie française. Il a été le ministre qui s’est investi largement contre la rébellion algérienne… Pour Morice, l’hégémonie gaulliste à l’Assemblée est trop pesante… il juge nécessaire de conquérir quelques grandes mairies… Alexandre partage cette conception. Pas trop de pouvoir concentré en une seule main ! Il se fend alors d’une déclaration… (Joël Bonnemaison, Alexandre Hébert, 1996, Rocher, p. 107-108)
Morice, capitaliste du bâtiment (son entreprise a fait partie des constructeurs du Mur de l’Atlantique du 3e Reich), au Parti radical de 1924 à 1956, a été ministre de la Défense nationale durant la guerre d’Algérie, a conçu la « ligne Morice » pour isoler le FLN de la Tunisie, s’est opposé à De Gaulle parce qu’il a fini par accorder l’indépendance à l’Algérie.
Le test de la crise révolutionnaire
Les faiblesses de l’OCI sont révélées par la pratique, durant la révolte de la jeunesse de mai 1968 et la grève générale de mai-juin 1968. L’OCI n’intervient quasiment pas sous son nom ; elle apparait surtout sous deux faux nez : la Fédération des étudiants révolutionnaires et les Comités d’alliance ouvrière. Sa ligne évite soigneusement de heurter les bureaucraties de FO et de la FEN. Déjà, le lambertisme tourne le dos à la révolution socialiste.
En mai-juin 1968, notre politique n’a pas été sans faiblesse. La grève générale, spontanément réalisée, mettait au centre de tout la question du gouvernement, la question du pouvoir… Pendant la grève générale, nous avons, à juste titre, mis en avant le mot d’ordre de la constitution d’un comité central de la grève générale. Nous n’avons pas répondu à la question du gouvernement… Dès lors, que nous le voulions ou non, notre politique avait un caractère trade-unioniste. Nous versions dans l’illusion que la grève générale « organisée » par le CC de grève se suffirait à elle-même. De plus, nous n’avons pris aucune initiative réelle qui ouvre la voie à la réalisation de ce comité central de la grève générale. (Stéphane Just, Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI, 1984, GB, p. 11)
En juin 1968, le gouvernement De Gaulle-Pompidou interdit l’OCI, la FER, ainsi que la JCR, VO et toutes les organisations qui se réclament de la révolution.
Pendant près d’un an, il n’y eut pas d’organisation trotskyste officielle. Ce n’est que le 12 mai 1969 que nous avons proclamé « l’Organisation trotskyste, pour la reconstruction de la 4e Internationale ». Ainsi, nous avons accepté de nous taire pendant près d’un an en tant qu’organisation trotskyste combattant pour la reconstruction de la 4e Internationale et sur son programme. « L’OCI était en culottes courtes » : elle s’abritait derrière l’AJS [Alliance des jeunes pour le socialisme] et, dans une certaine mesure, derrière la Fédération des Comités d’alliance ouvrière. C’est une attitude typiquement opportuniste. (Stéphane Just, Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI, 1984, GB, p. 44)
En 1970, l’OCI est légalisée, sans apparaître beaucoup plus. La LC-LCR occupe le terrain de l’organisation léniniste affichée.
En 1969, Lambert en personne et son allié anarcho-syndicaliste Hébert votent au congrès FO le rapport de la direction, donc approuvent l’orientation de défense du capitalisme et de l’État bourgeois suivie en mai-juin 1968. Ils ne cesseront plus de le faire. Plus d’une fois, les militants de l’OCI votent les rapports de la direction de la FEN. Lambert contribue à la reconstruction de la sociale-démocratie en 1973 au Portugal (PS).
Aveugle serait celui qui refuserait de voir que sur les problèmes brûlants de la révolution, aujourd’hui, le PS portugais a engagé un combat qui rejoint les intérêts fondamentaux du prolétariat : démocratie ouvrière dans les syndicats, élections municipales, respect de la Constituante, liberté de la presse, etc. (Informations ouvrières, 10 septembre 1975).
En fait, le PS emploie toute son influence à trahir la révolution portugaise de 1974-1975, complétant le travail contre-révolutionnaire du stalinisme (PCP). Une fois que le PS a réussi à stabiliser l’État bourgeois, Soares se débarrasse de ses « trotskystes ».
En 1975, Lambert tente de ressusciter –en vain– le POUM en Espagne.
En 1980, le lambertisme s’aligne inconditionnellement sur la direction cléricale de Solidarnosc et tente –vainement- de mettre sur pied un parti social-démocrate (PSSP) en Pologne.
En 1981, l’OCI proclame le PCI, qui sert d’adjoint au PS, symétriquement au rôle de béquilles du PCF que jouent LO et la LCR. En sous-main, Lambert contribue au renforcement du PS, en y envoyant plusieurs dizaines de militants, dont Lionel Jospin, qui ont pour consigne de le construire sans s’opposer à Mitterrand.
Calomnies et violences
L’autre trait qui différencie l’OCI-PCI du reste du centrisme français est le recours à l’exclusion et à la calomnie ─voire à la violence─ envers toute opposition dans ses rangs. De 1961 à 1971, c’est la SLL britannique qui domine la Comité international. En 1966, lors de la conférence de 1966 du CIQI, Healy, le chef de la SLL, chasse le groupe Spartacist des États-Unis (aujourd’hui SL), sans protestation de la délégation du « groupe Lambert ».
En 1966, l’OCI exclut Boris Fraenkel et Jean-Marie Brohm.
La SLL scissionne le CIQI en 1971. L’OCI le lui abandonne et crée son CORQI. Lambert se comporte avec le CORQI comme avec l’OCI, éjectant tout ce qui se dresse sur son chemin, avec l’aide de Stéphane Just et de François de Massot. En 1971, la LRSH de Hongrie qui s’oppose à l’abandon du CIQI, est expulsée. La direction de l’OCI déclenche une campagne de calomnies contre son dirigeant Varga accusé d’être un agent du KGB et de la CIA à la fois. Elle publie une brochure anonyme infâme écrite par Just et Forgue (François de Massot).Le service d’ordre de l’OCI (dirigé par les frères Malapa) agresse systématiquement les militants de l’AJS et de l’OCI qui partagent la position de la LRSH (fraction LIRQI de l’OCI, puis LOR).
En 1978, le CORQI exclut la LO de Palestine/Israël.
En 1976, l’OCI exclut Berg (Jacques Kirsner), secrétaire national de l’organisation de jeunesse (AJS) et membre du bureau politique, pour malversations financières, alors que Berg fait en petit ce que Lambert fait en grand, échappant depuis 1954 à tout contrôle de l’organisation.
En 1979, le CORQI exclut PO d’Argentine (ce qui entraine le départ du POR de Bolivie)…
En 1984, le PCI exclut Just, Etienne Laurent (Français Chesnais) et Jean Ribes.
En 1989, il exclut Broué et René Revol.
En 1991, il exclut Langevin, le rédacteur en chef d’Informations ouvrières, avec Michel Panthou.
En 1992, il exclut Alexis Corbière et Pedro Carrasquedo qui se retrouve aussitôt inculpé pour terrorisme, des militants du GLC sont attaqués par les nervis de Lambert.
Le test du front populaire
Face au front populaire, Lambert va abandonner le programme communiste sur l’État et sur le parti. Lors de la constitution en 1972 de l’Union de la gauche (UG) entre le PS, le PCF et le MRG (aujourd’hui Parti radical de gauche), le premier mouvement de Lambert converge avec la position de la LCR : pousser le front populaire vers la gauche. Just parvient à convaincre qu’il faut opposer frontalement à l’UG le gouvernement ouvrier, une position inspirée de la 4e Internationale des années 1930 qui renforce l’OCI durant les années 1970 face à la LCR et à LO.
Les oscillations et tendances opportunistes, le rôle de Lambert et certaines de ses tendances propres, le mode de fonctionnement de l’OCI et ensuite du PCI, les liens noués avec l’appareil FO et au moins certains milieux du PS, la constitution d’un mini-appareil entièrement entre les mains de Lambert prédisposaient à la subordination du PCI à la politique du front populaire. Tant que « l’Union de la gauche » et, en particulier le PS, étaient dans l’opposition compte tenu que l’OCI ne représente qu’une force politique limitée, l’orientation pouvait apparaître une orientation entachée d’opportunisme mais restant cependant dans le cadre général du « trotskysme ». L’épreuve de l’Union de la gauche, du front populaire a été décisive : les oscillations, les tendances opportunistes se sont transformées en révisionnisme ; le mini-appareil est devenu un instrument de subordination du PCI à cette politique et d’épuration de celui-ci des militants n’acceptant pas cette politique. (Stéphane Just, Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI, 1984, GB, p. 50-51)
En 1978, l’OCI ne présente pas de candidats aux élections législatives. Le Comité central décrète : « le plus important, dans ces élections, est de combattre pour qu’une majorité PS-PCF soit élue à la prochaine Assemblée nationale. (cité par Stéphane Just, p. 23). Comme en convient après coup Just qui avait voté cette résolution : « derrière cette décision, il y avait toute une orientation qui allait nous mener loin » (p. 23). Cela allait mener jusqu’à la dissolution du PCI en 1991.
En effet, si des élections ont la capacité de transformer la société, il n’y a pas besoin de révolution pour détruire l’État bourgeois. Il n’y a pas besoin que le prolétariat s’arme, des bulletins de vote feront l’affaire. Le parti ouvrier révolutionnaire est dispensable, il suffit de pousser la majorité parlementaire des partis réformistes de masse à agir légalement. Si les partis ouvriers n’obtempèrent pas, il suffit de les remplacer par un vrai parti réformiste.
Pour l’Internationale communiste, le mot d’ordre de gouvernement ouvrier n’avait rien à voir avec une majorité quelconque au parlement.
Le gouvernement ouvrier est une formule algébrique, c’est-à-dire une formule aux termes de laquelle ne correspondent pas des valeurs numériques fixes. D’où ses avantages et aussi ses inconvénients. Ses avantages consistent en ce qu’elle embrasse jusqu’aux ouvriers qui ne se sont pas encore élevés à l’idée de dictature du prolétariat et à la compréhension de la nécessité d’un parti dirigeant. Ses inconvénients, conséquences de son caractère algébrique, consistent en ce qu’on peut lui attribuer un sens purement parlementaire qui, pour la France, serait pratiquement le moins réel et idéologiquement le plus dangereux que l’on puisse imaginer… Le mot d’ordre du gouvernement ouvrier en France n’est pas un mot d’ordre de combinaisons parlementaires : c’est le mot d’ordre d’un mouvement massif du prolétariat, se libérant complètement des combinaisons parlementaires avec la bourgeoisie, s’opposant lui-même à la bourgeoisie et opposant l’idée de son propre gouvernement à toutes les combinaisons gouvernementales bourgeoises. De la sorte, cette formule algébrique est, dans son essence, profondément révolutionnaire. (Léon Trotsky, Le Gouvernement ouvrier en France, 30 novembre 1922, Le Mouvement communiste en France, Minuit, p. 214-215)
Pour la 4e Internationale, il ne s’agissait pas davantage d’une majorité au parlement, de la démocratie bourgeoise.
Le mot d’ordre de « gouvernement ouvrier et paysan » est employé par nous uniquement dans le sens qu’il avait en 1917 dans la bouche des bolcheviks, c’est-à-dire comme un mot d’ordre antibourgeois et anticapitaliste, mais en aucun cas dans le sens « démocratique » que lui ont donné plus tard les épigones, faisant de lui, alors qu’il était une étape vers la révolution socialiste, la principale barrière dans cette voie. (L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938, GMI, p. 27)
La révolution du Nicaragua de 1979 fait exploser la « 4e Internationale » pabliste qui ne s’en remettra jamais. Sa « Fraction bolchevique » dirigée par Moreno, un autre constructeur de partis larges, semi-nationalistes (PSRN) ou semi-réformistes (PST, MaS) en Argentine, se joint au CORQI pour fonder un « comité paritaire » en 1979. En France, l’OCI est renforcée en 1980 par plusieurs centaines de militants de la LCR. En 1980, suivant Lambert et Moreno, contre Just, le PCI, au lieu de présenter sa/son candidat/e à l’élection présidentielle de 1981, fait campagne pour le vote au premier tour pour le candidat du PS (Mitterrand), dont la victoire électorale est censée ouvrir une situation révolutionnaire.
L’idée de présenter à l’élection présidentielle un candidat du front unique ouvrier est fondamentalement erronée. Le parti n’a pas le droit de renoncer à mobiliser ses partisans et à compter ses forces lors des élections. Une candidature du parti qui s’oppose à toutes les autres candidatures ne peut en aucun cas constituer un obstacle à un accord avec d’autres organisations pour les objectifs de la lutte. (Léon Trotsky, La Révolution allemande et la bureaucratie stalinienne, 27 janvier 1932, Comment vaincre le fascisme, Buchet-Chastel, p. 163)
La 4e Internationale-CI proclamée en 1980 par Lambert et Moreno est scissionnée par ce dernier en 1981. Cet échec renforce les tendances nationales déjà marquées du PCI, d’autant qu’une partie des forces lambertistes d’Amérique latine (dont le POMR du Pérou) passe au nouveau regroupement moréniste (LIT-QI). La LIT-QI a pour origine le pablisme du Tiers-monde, axé sur d’autres substituts que ceux du PCI, la nationalisme petit-bourgeois et même bourgeois. À cette occasion, Nahuel Moreno ne se prive pas de dénoncer l’opportunisme de Lambert vis-à-vis de la sociale-démocratie (qu’il connaissait fort bien avant 1979) et la capitulation du PCI devant le front populaire (alors qu’il est intervenu au CC du PCI, selon Just, pour le soutien dès le premier tour à Mitterrand). En 1982, le principal cadre venu de la LCR, Nemo, fuit le PCI qu’il trouve irrespirable, alors que d’autres s’y trouvent à l’aise (Gluckstein…). Parmi ces derniers, certains s’agglomèrent (Ulysse…) aux nombreux déclassés de l’OCI devenu permanents sans avoir jamais travaillé (Forgue, Lacaze, Moutot, Schapira…).
Berg n’est pas le seul à avoir profité du système, il y a un « appareil », composé de permanents qui auront bientôt leur carte de tirage, avec des plafonds variables, sur la caisse de l’organisation, pour satisfaire leurs besoins, se payer l’hôtel… Ils sont loin, bien loin, de la misère qui avait pu être celle des rares permanents au sortir de la guerre. (Vincent Présumey, Pierre Broué 1926-2005, LdL, janvier 2006)
Pour nourrir l’appareil surdimensionné, c’est la course à la captation des héritages des militants, au recrutement, aux ventes du journal, à la collecte d’argent soutiré au moyen de pétitions…
On proclame des comités bidon, on passe sans esprit de suite d’une pétition à l’autre, on court d’un endroit à l’autre, on engueule les militants, on est incapable de discuter avec les militants d’autres organisations, le niveau de la formation est en baisse… (Vincent Présumey, Pierre Broué 1926-2005, LdL, janvier 2006)
En 1982, l’UNEF, que dirige le PCI, cesse de boycotter les organismes de cogestion universitaire mis en place par De Gaulle pour éviter la répétition de la révolte étudiante de mai 1968. Les partis ouvriers bourgeois, le PS et le PCF, comme il fallait s’y attendre, gouvernent au compte de la bourgeoisie française. Lambert axe le PCI sur la pression sur la « majorité PS-PCF » de l’Assemblée nationale et sur le gouvernement bourgeois.
La logique politique d’appel à voter dès le premier tour s’est développée : refus d’élaborer un programme d’action anticapitaliste, refus de mettre en cause le gouvernement « d’Union de la gauche », suppliques adressées au gouvernement, bavardages sur « l’Assemblée nationale doit voter telle loi, telle autre loi etc. » (Stéphane Just, Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI, 1984, GB, p. 31)
La ligne de la démocratie bourgeoise saigne le PCI
Tandis que la direction du PCI annonce chaque semaine la crise économique mondiale, l’effondrement de la 5e République, la crise révolutionnaire… l’effectif décline. LO, qui s’est moins compromise avec l’Union de la gauche, commence à disputer le terrain à la LCR et au PCI. Depuis 1981, Just s’oppose sans succès à Lambert au sein de la direction, sans en appeler au parti avant 1984. En 1983, en accord avec la direction Bergeron de FO, Lambert scissionne la FEN, cadre de front unique ouvrier dans l’enseignement, pour créer des syndicats FO, ce qui facilitera l’opération de destruction définitive de la FEN en 1992 par le PS (qui créera l’UNSA) et le PCF (qui créera la FSU avec l’aide de la LCR et de LO).
En 1984, après avoir tant espéré du parlement et même du gouvernement de front populaire, Lambert tourne brutalement sa veste en décrétant que le PS n’est plus un parti ouvrier (« la classe ouvrière n’est plus représentée ») et en redoublant d’opportunisme (« la ligne de la démocratie »). Cette dernière n’est que la énième resucée du réformisme et de la révolution par étapes. Du tournant réformiste découle la liquidation du PCI. La première étape est la mise sur pied d’un nouveau faux nez : en 1985, le PCI crée avec des bureaucrates de FO le MPPT qui dénonce toutes « les solutions extrêmes » (sic) et se donne pour but de « rétablir la démocratie » (ce par quoi il ne désigne pas la Commune de Paris, une solution extrême, sans doute, mais plutôt la 4e République qui a réprimé les grèves de mines de charbon et des chantiers navals, sans parler des mouvements nationaux de Madagascar, d’Indochine et d’Algérie).
Le grand écart entre l’attachement au marxisme révolutionnaire (de la plupart des cadres venus du PCI d’après-guerre ainsi que d’une grande partie des jeunes recrutés ensuite) et la pratique opportuniste (imposée par Lambert et par l’appareil à son service) devient intenable. Toute une série de scissions suivent la révision du programme et la liquidation du PCI.
D’un côté, ceux qui défendent le programme : à peine quelques dizaines sont exclus avec Just en 1984, ce qui en dit long sur la gangrène de l’OCI-PCI ; deux petits groupes d’exclus rejoignent en 1987 (QF) et en 1991 (GT) le Comité fondé par Just qui grossit ensuite de l’adhésion de militants de la JCR pabliste.
De l’autre, ceux qui désertent le PCI pour appliquer la « ligne de la démocratie » de manière plus rentable pour eux : plusieurs centaines suivent en 1986 Cambadélis et Benjamin Stora au PS, ce qui livre au l’UNEF à Mitterrand (Lambert prétend alors que Cambadélis était infiltré dans le PCI par l’Elysée !) ; en 1987, Jospin abandonne le PCI. Pour ces opportunistes, quitte à faire du réformisme, autant le faire avec succès.
Entre les deux, on trouve les lambertistes sans Lambert :
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Broué, qui avait apporté sa caution à l’exclusion de Just, est à son tour expulsé avec quelques militants et calomnié en 1989. Il continue son travail d’historien ; son activité politique se réduit à la fréquentation de sociaux-démocrates de gauche (Gérard Filoche du PS, Greg Oxley du PCF…) ;
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Langevin, exclu en 1991, lance le journal Démocratie (sic).
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Carrasquedo, exclu en 1992, affirme alors que « Lambert renie Lambert et la continuité révolutionnaire qu’il incarnait » ; aujourd’hui, le GLC est lié à l’aile la plus opportuniste et liquidatrice du pablisme-morénisme argentin (MST-QI) et est toujours à la recherche d’un « parti des travailleurs », comme si un n’avait pas suffi…
Le test de l’immigration
Les bureaucraties ouvrières favorisent l’aristocratie ouvrière et tournent le dos aux couches les plus exploitées et opprimées de la classe ouvrière. En s’alignant sur celle de FO, Lambert et son micro-appareil, tout en se réclamant de la démocratie, sont conduits à refuser de se battre pour l’égalité des droits de tous les travailleurs du pays.
La « ligne de la démocratie » aboutit à nier les droits démocratiques pour les immigrés, donc à toute une partie de la classe ouvrière. En réalité, cette ligne est une ligne de défense de la société bourgeoise, de l’État bourgeois, contre un éventuel mouvement révolutionnaire du prolétariat. Il n’est donc pas étonnant qu’elle dénie les droits politiques, dont celui du vote, aux immigrés. Le test décisif de la lutte contre l’impérialisme, c’est la lutte contre notre propre impérialisme. La lutte pour les droits politiques aux immigrés, dont le droit de vote, est un test décisif de la lutte contre sa propre bourgeoisie. Ce déni du combat pour les droits politiques pleins et entiers pour les immigrés est de même nature que le refus de construire un authentique parti révolutionnaire en France auquel la direction du PCI entend substituer la construction d’un prétendu parti des travailleurs. (Combattre pour le socialisme, janvier 1985)
En 1991, le PT est proclamé avec moins de membres que le PCI de 1980 (au plus, un tiers). Mais il y a déjà deux partis ouvriers bourgeois en France, ce qui ne lui laisse aucune place. Ce parti réformiste artificiel assimile le PS au totalitarisme (une variante du « social-fascisme » des staliniens de la 3e période), défend « la République » (comme la franc-maçonnerie, le Parti radical, le PS et le PCF), s’axe contre l’Union européenne (comme le PCF, une partie du PS dont Mélenchon et Fabius , une partie du RPR dont Pasqua, le FN), s’associe à un parti bourgeois souverainiste (le MRC). Un de ses fondateurs, Hébert, flirte même avec le FN.
Le bureau confédéral de FO a pris ses distances hier avec l’interview d’un ancien responsable de l’organisation, Alexandre Hébert, au magazine du Front national, « Français d’abord », en laissant « l’entière responsabilité des propos publiés à son auteur ». (Les Échos, 12 octobre 1999)
Le rédacteur en chef d’alors du journal départemental de FO en Loire-Atlantique, L’Ouest syndicaliste, et auteur d’une biographie autorisée de Hébert est Joël Bonnemaison, un ancien membre du comité central du FN et un ancien candidat du parti fascisant et anti-immigré.
Le test de l’islamisme
La classe ouvrière est le moteur de la révolution qui débute en Iran en 1978. Le noyau de militants iraniens du CORQI, éduqué dans le légalisme, le front uni anti-impérialiste, la révolution par étapes et le suivisme envers le nationalisme bourgeois est envoyé en 1979 rejoindre le HKS pabliste et disparait dans l’écrasement du mouvement ouvrier mené par l’islamo-fascisme de 1979 à 1988 à la tête des petits-bourgeois et des déclassés fanatisés. Aucune leçon n’est tirée par le PCI de la révolution et de la contre-révolution iranienne.
En 1987, Luis Favre, principal responsable latino-américain du lambertisme, rejoint la direction du PT, le parti ouvrier bourgeois du Brésil (en 2011, Favre organisera la campagne du futur président du Pérou, le commandant Ollanta Humalan, du PNP nationaliste bourgeois). L’organisation lambertiste au Canada (GST) se dissout en 1987 dans le parti social-démocrate (NPD). En 1989, l’organisation lambertiste en Grande-Bretagne (SLG) adhère brièvement au groupe pabliste (ISG) avant de passer au Parti travailliste. En 1993, Lambert proclame « la 4e Internationale » alors que QI-CIR est d’une part réduite, d’autre part tourne le dos au programme communiste. La 4e Internationale aux mains de Pablo fut une tragédie ; la 4e Internationale dirigée soit par Torrance, soit par North, soit par Lambert, c’est une farce. Le premier la détruisit ; les autres se disputent, pathétiquement, un cadavre.
En 1991, l’organisation lambertiste en Algérie (PT) soutient la « grève générale » appelée par le parti islamiste (FIS). Puis le PT appelle à constituer un gouvernement d’unité nationale FFS-FIS-UGTA. En 1995, le PT adhère avec le FIS au Contrat national.
Dans le numéro de « Informations ouvrières » du 18 janvier est publié un « communiqué du Parti des travailleurs d’Algérie » daté du 17 janvier 1995 que signe Louisa Hanoune. Ce communiqué s’efforce de justifier le Contrat national (car tel est le nom de ce texte) rédigé à Rome par le Front islamiste du salut, le Front de libération nationale, le Mouvement pour la démocratie en Algérie et le Parti des travailleurs… Le PT d’Algérie, Louisa Hanoune ont fait un bloc politique avec les agents de la réaction religieuse noire (le FIS), avec d’autres tenants de l’islam que sont le FLN, le MDA (Ben Bella) avec le FFS (Hocine Aît Ahmed). Ensemble, ils ont déclaré : « Les éléments constitutifs de la personnalité algérienne sont : l’islam, l’arabité et la berbérité »… La seule issue pour le prolétariat et les masses exploitées d’Algérie, c’est de s’organiser sur leur propre plan en rompant avec les forces bourgeoises et petites-bourgeoises –toutes plus ou moins agents de l’impérialisme-, avec l’État algérien ; c’est de combattre pour leurs objectifs de classe, dans la perspective d’un gouvernement ouvrier et paysan. Or, Louisa Hanoune et le PT d’Algérie pactisent avec leurs ennemis. (Combattre pour le socialisme, février 1995)
Le lambertisme creuse sa tombe
En 2007, le jeu des poupées russes atteint son paroxysme : le CCI décide que le PT apportera son soutien à un « candidat des maires » (sic) à l’élection présidentielle. Les contorsions et ruses de Lambert et de Gluckstein ne servent qu’à mystifier et escroquer les militants recrutés sur la base du communisme internationaliste. Le prolétariat les ignore totalement et continue à voter pour ses partis traditionnels ou, dans une moindre mesure, pour les candidats qui apparaissent révolutionnaires. L’ineffable Schivardi recueille 0,34% des votes, couvrant de honte les militants à qui restent quelques souvenirs marxistes.
En 2008, après la mort de Lambert, le PT se transforme en POI, qui est censé être encore plus large mais se rétrécit encore et vieillit visiblement.
Notre parti se constitue pour l’unité des peuples, des travailleurs et des organisations contre l’arbitraire, contre l’injustice, pour la démocratie et la souveraineté. (POI, Déclaration liminaire du congrès de fondation, 15 juin 2008)
Curieuse« unité des organisations » qui sont « pour la souveraineté »… Pris au pied de la lettre, c’est le front réactionnaire POI-PCF-PdG-MRC-DlF-FN, celui que préconise Sapir.
En pratique, le POI soutient toutes les journées d’action de FO, les « négociations » par les bureaucraties syndicales des mauvais coups contre la classe ouvrière, se tait pudiquement sur la présence de FO au Conseil d’orientation des retraites, au Conseil économique, social et environnemental, à la Caisse nationale de l’assurance vieillesse…
Pour comprendre la crise qui secoue le POI, il faut la relier non seulement à la destruction de la 4e Internationale et à l’histoire du lambertisme mais aussi à la lutte des classes mondiales. Le retour de la crise capitaliste mondiale en 1973, la contre-offensive de la bourgeoisie mondiale, la restauration du capitalisme en Europe de l’est, en Russie et en Chine de 1989 à 1992 ont déplacé tout le mouvement ouvrier vers la droite, y compris le centrisme : en France, LO demande plus de policiers, la LCR renie la dictature du prolétariat, le PCI revendique une assemblée constituante (dans un pays où les libertés démocratiques sont conquises depuis 1944)…
La crise mondiale de 2008, la faiblesse et la fragilité de la reprise qui s’en est suivie, ont conduit les bourgeoisies à accélérer leur offensive contre la classe ouvrière. Mais pour parvenir à ses fins, la bourgeoisie a besoin impérativement de la collaboration servile des directions des organisations ouvrières, à commencer par les bureaucraties syndicales. En France, les chefs du PS mettent les bouchées doubles. Des pas supplémentaires doivent être franchis, il faut non seulement l’acceptation du « dialogue social », non seulement l’accompagnement des contre-réformes, non seulement le sabotage par les « journées d’action » et la dispersion des luttes auxquels LO, le NPA et le POI s’associent autant que le PCF et le PdG. Il faut faire signer les accords de licenciement, de baisse de salaire, d’augmentation du temps de travail, il faut l’avilissement complet des dirigeants syndicaux devant les exigences du capital. La pression s’exerce pour pousser les partis réformistes toujours plus loin, plus vite, plus profondément à la capitulation. Cela se vérifie aussi bien en Grèce qu’en France.
C’est à cette pression de la bourgeoisie, transmise par ses agences dans la classe ouvrière auxquelles le POI est étroitement lié, que répond la résolution internationale dont se réclament les deux fractions.
La seule force qui puisse épargner à la société en France comme dans toute l’Europe et dans le monde, le plongeon dans le chaos, les affrontements communautaires, c’est la classe ouvrière se rassemblant sur son plan de classe, avec ses organisations, rassemblant toutes ses composantes pour déployer toutes sa puissance dans le combat qui doit la dresser contre ses gouvernements respectifs, pour les contraindre à abandonner les réformes dictées par l’Union européenne en Europe, instrument du capital financier, à rompre avec la coalition militaire impérialiste ; c’est le premier pas permettant d’ouvrir la voie à la constitution en Europe de gouvernements qui s’engageront dans une libre et pacifique collaboration de tous les peuples du continent, point d’appui décisif pour l’organisation à l’échelle mondiale de la collaboration pacifique de tous les peuples du monde libérés de la domination impérialiste. Toute la défense de la civilisation humaine se concentre là. (QI lambertiste, Résolution, 15 janvier 2015)
Pour Lénine et Trotsky, les frontières ont fait leur temps.
Vers la fin du 19e siècle, l’État bourgeois avec ses armées et ses barrières douanières est devenu le plus grand frein au développement des forces productives qui exigent une arène plus vaste. Un socialiste qui se prononce aujourd’hui pour la défense de la « patrie » joue le même rôle réactionnaire que les paysans de Vendée qui se précipitèrent à la défense du régime féodal, c’est-à-dire de leurs propres chaînes. (QI, La Guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, 1940, GB, p. 10)
Pour Gluckstein et Gauquelin, il faut défendre l’unité et la souveraineté de l’État bourgeois. Le social-chauvinisme désigne comme ennemi principal, non sa propre bourgeoisie, mais l’étranger. Comme si l’Union européenne dictait la politique de Merkel et de Hollande alors que c’est exactement l’inverse : l’UE est aux mains des principales bourgeoisies impérialistes de l’Europe de l’Ouest.
Les opportunistes capitulent totalement devant les bureaucraties ouvrières : « la classe ouvrière se rassemblant avec ses organisations, rassemblant toutes ses composantes… », alors que la scission du mouvement ouvrier a été engendrée de manière irréversible en 1914 par la trahison de l’Internationale ouvrière et aggravée par celle de l’Internationale communiste à partir de 1933.
Les petits bourgeois pacifistes adoptent les duperies de la franc-maçonnerie et de l’ONU, « la collaboration de tous les peuples », comme si la guerre n’était pas le fruit inévitable du capitalisme décadent, comme si la paix pouvait être obtenue autrement que par la révolution, la dictature du prolétariat et la fédération socialiste mondiale.
La 4e Internationale ne se tourne pas vers les gouvernements qui ont précipité les peuples dans le massacre, ni vers la bureaucratie ouvrière qui soutient la bourgeoisie en guerre… La 4e Internationale construite sa politique sur la transformation de la guerre impérialiste en une guerre d’ouvriers contre les capitalistes, pour le renversement des classes dirigeantes et tous les pays, sur la révolution socialiste mondiale. (QI, La Guerre impérialiste et la révolution prolétarienne mondiale, 1940, GB, p. 4, p. 41)
Le crétinisme parlementaire renie les mots d’ordre de soviets, d’armement du peuple, d’insurrection, de révolution socialiste, etc. La falsification qui prétend être la 4e Internationale enjoint à tout le lambertisme de « s’immerger dans les organisations de classes » :
Passer en revue toutes les forces dont les sections disposent, pour les engager dans le combat pour aider pratiquement au rassemblement des forces de classes pour les aider à submerger l’obstacle des directions inféodées et pour, -ce faisant-, s’immerger et s’ancrer sans attendre au cœur des grandes organisations de classes qui continuent à vertébrer la classe ouvrière et dont la crise ne peut que se développer sous la pression des évènements. (QI lambertiste, Résolution, 15 janvier 2015)
La boucle est bouclée : on croirait lire du pablisme des années 1951-1953.
Avec le 3e congrès de 1951, notre mouvement est parvenu au plus haut degré atteint jusqu’à présent de compréhension de sa tactique afin de s’insérer dans le réel mouvement des masses… Afin de s’intégrer dans le réel mouvement des masses, les « ruses » et les « capitulations » sont non seulement admises, mais nécessaires. (Michel Pablo, Rapport au 10e plenum du CEI, février 1952, Les Congrès de la 4e Internationale, La Brèche, t. 4, p. 338, p. 356)
« S’immerger et s’ancrer sans attendre au cœur des grandes organisations de classe », c’est abandonner le drapeau du bolchevisme, fut-il le plus délavé et le plus décousu, pour sans plus d’obstacle, se couler dans l’unité des appareils contre la révolution socialiste…
Le POI se décompose
Le front unique ouvrier est l’opposé de l’union des bureaucraties sur le programme de la démocratie bourgeoise (sans parler de l’unité des organisations souverainistes). Il n’est même pas la solution qui permettrait à elle seule « d’éviter le chaos ». C’est forcément une lutte réelle, concrète, sur des objectifs précis et clairs, sans empêcher les communistes de critiquer et dénoncer les hésitations et reculs de leurs éventuels partenaires de combat. Le front unique est une tactique qui affaiblit les bureaucrates, qui renforce les communistes, qui prépare la prise du pouvoir, la destruction de l’État bourgeois, quand les partis ouvriers bourgeois ont été démasqués suffisamment par le parti ouvrier révolutionnaire.
La 4e Internationale déclare une guerre implacable aux bureaucrates de la 2e et de la 3e Internationales, de l’Internationale d’Amsterdam et de l’Internationale anarcho-syndicaliste, de même qu’à leurs satellites centristes ; au réformisme sans réformes, à la démocratie alliée à la GPU, au pacifisme sans paix, à l’anarchisme au service de la bourgeoisie, aux « révolutionnaires » qui craignent mortellement la révolution. (QI, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938, GMI, p. 41)
L’OCI-PCI devenue MPPT-PT-POI, c’est la dégénérescence irréversible d’une organisation centriste qui a troqué le programme de la prise du pouvoir par la classe ouvrière pour la « défense de la République », qui a substitué à l’internationalisme prolétarien la « défense de la souveraineté nationale ». Le lambertisme est une école de bureaucrates syndicaux et de politiciens sociaux-démocrates.
Le POI est le larbin de la bureaucratie de FO, il double le PCF sur le terrain du chauvinisme et il converge fâcheusement avec le FN. Les dirigeants vieillissants du POI qui se disputent aujourd’hui un cadavre puant, un programme chauvin et, dans les coulisses, un patrimoine conséquent, ont tous vécu durant des décennies bien au-dessus des conditions d’existence des travailleurs ordinaires (logement, rémunération, restaurants, hôtels). Ils ont, durant des décennies, façonné un parti lugubre et décervelé la base. Ils sont ouvertement misogynes et homophobes. Ils ont de conserve, depuis des décennies, exclu, calomnié, détruit politiquement tous ceux qui leur résistaient, spécialement ceux qui prenaient au sérieux la référence à la tradition communiste révolutionnaire.
Pour les besoins de la polémique, la minorité se peint en « opposition de gauche ». Ainsi, dit-elle, le centre des campagnes politiques du parti doit être la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Très juste ! Mais c’est le même Gluckstein qui revendiquait dans l’éditorial d’Informations ouvrières du 17 juin dernier, non pas la prise du pouvoir par la classe ouvrière, mais : « d’ouvrir la voie à la démocratie dont le peuple définira lui-même la forme et le contenu ».
La minorité épingle l’orientation suivie par le POI dans deux luttes significatives, la grève à Radio France et le mouvement des enseignants contre la réforme du collège. Ainsi, elle relève qu’Informations ouvrières du 9 avril avait publié sans aucune critique la lettre de l’intersyndicale à la ministre Pellerin qui estimait que « sa lettre de cadrage offrait à la direction la possibilité de négocier et de trouver une issue positive au conflit», laquelle lettre avalisait en même temps jusqu’à 380 suppressions de postes ! De même, la minorité note-t-elle qu’un dirigeant du POI repeint le 6 juin l’unité des directions syndicales enseignantes sous les couleurs chatoyantes du front unique réalisé :
La ministre a cherché à porter un coup fatal aux enseignants en publiant le décret sur la réforme du collège le soir de la grève majoritaire du 19 mai. Elle a échoué ! Parce que deux jours plus tard, les organisations SNES, FO, CGT, SUD, appuyé sur la résistance des personnels ont dit : Non ! On n’accepte pas ! Abrogation du décret ! Grève !
Effectivement, c’est se moquer du monde de travestir la réalité à ce point : les bureaucrates syndicaux de l’enseignement ont certes été contraints par les enseignants de reprendre du bout des lèvres le mot d’ordre de retrait de la réforme qu’ils ont passé des mois à négocier, mais en aucun cas ils n’ont organisé le combat réel pour l’obtenir. La grève présentée avec enthousiasme par le POI n’est qu’une journée d’action d’alibi et de sabotage dans la tradition des bureaucraties syndicales. Cependant, cet opportunisme n’est pas nouveau, il est inhérent au lambertisme, et la remise en cause par la minorité s’arrête aussi vite qu’elle a commencé. Comme de coutume, puisque FO y participait, le POI a soutenu sans réserve la journée d’action du 9 avril.
Le 9 avril a montré, à tous ceux qui prétendent l’ignorer ou le contester, que la classe ouvrière organisée est une réalité, une force, et que dès lors que les organisations avancent clairement le mot d’ordre « Retrait du pacte de responsabilité et de la loi Macron ! », les travailleurs, les militants cherchent à se grouper dans une lutte de classe unie contre le gouvernement… (BN du POI, 11 avril 2015)
« Fallait-il jeter toutes nos forces dans la balance pour la réussite du 9 avril ? Oui, et nous l’avons fait. » répond en écho la minorité qui ne voit là rien à redire. Dès lors, le reproche que la minorité adresse à la majorité « les trotskystes doivent cependant se garder de confondre la réalisation de l’unité d’action intersyndicale avec la réalisation de la lutte des classes elle-même », la concerne tout autant.
La minorité qui crie aujourd’hui au loup, qui prétend « revenir à une politique de construction du parti », reste sur une politique de construction… de parti réformiste et social chauvin, donc sur une ligne de destruction du communisme, d’opposition à la construction du parti révolutionnaire mondial.
Il n’y a pas de parti du tout, si l’on fonde un parti sans programme, dont tout le monde peut être. (Friedrich Engels, Lettre à Bernstein, 28 novembre 1882, Le Mouvement ouvrier français, Maspero, t. 2, p. 124)
Gluckstein et Lacaze disent tous deux : oui à la transformation du PCI en PT-POI, oui à la « ligne de la démocratie », oui à la jonction avec « les élus » de tout bord, oui à « l’Assemblée constituante souveraine », oui à « la rupture avec l’Union européenne », oui à « la République une et indivisible »… mais rien pour en finir avec l’État bourgeois, rien pour les États-Unis socialistes d’Europe, rien pour les comités de grève et les soviets, rien pour les piquets de grève et l’armement du peuple, etc. Tout juste est-il concédé par Gluckstein la nécessité du combat pour un vague gouvernement ouvrier, lequel devient un peu plus loin, au détour d’une phrase, le « gouvernement de la classe ouvrière et de la démocratie » ! Assurément l’orientation de la minorité ne peut en aucun cas constituer une planche de salut pour les militants du POI qui chercheraient à renouer avec l’internationalisme, à s’orienter vers la révolution et le pouvoir des travailleurs.
Le programme de « défense de la démocratie » pour les pays avancés est un programme de réaction. (Léon Trotsky, Une leçon toute fraîche, 10 octobre 1938, Œuvres, ILT, t. 19, p. 61)
L’effondrement du POI est la dernière occasion, pour les militantes et militants qui en sont encore capables, de revenir dans la voie de Lénine et de Trotsky, de briser le carcan du réformisme et du chauvinisme. À ceux-là, il faut une boussole, un programme pour construire l’internationale de la révolution socialiste mondiale et dans ce pays un vrai parti ouvrier, c’est-à-dire ouvertement et fermement révolutionnaire. À ceux-là, le Collectif révolution permanente et le Groupe marxiste internationaliste peuvent être une aide précieuse.
Cimenter ces éléments marxistes, si peu nombreux qu’ils soient au début, rappeler en leur nom les paroles aujourd’hui oubliées du socialisme authentique, convier les ouvriers de tous les pays à rompre avec les chauvins et à se ranger sous le vieux drapeau du marxisme : telle est la tâche de l’heure. (Vladimir Lénine et Grigori Zinoviev, Le Socialisme et la guerre, août 1915, GMI, p. 34)