Depuis mars 2013, la République populaire de Chine a un nouveau président, le secrétaire général du Parti communiste chinois, Xi Jinping. Xi maintient le cap de son prédécesseur Hu Jintao pour tenter de consolider le capitalisme malgré les luttes des exploités et des opprimés, de conquérir une place parmi les puissances impérialistes.
Une bourgeoisie sous drapeau rouge
Le parti unique de la bourgeoisie a conservé le même nom que la section chinoise de l’Internationale communiste fondée par Chen Duxiu en 1921, mais n’a plus rien à voir avec un parti ouvrier révolutionnaire inspiré par le marxisme. Il n’est même plus, depuis longtemps, le parti de la bureaucratie parasitaire qui dirigeait l’économie collectivisée après l’expropriation de la grande propriété foncière et du capital en 1950, avec pour idéologie le socialisme dans un seul pays.
Le drapeau est rouge, mais la RPC de 2015 est aussi éloignée de la Commune de Paris de 1871 que les États bourgeois contemporains dont les drapeaux arborent un croissant ou une croix le sont des tribus bédouines du 6e siècle ou des premières communautés chrétiennes de l’empire romain.
Grâce à la prise du pouvoir de ses armées paysannes en 1949, le PCC assure l’indépendance et l’unité du pays (à l’exception de l’île de Taiwan, où s’est réfugiée l’armée nationaliste bourgeoise battue malgré l’appui financier, militaire et politique des États-Unis). Grâce à la collectivisation, à l’appui initial de l’URSS, à la planification, l’État ouvrier, aussi dégénéré soit-il, instruit et soigne pour la première fois la grande masse de la population, développe des infrastructures et crée une industrie extractive et manufacturière.
S’il n’y avait pas eu de révolution chinoise, la Chine serait restée un pays capitaliste divisé et dominé. Si le prolétariat avait dirigé le pays avec la paysannerie laborieuse, la révolution sociale se serait étendue à toute l’Asie et la révolution politique aurait renversé la bureaucratie en URSS puis dans l’Europe centrale : le monde serait probablement socialiste.
La bureaucratie parasitaire et usurpatrice de Mao et Deng mue à partir de 1992 en une bourgeoisie cupide qui transforme les entreprises en capital et les producteurs en salariés exploités. En accaparant la propriété collective d’un gigantesque pays riches en ressources naturelles (terres, charbon, pétrole, « terres rares »…), en exploitant le formidable potentiel de la main-d’œuvre formée et éduquée la plus nombreuse du monde, la nouvelle bourgeoisie chinoise a accédé rapidement au statut de puissance impérialiste.
La bureaucratie stalino-maoïste restaure le capitalisme en 1992
En 1979, la première « zone économique spéciale » est ouverte à proximité de Hong Kong. Mais la jeunesse se révolte en 1989, rejointe par les travailleurs, ce qui ouvre la possibilité de renverser la bureaucratie, d’instaurer le pouvoir des travailleurs et de construire le socialisme. La bureaucratie écrase le mouvement.
Elle est attirée par l’exemple de son aînée et modèle, la bureaucratie russe qui rétablit le capitalisme à son compte. Mais, tétanisée par la dislocation de l’URSS en 1992, la bourgeoisie émergente choisit de maintenir un parti unique et un régime policier, malgré tous les inconvénients de cette solution.
En 1990, Deng Xiaoping rouvre la Bourse de Shanghai, fermée depuis 1949. En 1992, il décide de généraliser l’expérience des « zones économiques spéciales » et de commencer à privatiser les entreprises. Par la liquidation des « communes populaires » à la campagne et la privatisation d’entreprises publiques (93 % des entreprises sont désormais privées) accaparées par les anciens bureaucrates ou leurs enfants, le parti unique a recréé un « marché du travail » et le chômage qui l’accompagne.
Les entreprises d’État, qui employaient entre 75 et 60 % de la population urbaine dans les années 1980, ont été massivement restructurées dans les années 1990. Tandis que leur contribution au PIB est restée autour de 30 %, leur part dans l’emploi a décliné à moins de 10 %; reflétant leur transition vers des activités intensives en capital et la fin de leur rôle pivot en matière de redistribution des revenus et de protection sociale. (« Chine, géant aux pieds d’argile ? », Problèmes économiques, juin 2014, La Documentation française, p.10)
Le retour du « marché du travail » n’a pas profité qu’aux groupes étrangers, les capitalistes chinois ont pris leur part dans l’exploitation de la force de travail de centaines de millions de prolétaires désormais obligés de la vendre pour survivre.
Le renforcement du capitalisme national par la réintégration de Hong Kong
Parce que la RPC est une société capitaliste, parce que le PCC est désormais un parti bourgeois, ils réintègrent sans problème majeur en 1997 l’enclave capitaliste de Hong Kong rétrocédée par la Grande-Bretagne. Si l’économie chinoise était restée collective, le capital y aurait été forcément exproprié, comme l’avait prévu Trotsky et comme l’expérience l’a vérifié en 1945, lorsque l’URSS a intégré les pays baltes, l’ouest de l’Ukraine et de la Biélorussie.
Il est vraisemblable que dans les territoires qui doivent être incorporés à l’URSS, le gouvernement de Moscou procédera à l’expropriation des grands propriétaires et à l’étatisation des moyens de production. Cette orientation est plus probable non parce que la bureaucratie reste fidèle au programme socialiste, mais parce qu’elle ne veut ni ne peut partager le pouvoir et les privilèges qui en découlent avec les anciennes classes dirigeantes dans les territoires occupés. (« L’URSS dans la guerre », septembre 1939, Défense du marxisme, EDI, p. 120)
En 2001, la Chine adhère à l’OMC, l’organisation commune des pays capitalistes pour faciliter les échanges internationaux de marchandises et de capitaux.
Aujourd’hui, un tiers des capitalistes sont membres du PCC. Au dernier congrès, l’un de plus riches, Lieng Wenren, a fait son entrée au comité central. Un tiers des 50 plus grandes fortunes de Chine siège à l’Assemblée nationale populaire. La famille de Xi Jinping elle-même aurait investi, selon l’agence Bloomberg, 297 millions de dollars dans diverses affaires et serait propriétaire de plusieurs biens immobiliers à Hong Kong dont une villa estimée à 31 millions de dollars.
Plus de 20 000 clients originaires de Chine ou de Hongkong seraient liés à des compagnies offshore situées dans des paradis fiscaux. Des documents révèlent notamment l’existence aux îles Vierges britanniques d’une société détenue à 50 % par Deng Jiagui, le beau-frère du président Xi Jinping. Marié à la sœur aînée du chef de l’État, M. Deng est multimillionnaire, promoteur immobilier et investisseur dans les métaux rares. Depuis son arrivée à la tête du PCC, en 2012, Xi Jinping a lancé une vigoureuse campagne anticorruption. Non sans écraser un mouvement de citoyens appelant à la publication du patrimoine des responsables gouvernementaux. (Le Monde, 21 janvier 2014)
L’émergence d’une puissance impérialiste
Un pays est impérialiste quand son capitalisme repose sur de grands groupes et quand son État opprime d’autres nations. C’est la raison pour laquelle Lénine considérait la Russie de 1914, bien plus arriérée que la Chine de 2014, comme un État impérialiste, même si elle n’exportait pas de capitaux.
Un pays qui est au point de vue économique le plus arriéré (Russie), et où l’impérialisme capitaliste moderne est enveloppé, pour ainsi dire, d’un réseau particulièrement serré de rapports précapitalistes. (Vladimir Lénine, L’Impérialisme, 1916, Œuvres t. 22, Progrès, p. 279)
Trotsky le suivait en caractérisant la Tchécoslovaquie de 1938, qui n’exportait pas non plus de capitaux, comme impérialiste.
La Tchécoslovaquie représente un État absolument impérialiste. Économiquement, il y règne le capital monopoleur. Politiquement, la bourgeoisie tchèque domine diverses nationalités opprimées. (Trotsky, Une leçon toute fraîche, 1938, Œuvres t. 19, ILT, p. 63)
La Chine opprime directement les Ouïgours et les Tibétains maintenus par la force au sein de la RPC. Elle a vu naître de grandes entreprises de taille mondiale : 95 groupes parmi les 500 premières multinationales en fonction de leur chiffre d’affaires, derrière les États-Unis (128), mais devant le Japon (57), la France (31) et l’Allemagne (28).
De plus en plus, la bourgeoisie chinoise exporte à son tour des capitaux. Pour 2014, la Chine est le 3e investisseur dans le monde. Les flux annuels d’investissement à l’étranger des groupes capitalistes chinois (« IDE sortants ») rattrapent ceux des groupes étrangers en Chine (« IDE entrants »).
De janvier à août, les investissements directs de l’étranger, qui excluent les investissements dans le secteur financier, se sont élevés à 78,34 milliards de dollars, en baisse de 1,8 % par rapport à la même période l’année dernière, selon le ministère. En revanche, les investissements directs chinois à l’étranger effectués par les sociétés non financières ont augmenté de 15,3 % à 65,17 milliards de dollars durant la même période. (Xinhua, 17 septembre 2014)
Sous forme d’achat d’entreprises locales ou de fondation de filiales des groupes chinois (IDE) et surtout de prêts (IP), un flot de capitaux chinois se déverse sur l’Asie, l’Afrique et même l’Amérique latine. En plus d’importer des matières premières d’Amérique latine et d’y exporter des produits manufacturés, la RPC envoie des capitaux sous différentes formes. Par exemple, l’État chinois finance la rénovation du réseau ferré et la construction par des groupes capitalistes chinois de barrages hydrauliques en Argentine (Clarín, 10 octobre 2014). Le groupe chinois Huapont Nutrichem vient d’acquérir 20 % des actions du groupe argentin de la chimie Albauch LLC (Clarín, 15 novembre 2014). Au Mexique, le groupe chinois CRCC est candidat pour un TGV entre Mexico et Querétaro (Clarín, 7 janvier 2015).
Les privatisations par les gouvernements grecs ont facilité l’implantation des groupes capitalistes chinois. Par exemple, en 2009, la China Ocean Shipping Company (Cosco) a obtenu le port du Pirée. La Chine investit aussi dans des pays impérialistes comme la France.
Aéroport de Toulouse, Louvre Hotels, PSA Peugeot Citroën, domaines viticoles… Les acquisitions d’investisseurs chinois en France se multiplient, de l’industrie aux services en passant par l’agriculture. (Les Échos, 8 décembre 2014)
La montée du militarisme
Pour exprimer les aspirations de l’impérialisme chinois à redécouper le monde au détriment de l’impérialisme américain en déclin, Xi a lancé le slogan du « rêve chinois ».
Ce rêve, on peut dire que c’est celui d’un pays puissant. Et pour ce qui concerne l’armée, c’est le rêve d’une armée forte. (Xi Jinping, Le Monde, 4 mars 2013)
Tout capitalisme contemporain s’appuie sur une armée forte qui sert non seulement à la contre-révolution interne mais à contrer ses rivaux.
La Chine, impliquée dans de vifs différends territoriaux avec plusieurs de ses voisins, a prévu d’augmenter de 12,2 % son budget militaire en 2014. Ses dépenses militaires atteindront cette année l’équivalent de 95,9 milliards d’euros, selon le ministère des finances chinois. Preuve de ses ambitions de conforter son statut de puissance militaire, Pékin a, ces dernières années, régulièrement renforcé ses dépenses dévolues à la défense, qui ont gonflé de 11,2 % en 2012, puis de 10,7 % en 2013. Le budget de la défense chinoise est le deuxième plus élevé du monde, même s’il reste nettement derrière celui des États-Unis, qui atteint cette année 460 milliards d’euros. (AFP, 5 mars 2014)
Depuis 2012, la mer de Chine est devenue un terrain d’escarmouches militaires entre l’État chinois et ses voisins, à commencer par le Japon dont le premier ministre Abe, du Parti constitutionnel démocrate, est nostalgique avoué des généraux japonais qui s’emparèrent de la Corée et du nord de la Chine avant et pendant la 2e Guerre mondiale.
Les États-Unis soutiennent le Japon, tout en intensifiant leur partenariat avec Taïwan, le Vietnam, les Philippines… Le Japon ne se contente pas de la protection américaine et a, lui aussi, prévu d’augmenter son budget militaire et de modifier sa Constitution, imposée par le vainqueur américain, qui interdisait toute intervention extérieure. L’Inde se rapproche des États-Unis.
La suprématie des États-Unis pousse la Chine à rechercher, elle aussi, des alliances. L’impérialisme chinois dépasse d’une tête ses partenaires des BRICS.
Avec un PIB supérieur de 30 % à celui des trois autres pays réunis, la Chine demeure le géant du groupe des BRICS. Deuxième puissance mondiale, elle produit 15,4 % de la richesse mondiale, contre 2,9 % pour le Brésil et la Russie respectivement. À sa puissance économique s’ajoute une puissance commerciale (les exportations chinoises représentent 10,6 % des exportations mondiales en 2013, devant les États-Unis), financière (avec 4 000 milliards de dollars, le pays détient 90 % des réserves de change des BRIC, soit un quart des réserves de change mondiale) et enfin militaire. (« Comprendre l’économie mondiale », Problèmes économiques, septembre 2014, La Documentation française, p.6)
S’établissant comme une puissance impérialiste émergente, le ton diplomatique et commercial est offensif, particulièrement dans sa zone d’influence :
Pékin promeut ainsi ses nouvelles « routes de la soie », l’une, maritime, reliant l’Afrique et l’Europe via l’Asie du Sud-Est, l’autre continentale, connectant le pays à l’Asie centrale, à la Russie et à leurs sources d’énergies via l’instable région du Xinjiang. Il n’hésite pas non plus à proposer aux pays d’Asie–Pacifique une banque asiatique directement concurrente de la Banque asiatique de développement, dont la Chine juge qu’elle est influencée par Washington et Tokyo. (Le Monde, 7 janvier 2015)
La diplomatie chinoise converge, surtout, avec l’impérialisme russe. Lors des guerres civiles en Syrie et en Ukraine, le gouvernement chinois a soutenu, avec Poutine, le gouvernement criminel d’Assad (pour la « stabilité de la région et du pays ») et il s’est abstenu de condamner la prise de la Crimée et la sécession du Donbass orchestrées par l’armée russe.
Pour les libertés démocratiques et le pouvoir des travailleurs
Les travailleurs qui viennent des campagnes (200 millions de mingongs) sont d’autant plus exploités qu’ils n’ont pas le droit de s’installer en ville et d’accéder aux services publics (hôpitaux, école…) à cause de leur passeport (hukou), ce qui divise la classe ouvrière. L’État interdit au prolétariat toute organisation indépendante. Même la confédération syndicale est sous contrôle du parti unique.
Les inégalités sociales sont parmi les plus fortes au monde : le coefficient de Gini qui mesure dans chaque pays ces inégalités sur une échelle croissante de 0 à 100, est estimé à 61, soit l’un des plus hauts du monde. Par comparaison, celui de la France est de l’ordre de 32.
Les femmes sont victimes de la réaction. La police arrête arbitrairement, la justice est aux ordres, les médias sont muselés, les vrais artistes sont persécutés. Le régime favorise un nationalisme exacerbé pour essayer de faire oublier exploitation et oppression, pour justifier le poids du militarisme. Il tolère pour les mêmes raisons la religiosité traditionnelle (taoïsme et confucianisme qui ont peu de lien avec l’étranger).
Des grèves éclatent pour augmenter les salaires, payer les arriérés de salaires, diminuer le temps de travail, interdire les brimades.
Au cours de l’année 2014, le nombre de conflits a augmenté par rapport à 2013, selon le China Labour Bulletin, notamment dans le bâtiment et chez les enseignants, sous-payés et qui rejettent la récente réforme contre les retraites des fonctionnaires.
Les salaires, en conséquence de l’activité revendicative, augmentent, diminuant l’attraction de la Chine. De nombreuses révoltes ont lieu contre des expropriations de terre décidées par des caciques locaux, contre les pollutions. Le mécontentement grandit chez les étudiants, les intellectuels, les artistes. Peu à peu, les masses desserrent courageusement l’étreinte policière. La jeunesse étudiante et lycéenne de Hongkong s’est levée, en octobre 2014 contre les élections truquées organisées par les hommes de paille de Pékin [voir Révolution communiste n°8].
Le parti unique est de plus en plus une entrave au développement capitaliste et impérialiste. Il gêne la discussion et la gestion collective des intérêts d’ensemble de la classe capitaliste. Il concentre le mécontentement des masses sur le pouvoir, sans exutoire électoral.
Les prétentions de l’État à contrôler l’anarchie capitaliste apparaissent de plus en plus fallacieuses, ne serait-ce que parce que la croissance économique s’essouffle (+7,4 % en 2014) par suraccumulation du capital. Typique du capitalisme, une crise financière se dessine avec l’éclatement de la bulle de spéculation immobilière.
Le capitalisme engendre ses propres fossoyeurs. La classe ouvrière est devenue majoritaire. Par la place décisive qu’elle occupe dans les rapports de production face au capital, par la collaboration entre travailleurs par le capital, par la concentration d’ouvrières et d’ouvriers dans les usines, la classe ouvrière est capable de lutter avec conséquence pour les libertés démocratiques, contrairement aux opposants bourgeois « démocratiques ». Elle a les moyens de renverser la minorité capitaliste.
Le sort du monde dépend largement de la capacité de ce gigantesque prolétariat à briser le carcan de l’État policier, à rallier les femmes, les petits paysans et les artisans, les étudiants, les cadres techniques, les minorités nationales, à détruire son propre impérialisme. Pour remplir ce rôle historique, il lui faut édifier ses propres organisations : ses syndicats, ses comités, ses piquets de grève, ses milices d’autodéfense, son parti, authentiquement communiste, internationaliste, se liant aux travailleurs du monde entier, au premier chef ceux du Japon et du Vietnam.