Front national, Printemps français : le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde

Une nation dont la richesse croît rapidement a des réserves suffisantes pour concilier les classes et les partis hostiles. Lorsque, au contraire, les contradictions sociales s’exacerbent, la base politique de compromis disparaît. (Léon Trotsky, Le Marxisme et notre époque, 1939)

Multiplication de maires FN et d’exactions fascistes

En 2002, Le Pen père bat Jospin au premier tour de l’élection présidentielle parce que le gouvernement PS-PCF-PRG-Verts a trahi les travailleurs. En 2014, 12 maires Front national ou apparentés, 1 546 conseillers municipaux FN sont élus parce que le gouvernement PS-PRG-EELV a trahi les travailleurs.

Les journalistes présentent souvent le FN comme le parti qui a remplacé le PCF dans la classe ouvrière. Alors que 597 listes FN étaient présentées, 6 % de la catégorie socio-professionnelle des « ouvriers » inscrits sur les listes électorales ont voté FN. Selon l’institut de sondage OpinionWay (Le Figaro, 23 mars 2014), parmi ceux qui ont voté au 1er tour, 20 % des chômeurs ont choisi le FN (33 % pour la « gauche » et 2 % pour « l’extrême-gauche » ; 12 % des « ouvriers » (39 % pour la « gauche » et 2 % pour « l’extrême-gauche ») ; 9 % des « employés » (41 % pour la « gauche » et 2 % pour « l’extrême-gauche ») ; 7 % « des « professions intermédiaires » (48 % pour la « gauche » et 1 % pour « l’extrême-gauche »).

Toute la bourgeoisie, pour exploiter et régner, entretient le mythe d’une unité nationale entre les classes du pays et tente de diviser les travailleurs entre eux. Le FN est, parmi ses partis, celui qui mise le plus sur le nationalisme et la xénophobie, une véritable machine de haine ethnique contre la solidarité ouvrière.

L’enracinement d’un parti raciste est gros de dangers politiques pour le mouvement ouvrier, la classe ouvrière et particulièrement ses couches les plus opprimées et exploitées, les ouvriers et les employés étrangers. Les agressions croissantes des nervis fascistes le corroborent.

  • Le 18 novembre 2012, des fascistes rouent de coups les militantes féministes Femen et une journaliste ;
  • Le 21 janvier 2013, des locaux du PS sont vandalisés dans le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine ;
  • Le 7 avril 2013, un local des militants homosexuels LGBT est dévasté à Paris ;
  • Le 26 mai 2013, une poignée de fascistes occupe en plein jour le siège national du PS ;
  • Le 5 juin 2013, un groupe de fascistes assassinent Clément Méric, militant antifasciste et syndicaliste étudiant ;
  • Le 26 janvier 2014, deux dizaines de milliers de nazis, de royalistes, de racistes et de bigots de tout poil se rassemblent pour exiger la démission de Hollande.

Depuis la crise capitaliste mondiale, les partis xénophobes obtiennent partout en Europe des scores électoraux significatifs. Parmi eux, certains recourent à la violence contre leurs adversaires politiques, les travailleurs immigrés, les minorités nationales : Aube dorée (Grèce), Svoboda (Ukraine), Praviy sektor (Ukraine), Jobbik (Hongrie)…

Une opération réussie de « dédiabolisation » ?

Les instituts de sondage et bien des journalistes attribuent le succès électoral du Front national à une « dédiabolisation » réussie par Marine Le Pen, héritière du parti de son père en attendant de l’être de son parc et de sa somptueuse résidence de Saint Cloud. Le « Collectif Racine » dans l’enseignement et le « Rassemblement bleu marine » pour le scrutin local auraient concrétisé la manoeuvre. La mutation réussie accomplie par Marine Le Pen aurait permis d’attirer un certain nombre de personnalités (dont le capitaliste Marionnaud, le fondateur de RSF Ménard, l’avocat Collard…) et de rallier des responsables d’autres formations : le PS Ouchikh, le MPF Coûthaux, les UMP Rouvier et Martel, les MRC Lemaire, Laupies, Avello, Jaffré, Lebreton…

En fait, la « dédiabolisation » date de 40 ans. Le FN est fondé en 1972 par une organisation fasciste, Ordre nouveau (Longuet, Robert, Goasguen… aujourd’hui à l’UMP), comme un front électoral, une machine à rassembler « l’extrême-droite » et à faire des voix. Un autre fasciste, Jean-Marie le Pen, en prend le contrôle en 1973 et continue à jouer la carte de la légalité.

Une partie du FN scissionne en 1974 pour réaffirmer une stratégie de fascisme avoué avec le PFN. En 1981, quand l’« Union de la gauche » PS-PCF-PRG-PSU accède au pouvoir, le PFN croit venue l’heure du fascisme. En 1982, ses nervis attaquent deux ministères dirigés par le PCF, puis un défilé d’anciens combattants du PCF. Mais il ne trouve pas de base sociale suffisante et se disloque en 1984.

Le fascisme remet en selle des classes qui se trouvent immédiatement au-dessus du prolétariat et craignent d’être précipitées dans ses rangs ; il les organise, les militarise grâce aux moyens du capital financier, sous la couverture de l’État officiel, et les envoie écraser les organisations prolétariennes, des plus révolutionnaires aux plus modérées. (Léon Trotsky, La Révolution allemande et la bureaucratie stalinienne, 1932)

L’échec du PFN conforte les choix légalistes et électoraux du FN. Le FN s’apparente au fascisme par le culte du chef, par les liens étroits qu’il entretient avec l’appareil répressif de l’État bourgeois (police, armée, services secrets) et par le racisme comme exutoire à la crise économique et politique du capitalisme. Il s’en distingue parce qu’il n’attaque pas physiquement le mouvement ouvrier et qu’il s’inscrit dans la démocratie bourgeoise. C’est ce que lui reproche la galaxie de groupes fascistes (AF, GUD, BI-GI, E&R, L’OF, 3V-JNR, etc.) récemment fédérés autour de l’antisémite Dieudonné ou du Printemps français anti-homosexuel.

Tant que les propos racistes et les signes nazis restent internes, la firme Le Pen les tolère ; tant que la violence se borne à la protection du FN, les nervis sont bienvenus dans sa milice (DPS). Par contre, le FN écarte périodiquement des membres qui affichent en public une nostalgie trop voyante pour le fascisme allemand (d’autant que son apogée de 1940 évoque fâcheusement l’humiliation de l’impérialisme français) ainsi que ceux qui sont trop impatients de s’en prendre physiquement aux immigrés et aux militants ouvriers. Ainsi, Le Pen fille s’est débarrassée en 2014 d’un certain nombre de candidats compromettants, comme Le Pen père avait dénoncé à la police un des assassins de Brahim Bouarram en 1995, comme son beau-frère, Maréchal, avait abandonné à la justice ses sbires qui avaient attaqué en 1998 un militant antifasciste.

Le « front républicain » renforce le Front raciste

« Tête haute, mains propres » était le slogan du FN pour les élections municipales de 1995. Le Pen père a bâti sa fortune grâce au FN (et à ses dépens). On imagine ce que donnerait un parti de ce type à la tête de l’État. Dans les communes, il a fait pire que les autres partis : trois maires frontistes sur quatre ont été condamnés par la justice.

Que le FN gonfle doit moins à l’habileté de son ex-président et de sa présidente qu’à la prolongation de la crise capitaliste en France et à la reprise de ses thèmes réactionnaires par l’UMP, le parti « républicain » pour qui la LCR, le PCF et le PS (ainsi que les dirigeants de la CGT, de la CFDT, de Solidaires, de l’UNSA, de la FSU, de l’UNEF…) ont appelé à voter au second tour de l’élection présidentielle de 2002, le PS récidivant au second tour des municipales en 2014. Le « front républicain » prouve que, pour les réformistes, rien de décisif ne les sépare des partis bourgeois comme l’UMP ou l’UDI. Outre que l’UMP se garde bien de renvoyer l’ascenseur, les désistements en sa faveur confortent la prétention du FN qu’il est seul face au « système » et à « l’UMPS ».

Pour défendre la république bourgeoise, la milice du parti gaulliste RPF-UNR-UDR-RPR-UMP (le SAC composé de barbouzes, de fascistes et de délinquants) attaquait dans les années 1950 les militants du PCF et du PCI, espionnait la CGT, enlevait des manifestants pour les matraquer dans ses locaux, dressait à la même époque des listes de militants syndicalistes et politiques à enfermer dans les stades.

La base de l’UMP est majoritairement partisane de l’alliance avec le FN. Lors du mandat présidentiel précédent, à l’intérieur même de l’UMP, la Droite populaire (pas moins de 35 députés en 2010) doubla parfois sur sa droite le FN.

Mardi, pour sa première année d’existence et à deux jours du 14 Juillet qu’il compte « fêter dignement », l’influent collectif parlementaire représentant l’aile droite de l’UMP a décidé d’organiser un « apéritif saucisson-vin rouge » dans le salon Gabriel de l’Assemblée nationale. Une initiative qui, dans son intitulé au moins, n’est pas sans rappeler les différents « apéros saucisson-pinard » organisés par le Bloc identitaire ou Riposte laïque, deux groupes radicaux en première ligne contre « l’islamisation de la société française ». (Le Journal du dimanche, 11 juillet 2011)

Le conseiller présidentiel Buisson, installé à l’Élysée de 2007 à 2012, était un fasciste. La mise en accusation en 2012 des Roms, des musulmans, des « assistés » (les travailleurs rejetés par le capital), des syndicalistes, des « fonctionnaires » (à l’exception de ceux des douanes, prisons, casernes, gendarmeries et postes de police) par Sarkozy n’avait rien à envier aux discours traditionnels des groupes fascistes et du FN.

Aujourd’hui, la frontière qui sépare l’UMP de Sarkozy et Copé, l’UDI de Borloo, le PDC de Boutin, le MPF de de Villiers, le MRC de Chevènement… du FN est aussi poreuse que celle qui sépare le FN de la mouvance nazie.

Les « réformistes » répandent le poison du nationalisme chez les travailleurs

L’accession au pouvoir du FN signifierait une marginalisation du mouvement ouvrier traditionnel. La contre-révolution fasciste équivaudrait au choix par la bourgeoisie de se passer des bureaucraties ouvrières, de les détruire, pour atomiser et terroriser les travailleurs salariés. Pourtant, les partis parlementaristes (PS, PCF, PdG) et les bureaucraties syndicales, involontairement, créent un terrain favorable au parti fascisant et aux groupes nazis.

Les réformistes sont des gens qu’en règle générale on paye d’une façon ou d’une autre pour qu’ils consolident la domination du capitalisme par de petits rafistolages, pour qu’ils endorment les masses populaires et les détournent de la lutte révolutionnaire. (Lénine, Un tournant dans la politique mondiale, 1917)

Les bureaucraties syndicales et les partis ouvriers dégénérés répandent le poison nationaliste qui profite à l’UMP et au FN. Tous n’ont de cesse de parler aux jeunes et aux travailleurs de « la France », de « la patrie », de « la nation », de « l’intérêt national », de la « solidarité nationale », de la « compétitivité nationale »… Pour le PS et l’appareil de la CGT, la trahison date de 1914 ; pour le PCF, de 1934. Depuis, tous arborent le drapeau tricolore, le drapeau des Versaillais, des colonialistes, des responsables de deux guerres mondiales, celui de l’UMP et du FN, au côté ou à la place de son antagonique, le drapeau rouge, celui des exploités, de la Commune de Paris et de la Révolution russe.

Un socialiste qui se réclame aujourd’hui de la « patrie » joue le même rôle réactionnaire que celui joué jadis par les paysans vendéens prenant la défense du régime féodal, c’est-à-dire de leurs propres chaînes. (Trotsky, Manifeste de la 4e Internationale, 1940)

En 1981, le PCF lance une campagne « produisons français ». En 2010, la CFDT, la CGT et FO participent, avec le MEDEF et la CGPME, aux « États-généraux de l’industrie française » convoqués par Sarkozy. Il en sort la marque « origine France ». En 2012, le ministre PS du Redressement productif Montebourg lance une campagne « achetons français ». Pour cela, il paye de sa personne à la une du Parisien en arborant une marinière « origine France » d’Armor Lux devant un drapeau tricolore (le patron d’Armor Lux récompensera de cette publicité gratuite le gouvernement en coiffant en 2013 de bonnets rouges, fabriqués en Grande-Bretagne, les manifestants contre la taxe sur les transports routiers).

La plupart des réformistes (POI, PCF, PdG, CGT, FO, FSU…) attribuent à l’Union européenne les difficultés de l’économie française, frayant la voie à la démagogie du FN qui s’évertue à trouver dans l’étranger (dans et hors le territoire) la cause des difficultés qui seraient communes aux « entreprises » françaises et aux salariés français.

Le 24 décembre 1980, le maire PCF de Vitry fait abattre au bulldozer un foyer de travailleurs étrangers ; le secrétaire général du PCF, Marchais, déclare peu après : « ll faut arrêter l’immigration » (L’Humanité, 6 janvier 1981). Le 10 février 2010, le maire PCF de Bagnolet fait détruire au tractopelle un immeuble de sans-papiers pendant qu’ils sont au travail, ensevelissant tous leurs biens ; LO reste dans la majorité municipale. Le ministre PS de l’Intérieur Valls, qui expulse plus de sans-papiers que ses prédécesseurs UMP Hortefeux et Guéant, déclare en septembre 2013 que des ressortissants européens sont incompatibles avec la France, à cause de leur ethnie.

Oui, il faut dire la vérité aux Français. Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation avec les populations locales, a-t-il ajouté. C’est illusoire de penser qu’on règlera le problème des populations roms à travers uniquement l’insertion… Il n’y a pas d’autre solution que de démanteler ces campements progressivement et de reconduire (ces populations) à la frontière. (Libération, 24 septembre 2013)

Le plus xénophobe des partis bourgeois, le FN, s’engouffre dans l’affaiblissement de la conscience de classe des exploités, de leur solidarité de classe quelle que soit leur couleur de peau, leur nationalité, leur sexe, leur orientation sexuelle… contre la minorité exploiteuse. Il élargit la brèche creusée par les bureaucraties ouvrières chauvines.

Les trahisons des partis ouvriers traditionnels et des chefs syndicaux font le jeu du fascisme

Tous les partis réformistes attribuent la crise économique non au capitalisme, mais à une mauvaise politique économique. Pour le PCF, le PdG, le POI, cette politique économique n’est pas dictée par la classe dominante, mais de l’extérieur, par l’étranger d’où viennent tous les malheurs. Le PS, le PCF, le PdG, LO, le NPA isolent la finance du reste du capitalisme, recoupant la démagogie fasciste la plus éculée.

Le fascisme s’emploie d’abord à transmuer l’anticapitalisme des masses en nationalisme… il préserve ses bailleurs de fonds de la colère populaire en détournant l’anticapitalisme des masses vers la « ploutocratie internationale ». (Daniel Guérin, Fascisme et grand capital, 1936)

Pour une partie du PS, le PCF, le PdG et le NPA, cette politique erronée est le libéralisme économique ou néo-libéralisme. Ils ne sont pas les seuls en ce combat douteux qui épargne le mode de production capitaliste. Voici ce qu’en dit le parti fascisant :

L’Union européenne, cheval de Troie de la mondialisation ultralibérale (FN, Notre projet, 2012, p. 4) ; l’interruption des processus de libéralisation (p. 20) ; la logique ultra libérale qui dirige l’Union européenne (p. 22) ; l’Union européenne, asservie par sa dette et par l’euro, est un instrument au service d’une idéologie ultra-libérale mondialiste et des intérêts du secteur financier (p. 47) ; le déploiement de l’idéologie néo-libérale et mondialiste, et sa conséquence la crise financière. (p. 60)

Les réformistes s’en remettent à l’État bourgeois pour sauver le capitalisme et la propriété privée. Ainsi, ils ouvrent la voie à « l’État fort » (fort contre les exploités, faible avec les capitalistes).

C’est naturellement l’État qui sera le fer de lance de ce réarmement de la France : un État fort capable d’imposer son autorité aux puissances d’argent, aux communautarismes et aux féodalités locales. (FN, Notre projet, 2012, p. 4)
L’économie fasciste n’est qu’une forme accentuée de l’économie capitaliste dite dirigée. (Daniel Guérin, Fascisme et grand capital, 1936)

La classe ouvrière est cycliquement déçue, les classes petites-bourgeoises (indépendants, cadres) sont périodiquement repoussées par les politiques menées par les gouvernements auxquels participent les partis ouvriers traditionnels. À chaque fois, ceux-ci servent la minorité capitaliste au nom de « l’intérêt général » et de « la France », au détriment des prolétaires mais aussi des classes intermédiaires.

La déception politique des travailleurs se combine souvent à l’écoeurement et au désespoir sur les lieux de travail. Les organisations syndicales sont déstabilisées face à la montée du chômage, aux fermetures de sites, aux faillites d’entreprise. Pire, les directions confédérales abandonnent les revendications et sacrifient les acquis pour négocier les plans capitalistes contre les retraites, les salaires, la limitation du temps de travail, l’indemnisation des chômeurs, les statuts des fonctionnaires… Certaines signent, d’autres pas, mais toutes font au patronat et à l’État bourgeois des « propositions », toutes acceptent de discuter des attaques dans « l’intérêt national ».

Tant que le pays est capitaliste, l’intérêt national est déterminé par la classe capitaliste. Si le profit est insuffisant, le capitalisme local ne peut faire face à la concurrence. Alors, les travailleurs du pays (nationaux comme étrangers) doivent multiplier les concessions à ceux qui possèdent les moyens de production (que les entreprises soient françaises ou des filiales de groupes étrangers n’y change rien). Les salariés doivent accepter de toucher moins, de travailler plus vite ou plus longtemps, de partir plus tard en retraite, d’être limogés… sans que la détérioration du sort des producteurs cesse, puisque l’avidité du capital est sans limite.

La lutte contre la débâcle économique ne doit pas aboutir à la confiance en l’État, elle doit aboutir à la revendication d’un État dirigé par les prolétaires et les semi-prolétaires. (Lénine, La Débâcle économique et la façon prolétarienne de la combattre, 1917)

Les contorsions programmatiques et politiques du parti fascisant

La fille a beau succéder au père, la tradition pétainiste perdure.

Pour illustrer le site des candidats, il leur est demandé notamment des photos de mairie, de gendarmerie, de caserne de police ou de clocher d’église. (Le Parisien, 17 février 2014)

La seule différence entre Le Pen père et Le Pen fille est la volonté de la seconde de conduire le FN au pouvoir. À cette fin, elle reprend la stratégie de Mégret (et réintègre une partie des cadres du FN qui avaient été expulsés avec lui en 1998 par Le Pen père) : siphonner l’électorat de l’UMP et faire exploser le principal parti bourgeois du pays.

Cependant, les contradictions du FN lui-même, entre son aile fasciste et son aile conservatrice, entre la fraction de la bourgeoisie qu’il sert et qui le finance en retour (le capital français le moins internationalisé, les petits patrons), sa base militante (flics privés et publics, militaires, petits commerçants, artisans, paysans, professions libérales, petit encadrement, étudiants en droit…) et son électorat le plus populaire (qui inclut des chômeurs et des travailleurs salariés, surtout dans le nord et l’est, les régions qui ont le plus souffert du déclin du capitalisme français) ne peuvent que s’accroître.

Les discours de tout chef politique bourgeois sont par nature populistes et mensongers, puisqu’il doit obtenir le soutien à une classe ultra-minoritaire de la part d’une partie des classes sociales qui lui sont subordonnées. Un bel exemple de trucage est l’invocation de Jean Jaurès par Sarkozy et Le Pen, alors qu’ils sont les héritiers politiques des calomniateurs et des persécuteurs des militants des internationales ouvrières, pour ne pas dire des assassins de Jaurès.

En matière de démagogie, les partis fascisants comme le FN ne sont dépassés que par les aventuriers des partis fascistes. Donc, il ne faut pas prendre au pied de la lettre le programme officiel du FN (Notre projet, 2012). Néanmoins, le parcourir est instructif.

  • « Rétablissement de la peine de mort » (p. 19). Ce serait une régression vers une société moins civilisée. Mais serait-elle vraiment appliquée, sans exception, aux pires crimes, comme les enlèvements, tortures et exécutions de combattants algériens ? Cela pourrait menacer certains fondateurs du FN et même poser un problème familial à Marine Le Pen.
  • « Le non respect par un demandeur d’emploi des obligations imposées par Pôle Emploi sera plus sérieusement vérifié » (p. 66). Davantage de contrainte sur les chômeurs : aucun différence avec les économistes libéraux et l’UMP pour qui les fraudeurs sont les bénéficiaires du RMI ou de l’allocation chômage, pas les capitalistes comme Liliane Bettencourt.
  • « L’apprentissage à 14 ans sera rétabli » (p. 28) ; « l’objectif sera de passer à environ 700 000 d’apprentis contre 500 000 aujourd’hui. La suppression du collège unique et la valorisation des filières professionnelles participeront de cet effort » (p. 61). Suppression du collège qui tente de brasser toutes les classes sociales, rétablissement du droit d’exploiter des adolescents (pas les enfants des dirigeants du FN) : c’est la réaction. L’apprentissage est le seul contrat précaire mentionné dans le programme : l’emploi selon le FN, c’est celui qui a la préférence des patrons.
  • « L’institution d’une Contribution Sociale aux Importations égale à 3 % du montant des biens importés » (p. 72) : créer ou augmenter des droits de douane renchérit le prix des produits importés (dont le pétrole et le gaz) et fait courir le risque de mesures de rétorsion des États étrangers envers les exportations françaises ; en outre, l’UE repose sur la suppression (réciproque) des droits de douane pour tous les États-membres (et la fixation de droits de douanes communs aux frontières de l’UE) : cette taxe impose donc, au préalable, de quitter l’UE… alors que le programme parle hypocritement de « renégociation nécessaire des Traités européens » (p. 6).
  • « La France doit préparer, avec ses partenaires européens, le retour aux monnaies nationales » (p. 48). Outre le coût du changement de monnaie, le capitalisme français en pâtirait de deux façons : l’augmentation du prix des produits importés ; celle du taux d’intérêt.
  • « Lorsque l’on constate la situation de délabrement actuel du secteur public (santé, police, justice, armée,..) » (p. 89). La liste est parlante : le « secteur public » du FN, c’est avant tout l’appareil répressif de l’État bourgeois, ce qui éclaire aussi sur son « État fort ». L’argent y sera : « Revenir à un effort de défense suffisant en parvenant progressivement sur cinq ans à 2% du PIB » (p. 4) ; les libertés un peu moins : « Mise en place d’une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre concernant l’exercice de leurs fonctions » (p. 19).
  • « Des syndicats plus à même d’entrer dans des logiques de concertation constructives et moins tentés de recourir à un rapport de forces (grève, manifestation) » (p. 67). Le FN annonce qu’il veut empêcher la lutte de classe des salariés et accentuer la transformation des syndicats en organes de collaboration de classe, intégrés à l’État bourgeois « fort ».
  • « La défense du patrimoine sera remise au premier plan, qu’il s’agisse des monuments historiques ou du patrimoine rural (églises ou autres), faisant l’objet d’un plan d’urgence » (p. 25). Le FN affecte la laïcité, mais pas question de supprimer les subventions publiques à l’Église catholique (écoles privées, clergé de l’Est, etc.). Et quand elle se révèle incapable d’entretenir ses lieux de culte, généralement sans intérêt architectural, le FN propose d’y mettre l’argent de tous. La prétendue laïcité du FN est discriminatoire, elle s’applique uniquement aux musulmans et aux israélites (« combattre le communautarisme et le fondamentalisme islamique », p. 105). Le FN vise aussi les enseignants : « la laïcité qui est non seulement la neutralité religieuse mais aussi la neutralité politique sera appliquée avec la plus grande fermeté » (p. 27).

Comment se débarrasser du front raciste et des groupes nazis ?

Toutes les organisations ouvrières et étudiantes devraient s’unir pour défendre les élèves et travailleurs étrangers contre la police, se protéger des bandes fascistes et interdire, dans les quartiers populaires, aux portes des lieux de travail, dans les lieux d’études, toute propagande raciste organisée.

Une première manifestation s’est déroulée ce matin devant le commissariat de Saint-Nazaire, à l’initiative du collectif Uni(es) contre l’immigration jetable. Fayçal Le lycéen, arrivé à Saint-Nazaire à l’âge de 16 ans, poursuit des études au lycée Boulloche. Hier, il a été contrôlé à Saint-Nazaire et placé en rétention au commissariat, d’où il est sorti avant midi, mais avec une nouvelle obligation de quitter le territoire. La mobilisation s’est renforcée dans l’après-midi. 200 lycéens se sont réunis devant le lycée Boulloche… Ils réclament que leur copain puisse terminer ses études librement. (Ouest France, 3 avril 2014)

Pour saper la xénophobie et le fascisme, il faut ouvrir une perspective radicale aux chômeurs, aux salariés, aux jeunes en formation, aux paysans… Les directions actuelles du mouvement ouvrier ne peuvent le faire car elles sont soumises à la classe dominante. Il faut donc un nouveau parti, un parti ouvrier révolutionnaire, communiste, internationaliste.

Il luttera pour l’interdiction des licenciements, la diminution du temps de travail, pour l’auto-organisation des salariés, pour l’autodéfense, pour un gouvernement des travailleurs, pour la destruction de l’État bourgeois, pour l’expropriation du capital.

Seuls la dictature du prolétariat, la planification de la production par les conseils de travailleurs, les États-Unis socialistes d’Europe ouvrant la voie à la fédération socialiste mondiale, peuvent mettre fin à l’exploitation et à l’oppression, extirper les préjugés ethniques, permettre l’épanouissement individuel.

5 avril 2014