Le capitalisme mondial à l’orée de 2014

Le prolétariat subit encore les effets de la crise capitaliste mondiale de 2007-2009

Apparemment, la crise est derrière nous. Depuis 2010, la production mondiale croît, ainsi que le commerce international. La Banque mondiale prévoit que le produit intérieur brut du monde va augmenter de +3,2 % en 2014 par rapport à celui de 2013 ; le Fonds monétaire international prévoit même +3,6 %. Les « économies avancées » renoueraient avec la croissance (+1,5% selon le FMI) surtout grâce aux États-Unis, alors que les « économies émergentes » verraient leur croissance se poursuivre à un rythme élevé (+5 % selon le FMI) grâce à la Chine et quelques autres, bien que certaines ralentissent nettement (comme le Brésil : +1 %).
En outre, la crise a rebattu les cartes entre les puissances impérialistes. Le capitalisme français s’est effondré comme en témoignent la baisse de sa part de marché (les exportations de marchandises ne représentent désormais que 3 % des exportations mondiales) et son solde des échanges (le déficit tourne autour de -60 milliards d’euros par an). Alors que la zone euro retrouve la croissance, la France est un des pays où la reprise est la plus faible (le FMI prévoit +0,9 % de croissance en 2014) ; en particulier, sa production industrielle reste inférieure à celle d’avant la crise. Tel est le contexte qui a nourri la fronde victorieuse les patrons français contre l’impôt et qui pousse Hollande dans les bras de Gattaz.
Dans le monde entier, le retour de la croissance économique a profité surtout aux capitalistes, ce que confirment les statistiques sur les revenus français.
Entre 2008 et 2011… les 10 % les plus riches ont gagné presque 24 milliards d’euros, la masse de leurs revenus ayant augmenté de 335,6 à 359,6 milliards d’euros. À lui seul, ce dixième le plus riche a reçu 70 % de l’ensemble de la croissance de l’ensemble des revenus (24 milliards). (Observatoire des inégalités, 21 janvier 2014)
La reprise économique mondiale n’a pas résorbé l’immense armée de réserve du capitalisme qui paupérise une partie de la classe ouvrière et pèse sur les salaires. Selon l’Organisation internationale du travail, le nombre de chômeurs a atteint 202 millions en 2013, 6 % de la population active mondiale, sans compter les découragés qui ne recherchent plus un emploi. Vu la faiblesse particulière de la croissance française, la baisse du chômage promise par Hollande est peu vraisemblable.
Le taux de chômage s’est établi à 10,9 % de la population active en moyenne au troisième trimestre 2013 (10,5 % en France métropolitaine)… D’ici mi-2014, le taux de chômage augmenterait de 0,1 point, à 11,0 %. (INSEE, Note de conjoncture, décembre 2013)

Un capitalisme mondial drogué aux interventions étatiques

La reprise est fragile, parce que la crise capitaliste mondiale de 2007-2009 a été atténuée par les États nationaux, chacun pour soi, au prix de palliatifs qui préparent la prochaine.
Les crises ne sont jamais que des solutions momentanées et violentes des contradictions existantes qui rétablissent pour un moment l’équilibre troublé. (Karl Marx, Le Capital, III, ch. 15)
Le prolétariat mondial a payé un prix élevé à la crise : chômage de masse, intensification du travail, baisse des salaires… ce dont témoigne en France la loi de flexibilité votée par la majorité PS-EELV-PRG. À l’échelle globale, le taux d’exploitation s’est accru. Par contre, les faillites ont été limitées artificiellement, les grands groupes bancaires et industriels ont été aidés partout par leur État, sans égard pour les dogmes libéraux.
Par exemple, le gouvernement Sarkozy, qui disait que les caisses de l’État étaient vides, a prêté par dizaines de milliards aux banques françaises, et donné des milliards aux groupes industriels PSA, Renault, Alstom… Le gouvernement Hollande a déjà garanti à hauteur de 7 milliards d’euros la filiale bancaire de PSA, il apporte maintenant 1,5 milliard au groupe PSA lui-même et 1 milliard d’euros au groupe d’armement Dassault.
En sus, les grandes banques centrales du monde injectent à haute dose des crédits dans leur capitalisme depuis cinq ans.
Quand la crise frappa, les grandes banques centrales comme la Fed et la Bank of England cassèrent leur taux d’intervention sur le marché interbancaire pour stimuler l’économie. (The Economist, 14 janvier 2014)
Les déficits budgétaires et les politiques monétaires « accommodantes » sont les deux axes des politiques économiques d’inspiration keynésienne pour relancer le capitalisme en cas de « récession ». Keynes était un économiste bourgeois du temps du déclin du capitalisme, qui s’en remettait à l’État bourgeois et au protectionnisme pour pallier l’insuffisance de la demande qui était, pour lui, la cause des crises. L’argument est que, si la banque centrale prête à bas taux aux banques ordinaires, celles-ci répercuteront en proposant des prêts moins coûteux à leurs clients. Les entreprises non financières et les ménages empruntant davantage, ils dépensent plus. Donc la demande de biens et de services augmente. En réalité, si le taux de profit qu’obtiennent les entreprises capitalistes est insuffisant, elles n’investissent pas davantage, même si le taux d’intérêt qu’elles doivent verser est réduit.
Mais, même en coupant le taux directeur autant qu’elles purent, jusqu’à proximité de zéro, elles échouèrent à déclencher la relance. Les banques centrales commencèrent alors à expérimenter d’autres outils pour encourager les banques à injecter de la monnaie dans l’économie. (The Economist, 14 janvier 2014)
Alors, les banques centrales se mirent à pratiquer des « politiques non conventionnelles » en ajoutant à la baisse des taux directeurs un « assouplissement quantitatif » : prolonger les prêts aux banques, leur prêter autant qu’elles le demandent, accepter en garantie des actifs douteux, leur racheter des obligations d’État…
Les banques centrales créent de l’argent en rachetant aux banques des actifs comme les obligations d’État contre de la monnaie nouvelle… Comme la baisse des taux, l’assouplissement quantitatif est supposé stimuler l’économie en poussant les banques à prêter. L’idée est que les banques se servent de la monnaie obtenue pour acheter de nouveaux titres pour remplacer ceux qu’elles ont vendus à la banque centrale. Cela fait augmenter la valeur des actions et baisser les taux d’intérêt, ce qui promeut l’investissement. (The Economist, 14 janvier 2014)
La dépendance du capitalisme décadent au crédit fourni par un rouage de l’État bourgeois est telle que le FMI conseille de le sevrer progressivement.
Dans les économies avancées en particulier, les banques centrales ne devraient revenir à des politiques monétaires plus conventionnelles que lorsqu’une croissance vigoureuse sera fermement établie. (Christine Lagarde, Allocution, 15 janvier 2014)
Les banques sont en fait subventionnées. Les conséquence sont que la masse monétaire mondiale augmente bien plus vite que le PIB mondial et que, malgré toutes les diatribes des gouvernants contre « la finance » (en France, tant de Sarkozy que de Hollande), la spéculation a repris, sur les dérivés et sur les actions, ce qui explique la remontée spectaculaire des grandes bourses mondiales.
Cependant, il n’y a aucun consensus sur l’assouplissement quantitatif. Des études soutiennent qu’il augmente un peu l’activité économique. Mais certaines se préoccupent du flot de liquidités qui encourage les comportements financiers à risque et qui inonde las pays émergents qui éprouvent des difficultés à gérer tant de monnaie. D’autres redoutent que, lorsque les banques centrales vendront les actifs qu’elles ont accumulés, les taux d’intérêt bondiront, mettant en cause la reprise. (The Economist, 14 janvier 2014)
Quand les banques centrales, y compris la BCE, rachètent des obligations émises par un État, elles financent indirectement l’État qui les a émises (la « planche à billets », officiellement interdite par les traités de l’Union européenne). Ainsi, la dette publique mondiale dépasse 35 000 milliards de dollars (à titre de comparaison le PIB annuel de la France est de 2 800 milliards de dollars). La dette publique des 10 principales économies capitalistes est passée de 78 % de leur PIB en 2007 à 114 % en 2014. Partout, ce sont les travailleurs qui devraient supporter le remboursement de ces dettes publiques et le versement des intérêts aux mêmes riches qui réclament des diminutions d’impôt.
Les pays dont la marge de manœuvre est plus limitée pourraient être contraints de resserrer leur politique budgétaire pour réduire leurs besoins de financement. (Banque mondiale, Communiqué de presse, 14 janvier 2014)
La France faisant partie des pays les plus endettés, Hollande s’emploie à « resserrer la politique budgétaire », c’est-à-dire à poursuivre le blocage des salaires des fonctionnaires et à couper dans les dépenses sociales.

Les rivalités impérialistes s’intensifient

Evolution du PIB de la Chine

En Asie, les tensions persistent en mer de Chine. L’impérialisme chinois veut assurer la sécurité de ses voies maritimes et affaiblir la domination japonaise et américaine dans la zone pacifique. Le gouvernement Abe du Japon veut changer la constitution trop pacifiste et développer l’armée. Dans le conflit des îles avec la Chine, il répond rapidement. Les EU appuient le Japon et font des démonstrations de force militaire.
En Syrie, c’est la Russie a obtenu la sortie de la crise au profit de Assad alors que les EU, la Grande-Bretagne et la France envisageaient d’intervenir directement. Il y a eu récemment un affrontement violent au sein de l’insurrection, entre Al-Qaida et les Frères musulmans. Au début c’était une révolution populaire contre un régime policier, puis elle s’est transformée en guerre entre deux fractions bourgeoises soutenues chacune par des gouvernements régionaux réactionnaires (Iran et Irak pour Assad ; Turquie, Arabie saoudite et Qatar contre) et les puissances impérialistes (Russie et Chine pour Assad ; EU et UE contre), au détriment des travailleurs, des femmes, des minorités nationales et religieuses.
En Ukraine, les manifestations dites « pro-européennes » traduisent l’aspiration des travailleurs et des jeunes aux libertés démocratiques et à l’indépendance nationale, mais elles sont dirigées par des partis bourgeois, voire fascistes. Le conflit oppose deux cliques de la bourgeoisie qui misent sur des impérialismes différents, l’Allemagne et les États-Unis pour l’une, la Russie pour l’autre. C’est la Russie qui semble gagner la partie. En effet, le préalable de l’Union européenne était draconien (restriction des dépenses publiques, rupture avec la Russie…), alors que la Russie n’a mis, officiellement, aucune condition à son aide.
L’impérialisme français a joué un rôle secondaire en Ukraine, peut-être échaudé par l’échec antérieur de Sarkozy en Géorgie. Au même moment, il est intervenu militairement et politiquement en Centrafrique. La France se voudrait incontournable pour le maintien de l’ordre en Afrique, en profitant des difficultés miliaires et diplomatiques des États-Unis, des limitations miliaires de la Chine, elle tente de s’affirmer à l’échelle de tout le continent, y compris les pays anglophones où la croissance est plus forte. Au-delà de l’annonce du retrait de troupes du Mali, il s’agit d’une installation militaire permanente.
Le puzzle comprendra les « pôles de coopération » anciens, bases capables de piloter de grosses opérations ou d’être des réserves de forces – Dakar, N’Djamena, Libreville, Djibouti – à côté de points d’entrée côtiers – Douala, Abidjan – pour acheminer des renforts, et de ponts d’appui nombreux, plus ou moins importants au gré des besoins, armés le plus souvent de forces spéciales : Atar en Mauritanie, Gao et Tessalit au Mali, Ouagadougou au Burkina Faso, et, au Niger, Niamey (le tout nouveau pôle dévolu aux drones et au renseignement)… (Le Monde, 5 janvier 2014)
Les dépenses militaires sont sous-estimées dans le budget prévu de l’État, car les interventions extérieures font, chaque année, exploser les prévisions. L’intervention au Mail a rapporté à l’armée ½ milliard supplémentaire.
La défense bénéficiera de 578 millions d’euros dans le projet de loi de finances rectificative, assurés par la solidarité interministérielle, pour financer le surcoût des opérations extérieures (Opex) des armées, notamment au Mali. (Le Monde, 28 novembre 2013)
Pour l’armée, la police et les groupes capitalistes de l’armement, il n’y a pas d’austérité budgétaire.

Socialisme ou barbarie ?

Le capitalisme entraîne l’humanité vers la catastrophe. La voie pour en sortir ne repose pas sur davantage d’État bourgeois, mais sur sa liquidation pour faire place à la libre association des producteurs.
Les raisons d’espérer sont la mobilisation des lycéens en France contre l’expulsion de jeunes étrangers par le gouvernement dirigé par le Parti « socialiste », les manifestations de la population d’Ukraine pour les libertés démocratiques, la rupture du syndicat de la métallurgie avec le gouvernement de massacreur de mineurs de l’ANC et du Parti « communiste » sud-africain, la résistance des Kurdes de Syrie tant au régime sanguinaire de Assad qu’aux bandes armées cléricales liées à Al-Qaida, les mobilisations des ouvrières du textile du Bangladesh et du Cambodge…

Pour que les peuples puissent véritablement s’unir, il faut que leur intérêt soit commun. Pour que leur intérêt puisse être commun, il faut abolir les rapports de propriété actuels, qui déterminent l’exploitation des peuples entre eux. Or, seule la classe ouvrière a intérêt à éliminer les conditions de propriété actuelles, de même qu’elle seule en a les moyens. La victoire du prolétariat sur la bourgeoisie sera en même temps la victoire sur les conflits des nations et des économies qui, de nos jours, poussent chaque peuple contre l’autre. La victoire du prolétariat sera donc le signal de la libération de tous les peuples opprimés. (Karl Marx, Discours de soutien à la Pologne, 30 novembre 1847)

27 janvier 2014