(Programme de transition), septembre 1938
Les conditions objectives pour une révolution socialiste
La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat.
Les prémisses économiques de la révolution prolétarienne ont globalement atteint le point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme. Les forces productives de l’humanité stagnent. Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus à un accroissement de la richesse matérielle. Les crises conjoncturelles, dans les conditions de la crise sociale de tout le système capitaliste, accablent les masses de privations et de souffrances toujours plus grandes. La croissance du chômage approfondit, à son tour, la crise financière de l’État et sape les systèmes monétaires ébranlés. Les gouvernements, tant démocratiques que fascistes, vont d’une banqueroute à l’autre.
La bourgeoisie elle-même ne voit pas d’issue. Dans les pays où elle s’est déjà trouvée contrainte de miser son dernier enjeu sur la carte du fascisme, elle marche maintenant les yeux fermés à la catastrophe économique et militaire. Dans les pays historiquement privilégiés, c’est-à-dire ceux où elle peut encore se permettre, pendant quelque temps, le luxe de la démocratie aux dépens de l’accumulation nationale antérieure (Grande-Bretagne, France, États-Unis, etc.), tous les partis traditionnels du capital se trouvent dans une situation de désarroi qui frise, par moments, la paralysie de la volonté. Le New Deal, malgré le caractère résolu dont il faisait étalage dans la première période, ne représente qu’une forme particulière de désarroi, possible seulement dans un pays où la bourgeoisie a pu accumuler des richesses sans nombre. La crise actuelle, qui est encore loin d’avoir dit son dernier mot, a pu déjà montrer que la politique du New Deal aux États-Unis, pas plus que la politique du Front populaire en France, n’ouvre aucune issue dans l’impasse économique.
Le tableau des relations internationales n’a pas meilleur aspect. Sous la pression croissante du déclin capitaliste, les antagonismes impérialistes ont atteint la limite au-delà de laquelle les divers conflits et explosions sanglantes (Éthiopie, Espagne, Extrême-Orient, Europe centrale…), doivent infailliblement se confondre en un incendie mondial. Bien entendu, la bourgeoisie se rend compte du danger mortel qu’une nouvelle guerre représente pour sa domination. Mais elle est actuellement infiniment moins capable de prévenir la guerre qu’à la veille de 1914.
Les bavardages de toutes sortes selon lesquels les conditions historiques ne seraient pas encore « mûres » pour le socialisme ne sont que le produit de l’ignorance ou d’une tromperie consciente. Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres ; elles ont même commencé à pourrir. Sans révolution socialiste, et cela dans la prochaine période historique, la civilisation humaine tout entière est menacée d’être emportée dans une catastrophe. Tout dépend du prolétariat, c’est-à-dire au premier chef de son avant-garde révolutionnaire. La crise historique de l’humanité se concentre dans la crise de la direction révolutionnaire.
Le prolétariat et ses directions
L’économie, l’État, la politique de la bourgeoisie et ses relations internationales sont profondément atteintes par la crise sociale qui caractérise la situation prérévolutionnaire de la société. Le principal obstacle dans la voie de la transformation de la situation prérévolutionnaire en situation révolutionnaire, c’est le caractère opportuniste de la direction du prolétariat, sa couardise petite-bourgeoise devant la grande bourgeoisie, les liens traîtres qu’elle maintient avec celle-ci, même dans son agonie.
Dans tous les pays, le prolétariat est saisi d’une profonde angoisse. Des masses de millions d’hommes s’engagent sans cesse sur la voie de la révolution. Mais, chaque fois, elles s’y heurtent à leurs propres appareils bureaucratiques conservateurs.
Le prolétariat espagnol a fait, depuis avril 1931, une série de tentatives héroïques pour prendre dans ses mains le pouvoir et la direction des destinées de la société. Cependant, ses propres partis ─social-démocrate, stalinien, anarchiste et POUM, chacun à sa manière─ ont joué le rôle de frein et ont ainsi préparé le triomphe de Franco.
En France, la puissante vague de grèves avec occupation des usines, particulièrement en juin 1936, a bien montré que le prolétariat était complètement prêt à renverser le système capitaliste. Cependant les organisations dirigeantes (socialistes, staliniennes et syndicalistes) ont réussi, sous l’étiquette du Front populaire, à canaliser et à arrêter, au moins momentanément, le torrent révolutionnaire.
La vague sans précédent de grèves avec occupation des usines et la croissance prodigieusement rapide du « syndicalisme d’industrie » aux États-Unis (le CIO) sont l’expression la plus indiscutable de l’aspiration des travailleurs américains à s’élever au niveau des tâches que l’histoire leur a assignées. Cependant, ici aussi, les organisations dirigeantes, y compris le CIO nouvellement créé, font tout ce qu’elles peuvent pour contenir et paralyser l’offensive révolutionnaire des masses.
Le passage définitif de l’Internationale communiste du côté de l’ordre bourgeois, son rôle cyniquement contre-révolutionnaire dans le monde entier, particulièrement en Espagne, en France, aux États-Unis et dans les autres pays « démocratiques », ont créé d’extraordinaires difficultés supplémentaires au prolétariat mondial. Sous le signe de la révolution d’Octobre, la politique conciliatrice des « fronts populaires » voue la classe ouvrière à l’impuissance et fraie la voie au fascisme.
Les « fronts populaires » d’une part, le fascisme de l’autre, sont les dernières ressources politiques de l’impérialisme dans la lutte contre la révolution prolétarienne. Du point de vue historique, ces deux ressources ne sont cependant que des fictions. La putréfaction du capitalisme continue aussi bien sous le signe du bonnet phrygien en France que sous le signe de la swastika en Allemagne. Seul, le renversement du capitalisme peut ouvrir une issue.
L’orientation des masses est déterminée, d’une part, par les conditions objectives du capitalisme pourrissant ; d’autre part, par la politique de trahison des vieilles organisations ouvrières. De ces deux facteurs, le facteur décisif est, bien entendu, le premier : les lois de l’histoire sont plus puissantes que les appareils bureaucratiques. Quelle que soit la diversité des méthodes des social-traîtres -de la législation « sociale » de Léon Blum aux falsifications judiciaires de Staline- ils ne réussiront jamais à briser la volonté révolutionnaire du prolétariat. De plus en plus, leurs efforts désespérés pour arrêter la roue de l’histoire démontreront aux masses que la crise de la direction du prolétariat, qui est devenue la crise de la civilisation humaine, ne peut être résolue que par la 4e Internationale.
Programme minimum et programme de transition
La tâche stratégique de la prochaine période -période prérévolutionnaire d’agitation, de propagande et d’organisation- consiste à surmonter la contradiction entre la maturité des conditions objectives de la révolution et la non-maturité du prolétariat et de son avant-garde (désarroi et découragement de la vieille génération, manque d’expérience de la jeune). Il faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat.
La sociale-démocratie classique, qui développa son action à l’époque où le capitalisme était progressiste, divisait son programme en deux parties indépendantes l’une de l’autre : le programme minimum, qui se limitait à des réformes dans le cadre de la société bourgeoise, et le programme maximum, qui promettait pour un avenir indéterminé le remplacement du capitalisme par le socialisme. Entre le programme minimum et le programme maximum, il n’y avait aucun pont. La sociale-démocratie n’a pas besoin de ce pont, car de socialisme, elle ne parle que les jours de fête.
L’Internationale communiste est entrée dans la voie de la sociale-démocratie à l’époque du capitalisme pourrissant, alors qu’il ne peut plus être question de réformes sociales systématiques ni de l’élévation du niveau de vie des masses ; alors que la bourgeoisie reprend chaque fois de la main droite le double de ce qu’elle a donné de la main gauche (impôts, droits de douane, inflation, déflation, vie chère, chômage, réglementation policière des grèves, etc.) ; alors que chaque revendication sérieuse du prolétariat et même chaque revendication progressiste de la petite bourgeoisie conduisent inévitablement au-delà des limites de la propriété capitaliste et de l’État bourgeois.
La tâche stratégique de la 4e Internationale ne consiste pas à réformer le capitalisme, mais à le renverser. Son but politique est la conquête du pouvoir par le prolétariat pour réaliser l’expropriation de la bourgeoisie. Cependant, l’accomplissement de cette tâche stratégique est inconcevable sans que soit portée la plus grande attention à toutes les questions de tactique, mêmes petites et partielles.
Toutes les fractions du prolétariat, toutes ses couches, professions et groupes doivent être entraînés dans le mouvement révolutionnaire. Ce qui distingue l’époque actuelle, ce n’est pas qu’elle affranchit le parti révolutionnaire du travail prosaïque de tous les jours, mais qu’elle permet de mener cette lutte en liaison indissoluble avec les tâches de la révolution.
La 4e Internationale ne repousse pas les revendications du vieux programme « minimum », dans la mesure où elles ont conservé quelque force de vie. Elle défend inlassablement les droits démocratiques des travailleurs et leurs conquêtes sociales. Mais elle mène ce travail de tous les jours dans le cadre d’une perspective correcte, réelle, c’est-à-dire révolutionnaire. Dans la mesure où les vieilles revendications partielles « minimum » des masses se heurtent aux tendances destructives et dégradantes du capitalisme décadent -et cela se produit à chaque pas-, la 4e Internationale met en avant un système de revendications transitoires dont le sens est de se diriger de plus en plus ouvertement et résolument contre les bases mêmes du régime bourgeois. Le vieux « programme minimum » est constamment dépassé par le programme de transition dont la tâche consiste en une mobilisation systématique des masses pour la révolution prolétarienne.
Échelle mobile des salaires et échelle mobile des heures de travail
Dans les conditions du capitalisme en décomposition, les masses continuent à vivre la morne vie d’opprimés qui, maintenant plus que jamais, sont menacés d’être jetés dans l’abîme du paupérisme. Elles sont contraintes de défendre leur morceau de pain, même si elles ne peuvent l’augmenter ou l’améliorer. Il n’y a ni possibilité ni besoin d’énumérer ici les diverses revendications partielles qui surgissent chaque fois des circonstances concrètes, nationales, locales, professionnelles. Mais deux maux économiques fondamentaux dans lesquels se résume l’absurdité croissante du système capitaliste, à savoir le chômage et la cherté de la vie, exigent des mots d’ordre et des méthodes de lutte généralisés.
La 4e Internationale déclare une guerre implacable à la politique des capitalistes qui, pour une part considérable, est celle de leurs agents, les réformistes, tendant à faire retomber sur les travailleurs tout le fardeau du militarisme, de la crise, de la désagrégation des systèmes monétaires et de tous les autres maux de l’agonie capitaliste. Elle revendique du travail et des conditions de vie décentes pour tous.
Ni l’inflation monétaire, ni la stabilisation ne peuvent servir de mots d’ordre au prolétariat, car ce sont deux bouts d’un même bâton. Contre la cherté de la vie, qui, au fur et à mesure que la guerre se rapprochera, prendra un caractère de plus en plus débridé, on ne peut lutter qu’avec le mot d’ordre de l’échelle mobile des salaires. Les contrats collectifs doivent assurer l’augmentation automatique des salaires, corrélativement à la montée des prix des articles de consommation.
Sous peine de se vouer lui-même à la dégénérescence, le prolétariat ne peut tolérer la transformation d’une partie croissante des travailleurs en chômeurs chroniques, en miséreux vivant des miettes d’une société en décomposition. Le droit au travail est le seul droit sérieux que l’ouvrier ait dans une société fondée sur l’exploitation. Cependant, ce droit lui est enlevé à chaque instant. Contre le chômage, tant « structurel » que « conjoncturel », il est temps de lancer, en même temps que le mot d’ordre des travaux publics, celui de l’échelle mobile des heures de travail. Les syndicats et les autres organisations de masse doivent lier ceux qui ont du travail et ceux qui n’en ont pas par les engagements mutuels de la solidarité. Le travail disponible doit être réparti entre tous les travailleurs existants, ce qui déterminera la longueur de la semaine de travail. Le salaire moyen de chaque ouvrier reste le même qu’avec l’ancienne semaine de travail ! Le salaire, avec un minimum strictement assuré, suit le mouvement des prix. Aucun autre programme ne peut être accepté pour l’actuelle période de catastrophes.
Les propriétaires et leurs avocats démontreront « l’impossibilité de réaliser » ces revendications. Les capitalistes de moindre taille, surtout ceux qui marchent à la ruine, invoqueront, en outre, leur livre de comptes. Les travailleurs rejetteront catégoriquement ces arguments et ces références. Il ne s’agit pas du heurt « normal » d’intérêts matériels opposés. Il s’agit de préserver le prolétariat de la déchéance, de la démoralisation et de la ruine. Il s’agit de la vie et de la mort de la seule classe créatrice et progressiste et, par là même, de l’avenir de l’humanité. Si le capitalisme est incapable de satisfaire les revendications qui surgissent infailliblement des maux qu’il a lui-même engendrés, qu’il périsse ! La « possibilité » ou « l’impossibilité » de réaliser les revendications est, dans le cas présent, une question de rapport des forces, qui ne peut être résolue que par la lutte. Sur la base de cette lutte, quels que soient ses succès pratiques immédiats, les travailleurs comprendront mieux que tout la nécessité de liquider l’esclavage capitaliste.
Les syndicats dans l’époque de transition
Dans la lutte pour les revendications partielles et transitoires, les travailleurs ont actuellement plus besoin que jamais d’organisations de masse, avant tout de syndicats. La puissante montée des syndicats en France et aux États-Unis est la meilleure réponse aux doctrinaires ultragauches de la passivité qui prêchaient que les syndicats « avaient fait leur temps ».
Les bolcheviks-léninistes se trouvent aux premiers rangs de toutes les formes de lutte, même là où il s’agit seulement des intérêts matériels ou des droits démocratiques les plus modestes de la classe ouvrière. Ils prennent une part active à la vie des syndicats de masse, se préoccupent de les renforcer et d’accroître leur esprit de lutte. Ils luttent implacablement contre toutes les tentatives de soumettre les syndicats à l’État bourgeois et de lier le prolétariat par « l’arbitrage obligatoire » et toutes les autres formes d’intervention policière, non seulement fascistes, mais aussi « démocratique ». C’est seulement sur la base de ce travail, qu’il est possible de lutter avec succès à l’intérieur des syndicats contre la bureaucratie réformiste, et en particulier contre la bureaucratie stalinienne. Les tentatives sectaires d’édifier ou de maintenir des petits syndicats « révolutionnaires » comme une seconde édition du parti signifient, en fait, le renoncement à la lutte pour la direction de la classe ouvrière. Il faut poser ici comme un principe inébranlable : l’auto-isolement capitulard hors des syndicats de masses, équivalant à la trahison de la révolution, est incompatible, avec l’appartenance à la 4e Internationale.
En même temps, la 4e Internationale rejette et condamne résolument tout fétichisme du syndicat, propre aux syndicalistes :
- Les syndicats n’ont pas et, vu leurs tâches, leur composition et le caractère de leur recrutement, ne peuvent avoir de programme révolutionnaire achevé ; c’est pourquoi ils ne peuvent remplacer le parti. L’édification de partis révolutionnaires nationaux, sections de la 4e Internationale, est la tâche centrale de l’époque de transition.
- Les syndicats, même les plus puissants, n’embrassent pas plus de 20 à 25 % de la classe ouvrière et, d’ailleurs, ses couches les plus qualifiées et les mieux payées. La majorité la plus opprimée de la classe ouvrière n’est entraînée dans la lutte qu’épisodiquement, dans les périodes d’essor exceptionnel du mouvement ouvrier. À ce moment-là, il est nécessaire de créer des organisations adéquates, qui embrassent toute la masse en lutte : les comités de grève, les comités d’usine et, enfin, les soviets.
- En tant qu’organisation des couches supérieures du prolétariat, les syndicats, comme en témoigne toute l’expérience historique, y compris l’expérience toute fraîche des syndicats anarcho-syndicalistes d’Espagne, développent de puissantes tendances à la conciliation avec le régime démocratique bourgeois. Dans les périodes de luttes de classes aiguës, les appareils dirigeants des syndicats s’efforcent de se rendre maîtres du mouvement des masses pour le neutraliser. Cela se produit déjà lors de simples grèves, surtout lors des grèves de masse avec occupation, qui ébranlent les principes de la propriété bourgeoise. En temps de guerre ou de révolution, quand la situation de la bourgeoisie devient particulièrement difficile, les dirigeants syndicaux deviennent ordinairement des ministres bourgeois.
C’est pourquoi les sections de la 4e Internationale doivent constamment s’efforcer, non seulement de renouveler l’appareil des syndicats, en proposant hardiment et résolument dans les moments critiques de nouveaux cadres prêts à la lutte à la place des fonctionnaires routiniers et des carriéristes, mais encore de créer, dans tous les cas où c’est possible, des organisations de combat autonomes qui répondent mieux aux tâches de la lutte des masses contre la société bourgeoise, sans même s’arrêter, si c’est nécessaire, devant une rupture ouverte avec l’appareil conservateur des syndicats. S’il est criminel de tourner le dos aux organisations de masse pour se contenter de fictions sectaires, il n’est pas moins criminel de tolérer passivement la subordination du mouvement révolutionnaire des masses au contrôle de cliques bureaucratiques ouvertement réactionnaires ou conservatrices masquées (« progressistes »). Le syndicat n’est pas une fin en soi, mais seulement un des moyens dans la marche à la révolution prolétarienne.
Les comités d’usine
Le mouvement ouvrier de l’époque de transition n’a pas un caractère régulier et égal, mais fiévreux et explosif. Les mots d’ordre, de même que les formes d’organisation, doivent être subordonnés à ce caractère du mouvement. Rejetant la routine comme la peste, la direction doit prêter attentivement l’oreille à l’initiative des masses elles-mêmes.
Les grèves avec occupation des usines, une des plus récentes manifestations de cette initiative, sortent des limites du régime capitaliste « normal ». Indépendamment des revendications des grévistes, l’occupation temporaire des entreprises porte un coup à l’idole de la propriété capitaliste. Toute grève avec occupation pose dans la pratique la question de savoir qui est le maître dans l’usine : le capitaliste ou les travailleurs.
Si la grève avec occupation soulève cette question épisodiquement, le comité d’usine donne à cette même question une expression organisée. Élu par tous les ouvriers et employés de l’entreprise, le comité d’usine crée d’un coup un contrepoids à la volonté de l’administration.
À la critique que les réformistes font des patrons de l’ancien type, ceux qu’on appelle les « patrons de droit divin », du genre de Ford, en face des « bons » exploiteurs « démocratiques », nous opposons le mot d’ordre des comités d’usine comme centres de lutte contre les uns et les autres.
Les bureaucrates des syndicats s’opposeront, en règle générale, à la création de comités d’usine, de même qu’ils s’opposeront à tout pas hardi dans la voie de la mobilisation des masses. Il sera, cependant, d’autant plus facile de briser leur opposition que le mouvement aura plus d’ampleur. Là où les travailleurs de l’entreprise, dans les périodes « calmes », appartiennent déjà tous aux syndicats (monopole d’embauche), le comité coïncidera formellement avec l’organe du syndicat, mais il en renouvellera la composition et en élargira les fonctions. Cependant, la principale signification des comités est de devenir des états-majors de combat pour les couches ouvrières que le syndicat n’est, en général, pas capable d’atteindre. C’est d’ailleurs précisément de ces couches les plus exploitées que sortiront les détachements les plus dévoués à la révolution. Dès que le comité fait son apparition, il s’établit une dualité de pouvoir de fait dans l’usine. Par son essence même, cette dualité de pouvoir est quelque chose de transitoire, car elle renferme en elle-même deux régimes inconciliables : le régime capitaliste et le régime prolétarien. L’importance principale des comités d’usine consiste précisément en ce qu’ils ouvrent, sinon une période directement révolutionnaire, du moins une période prérévolutionnaire, entre le régime bourgeois et le régime prolétarien. Que la propagande pour les comités d’usine ne soit ni prématurée ni artificielle, c’est ce que démontrent amplement les vagues d’occupations d’usines qui ont déferlé sur un certain nombre de pays. De nouvelles vagues de ce genre sont inévitables dans un prochain avenir. Il est nécessaire d’ouvrir à temps une campagne en faveur des comités d’usine pour ne pas se trouver pris à l’improviste.
Le « secret commercial » et le contrôle ouvrier sur l’industrie
Le capitalisme libéral, fondé sur la concurrence et la liberté du commerce, a disparu bien loin dans le passé. Le capitalisme monopoliste, qui l’a remplacé sur la scène, non seulement n’a pas réduit l’anarchie du marché, mais lui a donné, au contraire, un caractère particulièrement convulsif. La nécessité d’un « contrôle » sur l’économie, d’une « direction » étatique, d’une « planification » est maintenant reconnue -au moins en paroles- par presque tous les courants de la pensée bourgeoise et petite-bourgeoise, du fascisme à la sociale-démocratie. Pour les fascistes, il s’agit surtout d’un pillage « planifié » du peuple à des fins militaires. Les sociaux-démocrates cherchent à vider l’océan de l’anarchie avec la cuillère d’une « planification » bureaucratique. Les ingénieurs et les professeurs écrivent des articles sur la « technocratie ». Les gouvernements démocratiques se heurtent, dans leurs tentatives poltronnes de « réglementation », au sabotage insurmontable du grand capital.
Le véritable rapport entre exploiteurs et « contrôleurs » démocratiques est caractérisé de la meilleure façon par le fait que messieurs les « réformateurs », saisis d’une sainte émotion, s’arrêtent au seuil des trusts, avec leurs « secrets » industriels et commerciaux. Ici règne le principe de la « non-intervention ». Les comptes entre le capitaliste isolé et la société constituent un secret du capitaliste : la société n’a rien à y voir. Le « secret » commercial est toujours justifié, comme à l’époque du capitalisme libéral, par les exigences de la « concurrence ». En fait, les trusts n’ont pas de secrets l’un pour l’autre. Le secret commercial, à l’époque actuelle, est un complot constant du capital monopoliste contre la société. Les projets de limitation de l’absolutisme de « patrons de droit divin » restent de lamentables farces tant que les propriétaires privés de moyens sociaux de production peuvent cacher aux producteurs et aux consommateurs les machinations de l’exploitation, du pillage, de la tromperie. L’abolition du « secret commercial » est le premier pas vers un véritable contrôle de l’industrie.
Les travailleurs n’ont pas moins de droits que les capitalistes à connaître les « secrets » de l’entreprise, du trust, de la branche d’activité, de l’économie nationale toute entière. Les banques, l’industrie lourde et les transports centralisés doivent être placés les premiers sous la cloche d’observation.
Les premières tâches du contrôle ouvrier consistent à éclairer quels sont les revenus et les dépenses de la société, à commencer par l’entreprise isolée ; à déterminer la véritable part du capitaliste individuel et de l’ensemble des exploiteurs dans le revenu national ; à dévoiler les combinaisons de coulisses et les escroqueries des banques et des trusts ; à révéler enfin, devant toute la société, le gaspillage effroyable de travail humain qui est le résultat de l’anarchie capitaliste et de la pure chasse au profit.
Aucun fonctionnaire de l’État bourgeois ne peut mener à bien ce travail, quels que soient les pouvoirs dont on veuille l’investir. Le monde entier a observé l’impuissance du président Roosevelt et du président du conseil Léon Blum en face du complot des « soixante » ou des « deux cents familles ». Pour briser la résistance des exploiteurs, il faut la pression du prolétariat. Les comités d’usine, et seulement eux, peuvent assurer un véritable contrôle sur la production, en faisant appel -en tant que conseillers et non comme « technocrates »- aux spécialistes honnêtes et dévoués au peuple : comptables, statisticiens, ingénieurs, chercheurs, etc.
La lutte contre le chômage est inconcevable sans une organisation large et hardie de grands travaux publics. Mais les grands travaux ne peuvent avoir une importance durable et progressiste, tant pour la société que pour les chômeurs eux-mêmes, que s’ils font partie d’un plan général, conçu pour un certain nombre d’années. Dans le cadre d’un tel plan, les ouvriers revendiqueront la reprise du travail, au compte de la société, dans les entreprises privées fermées par suite de la crise. Le contrôle ouvrier fera place, dans ces cas, à une administration directe par les ouvriers.
L’élaboration d’un plan économique, même le plus élémentaire -du point de vue des intérêts des travailleurs, et non de ceux des exploiteurs- est inconcevable sans contrôle ouvrier, sans que les travailleurs plongent leurs regards dans tous les ressorts apparents et cachés de l’économie capitaliste. Les comités des diverses entreprises doivent élire, à des conférences correspondantes, des comités de trusts, de branches d’industrie, de régions économiques, enfin de toute l’industrie nationale dans son ensemble. Ainsi, le contrôle ouvrier deviendra l’école de l’économie planifiée. Quand l’heure aura sonné, le prolétariat, par l’expérience du contrôle, se préparera à diriger directement l’industrie nationalisée.
Aux capitalistes, surtout de petite et moyenne taille, qui proposent parfois eux-mêmes d’ouvrir leurs livres de comptes devant les travailleurs –surtout pour leur démontrer la nécessité de diminuer les salaires- les travailleurs répondent que ce qui les intéresse, ce n’est pas la comptabilité de banqueroutiers ou de semi-banqueroutiers isolés, mais la comptabilité de tous les exploiteurs. Les travailleurs ne peuvent ni ne veulent adapter leur niveau de vie aux intérêts de capitalistes isolés devenus victimes de leur propre régime. La tâche consiste à reconstruire tout le système de production et de répartition sur des principes plus rationnels et plus dignes. Si l’abolition du secret commercial est la condition nécessaire du contrôle ouvrier, ce contrôle est le premier pas dans la voie de la direction socialiste de l’économie.
L’expropriation de certains groupes de capitalistes
Le programme socialiste de l’expropriation, c’est-à-dire du renversement politique de la bourgeoisie et de la liquidation de sa domination économique, ne doit en aucun cas nous empêcher, dans la présente période de transition, de revendiquer, lorsque l’occasion s’en offre, l’expropriation de certaines branches de l’industrie parmi les plus importantes pour l’existence nationale ou de certains groupes de la bourgeoisie parmi les plus parasitaires.
Ainsi, aux prêches geignards de messieurs les démocrates sur la dictature des « soixante familles » aux États-Unis ou des « deux cents familles » en France, nous opposons la revendication de l’expropriation de ces 60 ou 200 féodaux capitalistes.
Exactement de même, nous revendiquons l’expropriation des compagnies monopolistes de l’industrie de guerre, des chemins de fer, des plus importantes sources de matières premières, etc.
La différence entre ces revendications et le mot d’ordre réformiste bien vague de « nationalisation » consiste en ce que :
- Nous repoussons le rachat ;
- Nous prévenons les masses contre les charlatans du front populaire qui, proposant la nationalisation en paroles, restent en fait les agents du capital ;
- Nous appelons les masses à ne compter que sur leur propre force révolutionnaire ;
- Nous relions le problème de l’expropriation à celui du pouvoir des ouvriers et des paysans.
La nécessité de lancer le mot d’ordre de l’expropriation dans l’agitation quotidienne, par conséquent d’une manière fractionnée, et non pas seulement d’un point de vue propagandiste, sous sa forme générale, découle du fait que les diverses branches de l’industrie se trouvent à divers niveaux de développement, occupent des places différentes dans la vie de la société et passent par divers stades de la lutte des classes. Seule, la montée révolutionnaire générale du prolétariat peut mettre l’expropriation générale de la bourgeoisie à l’ordre du jour. L’objet des revendications transitoires est de préparer le prolétariat à résoudre ce problème.
L’expropriation des banques privées et l’étatisation du système de crédit
L’impérialisme signifie la domination du capital financier. À côté des consortiums et des trusts, et souvent au-dessus d’eux, les banques concentrent dans leurs mains le commandement réel de l’économie. Dans leur structure, les banques reflètent, sous une forme concentrée, toute la structure du capitalisme contemporain : elles combinent les tendances du monopole aux tendances de l’anarchie. Elles organisent des miracles de technique, des entreprises gigantesques, des trusts puissants ; et elles organisent aussi la vie chère, les crises et le chômage. Impossible de faire un seul pas sérieux dans la lutte contre le despotisme des monopoles et l’anarchie capitaliste, qui se complètent l’un l’autre dans leur œuvre de destruction, si on laisse les leviers de commande des banques dans les mains des rapaces capitalistes.
Afin de réaliser un système unique d’investissement et de crédit, selon un plan rationnel qui corresponde aux intérêts du peuple tout entier, il faut fusionner toutes les banques dans une institution nationale unique. Seules, l’expropriation des banques privées et la concentration de tout le système de crédit entre les mains de l’État mettront à la disposition de celui-ci les moyens nécessaires réels, c’est-à-dire matériels et non pas seulement fictifs et bureaucratiques, pour la planification économique.
L’expropriation des banques ne signifie en aucun cas l’expropriation des petits dépôts bancaires. Au contraire : pour les petits déposants, la banque d’État unique pourra créer des conditions plus favorables que dans les banques privées. De la même façon, seule, la banque d’État pourra établir pour les fermiers, les artisans et les petits commerçants des conditions de crédit privilégiées, c’est-à-dire à bon marché. Néanmoins, plus important encore est le fait que toute l’économie, avant tout l’industrie lourde et les transports, dirigée par un état-major financier unique, servira les intérêts vitaux des ouvriers et de tous les autres travailleurs.
Cependant, l’étatisation des banques ne donnera ces résultats favorables que si le pouvoir d’État lui-même passe entièrement des mains des exploiteurs aux mains des travailleurs.
Les piquets de grève, les détachements de combats, la milice ouvrière, l’armement du prolétariat
Les grèves avec occupation des usines sont un très sérieux avertissement de la part des masses à l’adresse, non seulement de la bourgeoisie, mais aussi des organisations ouvrières, y compris la 4e Internationale. En 1919-1920, les ouvriers italiens s’emparèrent, de leur propre initiative, des entreprises, signalant ainsi à leurs propres « chefs » l’arrivée de la révolution sociale. Les « chefs » ne tinrent pas compte du signal. Le résultat fut la victoire du fascisme.
Les grèves avec occupation ne sont pas encore la prise des usines, à la manière italienne ; mais elles constituent un pas décisif dans cette voie. La crise actuelle peut exaspérer au plus haut point le rythme de la lutte des classes et précipiter le dénouement. Il ne faut cependant pas croire qu’une situation révolutionnaire surgit d’un seul coup. En réalité, son approche est marquée par toute une série de convulsions. La vague de grèves avec occupation des usines en est précisément une. La tâche des sections de la 4e Internationale est d’aider l’avant-garde prolétarienne à comprendre le caractère général et les rythmes de notre époque, et de féconder à temps la lutte des masses par des mots d’ordre de plus en plus résolus et par des mesures organisationnelles de combat.
L’exacerbation de la lutte du prolétariat signifie l’exacerbation des méthodes de contre-offensive de la part du capital. Les nouvelles vagues de grèves avec occupation des usines peuvent provoquer et provoqueront infailliblement, en réaction, d’énergiques mesures de la part de la bourgeoisie. Le travail préparatoire se mène dès maintenant dans les états-majors des trusts. Malheur aux organisations révolutionnaires, malheur au prolétariat s’ils se trouvent de nouveau pris à l’improviste !
La bourgeoisie ne se contente nulle part de la police et de l’armée officielle. Aux États-Unis, même dans les périodes « calmes », elle entretient des détachements militarisés de jaunes et de bandes armées privées dans les usines. Il faut y ajouter maintenant les bandes de nazis américains. La bourgeoisie française, à la première approche du danger, a mobilisé les détachements fascistes semi-légaux et illégaux jusqu’à l’intérieur de l’armée officielle. Il suffira que les ouvriers anglais augmentent de nouveau leur poussée pour qu’immédiatement les bandes de Mosley doublent, triplent, décuplent en nombre et entrent en croisade sanglante contre les ouvriers. La bourgeoisie se rend clairement compte qu’à l’époque actuelle, la lutte des classes tend infailliblement à se transformer en guerre civile. Les exemples de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Autriche, de l’Espagne et d’autres pays ont appris beaucoup plus aux magnats et aux laquais du capital qu’aux chefs officiels du prolétariat.
Les politiciens de la 2e et de la 3e Internationales, de même que les bureaucrates des syndicats, ferment consciemment les yeux sur l’armée privée de la bourgeoisie ; sinon, ils ne pourraient maintenir vingt-quatre heures leur alliance avec elle. Les réformistes inculquent systématiquement aux travailleurs l’idée que la sacro-sainte démocratie est assurée au mieux lorsque la bourgeoisie est armée jusqu’aux dents et les travailleurs désarmés.
Le devoir de la 4e Internationale est d’en finir, une fois pour toutes, avec cette politique servile. Les démocrates petits bourgeois -y compris les sociaux-démocrates, les staliniens et les anarchistes- poussent des cris d’autant plus forts sur la lutte contre le fascisme qu’ils capitulent plus lâchement devant lui en fait. Aux bandes du fascisme, seuls peuvent s’opposer avec succès des détachements ouvriers armés qui sentent derrière leur dos le soutien de dizaines de millions de travailleurs. La lutte contre le fascisme commence, non pas dans la rédaction d’une feuille libérale, mais dans l’usine, et finit dans la rue. Les jaunes et les gendarmes privés dans les usines sont les cellules fondamentales de l’armée du fascisme. Les piquets de grève sont les cellules fondamentales de l’armée du prolétariat. C’est de là qu’il faut partir. À l’occasion de chaque grève et de chaque manifestation de rue, il faut propager l’idée de la nécessité de la création de détachements ouvriers d’autodéfense. Il faut inscrire ce mot d’ordre dans le programme de l’aile révolutionnaire des syndicats. Il faut former pratiquement des détachements d’autodéfense partout où c’est possible, à commencer par les organisations de jeunes, et les entraîner au maniement des armes.
La nouvelle vague du mouvement des masses doit servir, non seulement à accroître le nombre de ces détachements, mais encore à les unifier, par quartiers, par villes, par régions. Il faut donner une expression organisée à la haine légitime des ouvriers pour les jaunes et les bandes de gangsters et de fascistes. Il faut lancer le mot d’ordre de la milice ouvrière, comme seule garantie sérieuse de l’inviolabilité des organisations, des réunions et de la presse ouvrières.
C’est seulement grâce à un travail systématique, constant, inlassable, courageux, dans l’agitation et la propagande, toujours en relation avec l’expérience des masses elles-mêmes, qu’on peut extirper de leur conscience les traditions de docilité et de passivité ; éduquer des détachements de combattants héroïques, capables de donner l’exemple à tous les travailleurs ; infliger une série de défaites tactiques aux bandes de la contre-révolution ; accroître la confiance en eux-mêmes des exploités et des opprimés ; discréditer le fascisme aux yeux de la petite bourgeoisie et frayer la voie à la conquête du pouvoir par le prolétariat.
Engels définissait l’État comme des « détachements de gens armés ». L’armement du prolétariat est un élément constituant indispensable de sa lutte émancipatrice. Quand le prolétariat le voudra, il trouvera les voies et les moyens de s’armer. La direction, dans ce domaine aussi, incombe naturellement aux sections de la 4e Internationale.
L’alliance des ouvriers et des paysans
L’ouvrier agricole est, au village, le frère d’armes et l’équivalent de l’ouvrier de l’industrie. Ils constituent deux parties d’une seule et même classe. Leurs intérêts sont inséparables. Le programme des revendications transitoires des ouvriers industriels est aussi, avec tels ou tels changements, le programme du prolétariat agricole.
Les paysans représentent une autre classe : c’est la petite bourgeoisie du village. La petite bourgeoisie se compose de couches diverses, depuis les semi-prolétaires jusqu’aux exploiteurs. C’est pourquoi la tâche politique du prolétariat industriel consiste à faire pénétrer la lutte des classes au village : c’est seulement ainsi qu’il pourra séparer ses alliés de ses ennemis.
Les particularités du développement national de chaque pays trouvent leur expression la plus aiguë dans la situation des paysans et partiellement de la petite bourgeoisie citadine (artisans et commerçants), car ces classes, pour nombreux que soient ceux qui y appartiennent, représentent au fond des survivances de formes précapitalistes de production. Les sections de la 4e Internationale doivent, sous la forme la plus concrète possible, élaborer des programmes de revendications transitoires pour les paysans et la petite bourgeoisie citadine, correspondant aux conditions de chaque pays. Les ouvriers avancés doivent apprendre à donner des réponses claires et concrètes aux questions de leurs futurs alliés.
Tant que le paysan reste un petit producteur « indépendant », il a besoin de crédit à bon marché, de prix accessibles pour les machines agricoles et les engrais, de conditions favorables de transport et d’une organisation honnête d’écoulement des produits agricoles. Cependant, les banques, les trusts, les négociants pillent le paysan de tous côtés. Seuls, les paysans eux-mêmes peuvent réprimer ce pillage, avec l’aide des ouvriers. Il est nécessaire qu’entrent en scène des comités de petits paysans qui, en commun avec les comités ouvriers et les comités d’employés de banque, doivent prendre en main le contrôle des opérations de transport, de crédit et de commerce qui intéressent l’agriculture.
Invoquant mensongèrement les exigences « excessives » des travailleurs, la grande bourgeoisie fait artificiellement de la question des prix de marchandises un coin qu’elle introduit ensuite entre les ouvriers et les paysans. Le paysan, l’artisan, le petit commerçant, à la différence de l’ouvrier, de l’employé, du petit fonctionnaire, ne peut revendiquer une augmentation de salaire parallèle à l’augmentation des prix. La lutte bureaucratique officielle contre la vie chère ne sert qu’à tromper les masses. Les paysans, les artisans, les commerçants doivent cependant, en tant que consommateurs, s’immiscer activement, la main dans la main avec les ouvriers, dans la politique des prix. Aux lamentations des capitalistes sur les frais de production, de transport et de commerce, les consommateurs répondront : « Montrez-nous vos livres ; nous exigeons le contrôle sur la politique des prix. » Les organes de ce contrôle doivent être des comités de surveillance des prix, formés de délégués d’usines, de syndicats, de coopératives, d’organisations de fermiers, de « petites gens » des villes, de ménagères, etc. Dans cette voie, les ouvriers sauront montrer aux paysans que la cause des prix élevés ne réside pas dans de hauts salaires, mais dans les profits démesurés des capitalistes et dans les faux frais de l’anarchie capitaliste.
Le programme de nationalisation de la terre et de collectivisation de l’agriculture doit être élaboré de façon à exclure radicalement l’idée de l’expropriation des petits paysans ou de leur collectivisation forcée. Le paysan restera le propriétaire de son lot de terre tant qu’il le trouvera lui-même nécessaire et possible. Pour réhabiliter aux yeux des paysans le programme socialiste, il faut dénoncer impitoyablement les méthodes staliniennes de collectivisation, dictées par les intérêts de la bureaucratie et non par les intérêts des paysans et des ouvriers.
L’expropriation des expropriateurs ne signifie pas non plus la confiscation forcée de la propriété des petits artisans ni des petits boutiquiers. Au contraire, le contrôle ouvrier sur les banques et les trusts, à plus forte raison la nationalisation de ces entreprises, peut créer pour la petite bourgeoisie citadine des conditions de crédit, d’achat et de vente incomparablement plus favorables que sous la domination illimitée des monopoles. La dépendance envers le capital privé fera place à la dépendance envers l’État, qui sera d’autant plus attentif pour ses petits collaborateurs et agents que les travailleurs eux-mêmes tiendront plus fermement l’État dans leurs mains.
La participation pratique des paysans exploités au contrôle des divers domaines de l’économie permettra aux paysans eux-mêmes de décider sur la question de savoir s’il convient ou non de passer au travail collectif de la terre, dans quels délais et à quelle échelle. Les ouvriers de l’industrie s’engagent à apporter dans cette voie toute leur collaboration aux paysans : par l’intermédiaire des syndicats, des comités d’usine et, surtout, du gouvernement ouvrier et paysan.
L’alliance que le prolétariat propose, non pas aux « classes moyennes » en général, mais aux couches exploitées de la ville et du village, contre tous les exploiteurs, y compris les exploiteurs « moyens », ne peut être fondée sur la contrainte, mais seulement sur un accord volontaire, qui doit être consolidé dans un « pacte » spécial. Ce pacte, c’est précisément le programme des revendications transitoires, librement accepté par les deux parties.
La lutte contre l’impérialisme et contre la guerre
Toute la situation mondiale et, par conséquent, aussi la vie politique intérieure des divers pays se trouvent sous la menace de la guerre mondiale. La catastrophe imminente pénètre déjà d’angoisse les masses les plus profondes de l’humanité.
La 2e Internationale répète sa politique de trahison de 1914 avec d’autant plus d’assurance que l’Internationale « communiste » joue maintenant le rôle du premier violon du chauvinisme. Dès que le danger de guerre a pris un aspect concret, les staliniens, distançant de loin les pacifistes bourgeois et petits-bourgeois sont devenus les champions de la prétendue « défense nationale ». Ils ne font d’exception que pour les pays fascistes, c’est-à-dire pour ceux où ils ne jouent eux-mêmes aucun rôle. La lutte révolutionnaire contre la guerre retombe ainsi entièrement sur les épaules de la 4e Internationale.
La politique des bolcheviks-léninistes dans cette question a été formulée dans les thèses programmatiques du Secrétariat international, qui gardent encore maintenant toute leur valeur (voir La Quatrième internationale et la guerre, 1er mai 1934). Le succès du parti révolutionnaire dans la prochaine période dépendra, avant tout, de sa politique dans la question de la guerre. Une politique correcte comprend deux éléments : une attitude intransigeante envers l’impérialisme et ses guerres, et l’aptitude à s’appuyer sur l’expérience des masses elles-mêmes.
Dans la question de la guerre, plus que dans toute autre question, la bourgeoisie et ses agents trompent le peuple par des abstractions, des formules générales, des phrases pathétiques : « neutralité », « sécurité collective », « armement pour la défense de la paix », « défense nationale », « lutte contre le fascisme », etc. Toutes ces formules se réduisent, en fin de compte, à ce que la question de la guerre, c’est-à-dire du sort des peuples, doit rester dans les mains des impérialistes, de leurs gouvernements, de leur diplomatie, de leurs états-majors, avec toutes leurs intrigues et tous leurs complots contre les peuples.
La 4e Internationale rejette avec indignation toutes les abstractions qui jouent chez les démocrates le même rôle que, chez les fascistes, « l’honneur », « le sang », « la race ». Mais l’indignation ne suffit pas. Il faut aider les masses, à l’aide de critères, de mots d’ordre et de revendications transitoires, propres à leur permettre de vérifier, de distinguer la réalité concrète de ces abstractions frauduleuses.
«Désarmement » ? Mais toute la question est de savoir qui désarmera et qui sera désarmé. Le seul désarmement qui puisse prévenir ou arrêter la guerre, c’est le désarmement de la bourgeoisie par les travailleurs. Mais, pour désarmer la bourgeoisie, il faut que les ouvriers eux-mêmes soient armés.
« Neutralité » ? Mais le prolétariat n’est nullement neutre dans une guerre entre le Japon et la Chine, ou entre l’Allemagne et l’URSS. Cela signifie-t-il la défense de la Chine et de l’URSS ? Évidemment, mais pas par l’intermédiaire des impérialistes, qui étrangleront la Chine et l’URSS.
« Défense de la patrie » ? Mais, par cette abstraction, la bourgeoisie entend la défense de ses profits et de ses pillages. Nous sommes prêts à défendre la patrie contre les capitalistes étrangers, si nous garrottons tout d’abord nos propres capitalistes, et les empêchons de s’attaquer à la patrie d’autrui ; si les ouvriers et les paysans de notre pays deviennent ses véritables maîtres ; si les richesses du pays passent des mains d’une infime minorité dans les mains du peuple ; si l’armée, d’instrument des exploiteurs, devient l’instrument des exploités.
Il faut savoir traduire ces idées fondamentales en idées plus particulières et plus concrètes, selon la marche des événements et l’orientation de l’état d’esprit des masses. Il faut, en outre, distinguer rigoureusement entre le pacifisme du diplomate, de l’universitaire, du journaliste et le pacifisme du charpentier, de l’ouvrier agricole ou de l’agent de nettoyage. Dans le premier de ces cas, le pacifisme est la couverture de l’impérialisme. Dans le second, l’expression confuse de la défiance envers l’impérialisme.
Quand le petit paysan ou l’ouvrier parlent de la défense de la patrie, ils se représentent la défense de leur maison, de leur famille et de la famille d’autrui contre l’invasion, contre les bombes, contre les gaz asphyxiants. Le capitaliste et son/sa journaliste entendent par défense de la patrie la conquête de colonies et de marchés, l’extension par le pillage de la part « nationale » dans le revenu mondial. Le pacifisme et le patriotisme bourgeois sont des mensonges complets. Dans le pacifisme et même dans le patriotisme des opprimés, il y a un noyau progressiste qu’il faut savoir saisir pour en tirer les conclusions révolutionnaires nécessaires. Il faut savoir dresser l’une contre l’autre ces deux formes de pacifisme et de patriotisme.
Partant de ces considérations, la 4e Internationale appuie toute revendication, même insuffisante, si elle est capable d’entraîner les masses, même à un faible degré, dans la politique active, d’éveiller leur critique et de renforcer leur contrôle sur les machinations de la bourgeoisie.
C’est de ce point de vue que notre section américaine, par exemple, soutient, en la critiquant, la proposition de l’institution d’un référendum sur la question de la déclaration de guerre. Aucune réforme démocratique ne peut, bien entendu, empêcher par elle-même les gouvernants de provoquer la guerre quand ils le voudront. Il faut en donner ouvertement l’avertissement. Mais, quelles que puissent être les illusions des masses quant au référendum, cette revendication reflète la défiance des ouvriers et des paysans envers le gouvernement et le parlement de la bourgeoisie. Sans soutenir ni épargner les illusions, il faut appuyer de toutes ses forces la défiance progressiste des opprimés envers les oppresseurs. Plus croîtra le mouvement pour le référendum, plus tôt les pacifistes bourgeois s’en sépareront, plus profondément se trouveront discrédités les traîtres de l’Internationale « communiste », plus vite deviendra la défiance des travailleurs envers les impérialistes.
C’est du même point de vue qu’il faut mettre en avant le revendication du droit de vote à dix huit ans, pour les hommes et pour les femmes. Celui qui, demain, sera appelé à mourir pour la « patrie », doit avoir le droit de faire entendre sa voix aujourd’hui. La lutte contre la guerre doit avant tout commencer par la mobilisation révolutionnaire de la jeunesse.
Il faut faire pleine lumière, sous tous les angles, sur le problème de la guerre, tout en tenant compte de l’aspect qu’il présente aux masses à un moment donné.
La guerre est une gigantesque entreprise commerciale, surtout pour l’industrie de guerre. C’est pourquoi les « deux cents familles » sont les premiers patriotes et les principaux provocateurs de guerre. Le contrôle ouvrier sur l’industrie de guerre est le premier pas dans la lutte contre les fabricants de guerre.
Au mot d’ordre des réformistes : impôt sur les bénéfices de guerre, nous opposons les mots d’ordre : confiscation des bénéfices de guerre et expropriation des trafiquants de l’industrie d’armements. Là où l’industrie de guerre est « nationalisée », comme en France, le mot d’ordre du contrôle ouvrier conserve toute sa valeur : le prolétariat fait aussi peu confiance à l’État de la bourgeoisie qu’au bourgeois individuel.
- Pas un homme, pas un sou pour le gouvernement bourgeois !
- Pas de programme d’armements, mais un programme de travaux d’utilité publique !
- Indépendance complète des organisations ouvrières à l’égard du contrôle militaire et policier !
Il faut arracher, une fois pour toutes, la libre disposition du destin des peuples des mains des cliques impérialistes avides et impitoyables qui agissent derrière le dos des peuples. En accord avec cela, nous revendiquons :
- Abolition complète de la diplomatie secrète ; tous les traités et accords doivent être accessibles à chaque ouvrier et paysan.
- Instruction militaire et armement des ouvriers et des paysans sous le contrôle immédiat des comités ouvriers et paysans.
- Création d’écoles militaires pour la formation d’officiers venus des rangs des travailleurs, choisis par les organisations ouvrières.
- Substitution à l’armée permanente, c’est-à-dire de caserne, d’une milice populaire en liaison indissoluble avec les usines, les mines, les exploitations agricoles, etc.
La guerre impérialiste est la continuation et l’exacerbation de la politique de pillage de la bourgeoisie ; la lutte du prolétariat contre la guerre est la continuation et l’exacerbation de sa lutte de classe. L’apparition de la guerre change la situation et partiellement les procédés de lutte entre les classes, mais ne change ni les buts ni la direction fondamentale de celle-ci.
La bourgeoisie impérialiste domine le monde. C’est pourquoi la prochaine guerre, par son caractère fondamental, sera une guerre impérialiste. Le contenu fondamental de la politique du prolétariat international sera, par conséquent, la lutte contre l’impérialisme et sa guerre. Le principe fondamental de cette lutte sera : « L’ennemi principal est dans notre propre pays » ou : « La défaite de notre propre gouvernement (impérialiste) est le moindre mal ».
Mais tous les pays du monde ne sont pas des pays impérialistes. Au contraire, la majorité des pays sont les victimes de l’impérialisme. Certains pays coloniaux ou semi-coloniaux tenteront, sans aucun doute, d’utiliser la guerre pour rejeter le joug de l’esclavage. De leur part, la guerre ne sera pas impérialiste, mais émancipatrice. Le devoir du prolétariat international sera d’aider les pays opprimés en guerre contre les oppresseurs. Ce même devoir s’étend aussi à l’URSS ou à tout autre État ouvrier qui peut surgir avant la guerre ou durant la guerre. La défaite de tout gouvernement impérialiste dans la lutte contre un État ouvrier ou un pays colonial est le moindre mal.
Les travailleurs d’un pays impérialiste ne peuvent cependant pas aider un pays anti-impérialiste par l’intermédiaire de leur gouvernement, quelles que soient, à un moment donné, les relations diplomatiques et militaires entre les deux pays. Si les gouvernements se trouvent en alliance temporaire, et au fond incertaine, le prolétariat du pays impérialiste continue à rester en opposition de classe à son gouvernement et apporte un appui à « l’allié » non impérialiste de celui-ci par ses propres méthodes, c’est-à-dire par les méthodes de la lutte de classe internationale (agitation en faveur de l’État ouvrier et du pays colonial, non seulement contre ses ennemis, mais aussi contre ses alliés perfides : boycott et grève dans certains cas, renoncement au boycott et à la grève dans d’autres, etc.).
Tout en soutenant un pays colonial ou l’URSS dans la guerre, le prolétariat ne se solidarise pas dans la moindre mesure avec le gouvernement bourgeois du pays colonial ni avec la bureaucratie thermidorienne de l’URSS. Au contraire, il maintient sa complète indépendance politique aussi bien envers l’un qu’envers l’autre. En aidant une guerre juste et progressiste, le prolétariat révolutionnaire conquiert les sympathies des travailleurs des colonies et de l’URSS, y affermit ainsi l’autorité et l’influence de la 4e Internationale, et peut aider d’autant mieux au renversement du gouvernement bourgeois dans le pays colonial, de la bureaucratie réactionnaire en URSS.
Au début de la guerre, les sections de la 4e Internationale se sentiront inévitablement isolées : chaque guerre prend les masses populaires à l’improviste et les pousse du côté de l’appareil gouvernemental. Les internationalistes devront nager contre le courant. Cependant, les dévastations et les maux de la nouvelle guerre qui, dès les premiers mois, laisseront loin en arrière les horreurs sanglantes de 1914-1918 auront tôt fait de dégriser les masses. Le mécontentement et la révolte de celles-ci croîtront par bonds. Les sections de la 4e Internationale se trouveront à la tête du flux révolutionnaire. Le programme des revendications transitoires prendra une actualité brûlante. Le problème de la conquête du pouvoir par le prolétariat se dressera de toute sa hauteur.
Avant d’étouffer ou de noyer dans le sang l’humanité, le capitalisme empoisonne l’atmosphère mondiale par les vapeurs délétères de la haine nationale et raciale. L’antisémitisme est aujourd’hui l’une des convulsions les plus malignes de l’agonie du capitalisme.
La dénonciation intransigeante des préjugés de race et de toutes les formes et nuances de l’arrogance et du chauvinisme nationaux, en particulier de l’antisémitisme, doit entrer dans le travail quotidien de toutes les sections de la 4e Internationale comme le principal travail d’éducation dans la lutte contre l’impérialisme et la guerre. Notre mot d’ordre fondamental reste : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Le gouvernement ouvrier et paysan
La formule de gouvernement ouvrier et paysan apparut, pour la première fois, en 1917, dans l’agitation des bolcheviks et fut définitivement admise après l’insurrection d’Octobre. Elle ne représentait dans ce cas qu’une dénomination populaire de la dictature du prolétariat, déjà établie. L’importance de cette dénomination consistait surtout en ce qu’elle mettait au premier plan l’idée de l’alliance du prolétariat et de paysannerie, placée à la base du pouvoir soviétique.
Quand l’Internationale communiste des épigones tenta de faire revivre la formule de dictature démocratique des ouvriers et des paysans, enterrée par l’histoire, elle donna à la formule de gouvernement ouvrier et paysan un contenu complètement différent, purement démocratique, c’est-à-dire bourgeois, en l’opposant à la dictature du prolétariat. Les bolcheviks-léninistes rejetèrent résolument le mot d’ordre de « gouvernement ouvrier et paysan » dans son interprétation démocratique-bourgeoise. Ils affirmèrent et ils affirment que, si le parti du prolétariat renonce à sortir des cadres de la démocratie bourgeoise, son alliance avec la paysannerie aboutira simplement à soutenir le capital, comme ce fut le cas des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires en 1917, comme ce fut le cas du Parti communiste chinois en 1925-1927, comme cela se passe maintenant avec les « fronts populaires » d’Espagne, de France et d’autres pays.
D’avril à septembre 1917, les bolcheviks réclamèrent que les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks rompent avec la bourgeoisie libérale et prennent le pouvoir dans leurs propres mains. À cette condition, les bolcheviks promettaient aux mencheviks et aux socialistes-révolutionnaires, représentants petits-bourgeois des ouvriers et des paysans, leur aide révolutionnaire contre la bourgeoisie ; ils se refusaient cependant catégoriquement, tant à entrer dans le gouvernement des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires qu’à porter la responsabilité politique de son activité. Si les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires avaient réellement rompu avec les cadets (libéraux) et avec l’impérialisme étranger, le « gouvernement ouvrier et paysan » créé par eux n’aurait pu qu’accélérer et faciliter l’instauration de la dictature du prolétariat. Mais c’est précisément pour cette raison que les sommets de la démocratie petite-bourgeoise s’opposèrent de toutes leurs forces à l’instauration de leur propre gouvernement. L’expérience de la Russie démontra, et l’expérience de l’Espagne et de la France le confirme de nouveau, que, même dans des conditions très favorables, les partis de la démocratie petite-bourgeoise (socialistes-révolutionnaires, sociaux-démocrates, staliniens, anarchistes) sont incapables de créer un gouvernement ouvrier et paysan, c’est-à-dire un gouvernement indépendant de la bourgeoisie.
Néanmoins, la revendication des bolcheviks, adressée aux mencheviks et aux socialistes-révolutionnaires : « Rompez avec la bourgeoisie, prenez dans vos mains le pouvoir ! » avait pour les masses une énorme valeur éducative. Le refus obstiné des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires de prendre le pouvoir, qui apparut si tragiquement dans les journées de Juillet 1917, les perdit définitivement dans l’esprit du peuple et prépara la victoire des bolcheviks.
La tâche centrale de la 4e Internationale consiste à affranchir le prolétariat de la vieille direction, dont le conservatisme se trouve en contradiction complète avec la situation catastrophique du capitalisme à son déclin et constitue le principal obstacle au progrès historique. L’accusation capitale que la 4e Internationale lance contre les organisations traditionnelles du prolétariat, c’est qu’elles ne veulent pas se séparer du demi-cadavre politique de la bourgeoisie. Dans ces conditions, la revendication adressée systématiquement à la vieille direction : « Rompez avec la bourgeoisie, prenez le pouvoir ! » est un instrument extrêmement important pour dévoiler le caractère traître des partis et organisations de la 2e et de la 3e Internationales, ainsi que de l’Internationale d’Amsterdam. Le mot d’ordre de « gouvernement ouvrier et paysan » est donc employé par nous uniquement dans le sens qu’il avait en 1917 dans la bouche des bolcheviks, c’est-à-dire comme un mot d’ordre antibourgeois et anticapitaliste, mais en aucun cas dans le sens « démocratique » que lui ont donné plus tard les épigones, faisant de lui, au lieu d’une étape vers la révolution socialiste, la principale barrière dans cette voie.
De tous les partis et organisations qui s’appuient sur les ouvriers et les paysans et parlent en leur nom, nous exigeons qu’ils rompent politiquement avec la bourgeoisie et entrent dans la voie de la lutte pour le gouvernement ouvrier et paysan. Dans cette voie, nous leur promettons un soutien complet contre la réaction capitaliste. En même temps, nous déployons une agitation inlassable autour des revendications transitoires qui devraient, à notre avis, constituer le programme du « gouvernement ouvrier et paysan ».
La création d’un tel gouvernement par les organisations ouvrières traditionnelles est-elle possible ? L’expérience antérieure nous montre, comme cela vient d’être dit, que c’est pour le moins peu vraisemblable. Il est, cependant, impossible de nier catégoriquement par avance la possibilité théorique que, sous l’influence d’une combinaison tout à fait exceptionnelle de circonstances (guerre, défaite, krach financier, offensive révolutionnaire des masses, etc.), des partis petits-bourgeois, y compris les staliniens, puissent aller plus loin qu’ils ne le veulent eux-mêmes dans la voie de la rupture avec la bourgeoisie. En tout cas, une chose est hors de doute : si cette variante, peu probable, se réalisait un jour quelque part, et qu’un « gouvernement ouvrier et paysan » du type indiqué plus haut, s’établissait en fait, il ne représenterait qu’un court épisode dans la voie de la véritable dictature du prolétariat.
Il est cependant inutile de se perdre en conjectures. L’agitation, sous le mot d’ordre du gouvernement ouvrier et paysan, garde dans toutes les conditions une énorme valeur éducative. Et ce n’est pas par hasard : ce mot d’ordre général suit tout à fait la ligne du développement politique de notre époque (banqueroute et désagrégation des vieux partis bourgeois, faillite de la démocratie, montée du fascisme, aspiration croissante des travailleurs à une politique plus active et plus offensive). Ainsi, chacune de nos revendications transitoires doit conduire à une seule et même conclusion politique : les travailleurs doivent rompre avec tous les partis traditionnels de la bourgeoisie pour établir, en commun avec les paysans, leur propre pouvoir.
Il est impossible de prévoir quelles seront les étapes concrètes de la mobilisation révolutionnaire des masses. Les sections de la 4e Internationale doivent s’orienter de façon critique à chaque nouvelle étape et lancer les mots d’ordre qui appuient la tendance des travailleurs à une politique indépendante, approfondissent le caractère de classe de cette politique, détruisent les illusions réformistes et pacifiques, renforcent la liaison de l’avant-garde avec les masses et préparent la prise révolutionnaire du pouvoir.
Les soviets
Les comités d’usine sont, comme il a été dit, un élément de dualité de pouvoir dans l’usine. C’est pourquoi leur existence n’est concevable que lors d’une pression croissante des masses. Il en est de même avec les groupements spéciaux de masse pour la lutte contre la guerre, avec les comités de surveillance des prix, et avec tous les autres nouveaux centres du mouvement dont l’apparition même témoigne que la lutte des classes a dépassé les cadres des organisations traditionnelles du prolétariat.
Cependant, ces nouveaux organes et centres sentiront bientôt leur manque de cohésion et leur insuffisance. Aucune des revendications transitoires ne peut être complètement réalisée avec le maintien du régime bourgeois. Or, l’approfondissement de la crise sociale accroîtra non seulement les souffrances des masses, mais aussi leur impatience, leur fermeté, leur esprit d’offensive. Des couches toujours nouvelles d’opprimés relèveront la tête et lanceront leurs revendications. Des millions de besogneux, à qui les chefs réformistes ne pensent jamais, commenceront à frapper aux portes des organisations ouvrières. Les chômeurs entreront dans le mouvement. Les ouvriers agricoles, les paysans ruinés ou à demi ruinés, les couches inférieures de la ville, les travailleuses, les ménagères, les couches prolétarisées de l’intelligentsia, tous chercheront un regroupement et une direction.
Comment harmoniser les diverses revendications et formes de lutte, ne fût-ce que dans les limites d’une seule ville ? L’histoire a déjà répondu à cette question : grâce aux soviets, qui réunissent les représentants de tous les groupes en lutte. Personne n’a proposé, jusqu’à maintenant, aucune autre forme d’organisation, et il est douteux qu’on puisse en inventer une. Les soviets ne sont liés par aucun programme a priori. Ils ouvrent leurs portes à tous les exploités. Par cette porte passeront les représentants de toutes les couches qui sont entraînées dans le torrent général de la lutte. L’organisation s’étend avec le mouvement et y puise continuellement son renouveau. Toutes les tendances politiques du prolétariat peuvent lutter pour la direction des soviets sur la base de la plus large démocratie. C’est pourquoi le mot d’ordre des soviets est le couronnement du programme des revendications transitoires.
Les soviets ne peuvent naître que là où le mouvement des masses entre dans un stade ouvertement révolutionnaire. En tant que pivot autour duquel s’unissent des millions de travailleurs dans la lutte contre les exploiteurs, les soviets, dès le moment de leur apparition, deviennent les rivaux et les adversaires des autorités locales, et, ensuite, du gouvernement central lui-même. Si le comité d’usine crée des éléments de dualité de pouvoir dans l’usine, les soviets ouvrent une période de dualité de pouvoir dans le pays.
La dualité de pouvoir est, à son tour, le point culminant de la période de transition. Deux régimes, le régime bourgeois et le régime prolétarien, s’opposent irréconciliablement l’un l’autre. La collision entre eux est inévitable. De l’issue de celle-ci dépend le sort de la société. En cas de défaite de la révolution, la dictature fasciste de la bourgeoisie s’ensuivra. En cas de victoire, le pouvoir des soviets émergera, avec la dictature du prolétariat et la reconstruction socialiste de la société.
Les pays arriérés et le programme des revendications transitoires
Les pays coloniaux et semi-coloniaux sont, par leur nature même, des pays arriérés. Mais ces pays arriérés vivent dans les conditions de la domination mondiale de l’impérialisme. C’est pourquoi leur développement a un caractère combiné : il réunit en lui les formes économiques les plus primitives et le dernier mot de la technique et de la civilisation capitalistes. C’est ce qui détermine la politique du prolétariat des pays arriérés : il est contraint de combiner la lutte pour les tâches les plus élémentaires de l’indépendance nationale et de la démocratie bourgeoise avec la lutte socialiste contre l’impérialisme mondial. Dans cette lutte, les mots d’ordre démocratiques, les revendications transitoires et les tâches de la révolution socialiste ne sont pas séparés en époques historiques distinctes, mais découlent immédiatement les uns des autres. À peine le prolétariat chinois avait-il commencé à organiser des syndicats qu’il fut contraint de penser aux soviets. C’est dans ce sens que le présent programme est pleinement applicable aux pays coloniaux et semi-coloniaux, au moins à ceux où le prolétariat est déjà capable d’avoir une politique indépendante.
Les problèmes centraux des pays coloniaux et semi-coloniaux sont : la révolution agraire, c’est-à-dire la liquidation de l’héritage féodal, et l’indépendance nationale, c’est-à-dire le renversement du joug de l’impérialisme. Ces deux tâches sont étroitement liées l’une à l’autre.
Il est impossible de rejeter purement et simplement le programme démocratique : il faut que les masses elles-mêmes dépassent ce programme dans la lutte. Le mot d’ordre d’une assemblée nationale (ou constituante) conserve toute sa valeur dans des pays comme la Chine ou l’Inde. Il faut lier indissolublement ce mot d’ordre aux tâches de l’émancipation nationale et de la réforme agraire. Avant tout, les travailleurs doivent être armés de ce programme démocratique. Eux seuls peuvent soulever et rassembler les paysans. Sur la base du programme démocratique révolutionnaire, il faut opposer les travailleurs à la bourgeoisie « nationale ». À une certaine étape de la mobilisation des masses sur les mots d’ordre de la démocratie révolutionnaire, les soviets peuvent et doivent surgir. Leur rôle historique dans chaque période donnée, en particulier leurs rapports avec l’assemblée nationale, est déterminé par le niveau politique du prolétariat, par la liaison entre celui-ci et la classe paysanne, et par la nature de la politique du parti prolétarien. Tôt ou tard, les soviets doivent renverser la démocratie bourgeoise. Eux seuls sont capables de mener la révolution démocratique jusqu’au bout et d’ouvrir ainsi l’ère de la révolution socialiste.
Le poids spécifique des diverses revendications démocratiques et transitoires dans la lutte du prolétariat, leurs liens mutuels et leur ordre de succession sont déterminés par les particularités et les conditions propres de chaque pays arriéré, pour une part considérable par le degré de son retard. Cependant, la direction générale du développement révolutionnaire peut être déterminée par la formule de la révolution permanente dans le sens qui a été définitivement donné à cette formule par trois révolutions en Russie (1905, Février 1917, Octobre 1917).
L’Internationale communiste a donné aux pays arriérés l’exemple classique de la manière dont on peut causer la ruine d’une révolution pleine de force et de promesses. Lors de l’impétueuse montée du mouvement des masses en Chine en 1925-1927, l’IC ne lança pas le mot d’ordre d’assemblée nationale et, en même temps, interdit la formation de soviets. Le parti bourgeois du Guomindang devait, selon le plan de Staline, « remplacer » à la fois l’assemblée nationale et les soviets. Après l’écrasement des masses par le Guomindang, l’IC organisa, à Canton, une caricature de soviet. Après l’effondrement inévitable de l’insurrection de Canton, l’IC entra dans la voie de la guerre de partisans et des soviets paysans, avec une complète passivité du prolétariat industriel. Aboutissant ainsi à une impasse, l’IC profita de la guerre sino-japonaise pour liquider d’un trait de plume la « Chine soviétique » en subordonnant, non seulement « l’Armée rouge » paysanne, mais aussi le parti soi-disant « communiste » au Guomindang lui-même, c’est-à-dire à la bourgeoisie.
Après avoir trahi la révolution prolétarienne internationale au nom de l’amitié avec les esclavagistes « démocratiques », l’Internationale communiste ne pouvait manquer de trahir également la lutte émancipatrice des peuples coloniaux, avec, d’ailleurs, un cynisme encore plus grand que ne l’avait fait, avant elle, la 2e Internationale. L’une des tâches de la politique des fronts populaires et de la « défense nationale » est de transformer les centaines de millions d’hommes de la population coloniale en chair à canon pour l’impérialisme « démocratique ». Le drapeau de la lutte émancipatrice des peuples coloniaux et semi-coloniaux, c’est-à-dire de plus de la moitié de l’humanité, est passé définitivement aux mains de la 4e Internationale.
Le programme des revendications transitoires dans les pays fascistes
Les jours où les stratèges de l’IC ont proclamé que la victoire d’Hitler n’était qu’un pas vers la victoire de Thälmann sont bien loin. Thälmann n’est pas sorti des prisons d’Hitler depuis plus de cinq ans. Mussolini maintient l’Italie dans les chaînes du fascisme depuis plus de seize ans. Durant toutes ces années, les partis de la 2e et de la 3e Internationales se sont trouvés impuissants, non seulement à provoquer un mouvement de masse, mais même à créer une organisation illégale sérieuse, tant soit peu comparable aux partis révolutionnaires russes de l’époque du tsarisme.
Il n’y a pas la moindre raison de voir la cause de ces échecs dans la puissance de l’idéologie fasciste. Mussolini n’a jamais eu, au fond, la moindre idéologie. « L’idéologie » d’Hitler n’a jamais sérieusement influencé les ouvriers. Les couches de la population dont le fascisme a, à un moment donné, tourné la tête, c’est-à-dire avant tout les classes moyennes, ont eu le temps de se dégriser. Si, néanmoins, une opposition tant soit peu notable se limite aux milieux cléricaux, protestants et catholiques, la cause n’en est pas dans la puissance des théories semi-délirantes, semi-charlatanesques de la « race » et du « sang », mais dans la faillite effroyable des idéologies de la démocratie, de la sociale-démocratie et de l’Internationale communiste.
Après l’écrasement de la Commune de Paris, une réaction étouffante dura environ huit ans. Après la défaite de la révolution russe de 1905, les masses ouvrières restèrent frappées de stupeur presque aussi longtemps. Cependant, dans ces deux cas, il ne s’agissait que de défaites physiques, déterminées par le rapport des forces. En Russie, il s’agissait, en outre, d’un prolétariat presque vierge. La fraction des bolcheviks ne comptait alors que trois ans d’âge. La situation était toute différente en Allemagne, où la direction appartenait à de puissants partis, dont l’un comptait soixante-dix ans d’existence, l’autre environ quinze ans. Ces deux partis, qui avaient des millions d’électeurs, se sont trouvés moralement paralysés avant la lutte et se sont rendus sans combat. Il n’y a jamais eu de catastrophe semblable dans l’Histoire. Le prolétariat allemand n’a pas été battu par l’ennemi dans un combat : il a été brisé par la couardise, l’abjection, la trahison de ses propres partis. Rien d’étonnant à ce qu’il ait perdu la foi en tout ce qu’il était habitué à croire depuis près de trois générations. La victoire d’Hitler, à son tour, a renforcé Mussolini.
L’insuccès réel du travail révolutionnaire en Italie et en Allemagne n’est rien d’autre que la rançon de la politique criminelle de la sociale-démocratie et de l’IC Pour mener un travail illégal, il ne faut pas seulement la sympathie des masses, mais encore l’enthousiasme conscient de leurs couches avancées. Mais peut-on s’attendre à de l’enthousiasme pour des organisations historiquement banqueroutières ? Les chefs émigrés, ce sont, en majorité, des agents du Kremlin et de la GPU, démoralisés jusqu’à la moelle des os, ou d’anciens ministres sociaux-démocrates de la bourgeoisie, qui espèrent que, par quelque miracle, les travailleurs leur rendront leurs postes perdus. Peut-on s’imaginer un seul instant ces messieurs dans le rôle de chefs de la future révolution « antifasciste » ?
Les événements sur l’arène mondiale n’ont pas pu non plus favoriser jusqu’à maintenant une montée révolutionnaire en Italie et en Allemagne : écrasement des travailleurs autrichiens, défaite de la révolution espagnole, dégénérescence de l’État soviétique. Comme, dans une large mesure, les travailleurs italiens et allemands dépendent, pour les informations politiques, de la radio, on peut dire avec assurance que les émissions de Moscou, qui combinent le mensonge thermidorien à la stupidité et à l’impudence, sont devenues un puissant facteur de démoralisation des travailleurs dans les États totalitaires. Sous ce rapport, comme sous les autres, Staline n’est qu’un auxiliaire de Goebbels.
Cependant, les antagonismes de classes qui ont conduit à la victoire du fascisme poursuivent leur œuvre, même sous la domination du fascisme, et le rongent peu à peu. Les masses sont de plus en plus mécontentes. des centaines et des milliers d’ouvriers dévoués continuent, malgré tout, à mener un travail prudent de taupes révolutionnaires. De jeunes générations se lèvent, qui n’ont pas vécu directement l’effondrement des grandes traditions et des grands espoirs. La préparation moléculaire de la révolution prolétarienne est en marche, sous la lourde dalle du régime totalitaire. Mais pour que l’énergie cachée se transforme en révolte ouvrière, il faut que l’avant-garde du prolétariat ait trouvé une nouvelle perspective, un nouveau programme, un nouveau drapeau qui soit sans tâche.
C’est ici la principale difficulté. Il est extrêmement malaisé pour les travailleurs des pays fascistes de s’orienter dans les nouveaux programmes. La vérification d’un programme se fait par l’expérience. Or c’est précisément l’expérience du mouvement des masses qui manque dans les pays de despotisme totalitaire. Il est fort possible qu’il faille un grand succès du prolétariat dans un des pays « démocratiques » pour donner une impulsion au mouvement révolutionnaire sur le territoire du fascisme. Une catastrophe financière ou militaire peut avoir le même effet. Il faut mener actuellement un travail préparatoire, surtout de propagande, qui ne produira de fruits abondants que dans l’avenir. Dès maintenant, on peut affirmer en toute certitude : une fois qu’il aura éclaté au grand jour, le mouvement révolutionnaire dans les pays fascistes prendra d’un seul coup une envergure grandiose et, en aucun cas, ne s’arrêtera à des tentatives de faire revivre un quelconque cadavre de Weimar.
C’est sur ce point que commence la divergence irréductible entre la 4e Internationale et les vieux partis qui survivent physiquement à leur banqueroute. Le « front populaire » dans l’émigration est l’une des variétés les plus néfastes et les plus traîtresses de tous les fronts populaires possibles. Il signifie, au fond, la nostalgie impuissante d’une coalition avec une bourgeoisie libérale inexistante. S’il avait quelque succès, il ne ferait que préparer une série de nouvelles faillites du prolétariat, à la manière espagnole. C’est pourquoi la réfutation de la théorie et de la pratique du « front populaire » est la première condition d’une lutte révolutionnaire contre le fascisme.
Cela ne signifie évidemment pas que la 4e Internationale rejette les mots d’ordre démocratiques. Au contraire, ils peuvent, à certains moments, jouer un rôle énorme. Mais les formules de la démocratie (liberté d’association, de presse, etc.), ne sont pour nous que des mots d’ordre passagers ou épisodiques dans le mouvement indépendant du prolétariat, et non un nœud coulant démocratique passé autour du cou du prolétariat par les agents de la bourgeoisie (Espagne !). Dès que le mouvement prendra un quelconque caractère de masses, les mots d’ordre transitoires se mêleront aux mots d’ordre démocratiques : les comités d’usine surgiront, il faut le penser, avant que les vieux bonzes se soient mis, de leurs bureaux, à l’édification de syndicats ; les soviets couvriront l’Allemagne avant que se soit réunie à Weimar une nouvelle assemblée constituante. Il en sera de même pour l’Italie et les autres pays totalitaires et semi-totalitaires.
Le fascisme a rejeté ces pays dans la barbarie politique. Mais il n’a pas changé leur caractère social. Le fascisme est un instrument du capital financier, et non de la propriété foncière féodale. Le programme révolutionnaire doit s’appuyer sur la dialectique de la lutte des classes, qui vaut aussi pour les pays fascistes, et non sur la psychologie des banqueroutiers effrayés. La 4e Internationale rejette avec dégoût les méthodes de mascarade politique auxquelles ont recours les staliniens, anciens héros de la « troisième période », pour apparaître tour à tour avec des masques de catholiques, de protestants, de juifs, de nationalistes allemands, de libéraux, uniquement afin de cacher leur propre visage peu attrayant. La 4e Internationale apparaît toujours et partout sous son propre drapeau. Elle propose ouvertement son programme au prolétariat des pays fascistes. Dès maintenant, les travailleurs avancés du monde entier sont fermement convaincus que le renversement de Mussolini, d’Hitler et de leurs agents et imitateurs se produira sous la direction de la 4e Internationale.
L’URSS et les tâches de l’époque de transition
L’Union soviétique est sortie de la révolution d’Octobre comme un État ouvrier. L’étatisation des moyens de production, condition nécessaire du développement socialiste, a ouvert la possibilité d’une croissance rapide des forces productives. Mais l’appareil d’État ouvrier a subi entre-temps une dégénérescence complète, se transformant d’instrument de la classe ouvrière en instrument de violence bureaucratique contre la classe ouvrière et, de plus en plus, en instrument de sabotage de l’économie. La bureaucratisation d’un État ouvrier arriéré et isolé et la transformation de la bureaucratie en caste privilégiée toute-puissante sont la réfutation la plus convaincante -non seulement théorique, mais pratique- de la théorie du socialisme dans un seul pays.
Ainsi, le régime de l’URSS renferme en soi des contradictions menaçantes. Mais il continue à rester un État ouvrier dégénéré. Tel est le diagnostic social.
Le pronostic politique a un caractère alternatif : ou la bureaucratie, devenant de plus en plus l’organe de la bourgeoisie mondiale dans l’État ouvrier, renversera les nouvelles formes de propriété et rejettera le pays dans le capitalisme ; ou la classe ouvrière écrasera la bureaucratie et ouvrira une issue vers le socialisme.
Pour les sections de la 4e Internationale, les procès de Moscou n’ont pas été une surprise ni le résultat de la démence personnelle du dictateur du Kremlin, mais les produits légitimes de Thermidor. Ils sont nés des frictions intolérables au sein de la bureaucratie soviétique, qui, à leur tour, reflètent les contradictions entre la bureaucratie et le peuple et, aussi, les antagonismes qui s’approfondissent à l’intérieur du « peuple » lui-même. Le « fantastique » sanglant des procès montre qu’elle est la force de tension des contradictions et annonce ainsi l’approche du dénouement.
Les déclarations publiques d’anciens agents du Kremlin à l’étranger, qui ont refusé de rentrer à Moscou, ont irréfutablement confirmé, à leur manière, qu’au sein de la bureaucratie il y a toutes les nuances de la pensée politique : depuis le véritable bolchevisme (Ignace Reiss) jusqu’au fascisme achevé (Fedor Butenko). Les éléments révolutionnaires de la bureaucratie, qui constituent une infime minorité, reflètent, passivement il est vrai, les intérêts socialistes du prolétariat. Les éléments fascistes, et en général les contrerévolutionnaires, dont le nombre augmente sans cesse, expriment de façon de plus en plus conséquente les intérêts de l’impérialisme mondial. Ces candidats au rôle de compradores pensent, non sans raison, que la nouvelle couche dirigeante ne peut assurer ses positions privilégiées qu’en renonçant à la nationalisation, à la collectivisation et au monopole du commerce extérieur, au nom de l’assimilation de la « civilisation occidentale », c’est-à-dire du capitalisme. Entre ces deux pôles, se répartissent des tendances intermédiaires et floues, de caractère menchevik, socialiste-révolutionnaire ou libéral, attirées vers la démocratie bourgeoise.
Dans la société dite « sans classe » elle-même, il y a, sans aucun doute, les mêmes groupements que dans la bureaucratie, mais avec une expression moins claire et dans une proportion inverse : les tendances capitalistes conscientes, propres surtout à la couche prospère des kolkhoziens, ne caractérisent qu’une infime minorité de la population. Mais elles se trouvent une large base dans les tendances petites-bourgeoises à l’accumulation privée aux dépends de la misère générale, que la bureaucratie encourage volontairement.
Sur la base de ce système d’antagonismes croissants, qui détruisent de plus en plus l’équilibre social, se maintient, par des méthodes de terreur, une oligarchie thermidorienne qui, maintenant, se réduit surtout à la clique bonapartiste de Staline. Les derniers procès ont été un coup contre la gauche. Cela est vrai aussi de la répression contre les chefs de l’opposition de droite, car, du point de vue des intérêts et des tendances de la bureaucratie, le groupe de droite du vieux Parti bolchevik représentait un danger de gauche. Le fait que la clique bonapartiste, qui craint aussi ses alliés de droite, du genre de Butenko, se soit trouvée contrainte, pour assurer son maintien, de recourir à l’extermination presque générale de la génération des vieux bolcheviks, est la preuve indiscutable de la vitalité des traditions révolutionnaires dans les masses, comme du mécontentement croissant de ces dernières.
Les démocrates petits-bourgeois de l’Occident, qui acceptaient, hier encore, les procès de Moscou pour argent comptant, répètent aujourd’hui avec insistance que « en URSS, il n’y a ni trotskysme ni trotskystes ». Ils n’expliquent cependant pas pourquoi toute l’épuration se fait précisément sous le signe de la lutte contre ce danger. Si l’on prend le « trotskysme » comme un programme achevé, à plus forte raison comme une organisation, le « trotskysme » est sans doute extrêmement faible en URSS. Cependant, sa force invincible est d’exprimer, non seulement la tradition révolutionnaire, mais aussi l’opposition présente de la classe ouvrière elle-même. La haine sociale des travailleurs pour la bureaucratie – c’est précisément cela qui constitue, aux yeux de la clique du Kremlin, le « trotskysme ». Elle craint mortellement, et avec pleine raison, la rencontre de la sourde révolte des travailleurs et de l’organisation de la 4e Internationale.
L’extermination de la génération des vieux bolcheviks et des représentants révolutionnaires de la génération intermédiaire et de la jeune génération a détruit encore davantage l’équilibre politique en faveur de l’aile droite, bourgeoise, de la bureaucratie et de ses alliés dans le pays. C’est de là, c’est-à-dire de la droite, qu’on peut s’attendre, dans la prochaine période, à des tentatives de plus en plus résolues de réviser le régime social de l’URSS, en le rapprochant de la « civilisation occidentale », avant tout de sa forme fasciste.
Cette perspective rend fort concrète la question de la « défense de l’URSS ». Si demain la tendance bourgeoise-fasciste, bref la « fraction Butenko », entre en lutte pour la conquête du pouvoir, la « fraction Reiss » prendra inévitablement sa place de l’autre côté de la barricade. Se trouvant momentanément l’alliée de Staline, elle défendra, bien entendu, non pas la clique bonapartiste de celui-ci, mais les bases sociales de l’URSS, c’est-à-dire la propriété arrachée aux capitalistes et étatisée. Si la « fraction Butenko » se trouve en alliance militaire avec Hitler, la « fraction Reiss » défendra l’URSS contre l’intervention militaire, à l’intérieur de l’URSS, aussi bien que sur l’arène mondiale. Toute autre conduite serait une trahison.
Ainsi, s’il n’est pas possible de nier par avance la possibilité, dans des cas strictement déterminés, d’un « front unique » avec la partie thermidorienne de la bureaucratie contre l’offensive ouverte de la contre-révolution capitaliste, la principale tâche politique en URSS reste, malgré tout, le renversement de la bureaucratie thermidorienne elle-même. Le prolongement de sa domination ébranle chaque jour davantage les éléments socialistes de l’économie et accroît les chances de restauration capitaliste. C’est dans le même sens qu’agit aussi l’Internationale communiste, agent et complice de la clique stalinienne dans l’étranglement de la révolution espagnole et dans la démoralisation du prolétariat international.
De même que dans les pays fascistes, la principale force de la bureaucratie n’est pas en elle-même, mais dans le découragement des masses, dans leur manque d’une perspective nouvelle. De même que dans les pays fascistes, dont l’appareil politique de Staline ne se distingue en rien, sinon par une plus grande frénésie, seul un travail préparatoire de propagande est actuellement possible en URSS. De même que dans les pays fascistes, ce sont les évènements extérieurs qui donneront vraisemblablement l’impulsion au mouvement révolutionnaire des travailleurs soviétiques. La lutte contre l’IC sur l’arène mondiale est actuellement la plus importante partie de la lutte contre la dictature stalinienne. Bien des choses permettent de croire que la désagrégation de l’IC, qui n’a pas d’appui direct dans la GPU, précédera la chute de la clique bonapartiste et de toute la bureaucratie thermidorienne en général.
La nouvelle montée de la révolution en URSS commencera, sans aucun doute, sous le drapeau de la lutte contre l’inégalité sociale et l’oppression politique. À bas les privilèges de la bureaucratie ! À bas le stakhanovisme ! À bas l’aristocratie soviétique avec ses grades et ses décorations ! Plus d’égalité dans le salaire de toutes les formes de travail !
La lutte pour la liberté des syndicats et des comités d’usine, pour la liberté de réunion et de la presse, se développera en lutte pour la renaissance et l’épanouissement de la démocratie soviétique.
La bureaucratie a remplacé les soviets, en tant qu’organes de classe, par la fiction du suffrage universel, dans le style d’Hitler-Goebbels. Il faut rendre aux soviets, non seulement leur libre forme démocratique, mais aussi leur contenu de classe. De même qu’auparavant la bourgeoisie et les koulaks n’étaient pas admis dans les soviets, de même maintenant la bureaucratie et la nouvelle aristocratie doivent être chassées des soviets. Dans les soviets, il n’y a place que pour les représentants des ouvriers, des travailleurs des kolkhozes, des paysans et des soldats de l’Armée rouge.
La démocratisation des soviets est inconcevable sans la légalisation des partis soviétiques. Les ouvriers et les paysans eux-mêmes, par leurs libres suffrages, montreront quels partis sont soviétiques.
Révision de l’économie planifiée du haut en bas, dans l’intérêt des producteurs et des consommateurs ! Les comités d’usine doivent recouvrer le droit de contrôle sur la production. Des coopératives de consommation, démocratiquement organisées, doivent contrôler la qualité des produits et leurs prix.
Réorganisation des kolkhozes en accord avec la volonté des kolkhoziens et selon leurs intérêts !
La politique internationale conservatrice de la bureaucratie doit faire place à la politique de l’internationalisme prolétarien. Toute la correspondance diplomatique du Kremlin doit être publiée. À bas la diplomatie secrète !
Tous les procès de Moscou montés par la bureaucratie thermidorienne doivent être révisés, dans les conditions d’une publicité complète et d’un libre et contradictoire examen. Les organisateurs des falsifications doivent en supporter le châtiment mérité. Il est impossible de réaliser ce programme sans le renversement de la bureaucratie, qui se maintient par la violence et la falsification. Seul, le soulèvement révolutionnaire victorieux des masses opprimées peut régénérer le régime soviétique et assurer sa marche en avant vers le socialisme. Seul, le parti de la 4e Internationale est capable de mener les masses soviétiques à l’insurrection.
- À bas la clique bonapartiste de Caïn-Staline !
- Vive la démocratie soviétique !
- Vive la révolution socialiste internationale !
Contre l’opportunisme et le révisionnisme sans principes
La politique du parti de Léon Blum en France démontre de nouveau que les réformistes sont incapables de rien apprendre des leçons les plus tragiques de l’histoire. La sociale-démocratie française copie servilement la politique de la sociale-démocratie allemande et marche à la même catastrophe. Durant des dizaines d’années, la 2e Internationale a grandi dans les cadres de la démocratie bourgeoise, en est devenue une partie inséparable, et pourrit avec elle.
La 3e Internationale est entrée dans la voie du réformisme à l’époque où la crise du capitalisme avait définitivement mis à l’ordre du jour la révolution prolétarienne. La politique actuelle de l’IC en Espagne et en Chine -politique qui consiste à ramper devant la bourgeoisie « démocratique » et « nationale »- démontre que l’IC, elle non plus, n’est plus capable d’apprendre quelque chose ou de changer. La bureaucratie, qui est devenue une force réactionnaire en URSS, ne peut jouer un rôle révolutionnaire sur l’arène mondiale.
L’anarcho-syndicalisme a connu, dans l’ensemble, une évolution du même genre. En France, la bureaucratie syndicale de Léon Jouhaux est devenue depuis longtemps une agence de la bourgeoisie dans la classe ouvrière. En Espagne, l’anarcho-syndicalisme s’est débarrassé de son révolutionnarisme de façade dès qu’a commencé la révolution, et est devenue la cinquième roue du char de la démocratie bourgeoise.
Les organisations intermédiaires centristes, qui se groupent autour du Bureau de Londres, ne sont que des accessoires « gauches » de la sociale-démocratie et de l’Internationale communiste. Elles ont montré leur incapacité complète à s’orienter dans une situation historique et à en tirer les conclusions révolutionnaires. Leur point culminant fut atteint par le POUM espagnol qui, dans les conditions de la révolution, s’est trouvé absolument incapable d’avoir une politique révolutionnaire.
Les défaites tragiques subies par le prolétariat mondial durant une longue série d’années ont poussé les organisations officielles à un conservatisme encore plus grand et ont conduit en même temps les « révolutionnaires » petits-bourgeois déçus à rechercher des « voies nouvelles ». Comme toujours, dans les époques de réaction et de déclin, apparaissent de toutes parts les magiciens et les charlatans. Ils veulent réviser toute la marche de la pensée révolutionnaire. Au lieu d’apprendre du passé, ils le « corrigent ». Les uns découvrent l’inconsistance du marxisme, les autres proclament la faillite du bolchevisme. Les uns font retomber sur la doctrine révolutionnaire la responsabilité des erreurs et des crimes de ceux qui l’ont trahie ; les autres maudissent la médecine, parce qu’elle n’assure pas une guérison immédiate et miraculeuse. Les plus audacieux promettent de découvrir une panacée et, en attendant, recommandent d’arrêter la lutte des classes. De nombreux prophètes de la nouvelle morale se disposent à régénérer le mouvement ouvrier à l’aide d’une homéopathie éthique. La majorité de ces apôtres ont réussi à devenir eux-mêmes des invalides moraux avant même de descendre sur le champ de bataille. Ainsi, sous l’apparence de « nouvelles voies », on ne propose au prolétariat que de vieilles recettes, enterrées depuis longtemps dans les archives du socialisme d’avant Marx.
La 4e Internationale déclare une guerre implacable aux bureaucrates de la 2e et de la 3e Internationales, de l’Internationale d’Amsterdam et de l’Internationale anarcho-syndicaliste, de même qu’à leurs satellites centristes ; au réformisme sans réformes, à la démocratie alliée à la GPU, au pacifisme sans paix, à l’anarchisme au service de la bourgeoisie, aux « révolutionnaires » qui craignent mortellement la révolution. Toutes ces organisations ne sont pas le gage de l’avenir, mais des survivances pourrissantes du passé. L’époque des guerres et des révolutions les réduira à néant.
La 4e Internationale ne recherche ni n’invente aucune panacée. Elle se tient entièrement sur le terrain du marxisme, seule doctrine révolutionnaire qui permette de comprendre ce qui est, de découvrir les causes des défaites et de préparer la victoire. La 4e Internationale continue la tradition du bolchevisme, qui a montré pour la première fois au prolétariat comment conquérir le pouvoir. La 4e Internationale écarte les magiciens, les charlatans et les professeurs de morale malvenus. Dans une société fondée sur l’exploitation, la morale suprême est la morale de la révolution socialiste. Bons sont les méthodes et moyens qui élèvent la conscience de classe des travailleurs, leur confiance dans leurs propres forces, leurs dispositions à l’abnégation dans la lutte. Inadmissibles sont les méthodes qui inspirent aux opprimés la crainte et la docilité devant les oppresseurs, étouffent l’esprit de protestation et de révolte, ou substituent à la volonté des masses la volonté des chefs, à la persuasion la contrainte, à l’analyse de la réalité, la démagogie et la falsification. Voilà pourquoi la sociale-démocratie, qui a prostitué le marxisme, tout comme le stalinisme, antithèse du bolchevisme, sont les ennemis mortels de la révolution prolétarienne et de sa morale.
Regarder la réalité en face ; ne pas chercher la ligne de moindre résistance ; appeler les choses par leur nom ; dire la vérité aux masses, quelque amère qu’elle soit ; ne pas craindre les obstacles ; être rigoureux dans les petites choses comme dans les grandes ; oser, quand vient l’heure de l’action : telles sont les règles de la 4e Internationale. Elle a montré qu’elle sait aller contre le courant. La prochaine vague historique la portera à son faîte.
Contre le sectarisme
Sous l’influence de la trahison et de la dégénérescence des organisations historiques du prolétariat, naissent ou se régénèrent, à la périphérie de la 4e Internationale, des groupements et des positions sectaires de différents genres. Ils ont à leur base le refus de lutter pour les revendications partielles ou transitoires, c’est-à-dire pour les intérêts et les besoins élémentaires des masses telles qu’elles sont. Se préparer à la révolution signifie, pour les sectaires, se convaincre soi-même des avantages du socialisme. Ils proposent de tourner le dos aux « vieux » syndicats, c’est-à-dire à des dizaines de millions de travailleurs organisés, comme si les masses pouvaient vivre en dehors des conditions de la lutte de classes réelle ! Ils restent indifférents à la lutte qui se déroule au sein des organisations réformistes, comme si l’on pouvait conquérir les masses sans intervenir dans cette lutte ! Ils se refusent à faire en pratique une différence entre la démocratie bourgeoise et le fascisme, comme si les masses pouvaient ne pas sentir cette différence à chaque pas !
Les sectaires ne sont capables de distinguer que deux couleurs : le blanc et le noir. Pour ne pas s’exposer à la tentation, ils simplifient la réalité. Ils se refusent à faire une différence entre les camps en lutte en Espagne, pour la raison que les deux camps ont un caractère bourgeois. Ils pensent, pour la même raison, qu’il est nécessaire de rester neutre dans la guerre entre le Japon et la Chine. Ils nient la différence de nature entre l’URSS et les pays impérialistes et, en invoquant la politique réactionnaire de la bureaucratie soviétique, refusent de défendre les formes de propriété créées par la révolution d’Octobre contre les agressions de l’impérialisme. Incapables de trouver accès aux masses, ils les accusent mesquinement d’être incapables de s’élever jusqu’aux idées révolutionnaires.
Un pont, sous la forme de revendications transitoires, n’est aucunement nécessaire à ces politiciens stériles, car ils ne se disposent nullement à passer sur l’autre rive. Ils piétinent sur place, se contentant de répéter les mêmes abstractions vides. Les événements politiques sont pour eux une occasion de faire des commentaires, mais non d’agir. Comme les sectaires, de même que les confusionnistes et les faiseurs de miracles de toutes sortes, reçoivent à chaque instant des chiquenaudes de la part de la réalité, ils vivent dans un état d’irritation continuelle, se plaignent sans cesse du « régime » et des « méthodes », et s’adonnent aux petites intrigues. Dans leurs propres milieux, ils exercent d’ordinaire un régime de despotisme. La prostration politique du sectarisme ne fait que compléter, comme son ombre, la prostration de l’opportunisme, sans ouvrir de perspectives révolutionnaires. Dans la politique pratique, les sectaires s’unissent à chaque pas aux opportunistes, surtout aux centristes, pour lutter contre le marxisme.
La majorité des groupes et cliques sectaires de ce genre, qui se nourrissent de miettes tombées de la table de la 4e Internationale, mènent une existence organisationnelle « indépendante », avec de grandes prétentions, mais sans la moindre chance de succès. Les bolcheviks-léninistes peuvent, sans perdre leur temps, abandonner tranquillement ces groupes à leur propre sort. Cependant, des tendances sectaires se rencontrent aussi dans nos propres rangs et exercent une influence funeste sur le travail de certaines sections. C’est une chose qu’il est impossible de supporter un seul jour de plus. Une politique juste sur les syndicats est une condition fondamentale de l’appartenance à la 4e Internationale. Celui qui ne cherche ni ne trouve la voie du mouvement des masses, celui-là n’est pas un combattant, mais un poids mort pour le parti. Un programme n’est pas créé pour une rédaction, une salle de lecture ou un club de discussion, mais pour l’action révolutionnaire de millions d’hommes. L’épuration des rangs de la 4e Internationale du sectarisme et des sectaires incorrigibles est la plus importante condition des succès révolutionnaires.
Vers la jeunesse, vers les femmes travailleuses
La défaite de la révolution espagnole, provoquée par ses « chefs », la banqueroute honteuse du Front populaire en France et la mise en lumière des falsifications des procès de Moscou, ces trois faits portent, dans leur ensemble, un coup irrémédiable à l’IC et, en passant, de graves blessures à ses alliés, les sociaux-démocrates et les anarcho-syndicalistes. Cela ne signifie pas, bien entendu, que les membres de ces organisations se tourneront d’un seul coup vers la 4e Internationale. La génération la plus âgée, qui a souffert de terribles défaites, abandonnera en grande partie le combat. D’ailleurs, la 4e Internationale ne demande nullement à devenir un refuge pour invalides révolutionnaires, bureaucrates et carriéristes déçus. Au contraire : contre l’afflux, chez nous, des éléments petits-bourgeois qui dominent actuellement dans les appareils des vieilles organisations, de strictes mesures préventives sont nécessaires ; une longue épreuve préalable pour les candidats qui ne sont pas ouvriers, surtout si ce sont d’anciens bureaucrates ; l’interdiction pour eux d’occuper dans le parti des postes de responsables durant les trois premières années, etc. Dans la 4e Internationale, il n’y a pas et il n’y aura pas de place pour le carriérisme, cette plaie des vieilles internationales. Ne trouveront accès à nous que ceux qui veulent vivre pour le mouvement, et non en vivre. Les travailleurs révolutionnaires doivent se sentir les maîtres. À eux, les portes de notre organisation sont largement ouvertes.
Bien entendu, même parmi les travailleurs qui furent autrefois aux premiers rangs, il y en a maintenant un bon nombre qui sont lassés et déçus. Ils resteront, au moins dans la prochaine période, à l’écart. Quand s’use un programme ou une organisation, s’use aussi la génération qui les a portés sur ses épaules. La rénovation du mouvement se fait par la jeunesse, libre de toute responsabilité pour le passé. La 4e Internationale prête une attention exceptionnelle à la jeune génération du prolétariat. Par toute sa politique, elle s’efforce d’inspirer à la jeunesse confiance dans ses propres forces et dans son avenir. Seuls, l’enthousiasme frais et l’esprit offensif de la jeunesse peuvent assurer les premiers succès dans la lutte ; seuls, ces succès peuvent faire revenir dans la voie de la révolution les meilleurs éléments de la vieille génération. Il en fut toujours ainsi, il en sera ainsi.
Toutes les organisations opportunistes, par leur nature même, concentrent principalement leur attention sur les couches supérieures de la classe ouvrière, et, par conséquent, ignorent aussi bien la jeunesse que les femmes travailleuses. Or l’époque du déclin capitaliste porte les coups les plus durs à la femme, tant comme salariée que comme ménagère. Les sections de la 4e Internationale doivent chercher appui dans les couches les plus opprimées de la classe ouvrière, et, par conséquent, chez les femmes travailleuses. Elles y trouveront des sources inépuisables de dévouement, d’abnégation et d’esprit de sacrifice.
À bas la bureaucratie et le carriérisme ! Place à la jeunesse, place aux femmes travailleuses ! Voilà les mots d’ordre inscrits sur le drapeau de la 4e Internationale.
Sous le drapeau de la Quatrième internationale
Des sceptiques demandent : mais le moment est-il venu de créer une nouvelle Internationale ? Il est impossible, disent-ils de créer une Internationale « artificiellement » ; seuls, de grands événements peuvent la faire surgir, etc. Toutes ces objections démontrent seulement que des sceptiques ne sont pas bons à créer une nouvelle internationale. À dire vrai, ils ne sont bons à rien.
La 4e Internationale est déjà surgie de grands événements : les plus grandes défaites historiques du prolétariat. La cause de ces défaites, c’est la dégénérescence et la trahison de la vieille direction. La lutte des classes ne tolère pas d’interruption. La 3e Internationale, après la 2e, est morte pour la révolution. Vive la 4e Internationale !
Mais les sceptiques ne se taisent pas : « Mais est-ce bien le moment de la proclamer ? » La 4e Internationale, répondons-nous, n’a pas besoin d’être « proclamée ». Elle existe et elle lutte. Est-elle faible ? Oui, ses rangs sont encore peu nombreux, car elle est encore jeune. Ce sont, jusqu’à maintenant, surtout des cadres. Mais ces cadres sont le seul gage de l’avenir. En dehors de ces cadres, il n’existe pas, sur cette planète, un seul courant révolutionnaire qui mérite réellement ce nom. Si notre internationale est encore faible en nombre, elle est forte par la doctrine, le programme, la tradition, la trempe incomparable de ses cadres. Que celui qui ne voit pas cela aujourd’hui reste à l’écart. Demain, ce sera plus visible.
La 4e Internationale jouit dès maintenant de la haine méritée des staliniens, des sociaux-démocrates, des libéraux bourgeois et des fascistes. Elle n’a ni ne peut avoir place dans aucun des fronts populaires. Elle s’oppose irréductiblement à tous les groupements politiques liés à la bourgeoisie. Sa tâche, c’est de renverser la domination du capital. Son but, c’est le socialisme. Sa méthode, c’est la révolution prolétarienne.
Sans démocratie intérieure, il n’y a pas d’éducation révolutionnaire. Sans discipline, il n’y a pas d’action révolutionnaire. Le régime intérieur de l’internationale est fondé sur les principes du centralisme démocratique : liberté complète dans la discussion, unité complète dans l’action.
La crise actuelle de la civilisation humaine est la crise de la direction du prolétariat. Les travailleurs avancés réunis au sein de la 4e Internationale montrent à leur classe la voie pour sortir de la crise. Ils lui proposent un programme fondé sur l’expérience internationale de la lutte émancipatrice du prolétariat et de tous les opprimés du monde. Ils lui proposent un drapeau que ne souille aucune tache.
Travailleurs et travailleuses de tous les pays, rangez-vous sous le drapeau de la 4e Internationale. C’est le drapeau de votre victoire prochaine !