La 4e Internationale est morte, il faut bâtir une nouvelle internationale, le parti mondial pour la révolution socialiste

La 4e Internationale a été détruite voici 60 ans par sa propre direction

La première vague révisionniste et liquidatrice, qui refusait en 1939-40 de défendre l’URSS et remettait en cause sa nature d’État ouvrier, a été combattue politiquement par une fraction menée par Léon Trotsky et James Cannon. La section américaine a été affaiblie par la scission de la minorité stalinophobe de James Burnham et de Max Shachtman, mais la 4e Internationale proclamée en 1938, dans la perspective de la guerre mondiale et de la vague révolutionnaire qui s’ensuivrait, a survécu et, malgré l’assassinat de Trotsky et de nombreux autres cadres par les nazis et les staliniens, s’est maintenue comme organisation révolutionnaire et internationaliste durant la 2e Guerre mondiale. Le deuxième congrès se tint en 1948 avec 22 sections.

Néanmoins, la seconde vague révisionniste et liquidatrice, de type stalinophile, est venue en 1949-51 de sa propre direction, composée de jeunes européens capables et courageux, mais relativement inexpérimentés à qui la direction du SWP américain avait remis la direction de l’internationale après guerre. Michel Pablo, Ernest Mandel, Livio Maitan, confrontés à la stabilisation du capitalisme mondial, à la transformation sociale de l’Europe centrale sans prise du pouvoir par la classe ouvrière et au prestige temporaire du stalinisme, ont perdu confiance dans la capacité révolutionnaire de la classe ouvrière et la capacité de leur propre organisation internationale à résoudre le problème de la crise de direction du prolétariat mondial.

À partir de 1949, le secrétariat international a commencé à capituler devant le stalinisme, tant les castes privilégiées usurpant le pouvoir dans les États ouvriers bureaucratisés (URSS, Europe centrale, Yougoslavie, Chine) que les autres partis issus de la stalinisation de la 3e Internationale, allant jusqu’à renier leurs propres camarades en Chine. Il a considéré Tito, puis Mao et enfin tout le stalinisme comme du « centrisme » et renié, à la suite de Deutscher, la nécessité de la révolution prolétarienne dans les États ouvriers dégénérées en faveur de l’utopie de la réforme de la bureaucratie.

En 1951, le 3e congrès mondial a avalisé la révision du programme. De fait, le SI a remplacé la lutte entre les classes mondiale par la lutte entre les camps (« socialiste » et capitaliste). Il a avili la révolution socialiste en un processus objectif qui allait obliger, sans qu’il fût besoin de créer de nouveaux partis, les directions actuelles des masses à servir les intérêts de ces dernières. Par conséquent, le secrétariat international s’en est remis à des forces sociales non prolétariennes que la 4e Internationale aurait désormais pour rôle de conseiller et d’orienter, à savoir la bureaucratie stalinienne, mais aussi la bureaucratie sociale-démocrate, la petite bourgeoisie et la bourgeoisie nationalistes dès lors qu’elles arriveraient à diriger (pour les tromper) les classes exploitées et semi-exploitées. Elle a convergé aussi avec le stalinisme en réhabilitant le front uni/que anti-impérialiste, une formule erronée de l’Internationale communiste qui a toujours servi d’alibi à la collaboration avec la bourgeoisie nationale. Elle a refusé de défendre les trotskystes emprisonnés en Chine par les stalino-maoïstes en 1952.

Les possibilités de reconstruction de la 4e Internationale reposaient sur le Comité international

Dès 1950, la section française (PCI) avait résisté au pablisme (Marcel Bleibtreu, Où va le camarade Pablo ? 1951). Au congrès de 1951, seules la section suisse (MAS) et la section française se sont opposées au tournant pro-stalinien. Tous les délégués (dont Nahuel Moreno du GOR argentin) ont voté l’orientation d’adaptation au nationalisme en Amérique latine. À la suite du congrès, le PCI est resté isolé et en a été exclu de l’internationale par Pablo et Mandel en 1952.

Quelques mois après, la section américaine SWP, confrontée à son tour aux exigences du centre liquidateur, entra en lutte contre Pablo, malgré les hésitations de son secrétaire Dobbs et sous l’impulsion de Cannon, de même que la section britannique, le Club dirigé par Gerry Healy. Les sections les plus anciennes, les plus prolétariennes per leur composition, résistaient donc, prouvant ainsi que la 4e Internationale était bien une organisation révolutionnaire.

La direction du SWP diffusa en 1953 une Lettre ouverte aux trotskystes du monde entier pour entériner une rupture qu’elle prétendait définitive avec le révisionnisme pabliste, affirmer le caractère contre-révolutionnaire du stalinisme et la nécessité de construire des partis ouvriers révolutionnaires pour conduire la révolution socialiste dans tous les pays. Sur cette base, les sections américaine (SWP), britannique (Club), française (PCI) et suisse (MAS) constituèrent en 1953 le Comité international de la 4e Internationale (CIQI) qui fut rejoint par la section chinoise, le PCR dirigée par Peng Shu-tse et un groupe sympathisant d’Argentine, le POR dirigé par Nahuel Moreno (auquel le SI avait préféré le GSI de Posadas, reconnu comme section au congrès de 1951).

La lutte des classes mondiale illustra rapidement la faillite totale du pablisme, de son impressionnisme, de ses hypothèses et de son opportunisme. En 1952, à travers la capacité du prolétariat à diriger la lutte anti-impérialiste en Bolivie et négativement par la subordination catastrophique de la section (POR) vis-à-vis du nationalisme bourgeois. En 1953 en Allemagne, avec la capacité du prolétariat d’entamer la révolution politique et négativement par l’illusion maintenue de la « Quatrième Internationale » dans la bureaucratie de se réformer après la mort de Staline. En Pologne et en Hongrie en 1956, avec une véritable révolution prolétarienne écrasée par la bureaucratie de l’URSS.

Le Comité international a failli à sa tâche voici un demi-siècle

Face à la crise du stalinisme, les sections regroupées dans le CIQI se renforcèrent au détriment des partis staliniens en 1956, en particulier aux États-Unis (SWP) et en Grande-Bretagne (lancement sur cette base de la SLL) ; la section française (groupe La Vérité qui devint plus tard l’OCI) noua des liens avec des révolutionnaires hongrois, dont Varga, qui allaient constituer la LRSH en s’appuyant sur le CI.

Cependant, le Comité international se révéla en fait incapable de démasquer le pablisme, de supplanter le SI, de reconstruire la 4e Internationale. Malgré ses grands mérites, Cannon ne se hissa jamais à l’échelle d’un dirigeant international. Le SWP négligea rapidement le CIQI qui ne mena pas contre le SI un combat fractionnel résolu au sein de l’internationale et de ses sections. En outre, celui-ci fut affaibli par son incapacité à rejeter le « front uni anti-impérialiste » que Pablo avait fait adopter au 3e congrès. Au sein du CI, seule une minorité du SWP autour de James et de Dunayevskaya tira les leçons de la Bolivie. Son propre fonctionnement fédéral facilitait les déviations nationales qui n’eurent parfois rien à envier au pablisme lui-même.

Il semble que le MAS de Suisse dirigé par Buchbinder et Steiger ne considérait pas l’URSS comme un État ouvrier. En tout cas, il disparut dans les années suivantes et ce qui en restait rejoignit le SU en 1953.

Dans les années 1950, le Club de Grande-Bretagne dirigé par Healy pratiquait un entrisme très opportuniste, en bloc avec des réformistes de gauche, dans le Parti travailliste. Il diffusa plusieurs années un organe réformiste (Tribune).

Le POR d’Argentine dirigé par Moreno appliqua la ligne du 3e congrès pabliste (FUAI) et se considéra comme partie prenante du « front unique anti-yanqui » qu’était pour lui le péronisme. Il entra en 1953 dans une scission du PS pro-péroniste, le PSRN. À parti de 1957, le groupe argentin du CI publia un « organe du péronisme ouvrier révolutionnaire » qui se plaçait obséquieusement « sous la discipline du général Perón », se prononça pour « l’unité de tous les anti-gorilles » (généraux réactionnaires).

Le PCI dirigé par Lambert (qui avait exclu Bleibtreu en 1955 malgré la protestation du CI) s’aplatit devant le nationalisme bourgeois algérien (MNA) et s’adapta profondément à la bureaucratie syndicale de FO et de la FEN.

Le SWP dirigé par Dobbs, Cannon et Hansen se tourna, à partir de 1957, vers l’aile droite du stalinisme et d’autres courants petits-bourgeois américains (la ligne du « regroupement »). En 1961, le SWP envoya même à la veuve de Kennedy ses condoléances.

À partir de la révolution cubaine de 1959, le SWP sous la conduite de Hansen et le SLATO d’Amérique latine animé par Moreno prétendirent que Castro était marxiste, devinrent partisans de la stratégie guérillériste (foquisme), s’opposèrent à toute révolution prolétarienne (malgré la consolidation d’une bureaucratie en lien avec celle de l’URSS) et refusèrent de défendre le groupe trotskyste cubain (POR-T) face à la répression. Cette convergence avec le SI permit de constituer le Secrétariat unifié (SUQI) en 1963, d’autant plus facilement que Pablo (qui allait devenir conseiller du gouvernement bourgeois algérien du FLN) et Posadas (qui allait fonder sa propre internationale) avaient rompu avec le SI. La « 4e Internationale réunifiée » devint un appendice du castrisme et de son OLAS dans le sous-continent. En 1965, l’organisation de Moreno fusionna avec le FRIP castriste de Santucho pour former le PRT.

La section du SU au Sri Lanka, le LSSP de de Silva, Gunawardene et Perera, rejoignit le gouvernement bourgeois en 1964. La section du SU aux Etats-Unis, le SWP de Hansen, s’orienta vers le mouvement nationaliste noir, le féminisme bourgeois et le pacifisme, pratiquant un bloc avec une aile du Parti démocrate dans le mouvement anti-guerre, qu’il dirigeait.

Six ans à peine après la prétendue « réunification », effrayés par la répression de leur propre État bourgeois envers les courants prenant au sérieux la lutte armée (BPP, FLQ, PRT-ERP…), Hansen du SWP des États-Unis, Dowson de la LSA-LSO du Canada, Moreno du PRT-La Verdad d’Argentine entamèrent en 1969 une volte-face politique. Ils ouvrirent à partir de 1972 un combat fractionnel au sein du SU contre sa majorité guérillériste (Mandel, Maitan, Frank, Ali, Bensaïd…).

Contre la dégénérescence du SWP américain et contre la trahison du LSSP sri-lankais, la direction de la SLL prit au début des années 1960 la tête de la défense du CI. Healy, Banda et Slaughter réaffirmèrent la validité du programme de la 4e Internationale contre le castrisme et le front populaire. Cependant, la SLL nia en même temps la révolution sociale et que Cuba fût devenu un État ouvrier dégénéré en 1960-61, ce qui aida les révisionnistes et affaiblit le CIQI. L’OCI approuva cette analyse sectaire. Seule la SL des États-Unis, une organisation sympathisante du CI, adopta à ce moment-là une position correcte.

Dans ce qui restait du CI, la SLL rompit brutalement avec l’OCI en 1971 sous le prétexte d’une divergence sur le matérialisme dialectique, le réduisant à la couverture internationale de l’organisation britannique. La SLL-WRP collabora en sous-main avec des dirigeants travaillistes, des organisations nationalistes arabes comme le Fatah et, à partir de 1977, des dictatures bourgeoises et anti-ouvrières du Proche-Orient (en Irak, en Lybie…) qui, en retour, le finançaient. Le WRP a explosé au moment de la grande grève des mineurs de 1984-85, défaite par Thatcher avec la complicité de la direction confédérale des TUC. Le secrétaire général du WRP, Banda, découvrit que Staline avait eu raison contre Trotsky. La principale fraction de l’époque, le WRP de Slaughter, prit partie pour les cliques bourgeoises nationalistes de Croatie et de Bosnie dans les guerres réactionnaires qui déchirèrent l’ex-Yougoslavie. Le dernier acte politique de Healy fut le soutien à Gorbatchev, comme Mandel. De la fin sans gloire du WRP datent deux prétendues 4e Internationales healystes, ce qui contribue, ajoutées à celle des pablistes, des posadistes et des lambertistes, à ridiculiser le legs de Trotsky.

L’OCI dirigée par Lambert n’intervint quasiment pas en tant que telle durant la situation révolutionnaire de mai-juin 1968. Elle transforma la tactique de front unique ouvrier en un principe suprême, le substituant à la construction du parti et à l’insurrection. Fidèle au « front uni anti-impérialiste » hérité du 3e congrès, l’OCI noua des liens avec le POR de Lora bien que, en 1971 comme en 1952, il fit confiance à une aile de la bourgeoisie nationale. Avec son courant international (CORQI), l’OCI-PCI contribua dans les années 1970 et 1980 à la construction (ou la reconstruction) de la sociale-démocratie en Espagne, au Portugal, en France, en Pologne, au Brésil… En 1981, le PCI refusa de présenter un candidat à l’élection présidentielle et appela à voter pour le candidat du PS au premier tour (contre ceux du PCF, de la LCR et de LO). En 1984, pour faire un tournant vers le réformisme et liquider le PCI (la « ligne de la démocratie »), Lambert élimina du PCI le principal théoricien du parti, Stéphane Just. Lambert et Gluckstein dissolurent le PCI dans le MPPT en 1985 (devenu PT en 1991 et POI en 2008) tout en reproclamant « la 4e Internationale » en 1993. Après avoir soutenu les islamistes sanglants du FIS en Algérie, Lambert a fini sa vie comme un vulgaire social-chauvin, défenseur de la démocratie, de la République et de la nation.

La SLL-WRP et l’OCI-PCI étaient en outre calomniatrices et violentes, reproduisant les pires traits du stalinisme au nom du « trotskysme orthodoxe ».

Les courants apparus postérieurement à la destruction de la 4e Internationale n’ont pas réussi à surmonter les déviations et les révisions qui avaient causé sa perte

Les courants centristes de gauche nés des luttes internes au sein de la déviation stalinophobe et qui ont tenté de renouer avec le « trotskysme » (comme la rupture d’une partie de l’YSL et de l’ISL shachtmanistes des États-Unis en 1957 ou la scission avec les IS cliffistes de Grande-Bretagne en 1974) ont épuisé leur potentiel initial pour sombrer respectivement dans le sectarisme (WL, SL) et le centrisme (WP).

Contrairement à Hal Draper et Sy Landy, un groupe de jeunes cadres américains (Tim Wohlforth, Jim Robertson, Shane Mage…) refusa d’adhérer au SP des États-Unis comme le proposait Shachtman qui devait finit sa vie politique en soutenant la guerre menée par son impérialisme au Vietnam. Cette tendance a rejoint en 1955 le SWP. Ainsi, ces militants se sont liés au Comité international de la 4e Internationale et y ont puisé la force de s’opposer à la direction historique du SWP quand elle s’est alignée sur le M16J castriste et a renié le noyau trotskyste cubain (POR-T). Wohlforth a défini, à chaud, une position correcte sur Cuba qu’il a abandonnée ultérieurement sous la pression de Healy.

Dans le cadre du CI, l’ACFI-WL de Wohlforth puis David North a accepté les pires errements de Healy durant un quart de siècle. Depuis l’éclatement de la SLL et du CI de Healy, sous la houlette de North, la WL-SEP des États-Unis et son courant international WSWS (qui prétend abusivement être la 4e Internationale) ont nié toute nature ouvrière aux syndicats et aux partis réformistes, rejeté tout front unique ouvrier, mis en cause les droits des minorités nationales comme dépassés par la mondialisation, etc.

La Spartacist League de Robertson a été expulsée scandaleusement du CI en 1966 par Healy avec la complicité de Lambert. Elle s’est un temps rapprochée de VO de France (ce qu’elle a payé d’une scission : Spark), puis elle a lancé son propre courant international IST-LCI (au détriment surtout des forces du SU). Pour prendre une apparence radicale dans « l’extrême-gauche », leur principal milieu d’intervention dès les années 1970, les groupes « spartacistes » ont systématiquement refusé de voter pour les partis ouvriers traditionnels (une tactique souvent préconisée par Lénine et Trotsky, en particulier quand les communistes ne pouvaient pas présenter leurs propres candidats), obscurcissant la frontière entre abstentionnisme électoral gauchiste et bolchevisme, ainsi que celle entre front populaire et front unique ouvrier. La SL et la LCI ont abandonné en fait le travail syndical et ont rejeté en pratique le front unique ouvrier. Dans la même veine sectaire, contre toute l’expérience du mouvement ouvrier (et malgré les conseils –non suivis– de Trotsky à Cannon en 1939), la LCI vient de découvrir qu’il était interdit de présenter des candidats communistes aux élections à des postes exécutifs.

Surtout, la SL et la LCI ont remis à la bureaucratie stalinienne le soin de défendre les États ouvriers (Pologne, RDA, Russie, Chine…) et d’accomplir la révolution (Afghanistan). Ainsi, elles ont constitué un pablisme de la seconde génération, à la différence que Pablo et Mandel cédèrent au stalinisme à son apogée, tandis que Robertson et Norden capitulèrent devant le stalinisme en agonie. Comme la LC-LCR de France, la SL a parfois manifesté avec des drapeaux des staliniens vietnamiens. Robertson a tenté en 1989 de rencontrer personnellement les bureaucrates de RDA héritiers de la contre-révolution de 1953. La LCI a appelé la bureaucratie du Kremlin à écraser la lutte des ouvriers polonais en 1981. La SL a rendu hommage à Andropov, alors qu’il s’agissait du boucher de la révolution ouvrière de 1956 en Hongrie. Affolée par la disparition de son substitut au prolétariat, la SL s’obstine à voir dans la Chine capitaliste un État ouvrier (comme LO s’est entêtée, au moins jusqu’en 2008, à analyser la Russie comme un État ouvrier).

Empêtrée dans ses oscillations entre gauchisme et philo-stalinisme, sans parler de concessions récurrentes de la SL à son impérialisme, la LCI a subi une série de scissions, ce qui a contribué à appauvrir sa vie interne (et à conforter les tendances paranoïaques qu’elle partage avec les dégénérescences healystes et lambertistes) : à la fin des années 1970 et au début des années 1980, l’ET-BT-IBT ; à la fin des années 1990, la LFI…

Une génération après la SL et de l’autre côté de l’Atlantique est né le groupe Workers Power, en rupture avec le centrisme de droite. Combattant à juste titre les trahisons du cliffisme sur l’Irlande en 1972, un groupe de jeunes cadres des IS de Grande-Bretagne (Hughes, Stocking…) a adopté, quelques années après son expulsion en 1974, la conception trotskyste de l’État ouvrier dégénéré. WP de Grande-Bretagne a entrepris de construire un courant international sous les noms successifs de MICR, LICR et L5I. Pour justifier la création d’un nouveau courant international, WP a prétendu, comme son organisation d’origine IS-SWP, que la 4e Internationale fondée par Trotsky avait sombré sans aucune résistance prolétarienne, ni lutte interne significative (ce qui est faux et qui aurait signifié que sa fondation était erronée), a soutenu que le CI était l’équivalent politique du SI (ce qui ne résiste pas à l’analyse des textes et des actions des protagonistes).

Le MICR-LICR a annoncé, sans modestie, qu’il fallait mettre à jour le programme du trotskysme après 50 ans de stérilité. Cependant, le résultat (Le Manifeste trotskyste, 1989) fut très décevant. Dans ce document éclectique, on relève pêle-mêle : « l’arrivée au pouvoir d’idéologies », l’explication de la baisse du taux de profit par le sous-investissement, la croyance en une « stratégie antiétatique » de la bourgeoisie des centres impérialistes dans les années 1980, la « conscience réformiste des masses » (les syndicats « reflétant » ce réformisme des masses),« l’ultra-patriotisme » qui sert à gagner « une base de masse » dans la classe ouvrière, la persistance à l’époque de l’impérialisme de « mouvements révolutionnaires nationaux » sous direction de la bourgeoisie, la justification du « front uni anti-impérialiste » avec de telles bourgeoisies, l’existence de « gouvernements ouvriers bourgeois », etc.

Dans sa pratique, WP et son courant international ne se sont pas extirpés du centrisme, imitant largement l’orientation l’opportuniste du SWP de Grande-Bretagne dont ils sont, en fait, restés l’aile gauche. Ils ont caractérisé les gouvernements des partis réformistes et, pire encore, les gouvernements de front populaire comme des « gouvernements ouvriers bourgeois » qui pouvaient agir pour la classe ouvrière (aux antipodes de l’attitude du Parti bolchevik face au « gouvernement provisoire » en 1917 et de la 4e Internationale face aux fronts populaires à partir de 1935). Ils ont soutenu politiquement le nationalisme albanais au Kosovo (KLA) et ont refusé de condamner l’intervention impérialiste de l’OTAN (incluant leur propre impérialisme) en 1995 contre la Serbie.

À partir de 1999, comme le SU pabliste et la TSI cliffiste, WP a présenté « l’altermondialisme » et les « Forums Sociaux », ce bloc d’organisations chrétiennes, de partis écologistes, de la bureaucratie cubaine, de bureaucraties syndicales, etc. comme un « mouvement anticapitaliste ». En 2002, WP a signé avec la LCR de France, le SWP de Grande-Bretagne et le PRC d’Italie un appel aux gouvernements impérialistes d’Europe pour qu’ils empêchent la guerre de Bush en Irak. Comme le SU et la TSI, WP et la L5I se sont donnés comme objectif de construire des partis non révolutionnaires (dits « anticapitalistes » sur le modèle du NPA néo-réformiste de France). La section autrichienne manifeste un opportunisme envers l’islamisme analogue au SWP de Grande-Bretagne.

Les zigzags opportunistes et la recherche forcenée de raccourcis par l’activisme dans le mouvement altermondialiste ont abouti en 1995 à l’exclusion des sections de Nouvelle-Zélande et d’Amérique latine (qui condamnaient l’intervention impérialiste en Serbie), à la disparition en 2002 de la section française (qui était la deuxième par l’effectif) au profit de LO et de la LCR, puis en 2006 à une importante scission (PR) dans la section britannique qui a concerné aussi d’autres sections.

Le drapeau de feue la 4e Internationale est discrédité, déchiré et souillé depuis plusieurs décennies

Toutes les organisations du SU et, plus largement, tous les courants issus du pablisme (ceux de Posadas, Pablo, Mandel, Grant, Lora, Moreno, Barnes…) soutinrent des fronts populaires, adoptèrent le nationalisme petit-bourgeois ou bourgeois, le pacifisme petit-bourgeois ou bourgeois, le féminisme petit-bourgeois ou bourgeois, etc.

En 1979, le SU pactisa avec le gouvernement de coalition avec la bourgeoisie mis en place par le FSLN (et expulsa ses minorités qui s’y opposèrent, dont la FB dirigée par Moreno qui regroupait la plus grande partie des militants d’Amérique latine). Le SU s’est évidemment aligné sur le colonel Chavez au Venezuela, même s’il s’est fait doubler comme conseiller du Bonaparte par la TMI de Grant et Woods. Au Liban, le SU a capitulé devant le Hezbollah islamiste.

La « 4e Internationale » a soutenu plusieurs fois l’ONU, ses principales sections passèrent la frontière de classe à plus d’une occasion : la LCR appela à voter pour le principal candidat présidentiel de la bourgeoisie en France en 2002, DS participa directement à un gouvernement bourgeois au Brésil en 2003, SC vota la confiance à un gouvernement bourgeois en Italie en 2006…

Avec le reflux de la vague révolutionnaire mondiale des années 1960-1970, certains dirigeants pablistes se permirent d’attaquer ouvertement la révolution permanente, comme le dirigeant du SWP, qui fut la principale section de la 4e Internationale à sa fondation (Barnes, Leur Trotsky et le nôtre, 1982) et le dirigeant du MAS d’Argentine, qui était alors la plus grande organisation à se réclamer du trotskysme dans le monde (Moreno, Critique des Thèses de la révolution permanente de Trotsky, 1984). Certaines sections rejetèrent même toute référence au trotskysme : au début des années 1980, le SWP des États-Unis et le SWP-DSP d’Australie, à la fin des années 2009, la LCR-NPA de France…

Le salut de la 4e Internationale ne pouvait pas provenir des courants qui, tout en se réclamant du « trotskysme », puisent leur origine dans une rupture avec la 4e Internationale, comme celle en 1938 de l’UC de France, sans divergence politique affichée, dirigée par Barta et moins encore celle, révisionniste, en 1949 du SRG de Grande-Bretagne dirigé par Cliff…

VO-LO de France, dirigée par Barcia, s’est profondément adaptée au PCF (le pire ennemi de la révolution au sein du mouvement ouvrier français), a défendu l’existence d’Israël, s’est intégré progressivement aux bureaucraties syndicales héritières du stalinisme, a demandé à plusieurs reprises le renforcement de la police, a participé en 2009 à des coalitions électorales avec des partis bourgeois… Barcia a purgé périodiquement les cadres de LO qui prenaient au sérieux la perspective de construire un parti révolutionnaire, contre le PCF.

Né du refus de défendre la Chine lors de la guerre de Corée, le RSG-IS-SWP de Grande-Bretagne dirigé par Cliff et Callinicos a soutenu l’intervention de l’armée britannique en Irlande, s’est intégré aux bureaucraties syndicales, a pratiqué le pacifisme durant la guerre contre l’Irak, a capitulé devant l’islamisme, a mis sur pied une coalition de type front populaire (Respect)… Les groupes affiliés à la TSI, comme ceux de la TMI et du SU d’origine pabliste, se sont plus d’une fois investis dans des partis qui n’étaient pas issus de la classe ouvrière.

Seul l’effondrement de la 4e Internationale et l’échec de sa reconstruction ont pu conférer à ce type de centrisme un succès national et un écho international. La marche des événements révélera impitoyablement les contradictions entre leur référence verbale à la révolution et leur pratique quasi-réformiste, surtout si les bolcheviks-léninistes se regroupent à l’échelle internationale et les démasquent, ainsi que tous les courants centristes, et gagnent leurs meilleurs éléments.

Sur le papier, il y a cinq organisations qui se dénomment « 4e Internationale », plus une dizaine de courants qui comportent cette appellation dans leur intitulé. En réalité, plus de 60 ans après son éclatement, la destruction de la 4e Internationale est totale, irréversible et définitive. Il n’y a plus de centre mondial bolchevik-léniniste depuis 60 ans et il n’y a plus depuis longtemps de section de la 4e Internationale qui soit restée sur le terrain de son programme. Dans ces conditions, se réclamer de la 4e Internationale est dans le meilleur des cas idéaliste, sentimental, illusoire et irresponsable ; le plus souvent, cela témoigne du rattachement persistant au centrisme et à l’opportunisme pratiqué depuis plus d’un demi-siècle au nom du trotskysme et de la 4e Internationale.

Par conséquent, l’internationale ouvrière révolutionnaire à venir ne saurait être la 4e Internationale, pas plus que la 2e Internationale ou la 3e. Pour la construire, il faut déclarer une guerre sans merci à la sociale-démocratie et au travaillisme, aux débris du stalinisme (incluant le maoïsme et le castrisme), à l’anarchisme, au nationalisme clérical ou laïque dont l’autorité procède de la faillite de la 4e Internationale et aussi des destructeurs de celle-ci et de leurs héritiers. Les partisans de la nouvelle internationale communiste ne constituent pas un courant, une tendance, une fraction d’un prétendu « mouvement trotskyste ». Leur but n’est pas de réorganiser, redresser, reconstruire, reforger, recréer, régénérer… une organisation morte depuis un demi-siècle comme organisation révolutionnaire, mais de construire la nouvelle internationale ouvrière révolutionnaire, le parti communiste international.

CoReP