Groupe trotskyste palestinien (IVe Internationale) Thèses sur la Palestine janvier 1948

La faiblesse de l’impérialisme britannique après la Deuxième guerre mondiale, la consolidation de la bourgeoisie indigène dans quelques colonies importantes et le développement de la classe ouvrière ainsi que l’intensification de sa lutte sociale et anti-impérialiste ont obligé la Grande-Bretagne à évacuer ses troupes de certaines colonies et à prévoir un réajustement de la défense de l’Empire. D’autre part, la bourgeoisie indigène est devenue un agent de la domination impérialiste indirecte plus digne de confiance du fait de la peur grandissante devant la classe ouvrière organisée qui est sortie plus forte que jamais de cette guerre. Particulièrement dans les colonies et semi-colonies, dans les régions coloniales où l’impérialisme américain a pénétré comme principale puissance économique, l’impérialisme britannique essaie d’assigner une partie des tâches de la défense de l’Empire et de la préparation de la prochaine guerre mondiale à l’impérialisme américain. D’autre part, la Grande-Bretagne cherche à maintenir autant d’influence économique et d’autorité sur la bourgeoisie indigène qu’il est possible de le faire. C’est ce qui se passe à présent dans le Moyen-Orient. D’une part, l’impérialisme britannique évacue une partie de ses troupes de Palestine et de l’Irak et laisse à l’ONU, c’est-à-dire à l’impérialisme américain, le soin de décider le sort de la Palestine et, d’autre part; il incite à la « guerre sainte » en Palestine afin de gagner de l’influence politique sur le monde arabe et il s’efforce de s’allier aux États arabes, comme par le traité prévu avec l’Irak qui donnerait à l’impérialisme britannique le maximum de pouvoir possible dans les conditions de domination indirecte. L’antagonisme entre les impérialismes américain et britannique dans cette région se manifeste particulièrement dans la question de savoir de quelle façon chacun d’eux peut obtenir le maximum d’influence directe sur l’économie et la politique indigène tout en y envoyant le plus petit nombre de troupes. La décision de diviser la Palestine appuyée par le États-Unis, apparemment en opposition à la Grande-Bretagne, a créé la situation suivante dans l’Orient arabe : la Grande-Bretagne a obtenu la possibilité de retirer une partie de ses troupes, tout en renforçant son prestige dans le monde arabe ; l’Amérique, dont les intérêts pétroliers n’ont pas souffert d’une certaine perte de prestige à cause de liens économiques qui lient la bourgeoisie indigène à l’impérialisme yankee, y a gagné un agent direct, la bourgeoisie sioniste, qui, de ce fait, est devenu complètement dépendante du capital américain et de la politique américaine. De plus, l’impérialisme américain a maintenant une justification pour intervenir militairement dans le Moyen-Orient chaque fois que cela lui conviendra. Tous les deux ont créé une situation de chauvinisme grandissant dans laquelle il est devenu possible d’écraser la classe ouvrière arabe et tous les mouvements de gauche dans tout l’Orient arabe, et ceci est également dû à cause de l’appui russe au plan impérialiste de partition de la Palestine.

Les féodaux arabes et la bourgeoisie du Moyen-Orient, représentés par la Ligue arabe, voient dans la bourgeoisie sioniste un concurrent non seulement sur le marché des moyens de consommation du Moyen-Orient (en ce qui concerne l’Égypte) mais également sur le marché des agents impérialistes dans l’Orient arabe. Par sa guerre raciale contre les Juifs de Palestine, la Ligue arabe veut limiter la zone d’activité des industries juives et prouver à l’impérialisme qu’elle est un facteur qui peut encore mieux le servir que le sionisme. En même temps, elle favorise l’impérialisme dans ses plans sur une grande échelle au Moyen-Orient et elle n’est que trop intéressée à suivre ses ordres en vue d’utiliser cette guerre chauvine pour aviver les sentiments antirusses et pour écraser brutalement la classe ouvrière arabe et tous les groupes de gauche. Elle voit dans l’épouvantail sioniste et dans le problème palestinien en général une trop belle occasion pour détourner l’atten­tion des masses opprimées des pays arabes de leurs problèmes sociaux et de l’exploitation impérialiste et indigène et pour exacerber les haines raciales contre les minorités et pour recruter des chômeurs pour le djihad en Palestine. Dans ces circonstances, l’antagonisme traditionnel entre les deux cliques de la Ligue Arabe – la famille hachémite britannique d’une part et le bloc américain du roi du pétrole de l’Arabie, de l’Égypte et du régime actuel en Syrie d’autre part – se manifeste dans leur compétition pour l’intervention la plus extrême et la plus active en Palestine afin d’être sur place, d’y créer un fait accompli et de rassembler le butin dès qu’il sera nécessaire de se conformer aux décisions finales de l’impérialisme.

Les féodaux arabes de Palestine, sachant que dans une telle guerre raciale ils sont les dirigeants naturels, veulent reconquérir de cette façon leur autorité sur la population arabe de Palestine, autorité qui avait été affaiblie par le développement, durant la guerre, de la jeune bourgeoisie des villes du littoral et par la crois­sance et l’organisation de la classe ouvrière arabe de Palestine. L’appui direct que l’impérialisme britannique a accordé à des dirigeants féodaux, contre tout autre facteur arabe (rapatriement des Husseini, reconnaissance du Haut comité arabe imposé par lui-même, etc.) – tout cela parce que l’impérialisme anglais était intéressé à voir la direction arabe la plus réactionnaire et chauvine – a permis à ces féodaux d’imprégner, dès le début, leur propre caractère aux événements actuels. Alors que la révolte de 1936 avait commencé par une grève générale et s’était concentrée au début dans les villes, cette fois-ci le principal aspect de l’activité a été dès le début une action militaire de bandes de guérillas rurales. Alors qu’en 1936-1939, une grande partie des « combats » a été menée contre les troupes britanniques (même si le but principal était dirigé contre les Juifs), cette fois-ci ce sont principalement les Juifs qui sont attaqués tandis que les fonctionnaires de l’impérialisme britannique ainsi que les officiers et les soldats sont traités amicalement ou tout au plus accusés de ne pas tenir la « neutralité » promise. C’est ainsi qu’ils ont réussi à créer une atmosphère de chauvinisme extrême dans laquelle une provocation peut entraîner un massacre massif d’ouvriers juifs comme dans les raffineries de Haïfa de la part des sections arriérées de leurs compagnons ouvriers arabes (quelques-uns des ouvriers arabes les plus avancés ne participèrent pas à cette action et d’autres sauvèrent les Juifs), et où il n’y a plus de lutte gréviste commune entre ouvriers juifs et arabes pour les mêmes revendications, mais au contraire où ces luttes sont menées séparément pour l’introduction de mesures de sécurité contre des attaques éventuelles. La séparation entre ouvriers arabes et juifs et la séparation entre la classe ouvrière arabe des villes les plus avancées et de leur hinterland – les pauvres des campagnes (l’un des principaux buts de la partition) sont accomplies par la prétendue lutte des dirigeants féodaux arabes contre la partition. La bourgeoisie arabe, dans la mesure où elle existe en Palestine en tant que classe indépendante (propriétaires de plantations de citrons et éléments urbains des villes du littoral, les adeptes de Muss el Alami) veut l’ordre et la sécurité dans l’intérêt des affaires, mais sa garde nationale, au cours des attaques chauvines de masse, est de moins en moins importante en comparaison des guérillas à direction féodale.

Le sionisme qui semble être au zénith de ses succès diplomatiques, a réussi à aider l’impérialisme à créer une situation dans laquelle les masses juives doivent apprendre ce que veut dire être le bouc émissaire de l’impérialisme. La guerre civile actuelle, qui exacerbe à l’extrême le chauvinisme dans les masses juives est elle-même en partie la conséquence du chauvinisme sioniste qui a accompagné l’établissement d’une économie juive fermée. Si l’impérialisme a réussi à détourner de lui le mécontentement des masses arabes dans le Moyen-Orient et à le diriger contre la population juive de Palestine, la conséquence inévitable de cette guerre sera la dépendance totale du sionisme envers l’impérialisme américain.

Dans ces circonstances, le recul de l’influence des organisations ouvrières arabes est évident. Après être parvenues à devenir un facteur important dans la vie politique arabe, elles sont aujourd’hui presque paralysées. Nous ne pouvons pas non plus nous attendre à ce qu’elles regagnent cette position dans le proche avenir, pour les raisons suivantes :

  • a) La vague d’écrasement des organisations de gauche et de la classe ouvrière dans l’Orient arabe est survenue avant que celles-ci soient suffisamment fortes pour se défendre et pour maintenir leur position. Si cela a été le cas dans les centres de la classe ouvrière arabe, parti­culièrement en Égypte, il n’y aucun doute que cela influence la classe ouvrière plus arriérée de Palestine.
  • b) Dans le proche avenir, il faut s’attendre à un déclin numérique de la classe ouvrière arabe en Palestine, premièrement à cause de la diminution de l’emploi pour l’armée et deuxièmement à cause des arrêts de travail causés par les événements. Le chômage parmi les ouvriers arabes ne menacera pas seulement les conquêtes limitées des dernières années, mais créera un terrain fertile au chauvinisme et favorisera le recrutement des bandes à direction féodale.
  • c) Les staliniens arabes ont perdu une partie de leur influence politique et organisationnelle parce que les masses les considéraient comme les représentants de la Russie qui a trahi les masses arabes en favorisant la création de l’État juif.
  • d) Le chauvinisme grandissant des ouvriers juifs, l’appui ouvert du partage par les sionistes « de gauche », y compris les staliniens juifs, sont également reflétés parmi les ouvriers arabes et constituent un autre facteur qui les jette dans les bras de la réaction féodale. D’autre part, la composition sociale de la classe ouvrière arabe est aujourd’hui beaucoup plus progressive qu’elle ne l’était au début de la révolte de 1936-1939. Alors qu’à cette époque, les ouvriers agricoles, les employés de commerce, etc. constituaient plus de la moitié de la classe ouvrière arabe, aujourd’hui près des trois quarts des ouvriers arabes sont employés sur les chantiers gouvernementaux, dans les compagnies pétrolières et autres établissements industriels. Après la période de réaction et de recul, le point de départ sera à un niveau plus élevé qu’en 1939.

Si, dans le passé, l’activité politique du parti révolutionnaire parmi les ouvriers juifs a été difficile à cause de la position privilégiée de ceux-ci dans l’économie fermée des Juifs, elle le sera d’autant plus désormais que cette position a été soutenue non seulement par l’impérialisme américain mais encore par la Russie. Le tournant des staliniens juifs devenus les adeptes les plus enthousiastes de la partition de la Palestine et de la création de l’État juif, limite encore les points de contact qui auraient pu être utilisés par le parti révolutionnaire comme point de départ pour son activité parmi les ouvriers juifs. D’autre part, l’influence accrue de la réaction féodale arabe s’exprime par un chauvinisme accru du côté juif. Une certaine perspective de notre travail consiste dans la possibilité de gagner individuellement des staliniens qui sont demeurés fermement opposés à la partition et qui peuvent par conséquent admettre la trahison de la Russie stalinienne.

L’analyse précédente montre que dans le proche avenir (en termes de mois), on ne peut pas s’attendre à des actions sur une grande échelle de la part des ouvriers arabes, encore moins d’actions communes entre ouvriers arabes et juifs. Avant que ne se fasse sentir la lassitude provoquée par la détérioration de la situation économique et par l’effusion de sang et qui sera le point de départ d’une nouvelle montée révolutionnaire, il est très probable qu’il y aura un renforcement du chauvinisme et des massacres sur une grande échelle. Dans le proche avenir, notre travail sera limité essentiellement au maintien des liaisons entre les camarades arabes et juifs, à renforcer les cadres, particulièrement du côté arabe, comme base pour une activité révolutionnaire dans l’avenir. Nous devons expliquer patiemment aux couches les plus avancées du prolétariat arabe et à l’intelligentsia que les actions militaires raciales ne font qu’agrandir le fossé entre les Juifs et les Arabes et conduisent ainsi pratiquement à la division politique ; que le facteur fondamental et que la cause principale de la partition, c’est l’impérialisme ; que les combats actuels ne font que renforcer l’impérialisme ; que grâce à la direction bourgeoise et féodale des pays arabes – qui est l’agent de l’impérialisme – nous avons été battus à une étape de la lutte anti-impérialiste et que nous devons nous préparer pour la victoire à une prochaine étape – c’est-à-dire pour l’unification de la Palestine et de l’Orient arabe en général – en créant la seule force qui puisse parvenir à ces buts : le parti prolétarien révolutionnaire unifié de l’Orient arabe. Notre succès dépendra en très grande partie de la consolidation, entre temps, des forces communistes révolutionnaires en Égypte.