Un nouveau gouvernement Valls pour forcer l’allure
Mais le 23 août, dans le même journal, le ministre de l’Economie Montebourg affirmait : « il faut donner la priorité à la sortie de crise et faire passer au second plan la réduction dogmatique des déficits, qui nous conduit à l’austérité et à la montée continue du chômage », propos qu’il confirmait le lendemain à la fête de la rose de Frangy en Bresse. Corrélativement, Montebourg défend dans Le Monde du 23 août qu’il « faut hausser le ton vis-à-vis de l’Allemagne, […] que la France ne peut plus se laisser faire », qu’il faut dans la zone euro laisser filer les déficits pour recréer les conditions de la croissance. Vieille chimère keynésienne teintée d’un « patriotisme économique » bravache, mais qui marque l’impuissance et l’affolement d’une partie du personnel politique censé agir en bon ordre pour rétablir la situation de la bourgeoisie.
C’en était trop pour Hollande et pour Valls, dont la mission depuis sa nomination est précisément de discipliner et de ranger en ordre de bataille le conseil d’administration du capital qu’est le gouvernement pour faire face. Il n’y avait pourtant là rien de bien nouveau de la part de Montebourg qui n’a jamais prétendu rompre avec l’orientation du gouvernement. Il l’a réaffirmé le 25 août après avoir été débarqué : « la gravité de la situation est de tenter de faire arbitrer les solutions alternatives qui me paraissent modérées, équilibrées, raisonnables et compatibles avec les grandes orientations qui ont été jusqu’ici décidées. »
Mais ce qui pouvait passer auparavant comme des nuances « modérées et raisonnables » entre gens de bonne compagnie n’est plus tolérable aujourd’hui par Valls qui prétend incarner le glaive inflexible des « réformes nécessaires ». En catastrophe, Valls présente la démission de son gouvernement et en constitue un nouveau le 26 août.
Le lendemain, il est ovationné à l’Université d’été du Medef où, après avoir déclaré son amour « de l’entreprise » (l’entreprise, pour lui, c’est le patron, pas les salariés), il assure les capitalistes que le gouvernement fera tout pour restaurer la compétitivité des entreprises et annonce de nouvelles réformes en leur faveur :
Mais, il n’y a pas que les impôts et les cotisations sociales qui pèsent sur notre économie. Certaines formalités excessives sont aussi coûteuses et pénalisantes. […] Cela inclut le Code du travail, mais suppose une méthode sur laquelle je serai extrêmement vigilant : la négociation et la recherche d’un accord. […] Ces négociations poseront aussi la question des seuils. Cette réforme ne peut réussir que si la négociation réussit. Et la négociation doit réussir, comme les partenaires sociaux ont su réussir des réformes importantes depuis deux ans. Je pense notamment à la sécurisation de l’emploi ou la formation professionnelle.
L’aide décisive du « dialogue social »
Les coups de menton et les déclarations péremptoires de Valls cachent mal que ce gouvernement n’a aucun crédit, non seulement dans la classe ouvrière et la jeunesse, mais bien au-delà. Sa force réside, d’une part dans le soutien complet du capital et d’autre part dans l’aide décisive que les appareils lui apportent. Dans des conditions de plus en plus difficiles, toutefois, puisque la CGT, FO, Solidaires et la FSU avaient été contraints de quitter la Conférence sociale le 8 juillet. La grève à la SNCF avait montré que les cheminots cherchaient à bousculer le dispositif des appareils et les intermittents du spectacle restaient mobilisés contre l’accord pourri entérinant un nouveau recul de leur régime de chômage. Les appels au boycott de la Conférence se multipliaient à l’intérieur des syndicats. Pourtant les directions syndicales s’empressaient de rassurer le gouvernement sur leurs intentions réelles, lui demandant de « clarifier la manière dont il conçoit le dialogue social ». Valls pouvait répondre tranquillement qu’il ne donnait pas « à ce geste ponctuel une portée excessive », qu’il n’avait pas entendu « l’annonce d’un retrait de toute négociation, de tout échange avec l’Etat, même si j’ai entendu une critique globale du pacte de responsabilité et de la politique du gouvernement » tout en avertissant « un refus prolongé du dialogue serait une posture incompréhensible ».
De fait, les négociations sur le relèvement des seuils sociaux, qui rognent directement les avantages syndicaux, ont commencé le 9 septembre, au siège du Medef, tout un symbole. Tous les syndicats participent, tout en dénonçant pour la CGT « une provocation, à la fois du coté patronal et du coté gouvernemental » et pour FO « un affichage idéologique », mais qu’importe puisqu’il convient d’ouvrir la voie à la CFDT pour qui « la question des seuils n’est pas un tabou » et de permettre ainsi ce que souhaite Valls, « trouver un chemin pour un accord profitable à tous […] et faire le nécessaire pour le trouver avec les partenaires qui y sont prêts. » La direction de la CGT et les directions des autres syndicats, négocient les plans du gouvernement et du patronat en toute connaissance de cause et elles le font pour une seule raison : il faut prêter main forte à la bourgeoisie française dans son offensive contre la classe ouvrière !
L’opposition en trompe-l’œil des « frondeurs » du PS, du PdG et du PCF
Malgré quelques huées et sifflets, Valls a franchi sans encombre les quelques contestations de l’Université d’été du PS à La Rochelle. Valls tient tout son monde, frondeurs compris, en tenant à peu près ce langage : il n’y a pas d’autre politique possible, c’est moi ou c’est le Front national qui prend le pouvoir. Evidemment, les frondeurs sont bien trop attachés à leurs propres sièges de députés pour risquer de faire chuter le gouvernement. Mais au-delà même de ces intérêts bien compris, la capitulation en rase campagne devant les exigences toujours plus grandes du patronat est la seule voie possible pour tous ceux qui ne peuvent concevoir une issue révolutionnaire.
Les « frondeurs » du PS approuvent d’ailleurs le principe des cadeaux aux capitalistes (« un soutien ciblé aux entreprises », Appel de La Rochelle, 30 août). Le Parti de gauche leur reproche de ne pas voter contre le gouvernement PS-PRG, mais il adopte la même neutralité bienveillante envers les interventions impérialistes en Afrique et au Proche-Orient. Au fond, il reproche surtout au gouvernement de ne pas réussir à sauver le capitalisme français.
La méthode de Valls consiste à revendiquer la défense de notions et de valeurs qu’il s’ingénie à détruire par sa politique : l’investissement, les entreprises, le travail, l’égalité, la nation, l’activité économique etc. Sans oublier ses appels vibrants à la République qu’il confirme pourtant voir défigurer avec une réforme territoriale véritable usine à gaz et à inégalités… Il se rêve en Clémenceau, il en est sa rature. (Parti de gauche, 18 septembre)
Pour le PdG, il faut miser sur la collaboration de classe (« la nation »). Il n’est pas question de mettre en cause le capital (« l’investissement des entreprises ») et l’exploitation (« la vie économique »), ni l’État bourgeois, ses lois, son armée, ses services secrets, sa police (« la République »)
Cela va de pair avec la perspective d’un replâtrage institutionnel de l’État bourgeois qui porte le nom de « 6e République », cause à laquelle Mélenchon a choisi de consacrer l’essentiel de son temps. Il est vrai qu’il a échoué à l’élection législative de Hénin-Beaumont face à Le Pen en juin 2012, que le Parti de gauche se révélé s’est révélé incapable de profiter de l’effondrement du PS et que le Front de gauche est apparu divisé aux municipales, son sigle apparaissant parfois sur deux listes opposées. Ce mini front populaire est paralysé par les divergences envers le PS. Le Parti « communiste » français a pratiqué l’unité avec l’autre parti ouvrier bourgeois lors des élections municipales tandis que le PdG s’y opposait… quoiqu’il reste d’accord avec le PCF pour s’allier avec des partis bourgeois comme EELV ou le MRC.
Si le PdG méprise les frondeurs du PS, le PCF leur tend la main. Le PCF reprend l’illusion keynésienne des « frondeurs » en la complétant d’une solution politique qui servirait de rempart au capitalisme français en cas de crise révolutionnaire.
D’abord, stopper sans attendre les politiques d’austérité au profit d’une relance sociale […] La deuxième condition est d’engager sans attendre une politique complètement nouvelle qui ramène à gauche le curseur gouvernemental, qui s’attaque aux privilèges de la finance et montre la voie d’un redressement possible autour de la reconstruction des solidarités, de l’emploi et de la justice sociale […] La troisième condition, c’est que des forces venues du monde social, syndical, intellectuel, politique de la gauche s’unissent pour travailler à ce nouveau projet pour la France, en affirmant clairement une rupture avec la politique gouvernementale. (Pierre Laurent, 12 septembre)
La « relance » du capitalisme français par le déficit de l’État se heurte aux 2 000 milliards d’euros de dette publique (95 % du PIB). Le PCF propose de refaire le coup de l’Union de la gauche ou de la Gauche plurielle qui ont propulsé Chirac et Sarkozy, du Front populaire qui a débouché sur Pétain.
Sans attendre, comme le PS et le PdG, il soutient la police bourgeoise française et l’armée impérialiste française.
L’unité nationale pour l’intervention militaire en Irak
Affaibli économiquement, le capitalisme français multiplie d’autant plus ses interventions impérialistes pour sauver ses intérêts dans le monde. Déjà engagée au Mali et en Centrafrique, voilà maintenant l’armée française ralliant une coalition menée par les Etats-Unis contre les djihadistes de l’EIIL qui occupent un large territoire au nord de l’Irak et en Syrie. Le califat est la terreur contre la classe ouvrière, ses organisations, les femmes, les minorités nationales qui ont la capacité de le renverser. Produits du pourrissement occasionné par la domination et les interventions impérialistes dans cette partie du monde, ces bandes armées sanguinaires et fascistes ont été propulsés par les États du Golfe et la Turquie, intéressées par le dépeçage de l’Irak, voire de la Syrie et soucieuses de faire pièce à l’Iran.
Le fait que les États-Unis choisissent d’intervenir montre qu’ils souhaitent reprendre la main dans le chaos qui se développe dans cette région pour imposer leur propre solution, au risque d’en rajouter encore. Et c’est pour ne pas se faire totalement évincer que l’impérialisme français décide de rejoindre la coalition. Le Front de gauche regrette que les États-Unis dirigent cette guerre mais est prêt à l’accepter si elle est validée par l’ONU.