Les travailleurs rejettent les partis qui constituent le gouvernement…
C’est volontairement que des millions de travailleurs et jeunes ont refusé d’apporter leur voix aux candidats du Parti socialiste, avec une abstention massive, qui atteint nationalement 38 %, dépasse souvent 50 %, voire 60 % dans les villes et quartiers ouvriers. À l’échelle nationale, 49 % des ouvriers, 44 % des employés et 33 % des professions intermédiaires ne sont pas allés voter.
En effet, c’est en toute connaissance de cause que Hollande a constitué dès son élection en 2012 un gouvernement bourgeois et a mené une politique bourgeoise : acceptation des licenciements, interventions impérialistes au Mali et en Centrafrique, poursuite du démantèlement de la protection sociale, baisse des impôts et cotisations sociales des capitalistes, destruction des bidonvilles des Roms accusés par Valls d’être « inassimilables ».
C’est en toute connaissance de cause que le Parti socialiste a soutenu sans faillir la politique anti-ouvrière de Hollande, qu’il a constitué des listes avec des partis bourgeois, qu’il a appelé au deuxième tour de ces élections à voter UMP, Modem ou UDI dans de nombreuses communes au nom du « front républicain. »
Comme c’est en toute connaissance de cause que le Parti communiste français et le Parti de gauche veulent faire croire qu’on peut sortir de la crise par le protectionnisme, l’accentuation du déficit de l’État, le retour à une meilleure répartition des richesses et autres fadaises pour ne pas remettre en cause le capitalisme français en crise qui saigne les travailleurs chaque jour un peu plus. C’est en toute connaissance de cause que le PCF est entré dans des listes avec les partis au pouvoir. C’est en toute connaissance de cause que le PdG a refusé toute liste avec le PS (qui ne fait pas autre chose aujourd’hui que ce qu’a fait le gouvernement Jospin avec les ministres PCF et Mélenchon), tout en se présentant parfois avec EELV qui est tout autant au gouvernement et n’a rien à voir avec la classe ouvrière.
…comme ils rejettent le soutien des directions syndicales au gouvernement
C’est en toute connaissance de cause que toutes les directions syndicales se prêtent chaque jour au « dialogue social », c’est-à-dire acceptent de négocier les exigences des patrons et du gouvernement à son service. C’est en toute connaissance de cause qu’elles appellent en même temps à des « journées d’action » impuissantes, avec l’appui du PCF, du PdG, du NPA et de LO.
Le 5 mars, la CFDT et la CFTC ont signé avec le patronat un relevé de conclusions achevant la première étape des négociations sur le pacte de responsabilité. Contre 30 milliards d’euros d’allègements sonnants et trébuchants de cotisations familiales pour les patrons, sous forme de transfert au budget de l’État, ce relevé de décisions demande « aux branches professionnelles, dès lors que la trajectoire de baisse des prélèvements sociaux et fiscaux sera précisément définie par les pouvoirs publics, d’ouvrir des discussions en vue d’aboutir à un relevé de conclusions, ou des négociations en vue d’aboutir à un accord, précisant des objectifs quantitatifs et qualitatifs en terme d’emploi ». Pareil charabia n’a d’autre fonction que de masquer l’absolue vacuité de cet accord, hormis les 30 milliards pour les patrons.
Les directions de la CGT et de FO, et même de la CFE-CGC qui a récemment changé d’avis, dénoncent un « pacte de complaisance ». Mais qui a permis que ces négociations se tiennent, indispensables pour permettre à Hollande comme à Gattaz de parvenir à leurs fins ? Pourquoi, alors que le 21 janvier Thierry Lepaon pour la CGT dénonce « le plan concocté par François Hollande et Pierre Gattaz, un cadeau supplémentaire au patronat de 30 milliards d’euros, une attaque de grande ampleur contre la protection sociale », annonce-t-il en même temps qu’il n’est question de discuter du comment mais du pourquoi, validant ainsi la participation de la CGT à cette mascarade ? Pourquoi le 28 février, après la première séance de négociations, déclare-t-il au Figaro : « Le président de la République signe son deal avec Pierre Gattaz, puis on nous demande de nous rencontrer entre organisations patronales et syndicales. Il nous siffle, et il faudrait qu’on arrive! On a l’impression d’être utilisés, c’est assez désagréable», mais assure aussitôt que son organisation ne pratiquera pas « la politique de la chaise vide » ?
Quant à FO qui parle de « vaudeville », de « discussion sur du vent » et cite Molière et son Tartuffe pour qualifier la fausse opposition des organisations signataires, elle-même a accompagné et participé tout autant à toutes les négociations de ce pacte. Imaginons un instant quelle aurait été la situation si la CGT et FO avaient, dès le départ, boycotté ces négociations sur les exigences du patronat, avaient appelé à la mobilisation générale pour les empêcher. Les directions de la CFDT et de la CFTC n’auraient eu alors aucune place pour négocier contre les travailleurs.
Le 18 mars, le dernier acte de cette sinistre farce se jouait par un appel de la CGT, FO, FSU et Solidaires à une journée d’action contre le pacte de responsabilité, pour l’emploi et les salaires, sans perspective et peu suivie.
Dans la nuit du 22 mars, après une négociation destinée à faire des économies dans le régime d’assurance chômage à laquelle toutes les directions syndicales ont participé, la CFDT, la CFTC et FO ont signé un accord avec le patronat lui permettant d’économiser 400 millions d’euros sur le dos des chômeurs, avec notamment une diminution du taux de remplacement, une augmentation du délai de versement des allocations, l’instauration d’une cotisation pour les personnes de plus de 65 ans.
Les dernières béquilles de Hollande
Cependant les contradictions s’aiguisent : voilà un Président au lendemain d’une cinglante défaite électorale, rejeté comme aucun autre de la 5e République, privé de base politique, flanqué du ministre de la répression policière et de la chasse aux immigrés Manuel Valls qui prétend redoubler l’offensive contre les salariés.
Des millions de travailleurs et jeunes ont boycotté les élections comme ils désertent les journées d’action bidon. De quelle force politique dispose-t-il encore pour accomplir la mission que lui fixe la bourgeoisie, alors que les masses n’ont plus aucune illusion sur son compte ?
La force de l’appareil d’État bourgeois est certes conséquente, mais ce n’est pas elle qui empêche l’irruption des masses. Ceux qui retiennent les masses, les détournent du combat efficace, protègent Hollande, sa politique et son gouvernement sont les appareils politiques et syndicaux qui infectent le mouvement ouvrier. Faisant cyniquement le jeu du gouvernement (et, involontairement, du FN), la direction de la CGT implore « une augmentation des salaires et un plan de relance de l’emploi » (Communiqué, 2 avril) et détourne le mécontentement vers les « diktats de l’Union européenne » (Thierry Lepaon, Les Échos, 3 avril).
La racine du comportement des partis réformistes et des bureaucraties syndicales est qu’ils sont profondément liés à leur bourgeoisie et ne souhaitent aucunement la renverser. Exagération ? Voici ce que Thierry Le Paon, dirigeant du principal syndicat ouvrier, la CGT, déclare à la presse patronale :
Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés – là encore, je regrette que les actionnaires fassent figures d’éternels absents – et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté. (Le Nouvel économiste, 21 février 2014)