Malgré un combat courageux, une défaite
Le vendredi 17 mai, les 130 derniers grévistes de l’usine automobile Peugeot PSA d’Aulnay ont arrêté la grève suite à la « suspension » du mouvement par la CGT et la CFDT.
La CGT du site a signé un accord de fin de conflit avec la direction de l’entreprise :
– Le site sera fermé.
– La direction abandonne les poursuites judiciaires et les sanctions disciplinaires contre les grévistes. Par contre, les 4 grévistes licenciés ne seront pas réintégrés.
– Comme tous ceux qui acceptent de quitter l’entreprise, ils toucheront une indemnité compensatoire de 19 700 euros et s’engageront à ne pas saisir les prud’hommes.
Malgré 4 mois de grève, le patron l’a emporté : 11 200 suppressions de poste dans le groupe, les 2 500 travailleurs d’Aulnay feront partie des licenciés avec indemnité ou seront mutés. Pourquoi ? Les dirigeants syndicaux n’ont jamais appelé à la grève générale jusqu’au retrait du plan de PSA, pour l’interdiction de tous les licenciements.
Face à ses concurrents et dans un marché européen en crise, le premier groupe automobile français, vend moins de voitures Peugeot et Citroën. Les patrons doivent redresser le taux de profit en liquidant le capital non rentable et en augmentant le taux d’exploitation. Les milliers de licenciements du plan de Marin, le PDG de PSA, sont la condition des futurs profits. L’usine d’Aulnay, où nombre d’ouvriers sont combatifs, a été d’emblée la cible.
Juste après l’élection de Hollande, le 12 juillet, le plan de PSA est officiellement dévoilé. Il prévoit la fermeture d’Aulnay et la suppression de 8 000 postes, dont 1 400 à Rennes, 600 à Sochaux (principale usine en France), 300 à Mulhouse, 700 à Poissy.
Le nouveau président de la 5e République montre alors quelle classe sociale il sert. Le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, organise le 18 juin 2012 une réunion avec patronat et syndicats. Un expert est payé pour assurer que Peugeot Citroën est bien en difficulté et le plan du patron légitime. En septembre, Hollande lance des négociations tripartites (gouvernement-patronat-syndicats)… pour appliquer le plan du patron.
« Les pouvoirs publics feront tout pour que nous puissions réduire l’ampleur des suppressions de postes», a déclaré le président de la République devant les représentants syndicaux de l’usine PSA de La Janais, près de Rennes (Ille-et-Vilaine). « C’est l’objet de la négociation qui va s’ouvrir», a ajouté le chef de l’État, assurant qu’il voulait préserver le «sens du dialogue » avec les syndicats. (Le Parisien, 11 septembre 2012)
Les directions syndicales
acceptent de discuter du plan Marin
La participation systématique des représentants syndicaux CGT, SIA, FO, CFDT, CFTC, CFE-CGC sert la direction du groupe. Alors que des AG massives discutent en juillet des réponses ouvrières à donner, les responsables syndicaux empêchent toute initiative nationale et acceptent de discuter du plan Marin.
Le secrétaire général de la CGT, Thibault, convient de l’obligation d’en passer par des licenciements:
La nécessité d’une fermeture « reste à démontrer », a martelé Bernard Thibault sur Europe 1. Le patron de la CGT a rappelé que les élus du comité central avaient demandé une expertise dont les conclusions seront connues « fin novembre ». « Il ne doit pas y avoir de décision irrémédiable tant qu’on ne connaît pas le rapport commandité par les élus », « il faut admettre qu’ils puissent avoir voix au chapitre », a-t-il ajouté. (Le Parisien, 9 septembre 2012)
Au bout de ces négociations, en décembre 2012, Marin et sa clique annoncent que ce sera encore plus de suppressions de postes soit 11 200 (10 % des effectifs).
Tous les représentants syndicaux de PSA acceptent de discuter, négocier, amender le nouveau plan Marin. Au lieu d’organiser la riposte globale pour son retrait, la direction nationale de la CGT, majoritaire chez les ouvriers (45 % des voix), propose un plan social alternatif.
Le responsable CGT d’Aulnay accepte aussi de négocier des conditions de la fermeture.
La CGT affirme que son plan de redéploiement industriel ne couterait que 77 millions d’euros. La CGT a par ailleurs demandé à nouveau que chaque salarié soit reclassé en CDI. Jean-Pierre Mercier, délégué central adjoint de la CGT et délégué du site d’Aulnay, alerte quant à lui sur le sort des séniors dans le PSE. « La direction ne veut pas négocier de système de préretraite alors que la loi l’y autorise » souligne le responsable syndical. (L’Usine nouvelle, 10 décembre 2012)
Les bureaucraties qui contrôlent les syndicats, puisqu’elles défendent l’intérêt national, « l’industrie française », combattent la grève générale et refusent de mettre en danger les champions capitalistes français.
La CGT demande que soit étudié et discuté un projet global de ré-industrialisation sérieux. (Communiqué de presse CGT PSA Aulnay, 8 janvier 2013)
Les directions syndicales isolent les travailleurs d’Aulnay
Faute d’appeler à la grève générale du groupe PSA jusqu’au maintien de tous les emplois, les dirigeants syndicaux multiplient les diversions. Par exemple, le 20 septembre, une grève d’un jour est organisée à Aulnay et seulement à Aulnay.
600 manifestants partent en délégation à l’Élysée. Les délégations syndicales de l’usine sont reçues. Elles sortent du palais en se déclarant satisfaites d’obtenir des discussions tripartites, propres à Aulnay.
Plus de quatre mois après avoir promis aux ouvriers de PSA Aulnay de les rencontrer s’il était élu président de la République, François Hollande a enfin reçu hier une délégation d’élus syndicaux du site de Seine-Saint-Denis menacé de fermeture. « On a acquis la tenue d’une réunion tripartite avec la direction de PSA, l’État et les délégués syndicaux d’Aulnay », a expliqué le délégué CGT du site, Jean-Pierre Mercier, à l’issue de la réunion à l’Élysée… (L’Humanité, 21 septembre 2012)
Le 29 septembre, à l’inauguration de salon de l’automobile, le SIA de PSA Aulnay distribue des cartons rouges et la CGT de Ford Bordeaux, dont Philippe Poutou, candidat du NPA à la présidentielle, jettent des confettis.
Le 6 octobre, au salon de l’automobile, Montebourg rencontre discrètement les responsables syndicaux d’Aulnay et leur promet… des rencontres tripartites.
« On a obtenu déjà une première réunion nationale le 25 octobre et une réunion au niveau d’Aulnay le 8 novembre », a déclaré Jean-Pierre Mercier, délégué CGT de l’usine d’Aulnay. (Les Échos, 6 octobre 2012)
Le 9 octobre, les syndicats d’Aulnay appellent à manifester symboliquement au Salon de l’auto mais les CRS de Valls bloquent les 2 000 ouvriers.
Mercier est un dirigeant de Lutte ouvrière. Il était porte-parole d’Arthaud à l’élection présidentielle, il était tête de liste LO aux dernières élections régionales, il est conseiller municipal à Bagnolet sur une liste LO-PS-PCF-EELV. La bureaucratie de la CGT n’a rien à craindre de cette organisation qui se réclame du communisme les jours de fête, mais a réclamé une loi contre le foulard à Chirac et réclamé à plusieurs reprises plus de flics.
À chaque fois que la nécessité de la grève générale se pose (retraites, raffineries, SNCF, automobile, sidérurgie…), LO, le NPA, le PS, le PCF, le PdG soutiennent les bureaucraties de la CGT, de la FSU et de Solidaires qui multiplient les « journées d’action », les « grèves reconductibles » site par site…
LO contre la grève générale
Les ouvriers de l’usine PSA d’Aulnay, eux, espéraient gagner, mais la direction nationale de LO savait bien ce qu’elle faisait. En témoigne ce bilan cynique :
Empêcher la fermeture de l’usine était bien sûr hors de portée des grévistes, même s’ils n’ont cessé de dénoncer le gâchis que cela représente. C’était impossible à 200 grévistes, et même à 500, face à la puissance conjuguée de la famille Peugeot et du gouvernement PS, qui n’a pas ménagé sa peine – ni celle des CRS ! Il aurait fallu pour cela un tout autre rapport de force, qui mobilise non seulement l’ensemble des travailleurs d’Aulnay, mais au moins tous ceux de PSA. (Lutte ouvrière, 24 mai 2013)
L’usine d’Aulnay a connu de dures luttes depuis sa création en 1973 notamment pour que les syndicats ouvriers s’y développent contre le syndicat patronal (la CFT aujourd’hui SIA) puis contre les licenciements sous l’Union de la gauche en 1982-1984, lors des grèves de 2005 pour le paiement des jours chômés et en 2007 pour l’embauche des intérimaires, 300 euros d’augmentation de salaire et la retraite à 55 ans.
Le 16 janvier 2013, 300 travailleurs d’Aulnay votent en AG la grève. Dès les premiers jours, FO et le SIA se désolidarisent. La restriction de la grève par la CFDT, SUD et la CGT à un seul site, qui ne peut donc pas gagner, contribue aussi à la rendre minoritaire.
Sur un effectif de 2 500 salariés, cadres et maîtrise comprise, 600 au maximum ont pris part à la grève, pour une durée plus ou moins longue, et 250 ont constitué le noyau. (LO, La lutte des travailleurs de PSA contre la fermeture de l’usine d’Aulnay, mai 2013)
C’est dans l’isolement voulu par la bureaucratie nationale de la CGT et par la direction nationale de LO que les grévistes d’Aulnay lutteront avec courage pendant 4 mois.
Seule la lutte contre l’ensemble du plan, pour son retrait, pouvait ouvrir une perspective aux ouvriers de Poissy, Rennes, Saint-Ouen, Sochaux et… Aulnay. Malgré un combat acharné, les ouvriers grévistes ne renverseront pas l’obstacle dressé par le patron et les dirigeants syndicaux.
La raison du refus de la grève générale est l’acceptation de fait du plan de PSA et du gouvernement. Le retrait du plan Marin fut mis de côté par toutes les directions syndicales, et toutes, y compris SUD Aulnay (NPA) et CGT Aulnay (LO) ont négocié le « plan social ».
Les grévistes impuissants face aux jaunes et aux milices patronales
Le 18 janvier, les grévistes d’Aulnay vont démarcher leurs collègues à l’usine PSA de Saint-Ouen. Mais le refus de LO et du NPA d’exiger quoi que ce soit des syndicats nationaux de PSA et de l’automobile aboutit à attribuer la responsabilité de l’échec aux travailleurs eux-mêmes.
Pour briser la grève, le patron use de ses armes : le lock-out, les déplacements à grand frais de cadres et l’embauche de vigiles pour empêcher l’occupation de l’usine. C’est d’autant plus facile que le patron n’est pas confronté à une grève de masse dans tous les sites.
Les 19 et 20 janvier, prétextant un problème de sécurité, la direction ferme l’usine et déploie une milice privée. Durant tout le conflit, les vigiles et les cadres empêchent l’occupation et intimident.
LO, refusant la grève générale, se retrouve incapable d’organiser l’occupation et de chasser les flics patronaux.
L’exacerbation de la lutte du prolétariat signifie l’exacerbation des méthodes de contre-offensive de la part du capital. Les nouvelles vagues de grèves avec occupation des usines peuvent provoquer et provoqueront infailliblement, en réaction, d’énergiques mesures de la part de la bourgeoisie.
Malheur aux organisations révolutionnaires, malheur au prolétariat s’ils se trouvent de nouveau pris à l’improviste ! À l’occasion de chaque grève et de chaque manifestation de rue, il faut propager l’idée de la nécessité de la création de détachements ouvriers d’autodéfense. (Léon Trotsky, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938)
La subordination de LO et du NPA à la bureaucratie de la CGT
LO et le NPA cautionnent toutes les diversions des appareils de la CGT et de Solidaires.
Les travailleurs en lutte de PSA allèrent à toutes les manifestations organisées pour dénoncer les licenciements ou la politique du patronat. Le 29 janvier, ils rejoignaient ceux de Virgin contre la fermeture du magasin des Champs-Elysées, puis la manifestation regroupant ceux de Sanofi, ceux de Goodyear et d’ailleurs, devant le ministère du Travail. Ces choix n’étaient pas évidents pour l’ensemble des grévistes, car la peur existait que la direction redémarre la production pendant leur absence. Mais les militants de la CGT poussaient dans ce sens, car ils défendaient l’idée que le sort de tous les travailleurs est lié et que seule une lutte d’ensemble peut vraiment faire reculer le patronat. (LO, La lutte des travailleurs de PSA contre la fermeture de l’usine d’Aulnay)
Mais de quelle « lutte d’ensemble » parle LO ? Elle s’appelle la grève générale qu’elle a refusée et combattue.
La grève de masse est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. (Rosa Luxemburg, Grève de masse, parti et syndicat, 1906)
Il faut ajouter à la liste des diversion : l’occupation éphémère en mars des bureaux de l’UIMM, celle du siège du Medef , celle du Conseil national du PS en avril…
Le 1er mars, Lepaon vient sur place comme futur secrétaire général de la CGT. S’il y avait eu une organisation révolutionnaire, les travailleurs lui auraient fait passer un mauvais moment et auraient exigé que la CGT appelle à la grève toute l’entreprise et tout le secteur automobile. Il n’en a rien été.
« Pour faire sauter le verrou face à un patron qui veut fermer l’usine, il va falloir qu’on soit encore plus déterminés, encore plus soudés et encore plus acharnés, et pour ça, le soutien de la CGT de bas en haut est déterminant », a souligné Jean-Pierre Mercier. (L’Humanité, 4 mars 2013)
Pour mener la lutte de classe, il faut un parti ouvrier révolutionnaire
Ce qui a manqué aux travailleurs de PSA et de l’automobile, c’est une organisation réellement révolutionnaire. La lutte pour interdire les licenciements et partager le temps de travail ne peut aboutir par les « négociations » ou « tables rondes » autour des plans capitalistes. A la collaboration de classes, les communistes opposent l’indépendance des organisations syndicales, la grève générale.
L’importance fondamentale de la grève générale, indépendamment des succès partiels qu’elle peut donner, mais aussi ne pas donner, est dans le fait qu’elle pose d’une façon révolutionnaire la question du pouvoir. (Léon Trotsky, Encore une fois, où va la France ? 1935)
Les organisations qui, comme LO, le NPA et le POI, s’intègrent aux bureaucraties syndicales, qui font du socialisme un but aussi vague que lointain, ne choisissent pas une voie plus prudente et plus sûre. Elles sont amenées à servir de larbins aux bureaucrates contre-révolutionnaires, à saboter la lutte de classe et à gérer les mesures patronales et gouvernementales.
29 mai 2013