Tout d’abord, veuillez accepter mes excuses pour avoir tardé à répondre à votre dernière lettre.
Le CCI(T) soutient autant que possible la lutte du WPOI contre le régime islamique en Iran et pour la libération des militants iraniens emprisonnés ou condamnés. Il s’agit pour nous d’un devoir de solidarité internationaliste fondamental et indispensable. En même temps, nous sommes très intéressés par l’orientation politique du WPOI qui est né pendant la révolution iranienne. Contrairement à beaucoup d’autres, le WPOI s’est formé en refusant clairement de soutenir, même de manière critique, le régime islamique mis en place contre le mouvement révolutionnaire des masses et en se concentrant sur le combat pour la prise du pouvoir politique par les travailleurs et pour le socialisme. Pour nous, le CCI(T), cela correspond à l’analyse et à la ligne politique que nous défendions à l’époque, alors que la quasi-totalité des groupes et organisations se réclamant du mouvement ouvrier, en France comme à l’international, appelaient à soutenir Khomeini pour « combattre l’impérialisme américain ». C’est la raison pour laquelle le CCI(T) pense que l’existence du WPOI et sa ligne politique est d’une importance capitale non seulement pour les travailleurs et la jeunesse d’Iran mais aussi pour tous les militants et travailleurs du monde entier qui travaillent à la construction d’un parti révolutionnaire pour la prise du pouvoir politique, pour le socialisme. Et c’est la raison pour laquelle le débat fraternel avec le WPOI est très important pour nous.
Vous avez raison de dire qu’il faut se méfier des différences « sémantiques » qui peuvent conduire à des discussions interminables et sans grand intérêt alors qu’au fond nous voudrions dire la même chose. Mais je ne pense pas que les problèmes abordés dans notre discussion relèvent de la sémantique mais de questions politiques fondamentales. C’est pourquoi j’aimerais examiner les points que vous avez développés.
1 – Le WPOI, dans sa perspective du « Troisième Camp », lutte à la fois contre le régime islamique d’Iran, le parrain de l’Islam politique et l’origine du terrorisme islamique, et l’impérialisme américain et ses alliés occidentaux, et donc pour un troisième camp, celui de l’Humanité contre le fanatisme et le capitalisme sous toutes leurs formes.
Pour nous, CCI(T), il ne peut y avoir que deux camps, la classe ouvrière, rassemblant toutes les masses opprimées, et la bourgeoisie de l’autre côté. Le régime iranien est pour nous, avant tout, un régime capitaliste et bourgeois, mais qui ne peut maintenir son pouvoir contre les masses que par le biais d’une dictature religieuse, islamique. Cette spécificité vient du fait qu’au moment de la révolution, les masses ayant renversé le régime du Shah, la bourgeoisie iranienne « classique » s’est trouvée incapable de faire face et d’arrêter la révolution et le développement des chouras qui allaient changer les choses de manière décisive, et du fait que la seule force politique encore organisée dans une certaine mesure à la disposition de la classe dirigeante était l’Islam et ses clercs. C’est ce qui explique le soutien de l’impérialisme, notamment français, à Khomeiny, afin d’arrêter la révolution. Il faut également noter que de plus en plus, dans de nombreux pays, la bourgeoisie, ou certaines parties d’entre elle, essaient de donner plus de pouvoir à la religion et aux églises afin de mieux contrôler les masses. C’est vrai en Turquie, aux États-Unis, et même en France. Bien sûr, cela ne se transforme pas en une dictature comme celle de l’Iran aujourd’hui, mais il faut se rappeler que sous le régime fasciste de Franco en Espagne, l’Eglise catholique était l’un des principaux piliers de l’ordre moral, et tout simplement de l’ordre bourgeois. Le fait que le régime iranien soit bourgeois et capitaliste ne signifie pas que les revendications des masses iraniennes contre l’emprise politique de l’islam sont sans intérêt, c’est tout le contraire. L’exigence de la liberté de pensée, de la séparation de la religion et de l’Etat, de la laïcité dans toutes les sphères de la vie publique, à l’école, à l’Université, dans la rue etc. est aussi importante que la lutte pour de meilleurs salaires, contre les suppressions d’emplois etc. Tout ce qui peut être fait dans la lutte quotidienne est un pas positif, mais toutes ces revendications et ces luttes tendent vers un objectif unique : le renversement de la dictature de la bourgeoisie iranienne. Qu’est-ce qui devrait la remplacer ? Certainement pas un gouvernement libéral, bourgeois et démocratique comme certains le pensent, ce qui n’est pas, nous le savons, le point de vue du WPOI. En effet, la bourgeoisie iranienne est incapable, étant donné le rapport de force politique entre les classes sociales en Iran, de satisfaire durablement une quelconque exigence démocratique, car cela ouvrirait la voie à la révolution. Le seul moyen de domination dont elle dispose est la dictature islamique. Mais laisser croire qu’il pourrait y avoir une transition pacifique vers un régime bourgeois démocratique en Iran, ce serait détourner les masses de la lutte pour prendre le pouvoir elles-mêmes, pour chasser les capitalistes et les barbus (mollahs). Et cette question est décisive pour l’affrontement entre les classes sociales, qui nécessite l’existence d’un parti révolutionnaire luttant ouvertement pour la prise du pouvoir politique par les masses, pour écraser l’Etat capitaliste et ses institutions, comme l’église, la police, l’armée, et pour un Etat ouvrier ayant pour objectif de s’attaquer au capitalisme et d’organiser la société pour répondre aux besoins des masses et non pour le profit des capitalistes et l’obscurantisme des clercs. Seule la classe ouvrière iranienne, à la tête de toutes les couches sociales opprimées, peut, en prenant le pouvoir, répondre à toutes les exigences et revendications démocratiques.
Si nous considérons la situation en Iran, même d’un coup d’œil rapide comme je l’ai fait, il n’y a pas de place pour un « troisième camp », et il s’agit bien, au-delà des particularités, des problèmes fondamentaux de la lutte entre la classe ouvrière et la classe capitaliste dominante.
Mais peut-être que la théorie du « troisième camp » ne concerne pas l’Iran mais le niveau international. Néanmoins, pour nous, CCI(T), le monde n’est pas divisé en trois camps, avec les impérialistes d’un côté, et les régimes islamiques de l’autre, les deux étant dynamiquement liés comme vous l’avez dit, et enfin le troisième camp, celui de l’Humanité. Car, en dehors des grandes puissances impérialistes, en dehors des régimes islamiques, il y a un nombre important d’Etats bourgeois qui oppriment et exploitent leur peuple, qui peuvent s’allier à une puissance impérialiste pour s’opposer à la pression d’un autre Etat impérialiste selon le contexte, ou s’opposer par exemple à l’impérialisme américain pour défendre les intérêts de leur propre bourgeoisie, en profitant des mouvements de masses comme c’est le cas actuellement au Venezuela, en Bolivie ou même au Brésil. Le leader vénézuélien Hugo Chavez ne passe pas un seul jour sans blâmer l’impérialisme américain et prétend en même temps qu’il construit le socialisme au Venezuela avec les patrons. Font-ils partie du troisième camp de l’humanité ? Et si non, dans quel camp sont-ils ? Et quelle est la nature du lien dynamique entre l’impérialisme et les régimes islamiques ? Comment comprendre que l’impérialisme américain (comme le français) ait d’abord soutenu Saddam Hussein, qui était un dictateur mais pas un islamiste, dans sa guerre contre l’Iran, pour ensuite se retourner contre lui et envahir l’Irak ? Quelle est la raison qui pousse actuellement l’impérialisme américain à menacer l’Iran d’une guerre ? Certainement pas le fait qu’il y ait une dictature islamique en Iran. Les États-Unis peuvent très bien vivre avec des dictatures, islamiques ou non. La principale motivation des Etats-Unis aujourd’hui est que la bourgeoisie iranienne est en train de devenir une puissance régionale, ce qui contrevient à leurs plans de contrôle de l’ensemble du Moyen-Orient. Si la bourgeoisie iranienne coopérait comme les émirs d’Arabie Saoudite, un autre régime théocratique, il n’y aurait aucun problème. Mais le gouvernement iranien ne peut pas le faire, même si une partie de la bourgeoisie iranienne défend cette solution. Pourquoi ? Parce que la dictature islamique a été mise au pouvoir comme dernier recours de la domination de la bourgeoisie, pour arrêter la révolution et elle n’a pu le faire qu’avec une position contre l’impérialisme américain. La bourgeoisie iranienne ne peut pas changer sa position aujourd’hui, alors qu’elle est de plus en plus contestée par les masses. Elle se trouve dans une impasse : si elle le faisait, elle signerait son propre arrêt de mort, perdant ses derniers soutiens au sein de la population. Si elle ne le fait pas, elle devra de toute façon faire face à des menaces très sérieuses. Au-delà des questions relatives au contrôle du pétrole et des autres ressources naturelles de l’Iran, c’est précisément le fait que la bourgeoisie iranienne soit de plus en plus menacée d’être renversée qui inquiète les États-Unis, car il s’agit d’un risque majeur de déstabilisation révolutionnaire de l’ensemble du Moyen-Orient et au-delà. Pour nous, les régimes bourgeois les plus puissants, devenus des puissances impérialistes, luttent continuellement pour gagner ou conserver des zones d’influence. Ils n’ont pas tous la même puissance et l’impérialisme américain est de loin le plus puissant d’entre eux, même s’il doit actuellement faire face aux contradictions économiques du monde capitaliste. Ces puissances luttent entre elles dans les domaines économiques, mais aussi pour les zones d’influence, pour le contrôle des ressources naturelles, etc. Les bourgeoisies des pays dominés économiquement par les puissances impérialistes, soit coopèrent avec elles en échange d’un petit gain que ces puissances peuvent leur accorder pour maintenir l’ordre, soit essaient de s’approprier une partie des ressources naturelles de leur pays. Mais cela ne les rend nullement progressistes. Au contraire. La crise économique d’un côté et la pression révolutionnaire des masses de l’autre, tendent à les pousser dans une politique de plus en plus réactionnaire, avec ou sans l’aide de la religion. Par conséquent, pour nous, il n’y a fondamentalement que des camps que Marx avait déjà identifiés à son époque, les camps de la bourgeoisie et de la classe ouvrière mondiale.
Sans aucun doute, le WPOI range toutes les masses ouvrières et opprimées du monde dans le « troisième camp ». Mais cette théorie semble être une source de confusion pour nous. S’il ne s’agissait que d’un débat entre « intellectuels, spécialistes de Marx », cela n’aurait bien sûr aucune importance. Mais selon nous, la confusion dans un parti révolutionnaire peut conduire à des conséquences politiques désastreuses pour des millions de personnes.
2- Le CCI(T) pense qu’il vaut mieux parler de « socialisme » que de « monde meilleur ».
Nous connaissons les positions du WPOI en Iran et nous savons très bien que lorsque les étudiants ou d’autres manifestent en déclarant « socialisme ou barbarie », ils suivent la ligne politique du WPOI. Et nous savons que le WPOI se définit comme un mouvement communiste. Mais c’est justement là le problème ! Les mots « socialisme » et « communisme » ont été trahis et souillés par tant de partis socialistes qui n’ont rien à voir avec le socialisme si ce n’est l’utilisation du nom et par la bureaucratie stalinienne en URSS ou par une autre variante en Chine. Néanmoins, face à la crise du capitalisme qui conduit de plus en plus loin dans la régression, les masses n’ont pas d’autre choix que de lutter pour en finir avec ce système. C’est pourquoi, en France, en Allemagne, en Amérique latine, etc., les masses doivent savoir qu’il existe en Iran un parti, profondément enraciné dans la classe ouvrière et la jeunesse, qui se bat pour prendre le pouvoir pour le socialisme. Ils ont besoin de savoir qu’il est possible de construire un tel parti. Les problèmes politiques auxquels ils doivent faire face sont en grande partie les mêmes que ceux que le WPOI a commencé à résoudre. Mais nous avons l’impression qu’il y a, en quelque sorte, deux positions politiques au sein du WPOI : une première position, valable en Iran pour prendre le pouvoir, pour le socialisme. Et une seconde, hors d’Iran, pour la démocratie et contre l’islamisme. Bien sûr, nous comprenons qu’une grande partie du travail du WPOI à l’étranger est axée sur la défense des militants emprisonnés en Iran, victimes de la répression, et que pour les défendre, le WPOI met en avant les libertés démocratiques. C’est tout à fait juste. On ne demande pas à un travailleur en France, au Royaume-Uni ou ailleurs d’être d’abord d’accord avec la perspective du socialisme en Iran pour ensuite soutenir la libération d’un militant iranien emprisonné. Mais en même temps, nous pensons que le WPOI devrait faire beaucoup plus connaître à l’étranger toutes les facettes de sa lutte, qui est un exemple et pourrait aider considérablement à renforcer les efforts de construction de partis révolutionnaires. Et pourquoi cela ? Parce que, d’une certaine manière, le sort de la révolution iranienne en dépend aussi. Le meilleur soutien pour les travailleurs iraniens en lutte, au-delà de la solidarité internationaliste, est que les travailleurs français, allemands et autres se battent aussi pour renverser leur propre bourgeoisie, pour prendre le pouvoir et pour cela, ils ont besoin d’un parti révolutionnaire tout comme les masses iraniennes ont besoin du WPOI. C’est le but de cette discussion. En Bolivie, en France, en Espagne et ailleurs, les masses cherchent un parti qui affirmerait clairement que la seule alternative possible est soit le socialisme, soit la barbarie.
Le temps me manque pour aborder le troisième point concernant la campagne internationale visant à isoler le régime islamique d’Iran, l’ONU, etc. Veuillez accepter mes excuses, mais ce n’est qu’une question de temps.
Fraternellement, pour le CCI(T)
14 juillet 2008