« On veut garder ceux qui travaillent, pas ceux qui rapinent » (Darmanin, 4 décembre)
Après 22 lois anti-immigrés en 30 ans, ce projet de loi veut, selon le ministre de l’intérieur « être gentil avec les gentils, méchants avec les méchants » (Le Monde, 2 novembre). Cette présentation manichéenne des travailleurs, couplée à celle des français d’un côté, étrangers et immigrés de l’autre, si chère à Chirac et Le Pen, Darmanin la décline en compagnie du ministre du travail Dussopt. Elle colle aux demandes d’une partie du patronat dont les secteurs ne trouvent pas assez de travailleurs corvéables.
Si un étranger en situation irrégulière dit : « Je veux travailler dans un métier en tension », le ministre du travail propose de créer un titre de séjour « métier en tension »…. Et le RN ne pourra pas nous faire le coup du travail volé aux Français… Le président du Sénat sera très largement consulté. S’il faut amender le projet, on le fera. Nous sommes très ouverts. (Darmanin, Le Monde, 2 novembre 2022)
Profitant du meurtre de la petite Lola par une déséquilibrée de nationalité algérienne sous le coup d’une obligation à quitter le territoire français (OQTF), Darmanin amalgame honteusement délinquance et immigration. Il promulgue une nouvelle circulaire le 17 novembre.
Gérald Darmanin appelle les préfets à exercer une véritable « police du séjour ». Outre le rappel du droit déjà applicable, il demande l’inscription systématique des personnes qui font l’objet d’une OQTF au fichier des personnes recherchées afin de « comptabiliser tous les étrangers sous OQTF quittant le territoire national. » (Le Monde, 18 novembre 2022)
Après quelques concertations avec les partis parlementaires (dont PS, PCF et LFI) et des associations, la première ministre Borne lance le débat à l’Assemblée le 6 décembre puis au Sénat le 13.
Au niveau national, nous renforçons le contrôle aux frontières. Nous avons doublé les effectifs à nos frontières et les résultats sont là : 10 000 refus par mois prononcés en 2021, contre 3 000 début 2020 avant le covid. Par ailleurs, nous réduisons la durée des procédures : celles de l’OFPRA ont diminué, mais celles des contentieux restent trop longues. (Borne, senat.fr, 13 décembre 2022)
En 2021, sur 208 000 demandeurs d’asile, seuls 54 000 ont bénéficié d’une protection, soit un quart des migrants cherchant refuge. Et la répression avec le recrutement de policiers, de gendarmes, de douaniers et de matons est assumée. Borne précise qu’elle augmentera « les capacités des centres de rétention administrative (CRA) ». Devant le Sénat, Darmanin explique avoir accepté « un amendement de M. Ciotti pour créer 3 000 places supplémentaires en CRA » (senat.fr, 13 décembre).
La 21e loi contre l’immigration depuis 1986
Appuyé sur la loi « asile et immigration » Macron-Collomb de 2018 [lire Révolution communiste n°28], le projet de loi et ses 25 articles est plus dur que ses premières ébauches. Pour accéder à un titre de séjour d’un an par le travail, une exploitation illégale d’au moins huit mois et une présence sans papiers de 3 ans sont exigées.
Dans certains cas, et pour certains pays d’origine, nous allons donc autoriser l’accès au travail rapide pour les demandeurs d’asile. Ainsi, un arrêté sera régulièrement mis à jour pour déterminer la liste des pays concernés. De même, nous voulons créer un titre de séjour pour les métiers en tension. Nous proposons qu’il soit accessible aux étrangers présents sur le territoire depuis au moins trois ans, et qui ont une ancienneté professionnelle d’au moins huit mois. (Dussopt, Le Figaro, 21 décembre 2022)
La « double peine » consistant à mettre en prison puis à expulser un condamné étranger est rétablie :
D’abord, toute personne éloignée sur la base d’une OQTF ne pourra pas demander de visa pendant cinq ans. Ensuite, la « double peine » sera rétablie pour tous les étrangers condamnés à des peines d’au moins dix ans de prison – cinq ans en cas de récidive. (Darmanin, Le Figaro, 21 décembre 2022)
Les travailleurs demandant un titre de séjour pluriannuel de 4 ans maximum doivent avoir un « niveau de maitrise de la langue française déterminé par décret » (article 1).
Pour pallier le manque de soignants dans les hôpitaux, un titre de séjour « talent-professions médicales et de la pharmacie » est créé de 13 mois maximum (article 7) et étendu à 4 ans si des examens confirment ses compétences médicales.
Le projet vise à « faciliter les expulsions des étrangers ne respectant pas les valeurs de la République et commettant des infractions sur le territoire national » (article 9).
Aux frontières françaises, les « opérations de relevé des empreintes digitales et de prise de photographie » pourront se faire « sans le consentement de l’intéressé » (article 11).
Pour ceux qui détiennent un titre de séjour, la soumission à l’ordre est exigée sous la menace. Un titre de séjour peut être retiré en l’absence de respect des valeurs de la République et si « sa présence constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sureté de l’État » (article 13).
Ceux qui aident au passage de frontières seront passibles de vingt ans de prison et d’une amende allant jusqu’à 1,5 million d’euros (article 14). Pour les patrons exploitant un sans papier, ils n’auront qu’une amende de 4 000 euros (article 8) !
Le travailleur étranger n’aura plus à demander l’accord de son employeur, il aura affaire à un guichet unique nommé « France asile ». Plusieurs articles le créent afin que les juges aient plus de délai pour ordonner les expulsions, les migrants moins de possibilités de contester. La création de « chambres territoriales » avec « juge unique » doit, selon les ministres, réduire à 9 mois les « contentieux » et accélérer les expulsions.
L’Europe des assassins
Le projet entend « renforcer Frontex et réformer l’espace Schengen » (Borne, senat.fr, 13 décembre). L’Union européenne, son traité Schengen et sa police Frontex (célèbre pour des affaires de corruption) causent la mort de milliers de migrants chaque année sur les routes maritime et terrestre. L’accord imposé en 2016 à la Turquie et à la Grèce par Berlin et Paris maintient des millions de travailleurs et de jeunes dans des camps. La route libyenne pour sauver sa peau est tenue par un Etat mafieux soutenu par les puissances de la région, Rome et Paris en tête. Les bateaux d’ONG n’ont qu’un droit limité pour sauver les migrants en Méditerranée.
En Bulgarie, Frontex ferme les yeux sur des pratiques inhumaines.
Dans une petite ville du sud de la Bulgarie, entre l’école maternelle, le stade municipal et des rangées de maisonnettes tranquilles, une « cage » abritée dans un cabanon est utilisée par les gardes-frontières bulgares pour détenir des aspirants à la migration… Un document interne à Frontex, que nous avons pu consulter, rappelle que cette présence n’est pas ponctuelle : dix de ses agents sont déployés de façon permanente à Srédéts depuis la fin de mars 2022. Une collaboration entre Frontex et les gardes-frontières bulgares, confirmée dans cet article de presse locale. (Le Monde, 8 décembre 2022)
En mer Égée, la police grecque et Frontex repoussent les étrangers et parfois quand ils ont touché terre, malgré le droit international et européen ! En Manche, il est fréquent que l’État français et l’État britannique se renvoient la balle en cas d’appel au secours, condamnant les étrangers à la noyade. Leur accord signé début novembre ne peut qu’aggraver le bilan mortel de leur politique.
Les deux points principaux de cet accord sont une enveloppe de 72,2 millions d’euros que devront verser les Britanniques en 2022-2023 à la France qui, en contrepartie, s’engage à augmenter de 40 % ses forces de sécurité (350 policiers et gendarmes supplémentaires) sur les plages d’où partent les migrants à destination des côtes britanniques. (La Tribune, 14 novembre 2022)
La politique de l’immigration de Macron et l’assassinat des Kurdes du 23 décembre
Le résultat des « politiques migratoires » (qui sont toujours une restriction à l’accueil des réfugiés et à la liberté de circulation des prolétaires, jamais des capitalistes) est une ségrégation de fait qui divise les travailleurs et l’hypertrophie d’un appareil douanier, policier, pénal, carcéral est non seulement couteux mais dangereux pour les libertés démocratiques.
Ce sont ces institutions qui ont libéré sans jugement l’assassin des Kurdes qui avait déjà attaqué au sabre des étrangers et qui s’en étaient prises à ses victimes.
Le 8 décembre 2021, William M. s’approche, tôt le matin, d’un campement de migrants dans le parc de Bercy, dans le 12e arrondissement, Il dégaine ensuite un sabre en hurlant : « Mort aux migrants » et commence à tailler en pièces les tentes dans lesquelles dorment des familles. Il s’attaque à un homme en train d’uriner, le blessant au dos et à la hanche. Puis il taillade un mineur, avant d’être ceinturé et mis hors d’état de nuire par trois autres occupants du campement qui se servent d’une branche d’arbre pour le frapper. La police, appelée sur les lieux, interpelle toutes les personnes impliquées dans les violences, y compris les victimes. Plus étonnant encore, quatre des cinq personnes agressées, sauf le mineur, sont placées en garde à vue pendant quarante-huit heures.
Ce n’est pas tout : lors de la garde à vue, constatant que l’une des personnes agressées, un ressortissant marocain, ne dispose d’aucun titre de séjour, les policiers alertent la préfecture, qui délivre à son encontre une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le document précise même que l’intéressé s’est livré à des « violences volontaires avec arme et en réunion », alors qu’il se défendait face à un homme cherchant à le tuer avec un sabre. L’OQTF refuse au mis en cause tout « délai de départ volontaire ».
L’histoire ne s’arrête pas là. Les bénévoles des associations intervenant sur le campement, qui abrite une soixantaine de migrants, demandent à la police de sécuriser les lieux et décident de s’y rendre en nombre afin de rassurer les personnes restées sur place et passablement traumatisées par l’épisode de la veille. « Mais, au lieu de cela, nous avons vu les BRAV [brigades de répression de l’action violente motorisées] débarquer en masse pour verbaliser les militants présents pour rassemblement non autorisé », raconte Cloé Chastel. Dix-neuf militants, dont huit de la seule association Aurore, reçoivent une amende de 135 euros. (Le Monde, 28 décembre 2022)
Le mouvement ouvrier défend la démocratie mais les bureaucraties qui le contrôlent actuellement demandent aussi le renforcement de l’appareil répressif de l’État qui nuit aux libertés.
L’ambigüité des appareils sociaux-patriotes
Face à la nouvelle offensive, la position des partis et syndicats du mouvement ouvrier français est décevante. Loin d’exiger le retrait du projet et la suppression de la « politique de l’immigration », chacun conseille le gouvernement ou accepte de le fréquenter. Dès le 3 novembre, la direction de la CGT fait croire que le gouvernement reculera de lui-même.
Le gouvernement doit abandonner ce projet de loi (…) Pour combattre l’extrême droite, il ne faut pas s’inspirer de ses idées mais mettre en place des politiques de progrès social. (CGT, Ce n’est pas en jouant le jeu de l’extrême-droite qu’on la combat, 3 novembre 2022)
La CFDT demande de « régulariser les travailleurs qui sont aujourd’hui en emploi » sans exiger le retrait du projet de loi. Comme la direction de la CGT, Laurent Berger (CFDT) s’en remet aux gouvernements européens, une fois l’Ocean Viking accueilli après 20 jours d’errance en mer [voir Révolution communiste n° 53] :
Il fallait le faire d’un point de vue humanitaire, maintenant il faut des politiques européennes
En se contorsionnant, les partis ouvriers bourgeois s’opposent, eux aussi, à l’ouverture des frontières.
Il faut désencombrer les procédures du droit d’asile, créer une voie humanitaire, une voie climatique pour sélectionner celles et ceux qui méritent l’accueil et l’organiser. (Faure, premier secrétaire du PS, Le Monde, 27 novembre 2022)
À la France insoumise, nous n’avons jamais dit que nous étions « no border », notre position est qu’il faut tout faire pour que les gens ne partent pas de chez eux… (Mélenchon, chef suprême de LFI, Revue des deux Mondes, novembre 2022)
La loi française organise par secteur, une immigration en fonction des besoins dans des filières d’activité. Il y a des visas avec autorisation de travail qui sont accordés après étude du ministère du travail. (Roussel, secrétaire national du PCF, Public Sénat, 2 février 2022)
Transfert du PCF vers LFI en passant par Générations, le député Nupes Thomas Portes fréquente les concertations de Darmanin.
Sur les régularisations, il se dit tout aussi sceptique : « On n’a pas la liste des métiers en tension qui seraient concernés [par le titre de séjour]. Nous, nous sommes pour la régularisation de tous ceux qui travaillent. Si je dois retenir un élément positif de nos échanges, ajoute-t-il, c’est l’engagement qu’a pris Gérald Darmanin qu’il n’y ait plus un mineur de moins de 16 ans en centre de rétention administrative ». (Le Monde, 27 novembre)
La Nupes cherche un terrain d’entente avec le gouvernement.
Boris Vallaud a dit vouloir un débat… guidé par la mesure. Nous ne sommes ni dans l’obsession, ni dans l’aveuglement… Nous savons que, sans être au cœur de leurs préoccupations, la question migratoire taraude les Français. (Marianne, 7 décembre)
Devant la tournure en plus en plus réactionnaire du projet, l’intersyndicale CGT-FSU-Solidaires « dénonce ce projet de loi qui va à l’encontre de nos valeurs d’accueil, de solidarité et d’égalité des droits » (CGT-FSU-Solidaires, 13 décembre). Mais le combat pour son retrait n’est toujours pas engagé. L’ouverture des frontières est encore oubliée.
C’est seulement pour l’appel à la journée internationale des migrants du 18 décembre que la FSU et Solidaires (sans les signatures de la CGT ni de la CFDT ni de FO ni du PCF ni du PS ni de LFI ni de LO) se disent « contre la loi immigration de Darmanin » et « pour la liberté de circulation » (gisti.org, 18 décembre).
Front unique ouvrier pour le retrait du projet Macron-Borne-Darmanin
La lutte pour la régularisation de tous les sans-papiers exige que toutes les directions syndicales, tous les partis se réclamant des travailleurs se prononcent pour le retrait du projet de loi Macron-Borne- Darmanin et appellent à une manifestation centrale le jour de son vote à l’Assemblée nationale. La convergence des centaines de milliers de travailleurs avec et sans papiers, ce jour-là, permettrait sans doute de faire reculer le gouvernement. Ce sera un appel d’air pour le mouvement ouvrier en France, en Europe et dans le monde. Il aiderait au combat contre les gouvernements capitalistes, leurs polices et leurs frontières, leurs répressions et leurs murs qui protègent les exploiteurs.
Abrogation de toutes les lois anti-immigrés ! Dissolution de Frontex ! Liberté pour les réfugiés, les étudiants, les travailleurs de s’installer en France ou de se rendre en Grande-Bretagne ! Régularisation de tous les étudiants et prolétaires sans-papiers ! Fermeture des centres de rétention ! Non à la criminalisation de la solidarité ! Égalité des droits pour tous ceux qui travaillent en France, y compris le droit de vote !