Une fois la menace de la grève générale écartée, le gouvernement accélère

L’impérialisme français en délicatesse avec l’impérialisme allemand

La poursuite de l’inflation, la hausse des taux directeurs des banques centrales, le ralentissement économique, la crainte d’une récession rendent toutes les puissances impérialistes plus agressives, entre elles comme avec leur propre classe ouvrière.

Et voilà que l’impérialisme français se trouve de plus en plus contesté par son rival allemand. Début octobre, le chancelier SPD Scholz a mis 200 milliards d’euros sur la table, surtout pour protéger la compétitivité des entreprises allemandes de la hausse des couts de l’énergie. 25 milliards serviront par exemple aux patrons allemands pour ne payer que 7 centimes le kWh –le prix d’octobre 2021– 70 % du gaz consommé sur la période de janvier 2023 à avril 2024, les 30 % restants étant facturés au prix de marché. 200 milliards, c’est au-delà des moyens de l’État français, dont la base productive est plus étroite et qui est beaucoup plus endetté. À chacun donc selon ses moyens : Macron a assuré le 26 octobre que « L’État sera aux côtés des entreprises », mais les nouvelles aides qu’il promet aux patrons pour absorber les prix de l’énergie ne seront que de l’ordre de 10 milliards d’euros.

Et puis Scholz s’est rendu seul en Chine, le principal partenaire commercial de l’Allemagne, pour défendre les intérêts du seul capitalisme allemand, au grand dam de Macron qui voulait faire partie du voyage. Enfin, après avoir snobé les avions Rafale français au profit des F35 américains, le gouvernement allemand avance maintenant une version commune de défense antimissiles avec 14 autres pays européens, mais sans la France, visant l’achat groupé d’armements américain, allemand et israélien, marginalisant ainsi un peu plus les ambitions françaises. Le couple franco-allemand n’est plus ce qu’il était, Emmanuel et Olaf se font la gueule…

Une vie plus difficile pour de plus en plus de travailleurs

INSEE, 22 novembre 2022


Les budgets précédents ont profité surtout aux capitalistes et aux couches supérieures de la petite bourgeoisie.

Les nouvelles mesures sociales et fiscales intervenues en 2020 et 2021… profitent surtout à la moitié la plus aisée de la population, particulièrement concernée par les principales réformes pérennes mises en oeuvre : la baisse du barème de l’impôt sur le revenu et la suppression progressive de la taxe d’habitation… Elles induisent une augmentation du niveau de vie allant jusqu’à 470 euros annuels en moyenne pour les personnes entre les 7e et 8e déciles, contre 90 euros pour les 50 % les plus modestes. (INSEE, France, portrait social, 22 novembre, p. 88)

INSEE, 15 novembre 2022


La situation se durcit pour la classe ouvrière, avec la poursuite de l’inflation qui n’en finit pas de grever les budgets des ménages. Les industriels fournisseurs des grandes surfaces annoncent de nouvelles hausses considérables pour 2023, alors même que l’inflation sur les premiers prix et les marques de distributeurs se situe déjà entre 12 % et 13 % sur un an. Les minimas sociaux n’ont été revalorisés que de 4 % et l’aumône d’un chèque inflation de 100 euros n’a été faite qu’aux plus pauvres.

Dans le dernier baromètre de la pauvreté Ipsos pour le Secours populaire réalisé au début juillet, 37 % des personnes interrogées déclarent peiner « à consommer des légumes ou des fruits frais tous les jours », soit 5 points de plus qu’en 2021. Les inscriptions pour bénéficier des repas gratuits des Restos du cœur pour l’hiver prochain ont bondi de 30 % à Paris, de 45 % en Seine Saint-Denis.




Les salaires sont à ce point insuffisants et les conditions de travail si dégradées que des secteurs de plus en plus nombreux ne trouvent plus assez de candidats, aussi bien dans l’aide à la personne que dans les crèches, dans l’enseignement, etc. Dans les hôpitaux publics, plus de 22 000 lits ont été supprimés entre 2017 et 2021. À quoi s’ajoutent des conditions de travail dantesques pour des salaires au rabais qui épuisent les travailleurs de la santé. Dès lors, la moindre épidémie de bronchiolite manque de tourner à la catastrophe.

Une soudaine poussée de la lutte de classe

Dans de nombreuses branches —automobile, chimie, aéronautique, centrales nucléaires, SNCF, raffineries…— des grèves ont eu lieu en septembre et octobre pour le rattrapage des salaires sur l’inflation. Mais, malgré la mobilisation d’une fraction de la classe ouvrière, ces grèves sont restées totalement sous le contrôle des appareils syndicaux qui, en même temps qu’ils refusaient d’appeler à la grève générale, ont négocié des augmentations au rabais, loin du rattrapage et de l’indexation sur le cout de la vie. Dans les raffineries Total, les grèves sans perspective dirigées par l’appareil CGT n’ont finalement pas permis d’obtenir plus que les 5 % scandaleusement insuffisants préalablement négociés par la CFDT avant la grève. À EDF, l’accord signé par toutes les directions syndicales CGT, CFDT, FO et CFE-CGC le 27 octobre entérine une hausse des salaires pour 2023 de 4,6 % seulement.

La grève dans les raffineries n’a pas débordé en grève générale, alors que le gouvernement avait entamé les réquisitions des grévistes, car les chefs syndicaux ont isolé les différentes grèves dans des revendications disparates au lieu d’avancer la revendication qui unifiait toute la classe ouvrière : 10 % d’augmentation pour tous et indexation des salaires sur l’inflation.

Tous d’accord… pour empêcher la grève générale

La vieille méthode de la multiplication des journées d’action pour dissiper la combativité des travailleurs, les 29 septembre, 18 octobre, 27 octobre, 10 novembre, a fait le reste. Les bureaucraties syndicales ont été aidées, une fois de plus, par LFI, le PCF, le PS, LO, le NPA, le POI, le POID, le CCR-RP… qui, tous, d’une manière ou d’une autre, approuvent les journées d’action. Les plus « révolutionnaires » prétendent comme toujours qu’elles seraient le tremplin pour « élargir les luttes », prônent les grèves reconductibles, mais refusent en tous les cas ouvertement de combattre pour imposer la grève générale contre le gouvernement. « Pour de vraies augmentations de salaire, débrayer, faire grève et manifester, mardi 18 octobre ! » titre LO le 16 octobre. D’autres sont plus malins :

L’enjeu de cette nouvelle journée est bien de rassembler dans la lutte le maximum de salariéEs qui veulent se battre pour le partage des richesses, qui passe par des augmentations importantes de salaires. Et c’est bien le problème d’avancer dans la construction d’une grève générale –réunissant les travailleurs du public comme du privé– qui est posé pour ces prochains jours, ces prochaines semaines… Battre le fer tant qu’il est chaud, se réunir partout pour discuter et décider des suites à cette journée de mardi devient impératif pour pousser notre avantage. (NPA, L’Anticapitaliste, 27 octobre 2022)

La manœuvre des centristes consiste, tout en soutenant la journée d’action décrétée par les bureaucrates, à faire croire aux salariés et aux étudiants en révolte que l’appel aux grèves reconductibles, c’est la même chose que la grève générale.

En outre, alors que les grèves pour les salaires des derniers mois étaient restées isolées, de courte durée, et centrées autour d’un programme limité, celle des raffineurs a remis sur le devant de la scène la grève reconductible, la possibilité de revendiquer des augmentations ambitieuses et la nécessité de l’extension (Révolution permanente, 20 octobre)

Quand ce n’est pas, tout simplement, la transformation frauduleuse d’une journée d’action interprofessionnelle en soi-disant grève générale, comme l’ont fait le NPA et LFI lors de la « marche contre la vie chère » : « Le 18 octobre, il y a appel à la grève générale » (Jean-Luc Mélenchon, 16 octobre).

Ainsi la recherche par une fraction de la classe ouvrière de la perspective politique de l’affrontement déterminé, centralisé, contre le gouvernement par la grève générale, perceptible chez les grévistes et parmi les manifestants du 18 octobre, reste sans débouché. Les bureaucrates syndicaux peuvent dormir tranquilles pour un temps et le gouvernement se sortir de cette situation épineuse. Sa politique contre les travailleurs peut se poursuivre.

LFI fait la courte-échelle au RN

Les budgets 2023 de l’État et de la Sécu ont été adoptés avec le 49.3 et les simagrées parlementaires de la NUPES sont restées parfaitement vaines, à ceci près que LFI brouille toute frontière de classe en déposant des motions de censure compatibles avec le vote du parti xénophobe et fascisant. En effet, l’objectif de LFI, après avoir laissé croire que Mélenchon pouvait remporter l’élection présidentielle au suffrage universel, est désormais de faire renverser le gouvernement par les députés, fut-ce au prix d’une alliance avec le RN, un parti dont l’axe est de dresser une partie de la classe ouvrière contre une autre.

Que le RN vote notre motion ne me dérange pas. Une motion, c’est pas pour la beauté des nuages, mais bien pour renverser le gouvernement. (Éric Coquerel, président LFI de la commission des finances de l’Assemblée nationale, 24 octobre)

Il manquait 50 voix pour éjecter le gouvernement. Nous sommes prêts pour la relève. (Jean-Luc Mélenchon, 24 octobre)

Ce dégagisme populiste (le même qui avait conduit LFI, LO, le POI, le NPA et le CCR-RP à soutenir les antivaccins contre le gouvernement) aboutirait probablement à un succès pour Le Pen, ce qui explique qu’elle ait donné l’ordre à ses députés de voter la motion NUPES.

Le morcèlement de la bourgeoisie française a souvent trompé le peuple. On renverse une section, disons la haute finance, et l’on croit avoir renversé toute la bourgeoisie, mais on a simplement mis au pouvoir une autre section. (Friedrich Engels, 8 octobre 1889)

Le gouvernement avance ses pions

La loi durcissant les conditions d’attribution et d’indemnisation du chômage est adoptée le 17 novembre par les élus LR et Renaissance, moyennant un durcissement imposé par les sénateurs LR.

Les négociations sur les retraites vont bon train puisque deux cycles de concertation avec les directions confédérales ont eu lieu et puisque le dernier commence le 28 novembre, sans que LO, le NPA et compagnie le combattent. Le gouvernement va aligner au moins EDF et la RATP sur la durée de cotisation imposée aux travailleurs du secteur privé, en appliquant pleinement les mesures aux nouveaux entrants, selon la clause dite « du grand-père » pour mieux faire passer la pilule, comme il l’avait déjà fait à la SNCF.

Sans surprise, les chefs syndicaux continuent de participer aux concertations tout en avertissant que, si cela devait se terminer comme cela – comme s’il fallait s’attendre à autre chose alors que le gouvernement a déjà distribué le programme -, ils opteraient pour une position « dure ». En réalité, ils ont déjà en préparation de nouvelles « journées d’action », voire des grèves reconductibles isolées par secteur comme celles qui ont conduit à la défaite à la RATP et à la SNCF en décembre 2019.

Le projet de loi sur le renforcement de la police est en discussion à l’Assemblée nationale et le gouvernement s’apprête à le faire voter avec le soutien de LR et du RN et l’abstention du PS : 15 milliards supplémentaires, création de 200 brigades de gendarmerie, de 11 unités supplémentaires de forces mobiles, renforcement des équipements… Ici, l’austérité n’est pas au programme. À quoi pourrait s’ajouter, par voie d’amendement à la demande de LR, la création de 3 000 places supplémentaires dans les centres de rétention pour les étrangers en attente d’expulsion. La traque contre les migrants franchit un nouveau cap, Macron et Darmanin rivalisant avec le RN et LR.

La réaction sur toute la ligne contre les migrants

Ocean Viking, 5 juillet 2022


Le 3 novembre, on a d’ailleurs assisté à une comédie bien réglée à l’Assemblée nationale : le député RN Grégoire de Fournas lance au député LFI Carlos Martens Bilongo qui intervenait sur le sort du bateau Ocean Viking venu au secours des migrants en perdition en Méditerranée « qu’il retourne en Afrique ». Aussitôt, toutes les forces politiques de la NUPES à LR en passant par Renaissance font bloc pour dénoncer une attaque raciste contre le député LFI qui est noir. Mais pas une ne trouve tout aussi abject que le « qu’ils retournent en Afrique » soit adressé à plus de 200 personnes en danger de mort, comme le prétend le député RN pour se défendre ! Cette petite opération d’union de tous les « démocrates » contre le RN (pour faire oublier la motion de censure dix jours avant ?) s’est même terminée par une vibrante Marseillaise entonnée par Mélenchon et ses députés devant l’Assemblée nationale. Car chez ces gens-là, on défend la « République ».

Or le gouvernement républicain, après avoir vilipendé le RN pour ses positions racistes, se tourne alors vers la rade de Toulon où, après avoir joué la montre, il a été contraint et forcé d’accepter l’accostage de l’Ocean Viking avec 234 migrants à son bord. Darmanin tempête contre l’Italie qui avait refoulé le bateau et renforce les contrôles à la frontière, plus un migrant en provenance d’Italie ne doit pouvoir passer ! À Toulon, les migrants naufragés sont accueillis par plus de 300 gendarmes et policiers de la république comme s’il s’agissait de dangereux délinquants.

La république, comme tout autre forme de gouvernement, est déterminée par son contenu ; tant qu’elle est la forme de la domination de la bourgeoisie, elle nous est hostile. (Friedrich Engels, 6 mars 1894)

Darmanin prévient immédiatement que tous ceux qui ne seront pas éligibles au droit d’asile seront refoulés. Il en trouve 44 après un premier examen, mais le temps pour instruire tous les dossiers excède les délais légaux de rétention des étrangers. La justice ordonne donc la remise en liberté de 108 d’entre eux. Mais leur sort reste des plus précaires. Et les dispositions légales seront modifiées dans le projet de loi en préparation pour instaurer le tri expéditif ou la rétention à rallonge.

Macron et Darmanin comptent bien à cette occasion sur les voix de LR et du RN et leur participation au débat pour aggraver le projet de loi présenté en janvier prochain. Car le ministre de l’Intérieur l’a bien expliqué, il s’agit d’être « gentil avec les gentils et méchants avec les méchants » (Darmanin, 2 novembre). Les gentils, ce sont les migrants qu’on peut accepter pour occuper des emplois dans des secteurs en tension, qui obtiendront un permis de travail. Mais si le secteur n’est plus en tension, ce permis sera supprimé, et le gentil rejoindra alors le camp des méchants, qui sont tous les autres, les déboutés du droit d’asile, tous ceux qui n’ont pas ou plus de permis de travail, qui ont reçu et vont recevoir une obligation de quitter le territoire français (OQTF), désormais traqués par la police, tous ceux à qui Darmanin demande aux préfets de « rendre la vie impossible » (25 octobre). Même les bailleurs sociaux seront prévenus si leurs locataires sont sous le coup d’une OQTF pour qu’il soit mis fin au bail ! Décidément, « la République » qui est l’alpha et l’oméga des sociaux-patriotes prend des allures de plus en plus pétainistes…

Rien n’est réglé

La possibilité d’engager la grève générale s’est momentanément refermée, mais elle pourrait se rouvrir sur la question des retraites ou une autre. Les obstacles politiques sont nombreux pour l’empêcher. La construction d’une organisation communiste révolutionnaire est nécessaire pour ouvrir la voie au renversement du gouvernement de la bourgeoisie pour lui substituer un gouvernement ouvrier, pour aller vers les États-Unis socialistes d’Europe.

24 novembre 2022