Krivine n’était pas un théoricien, il se contentait de vulgariser les idées d’Isaac Deutscher, Michel Pablo, Ernest Mandel… Il était connu du grand public pour son rôle de candidat à répétition et de porte-parole inamovible de la LC-LCR. Les journalistes l’appréciaient pour son humour et il était sympathique aux yeux des militants de base pour sa modestie et sa simplicité. Bien des persécutés ont pu compter sur son carnet d’adresses et ses relations.
Jeune, il a plus d’une fois courageusement pris des risques au sein de l’UEC, de la JCR, de la LC. À l’âge mur, il n’a pas muté en crapule social-chauvine (version PCF comme Piquet, version LFI comme Coquerel, version PS comme Dray et Weber). À la vieillesse, il n’est pas devenu macroniste comme Goupil et Weber. Néanmoins, ses camarades d’aujourd’hui, tout en insistant sur « sa constance », ont soigneusement évité les mots « communiste » et « révolution ».
Notre camarade Alain Krivine nous a quittés aujourd’hui, à l’âge de 80 ans… Il a été, pour des générations entières de militant·e·s, un modèle de constance, une intarissable ressource, un camarade exemplaire. Salut, vieux, et merci pour tout. On continue le combat ! (NPA, Notre camarade Alain Krivine est mort, ses combats continuent, 12 mars 2022)
À leur manière, ils ont raison. Une organisation communiste, un révolutionnaire, commettent inévitablement des erreurs. Mais quand les erreurs s’enchainent systématiquement sans être véritablement corrigées, il s’agit d’autre chose.
Un jeune stalinien radicalisé par la guerre d’Algérie (1955-1961)
Issu d’une famille aisée de la petite bourgeoisie juive venue d’Ukraine, Alain Krivine nait le 10 juillet 1941 dans le 15e arrondissement de Paris. Il est, avec son jumeau Hubert, le cadet d’une famille de 5 garçons. Un ne milite pas, un autre est fidèle au PCF, trois suivent la même trajectoire politique : Hubert (qui deviendra chercheur en physique), Jean-Michel (qui sera chirurgien), Alain (permanent politique).
D’abord membre des Vaillants, Alain Krivine adhère en 1954 à treize ans à l’Union de la jeunesse républicaine de France (UJRF) -organisation de jeunesse du PCF- tout en poursuivant des études au lycée Condorcet. En 1956, après la transformation de l’UJRF en Union de la jeunesse communiste de France (UJCF), il y organise un cercle d’une vingtaine d’adhérents. En 1956, à cause de la guerre d’Algérie, les affrontements avec les fascistes sont devenus plus fréquents et plus violents, il entreprend de fonder un comité antifasciste sur son lycée. Le PCF est encore en 1956 pour le maintien de l’Algérie dans l’empire colonial au nom du danger principal (l’impérialisme américain, l’impérialisme allemand).
À quinze ans, Krivine devient responsable des lycéens communistes de Paris. Il est envoyé en 1957 au Festival mondial de la jeunesse démocratique à Moscou.
Nous étions des milliers, dont une délégation clandestine du FLN qui a défilé dans le grand stade avec le drapeau algérien… J’ai réussi à organiser une rencontre entre la délégation des JC et la délégation du FLN, qui était dirigée par Mohamed Khemisti. J’ai alors assisté à une engueulade maison. Le FLN reprochait au PCF de ne pas faire en Algérie la moitié de ce qu’il faisait pour le Viêtnam… Dans le train qui revenait de Moscou, j’étais vachement ébranlé. (Alain Krivine, « Entrevue », Charles, hiver 2017)
Au mot d’ordre de « paix en Algérie » du PCF, il préfère à juste titre celui de « indépendance de l’Algérie ». En 1957, il rencontre Michel Fiant et participe à l’action du réseau Jeune résistance : lâchers de tracts, blocage des trains d’appelés, surveillance des prisons détenant des membres du FLN.
Encore jeune communiste, c’est lui que je rencontrais en 1957, pour participer à l’aide clandestine à la Révolution algérienne. Il me fit rejoindre une organisation dont il était à la direction, Jeune Résistance, qui faisait un travail dans l’armée. Par la suite, c’est en partie grâce à lui que je rejoins le Parti communiste internationaliste (PCI, section française de la 4e Internationale), dont il était l’un des principaux dirigeants. À partir de 1961, il s’occupe du petit groupe d’étudiants communistes qui a adhéré au PCI, mais a réussi à construire une opposition de gauche dans l’Union des étudiants communistes (UEC) et est majoritaire à la Sorbonne, environ 500 adhérents. (Alain Krivine, Rouge, 27 septembre 2007)
Après sa réussite au baccalauréat en 1960, Krivine entre en classe préparatoire, toujours à Condorcet. Il est transféré à l’Union des étudiants communistes de France (UECF) et devient, également, responsable des prépas du syndicat étudiant, l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). Après qu’Hubert révèle ses opinions « trotskystes », il commence à se plonger dans les textes jusqu’alors considérés comme hérétiques. Un an plus tard, il s’inscrit à la Sorbonne où il obtient un diplôme d’histoire (DES sur la base d’un mémoire sur le 1er mai 1907). Il milite dans le cercle UEC histoire de la Sorbonne et il devient un des animateurs du Front universitaire antifasciste (FUA) à la Sorbonne. Hostile à la ligne du PCF, il se classe à « gauche », à une époque où l’opposition de droite des « Italiens » (pro-PCI/Italie) domine l’UECF avec Jean-Marcel Bouguereau, Roland Castro, Alain Forner, Serge July, Pierre Kahn, Bernard Kouchner, Marc Kravetz, Jean-Louis Peninou, Marie-Noëlle Thibaud… qui militent aussi contre la guerre d’Algérie.
L’adhésion à la « 4e Internationale » des révisionnistes Pablo et Mandel (1961-1965)
Krivine enchaine des emplois précaires et rejoint en 1961 le Parti communiste internationaliste dont Hubert est membre depuis 1957. Ce PCI se présente comme « section de la 4e Internationale ». Mais il n’y a plus de 4e Internationale. Elle a été détruite par sa propre direction (Pablo, Mandel, Maitan, Frank, Posadas…) qui l’a transformée à partir de 1949 en groupe de pression sur le stalinisme mondial (Tito, Mao…) et sur le nationalisme bourgeois des pays dominés, ce qui a été ratifié au congrès de 1951 qui conduit à son explosion en 1952-1953.
En France, la majorité du PCI dirigée par Bleibtreu est exclue par le secrétariat international (Pablo, Mandel, Maitan…) en 1952. Mais elle capitule totalement devant le nationalisme algérien (MNA) sous l’impulsion de Lambert qui exclut Gibelin, Bleibtreu et Lequenne.
Une minorité suit Pablo. Le PCI minorité s’active à partir de 1953 au sein du PCF dont il attend une évolution à gauche… qui ne se produira jamais. La « 4e Internationale » pabliste s’aligne à partir de 1954 sur le FLN. À l’indépendance, le chirurgien Jean-Michel Krivine part en Algérie aider à relever le système de santé. Pablo est conseiller de Ben Bella de 1962 à 1965.
Le PCI minorité éclate en trois bouts, séparés par le choix de la clique de la bureaucratie stalinienne sur laquelle il faudrait miser.
- Une poignée dirigée par Michèle Mestre scissionne du PCI minorité en 1954 car elle pense le PCF redressable. Elle s’oppose à la déstalinisation opérée par Khrouchtchev et soutient l’écrasement de la révolution politique en Hongrie en 1956.
- Une fraction de presque la moitié de ce qui reste, menée par Simone Minguet, Gilbert Marquis et Michel Fiant, est exclue en 1964, bien que d’accord avec l’entrisme dans le PCF. Elle s’oppose, avec Pablo et Sal Santen, à l’unification du SIQI menée par Mandel, Maitan et Frank en 1963 avec le SWP/Etats-Unis et Palabra Obrera/Argentine. Une autre divergence est que Pablo choisit l’URSS lors de la « rupture sino-soviétique » de 1965 alors que la majorité du SI choisit la Chine.
- La fraction menée par Pierre Frank, Rodolphe Prager et Michel Lequenne est alors reconnue section officielle du « secrétariat unifié de la 4e Internationale » qui fusionne tous les révisionnistes du trotskysme conquis par le castrisme (secrétariat international de Mandel, SWP de Hansen et SLATO de Moreno…). Les trois frères Krivine se rattachent à ce groupe.
L’animateur de la JCR castriste (1966-1968)
Sous l’effet de la guerre d’Algérie, les organisations de jeunesse de l’Église catholique (JOC, JEC) connaissent des troubles internes qui alimentent la centrale syndicale CFDT et le parti social-démocrate de gauche PSU, né de la scission de la minorité du PS-SFIO hostile à la guerre d’Algérie.
Une crise de l’Union des étudiants communistes s’ouvre quand la direction du PCF (Thorez, Duclos et compagnie) décide d’en reprendre le contrôle en mars 1965 avec l’aide du cercle de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (Robert Linhart, Benny Lévy, Tiennot Grumbach, Jacques Broyelle…), influencé par le philosophe Althusser et séduit par la rhétorique révolutionnaire d’alors de la bureaucratie étatique chinoise.
Les pablistes tendance Mandel de l’UEC (Alain Krivine, Daniel Bensaïd, Henri Weber, Catherine Samary, Gérard de Verbizier, Charles Michaloux…) refusent de se liquider politiquement en soutenant, comme l’exige la direction du PCF, la candidature Mitterrand. Mitterrand était alors à la tête d’un parti bourgeois (CIR) et très récemment un ministre de l’intérieur « Algérie française » de la 4e République. Quant aux pablistes tendance Pablo de l’UEC (Jean Groblat…), ils plient et continuent à courtiser les « Italiens ». Krivine et sa fraction sont exclus et, au printemps 1966, lancent la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) qui totalise 120 membres avec le renfort de la fraction du PCI minorité des JSU (la jeunesse du PSU).
Ils sont suivis par l’aile maoïste de l’UEC qui ne veut pas laisser les « trotskystes » bénéficier de la radicalisation de la jeunesse étudiante alors que l’illusion libertaire de la « révolution culturelle » chinoise est dans le monde à son paroxysme. Ils créent fin 1966 l’UJCML.
À la veille de la plus grande grève générale de France (celle de 1936 n’avait pas entrainé les fonctionnaires), ce courant est totalement sceptique sur la capacité révolutionnaire du prolétariat des centres impérialistes, car il est censé, selon le principal dirigeant du SUQI, être intégré par le « néocapitalisme » qui sait éviter les crises économiques.
La nécessité d’éviter à tout prix la répétition d’une crise du type de celle de 1929 étant devenue une question de vie ou de mort pour le capitalisme dans les conditions actuelles de guerre froide et de progression des forces anticapitalistes dans le monde entier, l’État fait de plus en plus largement appel aux techniques anticycliques ainsi qu’aux techniques de création de pouvoir d’achat et de redistribution des revenus. (Ernest Mandel, Les Temps modernes, aout 1964)
La JCR tente de rivaliser avec les staliniens façon Khrouchtchev du PCF et de l’UEC (qui s’appuient sur l’URSS et contrôlent la CGT) et les staliniens façon Mao du PCML et de l’UJCML (qui s’appuient sur la RPC et l’Albanie) en se posant comme les correspondants des staliniens façon Castro (qui sont à la tête d’un courant petit-bourgeois guérillériste en Amérique latine).
Notre référence majeure, parmi les luttes de libération des pays du Tiers-Monde, fut sans nul doute la Révolution cubaine. (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006, p. 93)
La JCR atteint 300 militants en mai 1968. À ce moment, pas grand-chose ne les distingue en pratique des anarchistes de Cohn-Bendit qui tournent le dos au syndicat étudiant UNEF et avec lesquels la JCR fonde à Nanterre le Mouvement du 22 mars engagé dans les « provocations » chères à la « nouvelle gauche ».
Le 9 mai, la JCR tient meeting dans la grande salle de la Mutualité. Cette réunion est prévue de longue date… Daniel Cohn‑Bendit, demande à la JCR d’ouvrir son meeting à tout le mouvement… Nous acceptons la proposition. (Daniel Bensaïd & Henri Weber, Mai 1968 : une répétition générale, Maspero, 1968, p. 130)
En juin 1968, le mot d’ordre de la JCR est « gouvernement populaire », repris tel quel au PCF. Après la dissolution de la JCR et de toutes les organisations « gauchistes », le 12 juin 1968, Alain Krivine est arrêté et connait la prison pour la première fois. Rapidement libéré, il doit faire son service militaire. En décembre 1968, à Marseille, au congrès du syndicat étudiant, Bensaïd se prononce pour dépasser l’UNEF au profit d’un Mouvement du 22 mars d’envergure nationale. Aux élections législatives de juin 1968, la JCR appelle au boycott, VO à voter PSU. La JCR et VO ouvrent la perspective d’un « mouvement révolutionnaire », ouvert aux maoïstes et aux anarchistes.
L’incarnation de la LC gauchiste (1969-1973)
Krivine devient permanent politique après que le PCF et la bureaucratie CGT ont mis fin à la grève générale. La direction de la JCR fonde l’hebdomadaire Rouge en septembre 1968. Elle ouvre le débat sur ce qu’il convient de faire. La majorité (Krivine, Bensaïd, Weber, Habel, Michaloux, de Verbizier, Métais, Salesse, Filoche, Artous, Frank, Lequenne) propose de proclamer une Ligue communiste (LC) adhérant à la « 4e Internationale » pabliste de Mandel-Maitan-Hansen-Moreno) en pensant pouvoir contourner les organisations traditionnelles de la classe ouvrière (PCF, syndicats, le PS étant censé être un parti bourgeois) par la conquête des « nouvelles avant-gardes ». Elle considère que « la classe ouvrière est spontanément stalinienne » (Construire le parti, construire l’internationale, Maspero, 1969, t. 1, p. 42).
Une fraction significative (animée par Henri Malher et Isaac Joshua) s’y oppose en prétendant fusionner tous les révolutionnaires (c’est la ligne de LO à l’époque) et faire la synthèse du maoïsme et du trotskysme. Une plus petite minorité anarcho-maoïste (autour de Guy Hocquenghem) s’oppose à tout parti. Ce dernier noyau est exclu pour indiscipline et rejoint VLR. La minorité participe au 1er congrès de la LC en avril 1969 mais elle scissionnera en 1971 pour fonder Révolution, soutenant que l’URSS est capitaliste, puis fusionnera avec les maoïstes du PSU (GOP) pour créer l’OCT en 1976. L’AMR fondée en juin 1969 par les pablistes tendance Pablo est marginalisée par la LC.
En 1969, De Gaulle perd le référendum et démissionne. Après avoir décrété en avril que « accepter aujourd’hui, en période de crise et d’instabilité du régime, le terrain de la lutte électorale, c’est démobiliser la classe ouvrière » (Rouge, 16 avril 1969), la direction de la LC désigne en mai 1969 Krivine comme candidat à l’élection présidentielle : « la situation permet que la classe ouvrière repasse à l’offensive » (Rouge, 8 mai 1969). LO hardyste soutient sa candidature. L’OT-OCI lambertiste condamne au nom du « front unique ouvrier » qui n’a pourtant pas grand-chose à voir avec des élections (Trotsky est explicite sur cette question en 1932 (Comment vaincre le fascisme, Buchet-Chastel, p. 163). Pompidou est élu.
La campagne connait un succès certain (1 % des voix, PSU 3,5 %, PS-SFIO 4,5 %, PCF 20,5 %) qui assure un avantage à la LC sur LO et sur l’OT-OCI (qui n’apparait guère, on voit surtout l’AJS). Elle conforte aussi, pour longtemps, la position d’Alain Krivine au sein du SUQI et de la LC-FCR-LCR.
À sa naissance, la LC surenchérit dans la référence à Lénine pour soutenir la concurrence du PSU social-chrétien, de la GP anarcho-maoïste et du PCMLF stalino-maoïste, plus gros qu’elle (comme le feront les IS de Cliff avant de fonder le SWP/Grande-Bretagne). Les sympathisants militent au sein des « comités rouges » et étudient Que faire ? avant de pouvoir adhérer. En 1973, Krivine parle encore de « notre adhésion à la théorie léniniste du parti » (Questions sur la révolution, Stock, p. 243).
Contradictoirement à l’exemple du POSDR de Plekhanov, Lénine et Martov, suivant plutôt le modèle de son adversaire le PSR, la « 4e Internationale » d’Ernest Mandel, Livo Maitan, Pierre Frank et Hubert Krivine adopte à son congrès de 1969 une ligne guérillériste malgré la résistance d’une opposition conduite par Joseph Hansen (en effet, le SWP développe une ligne pacifiste aux Etats-Unis) et par Nahuel Moreno (dont la fraction du PRT/Argentine cherche à rester légale).
Dans ce cadre, la LC succombe à un gauchisme teinté de stalinisme (dans les manifestations, ses militants scandent : « Che, Che Guevara, Hô, Ho, Hô Chí Minh ! »). En 1969, sous l’impulsion de Bensaïd et Weber, elle quitte l’UNEF, qui était un cadre de front unique ouvrier, pour créer un « front rouge » directement sous son autorité (à la manière des nationalistes bourgeois des pays dominés). Début 1971, la LC, sous l’impulsion de Hubert Krivine de retour d’Amérique latine, mène campagne pour financer la fraction du POR/Bolivie qui se lance dans la guérilla. Lors du 2e congrès de la LC qui se tient en juin 1969, au moment même où la fraction guérillériste du PRT menée par Santucho enlève des dirigeants d’entreprise, les délégués applaudissent, unanimes.
En 1970, le « Mouvement de libération des femmes » (MLF) apparait. L’AMR s’y jette immédiatement, la LCR suivra en 1972.
En 1970, trois économistes de la LC fondent chez l’éditeur Maspero la revue trimestrielle Critiques de l’économie politique qui s’arrêtera en 1977 (Valier et Salama rejoindront le PS avec Filoche, Dallemagne quittera aussi la LCR dans les années 1980).
En juin 1972, l’appareil stalinien s’efforce de boucher la voie de la révolution socialiste et de défendre l’État bourgeois français ébranlé par la crise révolutionnaire de mai-juin 1968. À cette fin, il met sur pied avec Mitterrand qui a pris le contrôle du PS, une solution de secours, « l’Union de la gauche ». L’UG est un front populaire typique, un bloc des partis « ouvriers bourgeois » (PCF, PS) avec ce qui reste du Parti radical (MRG).
En juin 1972, Bensaïd, flanqué de trois autres membres du comité central : Paul Alliès (passé au PS dans les années 1980) ; Antoine Artous (aujourd’hui à Ensemble, un satellite du social-chauvin Mélenchon) ; Armand Creus (rallié directement au PdG-LFI) préconise la guérilla en France même. Au sein du comité central, la ligne terroriste se heurte à la réticence affirmée de Filoche et dans une moindre mesure de Lequenne, mais pas de Krivine.
LO et LC s’accordent pour présenter des candidats ensemble aux élections législatives de mars 1973 au premier tour. Sur quelle orientation ? En aucun cas le front unique ouvrier, l’indépendance de classe, la rupture du PCF et du PS avec la bourgeoisie en général et le MRG en particulier.
D’un côté, les gaullistes au pouvoir depuis 14 ans, leurs alliés d’aujourd’hui, giscardiens et centristes… De l’autre, les partis regroupés dans « l’Union de la gauche » (Accord LO-LC, 11 décembre 1972)
La LC pabliste (comme LO hardyste) oppose le PCF au PS et s’effraie que le PCF puisse être victime du PS. LO ne se pose pas la question du front populaire : elle dénonce « la bande des quatre » (PS, PCF, RPR, UDF) jusqu’en 1981 (quand elle appelle à voter au second tour des législatives Union de la gauche). La LC nie que l’UG soit un front populaire.
L’accusation capitale que la 4e Internationale lance contre les organisations traditionnelles du prolétariat, c’est qu’elles ne veulent pas se séparer du demi-cadavre politique de la bourgeoisie. (4e Internationale, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, septembre 1938, GMI, p. 28)
Pour Krivine et la direction de la LC, l’UG est censée être une « alternative réformiste globale à l’État fort » (3e congrès, Résolution politique, 10 décembre 1972).
L’accord PC-PS n’est pas un accord de type front populaire qui mettrait le PC à la remorque d’un parti bourgeois. Pour la première fois, il est même obligé d’entrouvrir une perspective socialiste. (Rouge, 16 décembre 1972)
Donc, la majorité de Krivine et de Bensaïd peut, au nom du trotskysme, prétendre pousser l’Union de la gauche vers la révolution, à « la déborder » et donc à voter pour le parti bourgeois MRG au second tour.
Nous sommes prêts à appeler à voter pour l’Union de la gauche au second tour… Nous nous sentons prêts à jouer un rôle moteur dans le sens d’un débordement du cadre légal auquel entend s’en tenir l’Union de la gauche. (Rouge, 16 décembre 1972)
Une minorité significative animée par Filoche appelle à se désister au second tour pour les seuls candidats du PCF (ceux du PS étant mis sur le même plan que ceux du MRG). Une minuscule tendance, persistant dans le gauchisme de la période antérieure, appelle à s’abstenir totalement aux deux tours (c’est ce noyau qui fondera la LTF robertsoniste).
Mais les errements gauchistes l’emportent encore sur l’adaptation au front populaire. Le 28 juin 1973, sur décision de Krivine, Bensaïd, Weber et Recanati (et sans discussion au bureau politique), la LC attaque avec le renfort du PCMLF, de l’AMR et de Révolution (mais pas de LO ni de l’OCI), un meeting du groupe fasciste Ordre nouveau (dont les chefs fonderont le FN avec Jean-Marie Le Pen). Le gouvernement Pompidou interdit la LC qui en appelle au PS et à la CFDT. Alain Krivine, qui n’a pas participé à l’action (il était envoyé à Nice), subit une nouvelle incarcération de quatre semaines à la prison de la Santé. Pierre Rousset y reste plus longtemps. Le PCF s’associe aux protestations à condition que la LC ne puisse pas s’exprimer. Durant ces années-là, il calomnie et frappe les militants de l’OCI, de la LC, de LO… La LC se nomme un temps Front communiste révolutionnaire (FCR).
Le dirigeant de la LCR front-populiste (1973-1989)
La LC-FCR participe au Mouvement pour l’avortement et la contraception (MLAC) qui est un front unique entre une partie de la CFDT, le PS, le PSU, LO. Les directions de la CGT et de FO refusent de se battre pour le droit à l’avortement, ainsi que le PCF, le PCMLF et l’OCI. Le MLF, présent à l’origine, quitte le MLAC parce qu’il est mixte.
À juste titre, la LCR lance des « comités de soldats » pour organiser les conscrits face à la hiérarchie et réclamer des droits démocratiques. Elle cessera en 1975.
En 1973, la LC-FCR met en veilleuse le léninisme et ravive le thème de « l’autogestion » hérité de Tito, à la suite de la CFDT, du PS, du PSU et de l’AMR.
En 1974, le FCR se renomme LCR. Pour préparer le 1er congrès qui se tient en décembre, la LCR débat démocratiquement (bulletin intérieur, tribunes dans Rouge, temps de parole égalitaire, ce qui contraste avec le caporalisme et le culte du chef qui règnent à LO et à l’OCI). La T1 de Filoche préconise l’implantation dans les entreprises, la T2 de Krivine refuse de se prononcer clairement contre la guérilla, la T3 de Lequenne veut rejeter le léninisme et considère que l’URSS n’est pas un État ouvrier dégénéré.
En fait, ce qui met tout le monde d’accord et sauve l’unité de la LC-FCR-LCR est de s’orienter vers l’Union de la gauche.
À notre époque, le front populaire est la question principale de la stratégie de classe prolétarienne Il fournit aussi le meilleur des critères pour la différence entre bolchevisme et menchevisme. (Léon Trotsky, « Lettre au RASP/Pays-Bas », 15 juillet 1936, Œuvres t. 10, EDI, p. 248)
À juste titre, la LCR lance des « comités de soldats » pour organiser les conscrits face à la hiérarchie et réclamer des droits démocratiques. Elle cessera en 1975.
En 1974, sous la pression de la petite-bourgeoisie qui s’empare des questions écologiques, la LCR se prononce contre l’énergie nucléaire. Elle lance des « groupes femmes » et publie à l’appui le journal Les Pétroleuses (remplacé en 1978 par les Cahiers du féminisme qui disparaitront en 1998).
À l’élection présidentielle, Krivine se dit prêt à soutenir au premier tour la candidature du syndicaliste Piaget, militant de la CFDT-de Lip et membre du PSU. Mais Rocard pousse le PSU à soutenir Mitterrand dès le premier tour. Faute de Piaget, le FCR présente de nouveau Krivine, dont le score se réduit à 0,36 %. LO présente Laguiller, « une femme, une travailleuse, une révolutionnaire », qui obtient 2,33 % des voix. L’OCI critique LO et LCR pour avoir osé présenter des candidats contre ceux des partis sociaux-impérialistes.
La révolution éclate au Portugal en avril 1974. Les sociaux-démocrates (PSP) et les staliniens (PCP) divisent de manière forcenée les rangs ouvriers. Au lieu de se prononcer pour le pouvoir des comités et la rupture des partis ouvriers avec la bourgeoisie et en particulier l’état-major de l’armée (MFA) qui dirige sans être élu, la LCR appuie de fait le bloc du MFA et du PCP.
L’AMR rentre dans le PSU. La LCR est à son apogée avec 3 800 militants. Son appareil, au total, comprend 125 permanents. En mai 1975, la LCR décide de publier un quotidien disproportionné à sa taille, avec l’approbation de Filoche. Il voit le jour en 1976.
En janvier 1977, LO, la LCR et l’OCT concluent un accord pour présenter des listes communes dans 32 communes. Krivine et Métais représentent la LCR à la conférence de presse de lancement de la campagne. LO, LCR et OCT ne demandent pas au PCF et au PS de rompre avec le PRG et les « gaullistes de gauche » mais se contentent de vœux pieux, « de ne pas faire confiance aux partis de gauche ».
Une minorité quitte la LCR et rejoint les pablistes tendance Pablo qui sortent du PSU pour lancer les Comités communistes pour l’autogestion (CCA).
En septembre 1977, le PCF s’en prend soudain au PS et mène une opération de division forcenée, avec l’approbation de LO et de la LCR, sous le prétexte que le PS ne veut pas assez de nationalisations.
En 1978, la LCR revient la queue basse à l’UNEF, dirigée par l’OCI. La LCR décide de renoncer au quotidien. Krivine laisse Filoche se charger du plan de licenciement qui en découle.
En 1978, la révolution commence en Iran. Le SUQI suit Jack Barnes, le dirigeant du SWP/Etats-Unis, qui s’aligne, comme le stalinisme international, sur Khomeiny et la contrerévolution islamiste.
En janvier 1979, la direction historique de Krivine, Bensaïd, Sabado, Sitel, Habel, Artous… fait un bloc avec la minorité de Filoche et Dray au 3e congrès. À peine le congrès fini, elle rompt avec Filoche et forme une direction avec la tendance de Lequenne. Les résolutions du congrès ne sont pas publiées.
En 1979, la révolution éclate au Nicaragua. Au sein du SUQI, le SWP et la LCR se rapprochent pour soutenir la collaboration de classes du FSLN pilotée par Castro. Pas question de fonder une section. Le FSLN met en place une Junta de Gobierno de Reconstrucción Nacional (un front populaire avec le FPN, los Doce, le MDN…). La bourgeoise est invitée à participer à la reconstruction du capitalisme national, ce que les Etats-Unis perturbent en finançant et en armant les « contras ». La FB de la « 4e Internationale » pabliste (SUQI), menée par Moreno et le PST/Argentine, se heurte sur place au FSLN et aux services secrets cubains, ce qui la conduit à se séparer du SUQI et à collaborer avec le CORQI lambertiste au sein d’une QICI éphémère.
En mars 1979, la LCR lance une organisation de jeunesse, les JCR.
Le même mois, le gouvernement afghan d’une fraction du parti stalinien (le Parti démocratique populaire d’Afghanistan), dont les réformes progressistes (réforme agraire, émancipation des femmes) se heurtent à la contrerévolution islamiste, appelle au secours l’URSS en 1979. Kossyguine envoie des troupes et met au pouvoir l’autre fraction du PDPA. L’OCI condamne l’intervention, alors que la « 4e Internationale » de Mandel & Barnes l’approuve, de manière critique, en janvier 1980, comme Krivine et la direction de la LCR. À ce moment-là, dans la section française du SUQI, seuls Weber et la tendance qui considère que l’URSS est capitaliste ou « collectiviste bureaucratique » (Michel Lequenne, Jean-Marie Vincent, Denis Berger…) s’y opposent.
En juin 1979, se tiennent les premières élections du parlement européen. L’OCI boycotte au nom d’une argumentation opportuniste (parlementariste, voire nationale). La LCR reçoit d’un mystérieux donateur 4 millions de francs si elle fait campagne avec LO. Krivine et Bensaïd refusent de dire de qui il s’agit au comité central et au bureau politique. Krivine déclare au fil des meetings communs qu’il n’y a plus de lutte de classe en Allemagne depuis la Deuxième guerre mondiale. Jamais Laguiller ne le corrige. La LCR comme LO n’ont que mépris pour la première révolution politique de l’histoire, le soulèvement ouvrier de 1953 en Allemagne de l’est contre la bureaucratie stalinienne. La liste LO-LCR obtient 3 % des voix.
En 1979, ce qui reste de l’OCT rejoint la LCR. Mais au 4e congrès, cette même année, 400 militants scissionnent et constituent la LCI qui fusionnera avec l’OCI en 1980. Weber quitte la LCR. Des centaines d’autres s’éloignent.
En 1980, le SWP rejette officiellement le trotskysme et se retire du SUQI en 1982. Barnes exclut un tiers des militants.
Krivine et compagnie renouvèlent leur soutien à la campagne de division du PCF.
Les mesures proposées par Marchais seraient réellement révolutionnaires si elles étaient appliquées, parce qu’elles s’attaquent au capital, à la propriété privée. (Rouge, 19 septembre 1980)
Vu que l’intervention de l’URSS en Afghanistan n’est pas populaire et qu’elle se heurte aux moudjahidines islamistes armés par les Etats-Unis, le Pakistan, l’Iran et la Chine, la « 4e Internationale » (SUQI) et la LCR tournent casaque en mai 1981. Ils condamnent désormais « l’invasion ». Krivine confie à Lequenne les articles de Rouge sur l’Afghanistan.
En 1981, la LCR ne parvient pas à présenter un candidat à la présidentielle et appelle à voter « pour les candidats de gauche ». Mitterrand l’emporte au second contre Giscard. La LCR demande que le nouveau président incorpore le parti stalinien au gouvernement de front populaire.
Beaucoup de travailleurs ne comprennent pas pourquoi Mitterrand n’a pas pris de ministres PCF dans son premier gouvernement. (La Lettre de Rouge, 30 mai 1981)
LO et LCR appellent à voter pour le front populaire (UG) au second tour des législatives de 1981. Curieux « trotskystes » !
De tous les partis et organisations qui s’appuient sur les ouvriers et les paysans et parlent en leur nom, nous exigeons qu’ils rompent politiquement avec la bourgeoisie et entrent dans la voie de la lutte pour le gouvernement ouvrier et paysan. Dans cette voie, nous leur promettons un soutien complet contre la réaction capitaliste. En même temps, nous déployons une agitation inlassable autour des revendications transitoires qui devraient, à notre avis, constituer le programme du gouvernement ouvrier et paysan. (4e Internationale, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, septembre 1938, GMI, p. 28)
La direction pro-stalinienne de la LCR est déstabilisée par l’alignement immédiat du PCF sur Mitterrand. Bensaïd devient universitaire puis se consacre à partir de 1981 à la 4e Internationale pabliste et à la rédaction de livres dont il ne restera pas grand-chose, laissant la direction effective de la LCR à Krivine, Michaloux et Sabado.
En 1982, le gouvernement UG opère le tournant de l’austérité. Le FN commence à se renforcer. La LCR participe à une campagne pour une élection législatives partielle avec toute l’Union de la gauche dont le MRG-PRG et le Mouvement des démocrates.
Aux municipales de mars 1983, la LCR et LO présentent des listes communes sans avoir rien à exiger du PS et du PCF (il n’est question que de « gauche » et de « droite »).
LO et la LCR offriront ainsi à celles et ceux qui seraient tentés de s’abstenir l’occasion de voter contre les patrons sans voter pour une gauche compromise… (Alain Krivine, Rouge, 14 janvier 1983)
En juin 1983, les CCA pablistes tendance Pablo explosent : une fraction rejoint la LCR, une autre rejoint le dissident du PCF Pierre Juquin.
Une partie de l’appareil pabliste est progressivement aspirée par le PS : Sophie Bouchet-Petersen en 1980, Julien Dray avec une vingtaine de militants en 1981-1982, Denis Pingaud en 1984, Henri Weber en 1986… La fraction de Filoche passe de la défense formelle du front unique ouvrier à l’adaptation au front populaire, tout en se distinguant de Krivine et de la majorité de la LCR par le choix de la sociale-démocratie. Les rapports se tendent. En 1981, Krivine licencie Filoche qui devient contrôleur du travail en 1982 puis inspecteur en 1985.
En 1984, Filoche lance SOS Racisme avec Dray et Désir du PS. En 1987, la LOR (exclue de l’OCI en 1976) rejoint la LCR.
À la présidentielle de 1988, la LCR (sur accord entre la majorité de Krivine, la tendance de Filoche et celle de Lequenne renforcée par les ex-CCA) soutient la candidature de Juquin.
La crise du PC était telle qu’elle aboutit à l’émergence d’un courant qui se démarquait nettement de la direction sur deux questions. La première portait sur le bilan du stalinisme et le manque de réflexion du PC sur ce sujet. Le second était une exigence de cohérence stratégique en direction de la social-démocratie. (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006, p. 191)
La LCR s’efforce de fédérer les opposants du PCF, en vain car Juquin, Rigoult, Fiterman, Ralite, Hermier… ne font pas un pas vers la révolution mais vers plus de soumission à l’ordre bourgeois. Ils restent au PCF ou passent au PS, voire rejoignent les Verts-EELV, comme Juquin..
En 1989, Filoche se félicite de l’absorption de la RDA par la RFA impérialiste tandis que Krivine et Bensaïd regrettent le mur de Berlin.
Le cacique de la LCR antilibérale et antimondialisation (1989-2009)
Le mouvement antimondialisation apparait à la fin des années 1980. Ses promoteurs nient la lutte des classes, critiquent « le néolibéralisme » et « la finance » mais pas le capitalisme, accusent les organisations capitalistes interétatiques à vocation mondiale (FMI, OMC, BM…) ou les accords régionaux (UE, ALENA…) de nuire tragiquement aux États nationaux. Ils se bornent à demander une taxe sur les transactions financières internationales. Devant son succès, la LCR et la « 4e Internationale » pabliste s’y engouffrent pour retrouver une audience.
En 1989, l’ensemble de la LCR, en s’appuyant sur l’écrivain Perrault et le chanteur Renaud (qui chantera « J’ai embrassé un flic » en 2016 et soutiendra Macron au premier tour de la présidentielle de 2017), prépare un rassemblement de « personnalités » contre le sommet du G7.
Il faut attendre la fin des années 1980, les désillusions vis-à-vis des grands partis de gauche pour que la LCR reprenne pied dans les intellectuels, personnalités, artistes avec le chanteur Renaud. (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006, p. 174)
Les bavardages de « personnalités » ont été inventés, contre le front unique ouvrier, au moment de la montée du fascisme en Allemagne et en Autriche en 1932. L’IC stalinienne lance un « congrès mondial contre la guerre » avec les écrivains français Henri Barbusse et Romain Rolland.
Ce ne sont pas des révolutionnaires, mais des prêtres qui, au chevet de chaque mourant, répètent telle ou telle formule faite de mensonges consolants. Comment se manifeste, en fait, le mouvement antifasciste ? Par la préparation du congrès Barbusse à Paris. Voilà un exemple de crétinisme parlementaire capable d’ouvrir les yeux aux plus arriérés ! Inutile de penser que, pour qu’il y ait crétinisme parlementaire, il faut un parlement : en général, il suffit de tribunes abritées, éloignées du théâtre de la lutte, sur lesquelles on peut prononcer des discours, étaler des formules vides, et conclure pour 24 heures des « alliances » avec des journalistes, des pacifistes, des radicaux offensés, des ténors et des barytons. (Léon Trotsky, « Crétinisme parlementaire et diplomatique », 13 juin 1933, Le Mouvement communiste en France, Minuit, p. 414)
La direction des JCR se rapproche de Filoche, si bien que Krivine et Sabado les scissionnent en 1990. Il y a donc deux organisations de jeunesse : les JCR-Égalité (majorité) et les JCR-Autre chose (quel nom !). L’appareil de le LCR mène la vie dure, financièrement et politiquement, à la majorité. Les JCR-Égalité se séparent de la LCR en 1993 pour fonder la GR qui rejoint le courant international pabliste variante Grant (aujourd’hui, la GR roule pour Mélenchon, comme sa rivale grantiste Révolution).
En 1990, la LCR s’unit pour lancer l’appel de « 250 personnalités » à l’initiative du mouvement Ras l’front contre le FN (le NPA annoncera sa dissolution en 2010, sans que le FN ait régressé).
Face au FN, il faut mettre en place un front de résistance… Nous en appelons aux partis et aux organisations progressistes pour qu’ils créent, dans les plus brefs délais, les conditions pratiques d’une riposte unitaire. Un premier objectif devrait être la préparation d’une manifestation nationale massive rassemblant toutes celles et tous ceux qui sont résolus à barrer le chemin au racisme fasciste.
En 1992, avec le PCF et le PT, la LCR vote « non » au référendum sur l’euro comme une partie du RPR, les Verts et le FN, alors que le PS vote pour comme le RPR. LO s’abstient. Le « oui » l’emporte. Alexis Corbière, ancien dirigeant de l’AJR lambertiste en 1986, chaud partisan du « non », rejoint la LCR en 1993 (il est aujourd’hui député LFI).
Filoche part au PS avec 100 militants en 1994 dont David Assouline qui exclura Filoche du PS pour « antisémitisme »(sic) en 2017. Filoche fonde en 2018 la GDS qui soutiendra Mélenchon en 2022.
Au premier tour de l’élection présidentielle d’avril 1995, la LCR appelle à voter contre le candidat du PS et à choisir parmi les candidats LO, PCF… ou du parti bourgeois Verts. Laguiller (LO) obtient 5,3 % des voix. Son chef Hardy lance l’idée d’un parti révolutionnaire avant de rétropédaler. Cela mettrait en cause le fonctionnement, étranger à la tradition communiste révolutionnaire, de LO. Les cadres et militants qui ont pris au sérieux cet appel (dont Poutou) sont expulsés de LO en 1997. Ils fondent VdT qui fusionnera avec la LCR en 2000.
Fin 1995, le PCF, le PS, la LCR et LO s’opposent à la grève générale lors de la lutte en défense des retraites.
En Yougoslavie, la restauration du capitalisme débouche sur des projets nationalistes rivaux. L’État fédéral éclate avec des conflits armés : en 1990 de la Serbie contre l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie, en 1992 de la Serbie contre l’indépendance de la Bosnie, en 1999 de la Serbie contre l’indépendance du Kosovo. L’OTAN, incluant l’armée française sur décision de Chirac et Jospin, bombarde la Serbie en 1999.
À cette occasion, la LCR et le PCF se prononcent, à juste titre, contre l’intervention militaire. En réalité, ce qu’ils refusent est la domination des Etats-Unis. Ils appellent l’ONU et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à régler le conflit.
Au niveau européen, il est tout à fait possible d’imaginer d’ailleurs, sous l’égide de l’OSCE, avec l’ONU, le cadre d’une négociation. (L’Humanité, 25 mars 1999)
L’OTAN n’était pas le seul ni surtout le meilleur point d’appui d’un accord. On pouvait trouver les conditions d’une police multinationale (notamment composée de Serbes et d’Albanais) dans le cadre de l’OSCE pour appliquer un accord transitoire. (Rouge, 1er avril 1999)
En juin 1999, l’élection au parlement européen permet à la liste LCR-LO d’obtenir 5 % des voix et 5 députés (2 LCR dont Krivine et Vachetta, 3 LO dont Laguiller) qui s’affilient tout naturellement au groupe des anciens partis staliniens.
Les députés qui ne sont pas inscrits à un groupe parlementaire ont très peu de moyens de fonctionner et très peu d’occasions de s’exprimer. La Ligue a donc décidé, en accord avec LO, de rejoindre le GUE-NL présidée avec habileté par Francis Wurtz. Nous y avons été acceptés sans réticence… (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006, p. 233-234)
Pour Krivine, admiratif, le bureaucrate du PCF manifeste… de « l’habileté ». Voici comment Trotsky parlait des prédécesseurs de Wurtz.
La politique du Kremlin est simple : il a vendu l’Internationale à Hitler. Mais la servilité de chien avec laquelle le CPGB et le PCF ont accepté d’être vendus atteste de façon irréfutable la corruption interne de l’IC. Ni principes, ni honneur, ni conscience. (4e Internationale, Manifeste, 1940, GMI, p. 32)
Comme ses comparses staliniens défroqués du GUE et la mouvance écologiste bourgeoise, Krivine inscrit son activité parlementaire dans le mouvement antimondialiste, rebaptisé ultérieurement « altermondialiste ».
Cette présence a contribué à la mise sur pied, avec d’autres forces politiques, d’un réseau mondial de parlementaires portant les revendications du mouvement altermondialiste. (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006, p. 252)
À partir de 1999, la LCR et ce qui reste du SUQI soutiennent avec enthousiasme le Forum social mondial fondé par une aile des églises chrétiennes, la bureaucratie privilégiée de Cuba, le gouvernement de front populaire du Brésil, des écologistes, Le Monde diplomatique… Le président français Chirac envoie un observateur chaque année au forum social. Les formules creuses qui permettent de rassembler ces forces qui redoutent toutes la révolution socialiste mondiale sont : « penser global, agir local », « le monde n’est pas une marchandise », « un autre monde est possible »…
Le poulain de Krivine et Sabado, Besancenot, y fait son apprentissage en 2001.
Olivier Besancenot avait quitté son bureau de poste pour occuper un poste d’assistant parlementaire à Bruxelles… il fit notamment partie de la délégation Gauche unitaire européenne au premier Forum social mondial de Porto Alegre. (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006, p. 198)
Évidemment, on retrouve la LCR avec le PCF dans les associations françaises antimondialistes, anti-Union européenne et protectionnistes qui vont servir au rapprochement de certaines bureaucraties syndicales (CGT, FSU, SUD) et de laboratoire au populisme de gauche (PdG, LFI).
ATTAC est un mouvement altermondialiste qui correspond aux nouvelles formes de radicalisation. Nous avons de bons rapports avec eux, nous participons aux débats et nous sommes présents en leur sein. Nous participons à la Fondation Copernic. L’un des coordinateurs est un militant de la Ligue. Nous participons à son appel pour un « non » antilibéral à la Constitution européenne, avec les communistes, et des minorités au sein des Verts et du PS. (Alain Krivine, Dialogue des gauches, 2006)
Le PCF est qualifié de communiste ! En 2001, Bensaïd fonde la revue Contretemps qui ne se réfère pas à la LCR.
En janvier 2002, à 65 ans, Krivine quitte le bureau politique de la LCR. Il continue d’être l’un des trois porte-parole de la LCR avec Olivier Besancenot et Roseline Vachetta.
La LCR présente Besancenot au premier tour de l’élection présidentielle d’avril 2002, (slogan « 100 % à gauche », 4,2 % des voix ; Laguiller : 5,7 %) et appelle à voter Chirac au second tour de mai.
J’appelle à voter contre Le Pen et, dès dimanche, une fois Chirac élu, avec Olivier Besancenot, rendez-vous place de la Bastille pour lancer la mobilisation contre Chirac et le patronat. (Alain Krivine, Le Parisien, 30 avril 2002)
Rétrospectivement, Krivine se justifie au nom de la continuité de son « antifascisme ».
L’antifascisme a toujours été un élément fort, identitaire, pour nous… Toute l’histoire de la Ligue est jalonnée d’initiatives multiples sur ce terrain… (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006, p. 203)
C’est contestable à deux titres. D’une part, Occident et ON étaient de véritables organisations fascistes, comme GI, ZdP, AF… aujourd’hui. Le FN-RN n’est pas un parti nazi car il ne s’en prend pas physiquement au mouvement ouvrier.
Le fascisme ne peut instaurer son pouvoir qu’une fois les organisations ouvrières détruites… Le fascisme a pour fonction principale et unique de détruire les bastions de la démocratie prolétarienne jusqu’à leurs fondements. (Léon Trotsky, « La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne », janvier 1932, Contre le fascisme, Syllepse, p. 197, 202)
D’autre part, il est illusoire de croire que des bulletins de vote pour les grands partis bourgeois « démocratiques » pourraient empêcher le fascisme. D’ailleurs, Krivine le disait en 1969.
À quoi reconnait-on le crétin parlementaire ? On voit le crétin parlementaire totaliser les voix « de gauche » pour barrer la route au gaullisme, au fascisme, à la réaction… (Alain Krivine, La Farce électorale, Seuil, 1969, p. 41)
La consigne de vote Chirac de la LCR, du PS et du PCF en 2002, est la reprise de la ligne impuissante, avant 1933, du SPD/Allemagne (ce qui contribuera à la victoire de Hitler) puis, à partir de 1935, du PCF (ce qui aboutira à la remise du pouvoir, par l’Assemblée élue en 1936, à Pétain en 1940).
L’antifascisme n’est rien, c’est un concept vide qui sert à couvrir les canailleries du stalinisme. C’est au nom de « l’antifascisme » qu’il a organisé la collaboration de classes avec le Parti radical. (Léon Trotsky, « Lettre à Sneevliet », 13 janvier 1936, Contre le fascisme, Syllepse, p. 507-508)
Comme le parti stalinien s’est débarrassé de la dictature du prolétariat en 1976 et que ce mot d’ordre ne fait pas recette dans les milieux antimondialisation, la LCR le renie à son tour en 2003.
Notre programme est formulé dans une série de documents accessibles à tout un chacun. On peut en résumer la substance en deux mots : dictature du prolétariat. (4e Internationale, Manifeste, 1940, GMI, p. 31)
Mélenchon est admiratif, ces années-là, du colonel Chávez le populisme l’inspire.
Chávez a été la pointe avancée d’un processus large dans l’Amérique latine qui a ouvert un nouveau cycle pour notre siècle, celui de la victoire des révolutions citoyennes. (Jean-Luc Mélenchon, L’Humanité, 2013)
Il n’est pas le seul : en avril 2003, Krivine se rend au Venezuela à l’instigation d’ATTAC. Hélas, la place de conseiller du gouvernement nationaliste bourgeois est déjà prise par le « trotskyste » Alan Woods, le chef de l’organisation pabliste-grantiste TMI (représentée en France par Révolution, un soutien de Mélenchon).
Chávez défend et prône la construction du socialisme du 21e siècle… Le commandante-président est un facteur central pour la renaissance d’un projet politique à l’échelle de l’Amérique latine, projet qu’il appartient aux peuples de bâtir. (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006, p. 294)
Les peuples ont bon dos : les réussites sont attribuées en 2003 à Chávez du Venezuela, en 1979 à Ortega du Nicaragua, etc. ; mais les échecs aux peuples qui n’ont pas su « bâtir le projet » ? Qu’est-ce que ce « projet politique » ? S’il renait, quel était son prédécesseur ? Mystère…
Puisque le militaire démagogue lance l’idée d’une « 5e Internationale », la LCR est prête à se débarrasser de sa « 4e Internationale ».
Le rôle de la 4e Internationale est d’aider à la construction d’un nouveau regroupement, une… 5e Internationale, adaptée par son programme et son fonctionnement aux tâches du 21e siècle. (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006, p. 269)
En guise de « révolution citoyenne », le colonel nationaliste utilise une partie de la rente pétrolière pour tenter d’améliorer le logement, la santé et l’enseignement. Il ne met pas en cause le capitalisme, les rapports d’exploitation. La redistribution des revenus irrite la bourgeoisie impérialiste et une partie de la bourgeoisie locale qui lui est vendue, mais profite à une autre partie de la bourgeoisie vénézuéliennes. Quand les cours mondiaux du pétrole et du gaz s’effondrent en 2008, le mythe de la « révolution bolivarienne » en prend un coup. Woods, Mélenchon et Krivine passent à autre chose.
En 2005, le PS appelle à voter « oui » au référendum sur la constitution européenne comme l’UMP, l’UDF, le PRG, les Verts. La LCR, une aile du PS, le PCF, LO et le PT appellent à voter « non », comme le FN, le MRC, le MPF, DlF, le RPF…
La fondation Copernic joua un rôle fédérateur… Dans un premier temps, son appel fut signé par 200 personnalités… Cette initiative et ces convergences constituèrent un appel d’air pour toutes celles et ceux qui, depuis des années, attendaient que se rassemblent toutes les composantes de la gauche politique, syndicale et associative opposées à la gauche sociale-libérale, incarnée notamment par la direction du PS. (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006, p. 224-225)
Le PCF fait campagne commune avec la LCR, ce qui est une apothéose pour Krivine, d’autant que le « non » l’emporte nettement.
Cette campagne a été une étape décisive pour aider à refonder une gauche anticapitaliste. (Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge, Flammarion, 2006, p. 226)
En 2006, la LCR croit encore à la possibilité de se dissoudre dans une « gauche anticapitaliste » (comprenant le PCF) qui serait totalement différente de la « gauche libérale » du PS.
Il y a essentiellement deux gauches. Une qui s’est adaptée à la mondialisation libérale, principalement représentée par la direction du PS, et qui essaye de satelliser ses alliés. Et une gauche anticapitaliste encore divisée, mais présente dans l’extrême gauche, au PC, dans le mouvement syndical ou associatif. (Alain Krivine, Le Figaro, 17 aout 2006)
En tout cas, cette utopie n’a rien à voir avec la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire, qui ne peut s’opérer que dans le cadre d’une internationale prolétarienne. La « gauche » est un terme vague, qui s’oppose à la lutte des classes. Adjoindre « anticapitaliste » ne fait qu’ajouter à la confusion.
Le PCF n’est en aucun cas anticapitaliste. Il est devenu en 1934 un parti social-chauvin qui a sauvé la bourgeoisie française à chaque crise révolutionnaire (1936, 1944, 1968). Il a participé plus d’une fois à des gouvernements bourgeois (1944-1947, 1981-1984, 1997-2002) et il s’en félicite ce qui prouve qu’il recommencera si l’occasion lui en est donnée. Si les mots ont un sens, et ils en ont pour les vrais communistes, sa politique est depuis longtemps procapitaliste, voire contrerévolutionnaire.
Le patriarche du NPA écolo-réformiste (2009-2022)
En 2007, la LCR présente le postier Besancenot, à la présidentielle : il recueille 1,5 million de voix, plus de 4 %, loin devant la candidate de LO (Laguiller, 1,33 %) et celui du PT (Schivardi, 0,33 %). Face à l’effondrement du PCF (moins de 2 %, un peu plus de 700 000 voix), la direction de la LCR (Krivine, Grond, Bensaïd, Besancenot, Picquet…) annonce vouloir créer un parti regroupant tous les « anticapitalistes ». L’objectif est d’occuper le terrain laissé vide par le PCF en s’ouvrant à des mouvements antiracistes, féministes, écologistes, anarchistes… pour fonder un « Nouveau parti anticapitaliste » (NPA).
Le NPA n’aura pas à assumer l’héritage trotskyste qui n’est qu’un courant du mouvement révolutionnaire. (Alain Krivine, Le Monde, 5 février 2009)
Au fil du temps, la LCR est devenue une organisation de l’addition des luttes, de « l’intersectionnalité », de la « gauche radicale ». Sa direction veut se débarrasser d’une étiquette archaïque qui n’est plus rentable à ses yeux. Le congrès de janvier 2008 (3 200 membres, mais pas tous actifs) entérine cette liquidation qui entraine aussi la disparition des JCR.
Je suis ravi de dissoudre la LCR ! Je n’ai jamais été à genoux devant un sigle. Pour moi, la Ligue était un outil qui correspondait à une période particulière. Pour des buts identiques, nous allons construire un parti qui sera un outil bien plus large, bien plus populaire… Ce serait bien qu’il y ait moins d’organisations, mais c’est la conséquence de désaccords politiques, ou d’une confusion politique. L’éclatement n’est d’ailleurs pas si important : vous avez le PS, le PCF et le NPA, et puis au milieu, il y a ce qui reste des antilibéraux, qui ne veulent pas adhérer à une structure. (Alain Krivine, Professions politique info, 2 février 2009)
Le succès semble au rendez-vous : lors du congrès de fondation en février 2009, le NPA revendique un peu plus de 9 000 membres. Rouge laisse la place à Tout est à nous ! (un titre particulièrement stupide). La faucille et le marteau sont remplacées par un consensuel mégaphone.
Hélas pour Krivine et Bensaïd, au même moment l’ancien ministre Mélenchon lance en novembre 2008 le « Parti de gauche » (PdG) qui, lui aussi, tente de profiter de l’effondrement du PCF sur une thématique électoraliste, chauvine et étatiste. Le PdG conclut aussitôt une alliance électorale avec le PCF nommée « Front de gauche » (FdG, dissout en 2018).
Dès 2009, une partie de l’ex-LCR (Piquet, Faradji, Malaisé, Sitel…) rompt avec le NPA pour se rallier au FdG sous le nom de « Gauche unitaire » (GU), avant de se dissoudre dans le PCF en 2015. Ce n’est pas fini. Les partisans du Front de gauche représentent encore 40 % des membres du NPA lors de la conférence nationale de juin 2011. Cette « Gauche anticapitaliste » (GA) s’oppose publiquement à une candidature NPA à l’élection présidentielle. 3 des dirigeants de la GA (Pierre-François Grond, Hélène Adam et Myriam Martin) appellent publiquement à voter Mélenchon. Lors de la conférence nationale de juillet 2012, la GA propose de rejoindre le FdG. Ayant recueilli 22,3 % des voix du NPA, elle scissionne et rejoint la GU dans le FdG, emmenant 51 membres du conseil politique national du NPA et les deux conseillers régionaux.
Les réformistes de la GA, toujours membres de la « 4e Internationale » pabliste, forment « Ensemble » en 2013. On y retrouve une bonne partie de l’appareil de la LC-FCR-LCR : Charles Michaloux, Janette Habel, Antoine Artous, Pierre Rousset, Gérard Chaouat, Frank Prouhet, Robi Morder, etc.
Le NPA, le PCF et le PdG se disputent les faveurs des partis réformistes Syriza/Grèce et Podemos/Espagne, jusqu’au moment où ces derniers gouvernent au compte de leur bourgeoisie.
Il faut avoir conscience que la politique d’austérité est une véritable guerre sociale engagée contre les peuples par tous les gouvernements européens. Jusqu’à la victoire de Syriza cette guerre n’avait généré que des défaites du monde du travail et un renforcement quasi général de l’extrême droite nationaliste. La Grèce et l’Espagne avec Podemos constituent les deux exceptions à cette règle. (Alain Krivine, La Dépêche, 11 février 2015)
Au 3e congrès du NPA, en janvier 2015, l’appareil se fracture : Krivine manœuvre pour mettre en minorité le reste (Besancenot, Chauvel, Cormier, Demarcq, Miele, Poupin, Sabado…) qu’il soupçonne de vouloir trop se rapprocher du Front de gauche. Pour battre Besancenot, il doit s’appuyer sur les tendances minoritaires, donc il adopte le refus du mot d’ordre de « gouvernement anti-austérité » et de l’alliance électorale avec le Front de gauche. Pour finir, Krivine refuse de signer le texte qu’il avait pourtant initié. Il reforme, à ses conditions, une direction avec la clique de Besancenot.
Au printemps 2018, le NPA, avec LO, le PdG et le PCF, aide la bureaucratie de la CGT à s’opposer à la grève générale à la SNCF et à la RATP. Puis il organise une tournée de meetings avec Krivine pour commémorer… la grève générale de 1968 ! À cette occasion, Krivine ne dit rien de la nécessité de la prise du pouvoir par la classe ouvrière et, pour cela, de la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire. Il se moque de ceux qui ont voté Macron en 2017 en oubliant qu’il a appelé lui-même à voter Chirac en 2002.
Un exemple à ne pas suivre
Bensaïd (1946-2010) et Weber (1944-2020) sont morts avant Krivine. Aux obsèques, outre sa famille (son épouse, ses filles, ses frères…), il y avait le réformiste Filoche de l’ex-LCR, les semi-réformistes Poutou et Besancenot pour le NPA, mais aussi tout un aréopage de sociaux-impérialistes de LFI : Mélenchon, Quatennens, Bompard, Corbière.
Autre fait révélateur, l’Élysée s’est fendu d’un communiqué.
Alain Krivine vécut son existence le poing levé. Révolutionnaire corps et âme, il voulait changer la vie et ne changea jamais d’avis, prenant part durant plus d’un demi-siècle à toutes les luttes d’émancipation – étudiantes, prolétaires, syndicalistes, féministes, antiracistes et antifascistes… Le Président de la République salue une vie d’engagement et de militantisme menée avec cette soif inaltérable, cet espoir inentamé de justice et d’égalité. (Emmanuel Macron, Décès d’Alain Krivine, 13 mars)
De tels hommages sont possibles parce que Krivine, comme le prouvent ses voltefaces politiques incessantes et aussi ses coups bureaucratiques, n’avait guère de principes. Sa seule constance est d’avoir été toute sa vie un satellite du PCF. Ainsi, il a rendu bien des services à la classe dominante en contribuant activement « durant plus d’un demi-siècle » à détourner, désorienter, déformer, méséduquer, décérébrer des milliers et des milliers de travailleurs et de jeunes aspirant à la révolution.
C’est une loi que quiconque a peur de rompre avec des sociaux-patriotes deviendra inéluctablement leur agent. (Léon Trotsky, « Leçons d’Octobre », 4 novembre 1935, Œuvres, EDI, t. 7, p. 66)).