Résolution du Parti communiste russe sur le pouvoir des soviets en Ukraine, Lénine, novembre 1919

De 1917 à 1920, la révolution russe fit face aux interventions militaires étrangères de l’Allemagne, du Japon, de la France, de la Grande-Bretagne, du Japon et des Etats-Unis, ainsi qu’à une guerre civile menée par des armées blanches, tsaristes, partisanes d’une Grande Russie et antisémites. En 1919, la république des soviets Russie était totalement encerclée, selon la stratégie de Clémenceau du Parti radical. En particulier les troupes de l’impérialisme français occupaient la Crimée et l’Ukraine. Il arma aussi l’armée contrerévolutionnaire de Denikine qui s’empara du Kouban et de l’Ukraine. En octobre 1919, l’Armée rouge dirigée par Trotsky repoussa Ioudenitch à l’ouest, Koltchak à l’est et Denikine au sud.

Ce projet rédigé par Lénine servit à la séance du 21 novembre 1919 du bureau politique du PCR, anciennement POSDR-Bolchevik. La résolution fut confirmée le 3 décembre 1919 par la 8e conférence du PCR. Les crochets sont de « Révolution communiste ».

Après discussion sur l’attitude à observer envers le peuple travailleur d’Ukraine, qui se libère de l’invasion momentanée des bandes de Denikine [Anton Denikine, était le chef, de 1917 à 1920, de l’armée blanche du sud contre le pouvoir des soviets et contre la Rada ukrainienne, il a été réhabilité par Poutine en grandes pompes en 2005], le comité central du PCR, appliquant rigoureusement le principe du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, juge nécessaire de confirmer une fois de plus que le PCR persiste à reconnaitre l’indépendance de la République socialiste soviétique d’Ukraine.

Le PCR s’efforcera d’établir des relations fédératives entre la République socialiste fédérative soviétique de Russie et la République socialiste soviétique d’Ukraine, sur la base des décisions du Comité exécutif central de Russie en date du 1er juin 1919 et du Comité exécutif central d’Ukraine en date du 18 mai 1919

La culture ukrainienne (langue, école, etc.) ayant été opprimée durant des siècle par le tsarisme russe et les classe exploiteuses, le comité central du PCR fait un devoir à tous les membre du parti de contribuer par tous les moyens à lever tous les obstacles qui s’opposent au libre développement de la langue et de la culture ukrainiennes.

Étant donné que des tendances nationalistes engendrées par des siècles d’oppression se manifestent dans les couches arriérées des masses ukrainiennes, les membres du PCR sont tenus de faire preuve de la plus grande prudence à leur égard ; ils leur opposeront, dans des explications fraternelles, l’identité des intérêts des travailleurs d’Ukraine et de Russie. En territoire ukrainien, les membres du PCR s’appliqueront à mettre en pratique le droit des masses travailleuses à utiliser leur langue maternelle à l’école et dans toutes les institutions soviétiques ; à contrecarrer par tous les moyens les tentatives de russification qui consistent à refouler au second plan la langue ukrainienne, dont ils feront l’instrument de l’éducation communiste des masses travailleuses. Des mesures immédiates seront prises pour que toutes les institutions soviétiques soient dotées, en nombre suffisant, d’un personnel parlant ukrainien, et pour qu’à l’avenir tous les employés sachent s’exprimer dans cette langue.

Il importe d’assurer un contact très étroit entre les institutions soviétiques et la population paysanne autochtone. À cet effet, on prendra pour règle, même au début, lors de l’institution des comités révolutionnaires et des soviets, d’y assurer la majorité à la paysannerie laborieuse, en donnant une influence décisive aux paysans pauvres.

Étant donné qu’en Ukraine, plus encore qu’en Russie, la majeure partie de la population est constituée par la paysannerie, la tâche du pourvoir soviétique en Ukraine est de gagner la confiance non seulement des paysans pauvres, mais aussi des larges couches de la paysannerie moyenne qui, par ses véritables intérêts, est intimement liée au pouvoir des soviets. En particulier, tout en maintenant le principe de la politique du ravitaillement (stockage du blé par l’État aux prix fermes), il est indispensable de modifier les modalités d’application.

La tâche la plus urgente de la politique du ravitaillement en Ukraine doit être le prélèvement des excédents de blé dans une proportion strictement limitée, de façon à couvrir les besoins des paysans ukrainiens pauvres, des ouvriers et de l’Armée rouge. En opérant ces prélèvements, on veillera tout particulièrement aux intérêts de la paysanne rie moyenne, qu’on devra rigoureusement distinguer des koulaks [paysans riches]. Il faut démasquer en fait, aux yeux des paysans ukrainiens, la démagogie contre-révolutionnaire qui veut leur faire croire que la Russie soviétique a pour objectif de drainer le blé et les autres produits alimentaires ukrainiens pour les envoyer en Russie.

Il faut imposer aux agents du pouvoir central, à tous les militants du parti, instructeurs politiques, etc., la tâche de faire participer le plus largement possible les paysans pauvres et moyens à l’administration.

Dans le même but d’instaurer un véritable pouvoir des travailleurs, des mesures immédiates seront prises visant à empêcher l’envahissement des institutions soviétiques par les éléments de la petite bourgeoisie ukrainienne urbaine, qui ignorent les conditions d’existence des larges masses paysannes et se dissimulent souvent sous l’appellation de communistes.

La condition nécessaire à l’admission de ces éléments dans les rangs du parti, comme dans les institutions soviétiques, doit être le contrôle préalable de leurs aptitudes au travail et de leur dévouement effectif aux intérêts des travailleurs, en premier lieu au front, dans l’armée. Par- tout et en toute circonstances, ces éléments seront sou- mis au contrôle de classe rigoureux du prolétariat.

Par le manque d’organisation des paysans pauvres, le nombre important d’armes détenues par la population rurale d’Ukraine est inévitablement, comme l’a montré l’expérience, concentré entre les mains des éléments koulaks et contre-révolutionnaires, ce qui conduit en fait non à la dictature du prolétariat, mais à la domination des bandits koulaks ; la tâche primordiale de l’édification soviétique en Ukraine est donc de confisquer toutes les armes et de les concentrer entre les mains de l’Armée rouge ouvrière et paysanne.

De même, la politique agraire doit sauvegarder tout particulièrement les intérêts des exploitations des paysans pauvres et moyens.

La tâche qui se pose à la politique agraire en Ukraine est de :

Supprimer complètement la propriété foncière des hobereaux, que Denikine rétablit, et remettre leurs biens-fonds aux paysans sans terre ou qui n’en sont qu’insuffisamment pourvus.

Fonder des exploitations soviétiques en nombre et aux dimensions strictement limités, en se conformant rigoureusement dans chaque cas aux intérêts de la paysannerie d’alentour.

En ce qui concerne le groupement des paysans en communes, artels [type de coopérative], etc., on pratiquera strictement la politique du parti, qui n’admet à cet égard aucune contrainte, laissant exclusivement aux paysans la liberté de décider par eux-mêmes et en punissant avec sévérité toutes tentatives de contrainte dans ce domaine.

Considérant que la nécessité d’une étroite union de toutes les républiques soviétiques dans leur lutte contre les forces menaçantes de l’impérialisme mondial est incontestable pour tout communiste et pour tout ouvrier conscient, le PCR estime que les ouvriers et les paysans travailleurs ukrainiens décideront eux-mêmes définitivement des formes que revêtira cette union.

novembre 1919

Œuvres, Progrès, 1974, t. 30, p. 162-165, numérisé par le GMI