Les classes luttent entre elles et l’histoire continue
En 1992, avec la restauration du capitalisme en URSS par la bureaucratie stalinienne, la bourgeoisie a crié victoire à l’échelle mondiale. Elle a déclaré, tel un disque rayé, que la fin de l’histoire était arrivée, que la classe ouvrière était morte, que la lutte des classes appartenait au passé et que de toute manière la révolution n’était qu’un accident pour l’humanité et que la seule et unique civilisation que l’humanité connaitrait serait le capitalisme. Dans les pays capitalistes, les partis traditionnels de la classe ouvrière (d’origine travailliste, sociale-démocrate ou stalinienne) ont abandonné toute référence au socialisme et leurs satellites centristes sont devenus plus opportunistes.
La pratique a détruit ces aphorismes. La restauration du capitalisme n’a guère profité aux peuples d’Europe centrale, de Russie, de Chine, du Vietnam… ni à ceux d’Asie centrale. Les crises économiques n’ont pas disparu, au contraire, et elles ont même pris une dimension mondiale en 2008 et en 2020. Les conflits armés n’ont pas cessé, tantôt sous forme de guerre civile, tantôt sous forme d’intervention de forces étrangères, tantôt mêlant les deux. Les puissances impérialistes se disputent le monde, les puissances régionales se disputent un continent ou un sous-continent. La destruction de l’environnement, qui a déjà produit l’assèchement de la mer d’Aral, s’approfondit.
Et la classe ouvrière, les femmes travailleuses, les autres classes exploitées, les nationalités opprimées, les étudiants n’ont pas cessé de résister et de combattre. Ces dernières années, il y a même eu des luttes de masse en Algérie, au Soudan, à Hongkong, en Équateur, en Colombie, en Iran, en Biélorussie, aux États-Unis, en Birmanie, à Cuba… Même si elles n’ont pas pris de caractère prolétarien affirmé et si elles ont reflué.
La bourgeoisie du Kazakhstan
Le Kazakhstan qui est frontalier de la Chine et de la Russie a le potentiel de faire basculer les équilibres régionaux et d’aggraver les contradictions entre les impérialistes grâce à cette importance géostratégique. Jusqu’à présent, les gouvernements de Nazarbaïev (1992-2009) et de Tokaïev (2009-…) avaient refusé de choisir entre les États-Unis, la Chine et la Russie.
Le Kazakhstan compte parmi les pays les plus importants de l’Asie centrale d’un point de vue économique et géostratégique. Sa superficie le place au 9e rang mondial. Il possède des réserves de gaz naturel, de pétrole, de charbon, d’uranium (le premier producteur du monde), de fer, de manganèse, de chrome, de potassium… Y passent de nombreux oléoducs de pétrole et de gaz naturel. Il héberge les principales plateformes de cryptomonnaies.
L’ancien bureaucrate stalinien Nazarbaïev qui a dirigé la restauration du capitalisme au Kazakhstan, qui a été chef d’État de 1991 jusqu’en 2019, a démissionné en 2019 pour prendre le rôle de président du Conseil de sécurité du pays, est l’exemple-type de l’oligarchie qui, depuis 30 ans, s’est enrichie grâce à l’énergie et aux minerais.
Les anciens bureaucrates de l’URSS se sont transformés en classe capitaliste suite à la restauration capitaliste. Ils ont préservé les appareils répressifs des anciens régimes bureaucratiques staliniens tout en engageant un processus rapide de restauration du capitalisme et ont déclaré la guerre contre tous les acquis et les droits sociaux, pavant ainsi la voie au chômage, à la pauvreté et au fossé entre les classes.
Alors que le salaire moyen est de 570 dollars et alors que de nombreux travailleurs touchent le salaire minimum de 97 dollars, il est de notoriété publique que la famille Nazarbaïev possède une fortune nette d’un milliard de dollars et qu’elle détient des propriétés de luxe d’une valeur de 107 millions de dollars à Londres.
Le prolétariat, la paysannerie, les travailleurs du secteur informel ont subi la crise économique de 2008 et celle de 2020 et ont payé un lourd tribut à la pandémie de covid. Le chômage et l’inflation ont provoqué d’importants souffrances dans la classe ouvrière. Parallèlement à cette dégradation, les droits démocratiques ont été minés de façon méthodique par l’État bourgeois. En 2006, une dizaine d’organisations islamistes et le PKK nationaliste kurde ont été interdits. En 2015, les grèves ont été interdites, les syndicats et les partis ouvriers ont été dissous. Il subsiste sept partis politiques qui, tous, soutiennent le pouvoir en place. Des associations soutenues par des pays impérialistes occidentaux, misent sur l’hostilité envers la Chine et la Russie.
Au début des années 2000, a eu lieu l’importante grève des mineurs et des ouvriers du secteur pétrolier. Dans ces grèves, les aspects sociaux et politiques étaient prépondérants par rapport aux revendications économiques. La revendication centrale consistait en l’expropriation des entreprises du secteur pétrolier. Et les groupes communistes ou « de gauche » n’ont eu aucune influence sur ces grèves. Lorsque les mineurs se sont mis en grève en 2011, la bourgeoisie du Kazakhstan a riposté avec la terreur d’État et a fait tirer sur les ouvriers lors des manifestations à Janaozen (à l’ouest). Des dizaines d’ouvriers ont perdu la vie, des centaines ont été blessés. Mais des travailleurs ont tiré les leçons et se sont probablement organisés secrètement.
Un soulèvement d’origine prolétarienne
Début janvier 2022, la révolte des classes laborieuses du Kazakhstan a fait trembler l’État bourgeois jusqu’à ses fondations. Le pouvoir kazakhstanais, avec l’appui des gouvernements impérialistes voisins de Russie et de Chine, a soutenu que le mouvement était fomenté de l’extérieur, soit par le gouvernement impérialiste le plus puissant, celui des États-Unis, soit par les islamistes en lien avec l’Afghanistan ou la Syrie.
Pourtant, ce soulèvement a un caractère social et de classe. Il se produit sur fond d’incessantes luttes de la classe ouvrière contre les destructions causées par la restauration du capitalisme depuis 1992, contre la dépendance économique du pays, contre l’accaparement des richesses par une bourgeoisie compradore (« oligarques ») issue de l’ancienne bureaucratie stalinienne, contre les restrictions aux libertés démocratiques et le despotisme du régime.
Le sujet à l’origine de la crise politique n’est autre que la classe ouvrière. Le 2 janvier, les ouvriers du secteur pétrolier de Janaozen descendent dans la rue et bloquent les routes contre l’augmentation du prix du gaz naturel qui sert de carburant et aussi de chauffage (depuis 2019, le gouvernement libère les prix). Le 3, les manifestants de Janaozen demandent aussi l’élection des responsables locaux (qui sont désignés par le gouvernement).
La protestation s’est étendue à tout le pays les 3 et 4 janvier : Aqtaw, la capitale Noursoultan, la plus grande ville Almaty (ancienne Alma-Ata), Chymkent, Manguistaou… Tous les sites pétroliers et gaziers, les mines de charbon et de cuivre ont été touchés. Le 4 janvier, les travailleurs de l’entreprise pétrolière Tengizchevroil, la plus grande du pays, dont les capitaux appartiennent à 75 % à des entreprises américaines se sont mis en grève. La particularité de cette entreprise est qu’il était prévu de mettre fin à l’emploi de 40 000 ouvriers dans une succession de plans de licenciements. Des comités ouvriers ont exigé la stabilisation du prix de l’énergie et de l’alimentation, une augmentation des salaires de 100 %, une amélioration des conditions de travail et la liberté syndicale.
Des chômeurs, des employés ont participé en nombre aux manifestations. Les slogans étaient le plus souvent en kazakh, la principale langue du pays (de la famille turque) avec le russe. Celui qui était repris dans toutes les manifestations était « Sahl, ket ! » (« Tire-toi, le vieux ! »), qui s’adressait au système mis en place par Nazarbaïev et continué par Tokaïev. Les revendications étaient très diverses suivant les lieux : un meilleur salaire, un âge de départ à la retraite plus précoce, le droit de constituer des syndicats et de faire grève, la démission du Président de la République et de tous les responsables liés à Nazarbaïev, la restauration de la Constitution de 1993, la liberté de créer des partis (le parti au pouvoir est Nour Otan, la loi électorale empêche la plupart des autres de participer aux scrutins), la libération de tous les prisonniers politiques ainsi que l’arrêt de toute répression.
Le lumpen a profité des troubles pour piller. Il est probable que les islamistes se sont mêlés aux manifestations (le gouvernement a parlé de deux policiers décapités : si c’est vrai, ce qui n’est pas sûr, c’est la preuve de l’implication de ces organisations contrerévolutionnaires).
La répression sanglante menée par Tokaïev
Le gouvernement kazakh a coupé l’accès à internet dans le pays, arrêté les journalistes et ordonné aux forces de l’ordre de faire feu sans sommation sur les travailleurs.
À la lutte et aux revendications des classes laborieuses, les oligarques du Kazakhstan ont répondu par une redoutable terreur étatique. Les travailleurs, eux, ont su y répondre en constituant leurs propres organisations d’autodéfense. Ils se sont armés en pillant les armureries commerciales, et au sein de la police et de l’armée certaines sections ont refusé de tirer sur les manifestants ou bien ont rejoint leurs rangs.
Les groupes capitalistes américains qui exploitent les travailleurs du pays ont appelé à maintenir l’ordre. Le gouvernement chinois a approuvé la répression. Le chef de l’État biélorusse Loukachenko a appelé les travailleurs du Kazakhstan à s’agenouiller devant l’armée et à demander pardon.
Tokaïev a fait appel à l’aide militaire de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) qui a été mise en place sous la direction de la Russie et qui comprend l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan contre la pression militaire des États-Unis (et l’influence grandissante de la Chine). Le 6 janvier, la Russie, l’Arménie et la Biélorussie ont envoyé des troupes pour sauver le régime. Même si l’armée russe n’a pas réprimé, elle a contribué au retour à l’ordre bourgeois et consolidé pour un temps le régime.
La principale raison de l’intervention de l’OTSC très rapide pour écraser cette révolte est la crainte, éprouvée par Poutine et les gouvernements voisins, d’une éventuelle contagion de la révolte dans leur propre pays et la conscience que la radicalité ouvrière qui est apparue possède le potentiel d’ouvrir la voie aux révolutions d’octobre du XXIe siècle. Un autre motif est de contrer l’influence des États-Unis, de la Chine et de la Turquie.
Tokaïev a rendu responsable le clan de Nazarbaïev (81 ans), a changé de gouvernement le 5 janvier, a remplacé celui-ci au Conseil de sécurité et a chassé plusieurs ministres ou responsables qui étaient liés au vieux politicien. Il en a même arrêté certains, comme il a rétabli internet et a annulé l’augmentation du prix du gaz. Le gouvernement n’a produit aucune preuve d’une intervention étrangère. 225 personnes ont été tuées, 12 000 ont été arrêtées (International Crisis Group, 14 janvier).
Les tâches révolutionnaires du prolétariat
Depuis plus de 20 ans, la classe ouvrière du Kazakhstan (particulièrement les mineurs et les ouvriers du secteur pétrolier) a accumulé d’importantes expériences de lutte. Elle a transformé en tradition ses expériences d’auto-organisation. Et aujourd’hui aussi, elle a démontré au monde entier qu’elle était en mesure d’organiser la grève générale grâce aux collectifs ouvriers et de paralyser le capitalisme du Kazakhstan, ainsi que sa capacité à organiser son autodéfenses face à la terreur d’État.
Cependant, elle n’a pas pu prendre le pouvoir et a été écrasée une nouvelle fois, avec l’aide de l’impérialisme russe, l’approbation de l’impérialisme chinois, le soulagement de l’impérialisme américain.
Il s’agit de la question de la direction révolutionnaire de la classe, de celle du programme révolutionnaire. La classe ouvrière du Kazakhstan est parvenue à déstabiliser l’État bourgeois, mais elle n’a pas été capable de prendre la tête de tous les exploités et de tous les opprimés pour instaurer son pouvoir, elle n’a pas eu le temps de s’adresser aux conscrits des troupes de l’OTSC et aux peuples voisins pour empêcher toute immixtion contrerévolutionnaire.
Dans l’époque du pourrissement du capitalisme, la bourgeoisie est incapable de répondre aux revendications les plus démocratiques mais ne voit pas de problème à inviter les armées d’autres pays pour les étouffer. Par conséquent, même la question de la mise en place des revendications les plus démocratiques de la classe ouvrière trouve sa solution dans la révolution prolétarienne. Mais il lui faut déjouer les pièges de la bourgeoisie « démocratique » ou islamo-fasciste.
La seule force qui doit déterminer l’avenir du pays et de l’Asie centrale est la classe ouvrière. Il lui faut un parti révolutionnaire et de masse, qui ne peut être construit que sur la base du marxisme et en lien avec l’avant-garde de la région et du monde entier.
- Dissolution de toutes les forces de répression de l’oligarchie de Tokaïev ! Milices ouvrières et populaires pour les remplacer ! Toutes les troupes étrangères, hors du Kazakhstan !
- Liberté pour tous les prisonniers politiques ! Droit de grève, droit de s’exprimer, droit de manifester, droit à constituer un syndicat ou un parti politique, tous les droits démocratiques doivent être assurés !
- Échelle mobile des salaires ! Réduction du temps de travail jusqu’à l’embauche de tous les chômeurs sans réduction de salaire !
- Confiscation des usines, de toutes les mines et de toutes les ressources naturelles, des banques, des services de communication sous contrôle ouvrier ! Expropriation de toute la grande bourgeoisie, nationale et étrangère !
- Égalité des femmes ! Criminalisation des violences domestiques envers les femmes !
- Constitution de conseils de travailleurs urbains, de conscrits, de paysans travailleurs, d’étudiants dans les lieux de travail, dans les écoles, les quartiers, l’armée, dans les villages, dans tout le pays !
- Gouvernement ouvrier et paysan ! Fédération soviétique de l’Asie centrale !
- Construction du parti révolutionnaire de la classe ouvrière par les noyaux communistes existant autour du programme marxiste !
- Solidarité internationale avec les travailleurs du Kazakhstan de toutes les organisations ouvrières à commencer par celles des pays de l’Organisation du traité de sécurité collective !