D’ici 5 à 10 ans, les coordonnées auront complètement changé. Souvent, on pense à la LCR comme obstacle. Ils n’ont pas tort. Le NPA est un changement quantitatif et qualitatif. (Daniel Bensaid, Intervention au congrès de dissolution de la LCR, 5 février 2009)
Un « parti large » amaigri
En 2007, la LCR, l’organisation française issue des liquidateurs de la 4e Internationale (Pablo, Mandel, Moreno, Hansen…), souhaite profiter de ses bons résultats aux présidentielles de 2002 et 2007 (Olivier Besancenot atteint 4,25 % puis 4,08 %) et de l’effondrement du PCF (respectivement 3,37 % et 1,93 %) pour occuper l’espace réformiste laissé par ce dernier.
S’enfonçant dans la crise et perdant sans cesse du terrain électoral et militant, le PCF se laisse de plus en plus satelliser par le PS. Cependant il existe encore dans ce parti une force militante que nous retrouvons à nos côtés dans certaines de nos luttes. (Principes fondateurs du Nouveau parti anticapitaliste, 8 février 2009)
Dans ce but, Bensaid, Krivine, Sabado et Besancenot sabordent la LCR et lancent le Nouveau parti anticapitaliste en 2009, en abandonnant les dernières références au communisme, y compris la faucille et le marteau. La nouvelle formation s’ouvre à l’anarchisme et à l’antimondialisme, aux tendances petite-bourgeoises du féminisme et de l’écologisme… Le NPA revendique alors 9 000 militants, contre 3 400 pour la LCR dissoute. Mais l’euphorie va vite s’estomper car, entretemps, le Front de gauche, fondé par le PCF et le PdG de Mélenchon, un transfuge chauvin du PS, aimante l’ex-LCR. Celle-ci et ses ancêtres avaient depuis 1949-1951 pour boussole non pas le prolétariat mondial, mais le PCF. À la différence de sa rivale plus terne, VO-LO, littéralement façonnée par le PCF (alors hégémonique dans le mouvement ouvrier français) et la bureaucratie de la CGT, la JCR-LC-LCR, membre d’un courant réellement international, était aussi portée par les idéologies -changeantes- de la petite bourgeoisie mondiale.
La contradiction entre le projet du NPA et le succès inattendu du Front de gauche va déchirer les pablistes à plusieurs reprises entrainant une partie dans le giron du FdG, dans Ensemble (GA et C&R) ou directement dans le PCF (GU). Lors de son congrès de 2018 le NPA ne compte plus que 1 400 membres, beaucoup moins que la LCR d’avant sa liquidation. La saignée n’est pas terminée : en 2021, l’une de ses tendances, le CCR-RP (une variante du même révisionnisme), quitte l’organisation sans divergence politique majeure mais sur un désaccord de casting du candidat à la présidentielle de 2022 [voir Révolution communiste n° 44].
Philippe Poutou qui avait déjà mené les deux campagnes précédentes a été désigné lors d’une conférence nationale les 26 et 27 juin 2021, sur la base de la plateforme de la direction sortante. Ancien ouvrier de l’usine Ford de Blanquefort, licencié lors de sa fermeture en 2019, il est passé par LO. Il en a été éjecté en 1997 par le chef Hardy avec plusieurs dizaines d’autres sous un prétexte (deux militants auraient osé coucher ensemble pendant une caravane d’été, ce qui était proscrit par Hardy). En fait, il s’agit de l’aile de LO qui avait pris au sérieux l’annonce par LO de fonder un parti révolutionnaire en 1995 (quand la candidate Laguiller dépassa 5 % des voix). Finalement exclus, ils formèrent VdT qui, faute de perspective, intégra en 2000 la LCR.
En 2012, le NPA mise sur cet ouvrier qui tranche avec les professionnels de la politique pour l’élection présidentielle. 5 ans plus tard, il remettra ça, avec un coup d’éclat lors du débat télévisé du premier tour durant lequel il attaque les largesses des candidats de LR et du RN avec les deniers publics.
L’année suivante, il se déclare « prêt à mener la bagarre aux côtés de l’État et des collectivités territoriales » pour empêcher la fermeture par le groupe Ford du site où il est responsable CGT (Europe 1, 15 octobre 2018).
En 2020, il est élu au conseil municipal de Bordeaux sur une liste d’alliance NPA-LFI-GJ, enthousiaste sur ses nouveaux compagnons de route.
Avec la France insoumise, nous avons tenté quelque chose à Bordeaux, nous sommes passés à l’action, et maintenant il faut voir comment construire à partir de ça. (La Tribune, 21 septembre 2020)
Un pied dans le réformisme
Sur le volet social, le NPA, comme le PCF, reprend diverses revendications ouvrières : SMIC à 1 800 euros net, augmentation des salaires, indexation de ceux-ci sur les prix, semaine de 28 heures, retraite à 60 ans, six semaines de congés payés, interdiction des licenciements… En revanche, pour imposer de telles mesures, le NPA ne mise pas sur le mouvement conscient de la classe ouvrière, encore moins sur la révolution socialiste et la dictature du prolétariat, mais sur les vieilles lunes réformistes de régulation du capitalisme.
De telles mesures ne sont pas une utopie, mais elles ne peuvent être financées que si l’on prend sur les profits. Pour les imposer il faudra construire des mobilisations, des luttes, comme celles qui ont permis d’obtenir la journée de 8 h ou les congés payés. (NPA, Travail : ne pas perdre sa vie à la gagner, 23 janvier 2022)
Le texte présenté lors de la conférence nationale « présidentielle 2022 » du NPA par la direction sortante est un condensé d’opportunisme. Reprenant au stalinisme et à l’antimondialisme, la critique d’un « néolibéralisme » qui serait le véritable ennemi en lieu et place du capitalisme dans son ensemble, il falsifie l’histoire en présentant la Commune de Paris comme « une assemblée constituante appuyée sur les mobilisations » et non comme la classe ouvrière exerçant le pouvoir.
C’est en général le sort des formations historiques entièrement nouvelles d’être prises à tort pour la réplique de formes plus anciennes, et même éteintes, de la vie sociale, avec lesquelles elles peuvent offrir une certaine ressemblance. Le véritable secret de la Commune, le voici : c’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des exploiteurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail. (Karl Marx, La Guerre civile en France, 30 mai 1871)
Le NPA, sous le vocable d’« écosocialisme », fait aussi des concessions à l’écologie réactionnaire, celle du repli national dissimulé en « circuits courts », celle de Pierre Rabhi en prêchant une « sobriété productive » et des « anti-nucléaires » bien ancrés dans le NPA puisque celui-ci proposait déjà en 2016 de compenser la fermeture des centrales nucléaires par « un maintien temporaire de la production thermique actuelle (gaz charbon) », s’alignant ainsi sur les partis bourgeois allemand Grünen, belge Ecolo ou français EELV, et illustrant comment l’obscurantisme antiscientifique peut aggraver la crise climatique.
L’autre pied dans la bureaucratie syndicale
Les trahisons des appareils syndicaux, aidant objectivement les gouvernements à faire passer toutes leurs attaques contre les travailleurs, en démoralisant les plus combattifs via des journées d’action, en négociant dans le secret avec le patronat ou sa représentation politique, ne sont jamais dénoncées. Pire, elles sont appuyées par Poutou et ses compères qui invitent avec enthousiasme à marcher au pas derrière les bureaucraties syndicales.
La journée de mobilisation publique-privée de ce jeudi 27 janvier est justement pour des augmentations de salaires, avec la défense des conditions de travail. Il n’y a rien de mieux que manifester et lutter ensemble, par la grève et dans la rue. Car pour changer la donne, c’est changer le climat social dans la société, c’est changer le rapport de force, c’est reconstruire un mouvement de contestation pour se faire craindre du pouvoir… Et pourtant, la seule issue pour nous, c’est bien un mouvement social profond et radical. Ça viendra quand ça pourra mais déjà c’est à préparer. Et jeudi sera une étape forcément. (Philippe Poutou, Facebook, 25 janvier 2022)
Il faut dire que le NPA et son clone Ensemble sont impliquées dans les appareils des SUD et de la FSU, voire de la CGT. La seule critique adressée aux directions syndicales qui concerne leur soutien à Macron lors de la crise des gilets jaunes [voir Révolution communiste n° 33] est présentée comme une simple insuffisance, sans jamais mentionner leur corruption par l’État bourgeois qui l’explique.
L’affrontement n’a jamais été construit à une hauteur suffisante par le mouvement syndical, mais des millions de salariéEs ont cherché à faire face à la dégradation de leur situation en se mobilisant. (NPA, Plateforme 2 à la conférence nationale « présidentielle 2022 », juin 2021)
Jamais les journées d’action, les négociations des attaques du gouvernement ou la cogestion des entreprises capitalistes des appareils syndicaux ne sont combattues ni même dénoncées par le NPA qui en est souvent partie prenante.
Le mot d’ordre essentiel dans cette lutte est : indépendance complète et inconditionnelle des syndicats vis-à-vis de l’État capitaliste. Cela signifie : lutte pour transformer les syndicats en organes des masses exploitées et non en organes d’une aristocratie ouvrière. (Trotsky, Les Syndicats à l’époque de la décadence impérialiste, aout 1940)
Aux illusions dangereuses
Le programme de Poutou n’explicite pas non plus comment il compte « exproprier les grandes entreprises et tout le système financier et mettre en place une planification » car pour lui, nul besoin d’un parti révolutionnaire, la multiplication des luttes isolées suffit, le « mouvement social » fera le reste.
Et pour cela, on n’a que la lutte ensemble, tous ensemble, déterminée. Mais on a aussi besoin de retrouver de la confiance en nous, dans notre camp social, parmi les forces militantes… on a à reconstruire le mouvement social. (Philippe Poutou, Notre meilleure chance de victoire reste dans l’hypothèse d’un mouvement social profond, 13 janvier 2022)
Mais le capitalisme ne se laissera ni exproprier ni taxer tant qu’il lui restera son État, sa police ou même la carte du fascisme pour s’y opposer, là-dessus aussi le NPA fait silence et se contente d’en appeler à de brumeuses mobilisations.
C’est pourquoi un axe central de notre campagne sera de construire des fronts contre les thématiques réactionnaires et d’avancer la nécessité de lutter pied à pied contre l’extrême-droite en construisant les mobilisations unitaires les plus larges. (NPA, Déclaration adoptée par la conférence nationale, 27 juin 2021)
Concernant les corps de répression de la bourgeoisie, il n’est, pour le NPA, pas question de les dissoudre au profit de l’armement du peuple mais de « désarmer » uniquement la « police en contact avec la population et la placer sous contrôle démocratique », seules la BRI et la BRAV sont appelées à être supprimées. Tel est le but de ces « révolutionnaires » en paroles, pacifistes en fait, laisser la classe ouvrière impuissante face au capital et son talon de fer.
L’ordre public assuré par une police située au-dessus du peuple et par un corps de fonctionnaires, fidèles serviteurs de la bourgeoisie, ainsi que par une armée permanente… : tel est l’idéal de la république parlementaire bourgeoise, qui s’attache à perpétuer la domination du capital. L’ordre public assuré par une milice populaire dont tout le monde — hommes et femmes — fera partie… ; des autorités non seulement élues et révocables à tout moment, mais recevant un salaire d’ouvrier, et non des traitements « princiers » ou bourgeois : tel est l’idéal de la classe ouvrière. (Lénine, La Milice prolétarienne, 3 mai 1917)
Poutou et le NPA ont abandonné la perspective révolutionnaire et cherchent des raccourcis à la prise du pouvoir par la classe ouvrière, ils capitulent devant les bureaucraties syndicales et ils misent sur les mouvements identitaires ou intersectionnels petits-bourgeois ou des combinaisons fronts populistes. Ils rejettent les conséquences néfastes de leur propre politique sur les travailleurs eux-mêmes qui seraient emplis d’illusion et de fatalisme.
Alors au lieu de se morfondre sur les sondages qui promettent la défaite de la gauche, finalement notre meilleure chance de victoire reste dans l’hypothèse d’un mouvement social profond, d’une véritable colère contre le monde capitaliste, qui secoue les croyances et les fatalismes. (Philippe Poutou, Notre meilleure chance de victoire reste dans l’hypothèse d’un mouvement social profond, 13 janvier 2022)