Le candidat Roussel
Fils d’un élu PCF de Béthune devenu journaliste à L’Humanité, Fabien Roussel n’a pas galéré après le bac : il a été embauché à L’Humanité, a fait des études dans une université privée, le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes. À 28 ans, il entre comme conseiller au cabinet de Michelle Demessine, secrétaire d’État PCF chargée du tourisme dans le gouvernement Chirac-Jospin. Ensuite, il devient attaché parlementaire des députés PCF Candelier puis Bocquet. En 2014, il est élu au conseil municipal de Saint-Amand-les-Eaux sur la liste Bocquet dont il héritera du siège de député trois ans plus tard.
Le congrès du PCF de novembre 2018 le choisit, comme secrétaire national, son « manifeste pour un parti communiste du XXIe siècle » devançant de 4 % « le communisme est la question du XXIe siècle » du secrétaire national sorti, Pierre Laurent. Faut-il préciser, au vu des intitulés eux-mêmes, que les divergences n’étaient pas insurmontables… Ils étaient d’ailleurs tous d’accord pour voter Macron au second tour de 2017.
En mai 2021, sa désignation comme candidat du PCF à l’élection présidentielle est conçue comme un tremplin pour les législatives qui suivront, l’objectif étant de retrouver un groupe à l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas arrivé depuis 2007. En effet, le Front de gauche avec LFI n’a pas payé, les candidatures Mélenchon 2012 et 2017 ont profité à… Mélenchon. Par contre, l’union de la gauche à géométrie variable a engrangé des résultats aux dernières élections municipales, départementales et régionales, des listes PS-PRG-GDS-EELV-LFI-PCF permettant au PCF de compter 600 maires et 6 000 élus locaux. Leurs signatures sont d’ores et déjà engrangées pour parrainer Roussel et ce vivier potentiel a été soigneusement asséché au cas où Mélenchon aurait voulu y pêcher.
Un souverainiste de plus
À la rentrée, le candidat du PCF sort un livre qu’il intitule Ma France, dans lequel ce patriote regrette qu’après le référendum européen sur le traité constitutionnel « le PC (dirigé par Buffet puis Laurent) n’ait pas su porter cette exigence de respect de la souveraineté, de la nation ». Début janvier, il qualifie de choix « malvenu et regrettable » l’accrochage du drapeau européen sous l’Arc de triomphe, saluant une fois de plus le symbole des Versaillais et des guerres napoléoniennes puis impérialistes.
Pendant la campagne des régionales de 2015, sur la chaine Public Sénat, il demande que « l’armée s’engage dans une mission humanitaire à Calais pour sécuriser le lieu » (27 novembre 2015).
En juin 2021, Roussel choisit la chaine de télévision Cnews, fleuron médiatique de Bolloré et bastion de Zemmour, pour emboiter le pas à Macron qui venait d’annoncer une nouvelle accélération des expulsions de travailleurs, d’hommes, de femmes, d’enfants auxquels sa France chérie refuse l’asile :
S’ils n’ont pas vocation à rester sur le sol français, ils ont vocation à repartir et être raccompagnés chez eux […] Je dis effectivement que quand on ne bénéficie pas du droit d’asile on a vocation à rentrer chez soi. (16 juin 2021).
Le slogan « L’humain d’abord » ne vaut donc pas pour les migrants, pas pour les plus dominés, les plus menacés ; le PCF ne défendra pas leur droit aux « jours heureux ».
Il faut dire qu’il est très mobilisé pour défendre les flics dont une des tâches est de les pourchasser. À la fête de L’Humanité, il se désolidarise des spectateurs (pour beaucoup des militants et des sympathisants des JC) qui, au concert du rappeur Soso Maness, ont repris en chœur le slogan : « Tout le monde déteste la police ».
Je les condamne fermement, je ne les cautionne pas, je défends trop justement le métier des gardiens de la paix […] de ces ouvriers de la sécurité comme je les appelle.
Le 19 mai, Roussel participe à la manifestation orchestrée par Alliance Police devant l’Assemblée nationale, comme Darmanin et tous les partis bourgeois. Il enchérit sur les exigences des représentants fascisants des corps de répression.
Pour l’effectif policier, pas de quotas, Roussel en veut 30 000 de plus, formant une « police de proximité » (proposition 29 de son programme). Il exige « une peine de 30 ans de sureté carcérale pour l’assassinat de fonctionnaires de police » et autres « détenteurs d’autorité ».
Et combien d’années pour les assassins au sommet des États européens et ceux qui les servent, responsables directs de la mort de 6 personnes en moyenne chaque jour en Méditerranée, plus de 20 000 noyés depuis 2014 ? Combien d’années pour les patrons quand 900 000 accidents du travail arrivent en France chaque année, en moyenne 2 mortels par semaine ? Sur combien d’années de prison ont débouché les 1 460 enquêtes, dont 868 pour violences volontaires traitées par l’inspection générale de la police nationale en 2019 soit + 41 % par rapport à 2018 (derniers chiffres IGPN communiqués) ?
Pas de réponse dans la prose du PCF qui a pourtant décidé de faire de « la sécurité » un des thèmes principaux de sa campagne. Évidemment parce qu’il ne s’agit pas de la sécurité des jeunes arabes ou noirs dont 80 % ont été contrôlés par la police entre 2012 et 2017 quand le reste de la population l’a été à 16 % (chiffres du Défenseur des droits). Il ne s’agit pas de dénoncer l’insécurité qui frappe les hommes et les femmes laissés dans la rue, dont 2 000 meurent chaque année, en moyenne à 49,6 ans, des vies écourtées de 30 ans (rapport du Collectif Les morts de la rue). Il ne s’agit pas non plus de se servir de la tribune qu’offre l’élection pour mobiliser sur l’insécurité due au chômage, à la pauvreté.
Elle touche 21 % des Français. Globalement, la capacité à boucler son budget a diminué : près d’un tiers de la population (32 %) rencontre désormais des difficultés pour payer son loyer, son emprunt immobilier ou ses charges liées au logement (+7 points). En matière de santé, ils sont 29 % à avoir du mal à disposer d’une mutuelle santé (+8 points). Résultat, plus du tiers (36 %) est toujours embarrassé pour payer les actes médicaux mal remboursés par la Sécurité sociale. (Insee, septembre 2021)
Ce que le PCF entend par « reconquérir l’électorat populaire »
Le candidat du PCF fait comme si la classe ouvrière votait en bloc RN et qu’il convenait par conséquent de l’inviter à comparer les solutions de Roussel à celles de Le Pen.
Il ne faut pas laisser au seul FN la mainmise sur des sujets comme la nation, la souveraineté, la sécurité, le vivre ensemble. (Ma France)
Hormis le fait accablant que les mêmes thèmes accouchent des mêmes propositions (redorer le blason de la France dans le monde, relocaliser, augmenter le nombre de policiers, soutenir les expéditions militaires françaises, réformer l’Union européenne, réprimer plus fermement la petite délinquance, réduire l’immigration, expulser les migrants, augmenter les salaires, manger et boire français…), la politique du PCF tourne sciemment le dos à la population laborieuse qu’un véritable parti ouvrier chercherait à mobiliser, celle qui s’abstient aux élections dans une très large majorité, qui a expérimenté de quel côté sont les flics quand elle manifeste ou fait grève, qui se montre solidaire des femmes et des hommes exilés, qui exècre Pécresse que Roussel a invitée à la fête de L’Humanité, qui vomit Le Pen et Zemmour avec lesquels le PCF a copiné devant l’Assemblée le 19 mai.
L’électeur du RN n’est en général ni fasciste, ni raciste, ni sexiste, ni homophobe. (Fabien Roussel, Ma France)
Rien à faire, les yeux du candidat du PCF louchent à droite toute, ce qui n’aide pas une vision claire ; mais de là à ignorer que ce n’est pas l’antifascisme, l’antiracisme, le soutien à la cause des femmes et la défense des homosexuel(le)s qui motivent les électeurs à voter pour le RN…
Une entreprise de désorientation politique
Totalement intégré à l’ordre bourgeois, depuis plus de 80 ans, le PCF participe à la désorientation politique de la classe ouvrière. En ayant toujours « la nation » à la bouche, il masque les antagonismes de classe. Alors que les intérêts du capital et ceux du travail sont irrémédiablement opposés, « La France en commun » du PCF berce d’illusions les prolétaires, obscurcit leur conscience qu’il est nécessaire de s’organiser contre la bourgeoisie, la classe des possédants, qu’il faut une révolution pour lui arracher le pouvoir.
La France du travail est aussi celle des petits patrons et même si cela peut paraitre surprenant de la part d’un secrétaire national du PCF, je souhaite prendre leur défense […] Je ne suis pas opposé aux dividendes que se versent des petits patrons. (Ma France)
Suit une dénonciation des « charges qui pèsent sur les petits entrepreneurs ». La défense des petits patrons, sous-entendus « pas des gros bien-sûr », sert à introduire la vraie position du PCF : « pas favorable à ce que tous les secteurs de l’économie soient mis sous la coupe d’un État patron », « l’étatisme a montré ses limites ». C’est la défense de la propriété privée des moyens de produire et de distribuer, la légitimation de l’exploitation de la main d’œuvre salariée. Nationaliser parfois, exproprier jamais.
Le PCF se prononce pour « une économie de marché régulée par un État stratège ». En termes marxistes, cela signifie : pour le maintien du mode de production capitaliste, pour gérer l’État bourgeois. Le chef du PCF prend en exemple Biden, qui prétendait financer son plan de relance en augmentant les impôts des plus riches
J’ai l’impression qu’il a pris sa carte au Parti communiste français ! […] Le sémillant Joe Biden aux États-Unis donne des leçons au Macron qui défend un vieux modèle économique qui dit qu’il ne faut pas toucher au capital et aux plus riches. C’est terminé ! Aujourd’hui, tout le monde appelle à de la solidarité, à lutter contre les inégalités. (Fabien Roussel, France 2, 30 avril 2021)
Le dirigeant du plus puissant pays capitaliste au monde, issu d’un parti bourgeois (le Parti démocrate) qui initia la guerre du Vietnam, est LE modèle pour Roussel ! Outre la stupidité de croire que Biden fera payer, seulement et beaucoup, les riches (il a renoncé depuis à ces mesures pourtant modestes), le candidat du PCF veut faire avaler à ceux qui l’écoutent qu’il n’y a pas deux classes fondamentales dont l’une, la classe des capitalistes, vit du travail de l’autre, la classe ouvrière. Non « tout le monde n’appelle pas à la solidarité et à lutter contre les inégalités » !
Le partage des richesses, c’est tout ce que nous demandons. (Fabien Roussel, France 2, 30 avril 2021)
Le candidat Roussel s’adresse à la classe dominante, à ses partis, à son personnel politique, à ses médias : « voyez comme je suis raisonnable ! » Mais croire que le capital est une galette qui se partage relève de l’enfantillage ou de l’ignorance crasse. Chaque miette que le prolétaire mange est le résultat d’une lutte contre les possesseurs des moyens de fabriquer le gâteau ; alors qu’ils ne travaillent pas, ils s’approprient la production et résistent pour que la plus grosse part reste dans leurs mains. Et tout particulièrement, ils gardent le couteau à découper.
Le PCF prêche une illusoire réforme du capitalisme alors qu’à chaque minute les preuves de son irrémédiable barbarie accablent l’immense majorité. Il pétitionne « contre le chômage et la pauvreté, pour l’emploi, la dignité et l’égalité républicaine » (rubrique « actions » (!), site PCF) comme si cela avait jamais empêché les patrons, leurs États et leurs gouvernements de défendre le taux de profit et de tenter de museler les exploités. En avril, contre Mélenchon qui déclare que « chacun doit avoir un travail et que si quelqu’un n’en trouve pas, l’État doit être employeur en dernier ressort », l’admirateur de Thorez et de Marchais (voir Ma France), l’héritier des staliniens fossoyeurs de la révolution d’Octobre déclare :
Nous ne partageons pas du tout cette philosophie-là ; ça, c’est l’époque soviétique, le kolkhoze. (Fabien Roussel, Marianne, 16 avril 2021)
Fidèles à Marx, à Engels, à Lénine, à Luxemburg, à Trotsky, les vrais communistes veulent la destruction du mode de production capitaliste pour en finir avec l’exploitation, pour produire en fonction de ce qui est utile à la satisfaction des besoins de la population laborieuse et non au regard de ce qui rapporte. Ils savent que seule l’action concertée, décidée du prolétariat renversant les institutions bourgeoises, s’emparant du pouvoir peut ouvrir des « jours heureux ».
Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l’idée d’une révolution communiste ! Les prolétaires n’y ont rien à perdre que leurs chaines. Ils ont un monde à y gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! (Karl Marx, Manifeste du parti communiste, 1847)
Un bloc avec la bourgeoisie
Lors du conseil national du PCF du 11 décembre 2021, le rapporteur (ex-membre du bureau politique de la LCR jusqu’à son autodissolution, ex-rédacteur en chef de son organe Rouge) retire son chapeau pour saluer son Général. Après Biden, leurs applaudissements au fondateur de la Ve république !
L’offensive réactionnaire consiste, d’une part, à faire sauter le verrou idéologique que le général de Gaulle avait posé sur son camp, sorti discrédité de l’épisode vichyste, et, d’autre part, à dynamiter l’héritage de la République, telle que la Résistance la refonda à la Libération. (Christian Picquet, Rapport, 11 décembre 2021)
Les majuscules de la dernière phrase marchent avec « la France en commun », avec l’entreprise de falsification à laquelle le PCF participe pour cacher aux générations actuelles de prolétaires que c’est parce qu’une vague révolutionnaire secouait l’Europe dévastée par la guerre impérialiste, parce que les travailleurs avaient encore les armes, que la bourgeoisie, effrayée de tout perdre, s’est résignée à lâcher un peu. Le PCF a pris toute sa part à l’union nationale, siégeant de 1944 à 1947 dans les gouvernements de Gaulle, Gouin, Bidault, désarmant les maquis, remettant la botte de La France sur les colonies, fustigeant les grèves, appelant à bosser plus pour reconstruire La France.
Pas honteux de ses mensonges, Picquet ne l’est pas non plus d’accuser les travailleurs de ne pas se battre et donc d’être responsables de l’espace gagné par les partis bourgeois, quand la campagne du candidat Roussel additionne les déclarations réactionnaires, quand, adepte du « dialogue social », il soutient le chapelet des journées d’action que la direction de la CGT décrète contre l’appel à la grève générale, chaque fois qu’une mobilisation pourrait menacer le gouvernement, comme sur les retraites.
Évidemment, la faiblesse des mobilisations du mouvement social nourrit cette droitisation extrême du débat politique, et celle-ci alimente en retour l’attentisme et le doute dans le monde du travail et les classes populaires. (Christian Picquet, Rapport, 11 décembre 2021)
Pour le PCF, non seulement la population laborieuse ne lutte pas mais en plus elle renâcle à voter pour « la gauche ». Pourquoi ?
Se révèlent en cause le poids des renoncements et trahisons du passé devant les volontés destructrices du libéral-capitalisme, l’incapacité de se tourner vers le monde du travail pour porter ses aspirations et y répondre, l’abandon de certaines des valeurs fondatrices du mouvement ouvrier depuis ses origines, le refus de la plupart des candidats d’affronter la domination du capital et de proposer des solutions qui permettent que le pouvoir change enfin de mains. (Christian Picquet, Rapport, 11 décembre 2021)
Mais non, ce n’est pas une autocritique ! il ne parle pas du PCF, voyons ! Picquet crache uniquement dans l’assiette des autres membres de l’Union de la gauche, avec lesquels le PCF entend « former une majorité parlementaire de gauche […] car nul ne peut gouverner seul à gauche ».
Le PCF n’a rien de communiste
Le PCF publiera son « programme » à la fin de ce mois. Mais il peut bien le truffer de toutes les hausses de Smic, mesures pour l’emploi ou pour la jeunesse que lui aura soufflées la « consultation citoyenne » (encore un terme sans marqueur de classe que les unionistes de gauche affectionnent). Ce ne sont que promesses de politicard à partir du moment où le PCF, comme ses rivaux réformistes et futurs alliés (PS, LFI, Ensemble, GDS, Générations), refuse de rompre avec la bourgeoisie, défend ses institutions (armée, police, justice), se garde bien d’engager le combat contre le capital et son gouvernement en unifiant les rangs du prolétariat au lieu de le diviser, en mobilisant tous les exploités pour la satisfaction de leurs revendications.
Le PCF reste un obstacle dans le combat pour le socialisme dont il salit le nom quand il le prononce, même si c’est dorénavant peu fréquent.