Mais cette plante qui s’est développée en négation de la graine, elle-même devient fruit, qui n’est plus ni la graine ni la plante, et pourtant procédant de l’une et de l’autre, illustre une autre la loi essentielle de la dialectique. Ces transformations successives se réalisent non par une évolution continue et linéaire d’infimes changements, mais par leur accumulation aboutissant à une rupture, un changement de qualité, la transformation de la quantité en qualité. L’exemple de la transformation aux environs de 100 degrés de l’eau en gaz illustre cette autre loi de la dialectique.
Si les théories scientifiques sont généralement présentées de façon formelle, les chercheurs adoptent souvent une attitude dialectique dans l’élaboration de nouvelles connaissances. Ainsi un expérimentateur peut tenter de mettre en défaut une loi communément acceptée, ou il poussera une hypothèse jusqu’au bout pour finir par montrer qu’elle est fausse. En mathématiques, les logiciens mettent en correspondance des affirmations contradictoires (par exemple, un énoncé arithmétique codant le fait que lui-même ne peut pas être démontré) et parviennent ainsi à prouver formellement les limites de leurs propres systèmes formels.
Selon la dialectique, tout aspect de la réalité ne peut être considéré comme une chose isolée et stable. Elle ne peut se comprendre que comme relation, comme rapport, par son histoire et par ses interactions avec son environnement. Loin de procéder comme la logique formelle par opposition binaire entre réalités figées, la dialectique intègre donc toutes les couleurs, les contradictions et les transformations. Elle oppose le mouvement du cinéma à l’immobilité trompeuse.
Mais Hegel était un idéaliste, il pensait que les lois de la dialectique procédaient du développement de la Raison, une sorte d’entité surnaturelle qui gouvernait le monde. Le mérite de Karl Marx et de Friedrich Engels a été de remettre la dialectique sur ses pieds, de l’appuyer sur le matérialisme et, en l’appliquant à l’histoire, de définir la méthode de pensée des marxistes, le matérialisme historique. Pour les marxistes, toutes les théories et représentations du monde sont déterminées historiquement, y compris bien sûr la dialectique matérialiste elle-même. L’idée que les humains se font d’eux-mêmes et du monde est déterminée par les conditions matérielles de production de leurs moyens d’existence, d’échange, par l’organisation de la société qui découle de ces conditions de production, tant du point de vue des connaissances qui accompagnent cette production que de l’organisation de la division du travail et des classes sociales.
Il a fallu le développement contradictoire de la bourgeoisie au sein de la société féodale et monarchique pour qu’apparaisse la critique par la philosophie des Lumières de tous les dogmes et croyances, y compris religieux, qui structuraient l’ancien monde et le légitimaient.
Mais la bourgeoisie parvenue au pouvoir n’a pas besoin de la dialectique, elle a besoin de théories et de méthodes de pensée qui légitiment sa domination comme un ordre immuable. C’est à son tour l’apparition du prolétariat comme classe révolutionnaire luttant contre la bourgeoisie qui a rendu possible et nécessaire l’apparition et le développement du marxisme établi sur la dialectique matérialiste comme outil d’analyse, de pensée et d’action révolutionnaire.
Pour le marxisme, les contradictions entre classes sociales conduisent à la lutte des classes, qui est le moteur de l’histoire.
L’immense avantage que donne la dialectique matérialiste aux communistes sur les différents idéologues bourgeois est de les aider à lire les forces réelles en présence, leurs tensions, derrière les apparences. Elle leur sert à comprendre la réalité contradictoire, par exemple ce qu’est un « parti ouvrier bourgeois ». Elle leur permet de déceler derrière le calme apparent l’accumulation des contradictions qui préparent un changement qualitatif, par exemple l’irruption d’une crise révolutionnaire. Ainsi, l’avant-garde organisée peut exprimer consciemment le mouvement d’abord inconscient, c’est-à-dire de dire tout haut ce qui est nécessaire au mouvement pour qu’il atteigne son objectif.
Pour les militants communistes, la dialectique est nécessaire pour comprendre la situation et s’orienter, pour éviter la stérilité dogmatique des sectes et l’impressionnisme superficiel des courants opportunistes.