Elle avait été annoncée dès février 2019 par le premier ministre Edouard Philippe et l’actuelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Trois « groupes de travail » constitués de parlementaires de représentants du patronat et de présidents d’université ont eu une année complète pour élaborer des rapports qui ont servi de justification au projet de loi [voir Révolution communiste n° 38]. Préparée de bout en bout depuis 2019 par Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, au nom de Macron et avec l’appui de la majorité LREM-MoDem-Agir de l’Assemblée, elle vise à organiser et à financer les universités et les laboratoires publics lors des dix prochaines années.
Austérité et flexibilité
Loin d’être une rupture avec le programme des gouvernements précédents, elle est dans le prolongement de la loi de 2008 « relative aux libertés et responsabilités des universités » LRU de Sarkozy-Pécresse, de celle de 2013 « relative à l’enseignement supérieur et à la recherche » de Hollande-Fioraso [voir Révolution communiste n° 4] et du décret de 2014 contre les statuts des mêmes [voir Révolution communiste n° 8]. La LPR entérine la soumission de l’ESR, ainsi que ses personnels, au capitalisme français, d’autant que ce dernier a toujours le plus grand mal à rester compétitif face à ces concurrents sur l’échiquier mondial. La priorité accordée à la recherche privée est attestée par le crédit impôt recherche (CIR), dont le montant est passé de 5,67 milliards d’euros en 2013 à 6,75 milliards d’euros en 2020.
La précarité (CDD, post-doctorats, vacations…) a déjà atteint près de 27 % des effectifs des établissements publics à caractère scientifique et technique (CNRS, INRA, INSERM…). L’article 4 instaure des chaires de « professeurs juniors » précaires (l’équivalent de la « tenure track » américaine) avec des contrats allant de 3 à 6 ans. L’article 4 supprime aussi la qualification par le Conseil national des universités, avant tout recrutement de professeur d’université et expérimente la même procédure pour les maîtres de conférences. L’article 9 créée un « CDI de mission », un statut plus précaire qu’un CDD. Autant de dispositions qui vont aggraver la situation de précarité des personnels de l’enseignement supérieure et de la recherche, affaiblir leur capacité de résistance face aux injonctions managériales.
Pour faire passer la pilule, le gouvernement comptait sur l’effet d’une promesse d’engagement financier « forte et ambitieuse ». Les augmentations promises par l’article 2 portent surtout sur les crédits budgétaires de ses successeurs (+652 millions en 2022, et +1 552 millions en 2024). À tel point que l’objectif affiché -que la dépenses de R&D publique atteigne 1 % du PIB- ne sera sans doute pas assuré. Les travailleurs de l’ESR en seront victimes car leurs rémunérations (+92 millions d’euros annuels jusqu’en 2027) augmenteront principalement sous forme de primes et de revalorisation bien tardive des chercheurs en début de carrière.
La passivité des directions syndicales et la multiplication des collectifs
Une partie des travailleurs de la recherche et de l’enseignement supérieur est rapidement hostile au projet de loi, veut son retrait. Mais le surgissement de la pandémie du covid-19 a gêné la mobilisation, leur capacité d’entraîner la majorité.
Il faut y ajouter l’acceptation par les directions syndicales (FSU, CFDT, UNSA, CGT, FO, Solidaires…) de la « concertation » et du « dialogue social » avec le ministère les 22 janvier, 15 juin, 15 juillet et 31 août 2020. Il faut dire que les appareils syndicaux appliquent la politique du gouvernement dans les organes de cogestion (les conseils d’administration des établissements de recherche ou des universités, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche).
Pas étonnant qu’elles espèrent un miracle de la part du pouvoir, tant législatif (alors que la majorité est LREM à l’Assemblée et LR au Sénat) qu’exécutif (alors que le projet est l’œuvre du gouvernement) : lettre du 27 octobre du SNESup-FSU aux sénateurs, lettre du 7 novembre du SNESup-FSU à la commission mixte des sénateurs et députés, lettre du 15 novembre des syndicats FSU aux députés, lettre du 16 novembre de FO, FSU, CGT, CFDT, SNPTES, UNSA et Solidaires à Castex…
Certes, plusieurs collectifs (Facs et labos en lutte, Rogue ESR, Sauvons l’université, Université ouverte) sont apparus, animés par des militants politiques du mouvement ouvrier et soutenus par la plupart des fédérations syndicales, sauf l’UNSA et la CFDT. Mais ces structures ne sont pas des soviets car elles sont aussi divisées que le syndicalisme français. Non seulement on y retrouve les bureaucrates, mais les collectifs ne parviennent pas, malgré la pression de la base, à déborder les appareils syndicaux. Contre la grève générale, les membres du PCF, de LFI, du NPA, de LO, du POID, de l’UCL… se liguent pour imposer des simulacres : protestations bornées à 24 h (comme les jours du vote du projet de loi à l’Assemblée nationale le 18 novembre ou au Sénat le 10 décembre), pétitions aux parlementaires.
Quand les chefs des collectifs se retrouvent entre eux, loin des pressions de la base, ils abandonnent même l’exigence du retrait du projet de loi Macron-Vidal.
Par cette pétition, nous appelons le Sénat et le Conseil constitutionnel à suspendre le processus législatif. (Facs et labos en lutte, RogueESR, Sauvons l’université, Université ouverte, 22 octobre)
L’expérience antérieure a toujours montré l’inefficacité de ces substituts à la lutte de classe décrétés plus d’une fois par les directions syndicales. La protestation des collectifs s’est bornée, à son maximum, à des « écrans noirs » du 13 novembre au 17 novembre. Évidemment, tout cela n’a guère effrayé le gouvernement Macron-Castex-Vidal et lui a permis d’aller jusqu’au bout du processus législatif, avec l’aide du deuxième reconfinement et du télétravail.
Pour l’abrogation de la LPR, pour la satisfaction des revendications
La pantomime des « consultations » par le gouvernement sur ses projets au service du grand capital, la diversion des « journées d’action » n’ont jamais fait reculer le pouvoir.
Les travailleurs et les étudiants de l’ESR doivent, lors d’assemblées générales démocratiques, établir de véritables cahiers de revendication à la hauteur des besoins et préparer la grève générale de la recherche publique et de l’université.
Abrogation de la LPR ! Augmentation massive des crédits récurrents pour les laboratoires de recherche publique ! Titularisation immédiate de tous les travailleurs précaires de l’ensemble du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche publics ! Retrait des représentants du personnel des organismes de cogestion (CNESER, conseils d’administration…) !