Le 24 avril, l’information sur des discussions en cours entre la direction d’Alstom et General Electric pour la vente de sa branche énergie fuitait dans les médias. Siemens fit alors savoir qu’il souhaitait également présenter une offre concurrente. Le conseil d’administration d’Alstom indiqua le 29 avril qu’il approuvait à l’unanimité l’offre de General Electric tout en se laissant un mois pour examiner d’autres alternatives, pour faire mine de répondre à l’insistance du gouvernement français, et notamment du ministre Montebourg, qui s’était prononcé en faveur de Siemens. Le lendemain, le Premier ministre déclara :
Tous les investisseurs étrangers, qu’ils soient américains, allemands, sont bienvenus. Nous devons bâtir des groupes à taille européenne, à taille mondiale. (Manuel Valls, France inter, 30 avril)
Dans la concurrence capitaliste, les groupes les plus puissants ont toujours absorbé les plus faibles. C’est de ce processus qu’est issu le groupe capitaliste Alstom lui-même : absorption en 1927 de la CFTH américaine, en 1932 de la CEF, en 1937 de Vetra, en 1972 de B&L, en 1976 des Chantiers de l’Atlantique, en 1983 de la CEM, en 1994 de LHB allemande, en 1998 de Cegelec et de DDF, en 2000 de la Fiat Ferroviaria italienne… Personne ne se souvient des protestations du PS, du PCF ou des dirigeants syndicaux français quand le groupe rapace s’emparait d’autres entreprises.
L’impérialisme français décline par rapport à ses anciens et nouveaux concurrents depuis des années. Sa fragilité s’est aggravée depuis la crise capitaliste mondiale de 2008-2009 dont il ne s’est pas encore remis, alors que la Chine n’a pas cessé sa croissance, même en 2009, et que l’Allemagne et les États-Unis connaissent depuis 2010 une certaine reprise économique.
Ainsi, de nombreux groupes industriels français ont été contraints d’ouvrir leur capital à des groupes étrangers, ce qui est souvent le premier pas vers l’absorption complète, ou bien ont été rachetés par des concurrents français ou d’autres pays. Ce fut le cas, avant la dernière crise, des métallurgistes Usinor et Péchiney. C’est, plus récemment, les exemples du cimentier Lafarge ou du constructeur automobile PSA. Des rumeurs d’OPA courent également sur Danone, Sanofi ou L’Oréal.
Le groupe Alstom a déjà dû vendre un certain nombre de ses filiales : Cegelec en 2004, Converteam en 2005, Chantiers de l’Atlantique et Leroux naval en 2006, une partie de Thermal Power en janvier 2014…
Quand il y a des profits dans un grand groupe, ils sont toujours pour ses actionnaires ; quand il y a des pertes, elles sont toujours pour les travailleurs, comme salariés, et parfois comme contribuables.
Pour sauver Alstom de la faillite, l’État français lui a octroyé en 2004 une aide publique de 2,8 milliards d’euros. « Il n’y a pas de raison qu’on sacrifie ce patrimoine industriel » s’était exclamé Sarkozy, alors ministre de l’Économie, qui pilotait l’opération, approuvée par la Commission européenne. L’intervention de l’État bourgeois français s’était faite évidemment au compte du capitalisme français et non dans l’intérêt des salariés, puisqu’elle était accompagnée d’un plan de licenciements de 8 500 emplois dans le monde entier.
Le groupe capitaliste français Bouygues veut se débarrasser de sa participation à Alstom et verrait d’un bon œil que l’État rachète ses actions à bon prix.
Alors que Bouygues veut sortir du capital d’Alstom à cause du fiasco de SFR, on se retrouve dans une situation d’impasse. (Jean-François Copé, Europe 1, 28 avril)
Mais, en conséquence de la stagnation économique, l’État bourgeois français doit aujourd’hui réduire le poids de sa dette, ce qui limite ses possibilités d’intervenir massivement. Il est déjà délicat pour le gouvernement PS-PRG de sacrifier les salariés au « pacte de responsabilité » qui permettra aux patrons de verser moins à la Sécu et à l’État. Le porte-parole du gouvernement a donc rejeté l’idée d’une entrée de l’État dans le capital du groupe capitaliste :
La situation de l’entreprise en 2004, c’était la faillite, c’était la disparition. Ramener de l’argent frais à un moment donné pour redonner la capacité de repartir… c’est un choix. Aujourd’hui, on n’est pas dans cette situation. (Stéphane Le Foll, France info, 30 avril)
Les travailleurs d’Alstom, dans le monde entier, se sentent à juste titre menacés par les manoeuvres des trois groupes capitalistes internationaux et de l’État bourgeois français. Pourtant, de tous côtés, des voix s’élèvent, non pour remettre en cause la propriété privée ni la domination du capital sur le travail, mais pour défendre « l’industrie française » en demandant que les fonds publics viennent à nouveau au secours du capital.
L’État français doit prendre ses responsabilités dans cette affaire en entrant majoritairement dans le capital de l’entreprise. On ne peut admettre que le Président de la République, ses ministres, restent une nouvelle fois spectateurs du dépeçage de notre industrie. (CGT, Communiqué, 28 avril)
Ni l’allemand, ni l’américain ! Alstom, qui est le cœur de la politique écologique du futur, doit rester sous souveraineté française. (Jean-Luc Mélenchon, France 2, 29 avril)
Sauver Alstom et ses 18 000 emplois directs sur le territoire, par une solution nationale, est donc une obligation stratégique et morale. Il faut refuser le faux choix du dépeçage américain ou allemand et y préférer une voie patriote, française, par le rachat des parts de Bouygues, principal actionnaire, par la Caisse des dépôts et consignations. (FN, 29 avril)
Pour le parti fascisant, qui divise en permanence les travailleurs entre nationaux et étrangers, l’argent public doit aller… dans les poches de Bouygues.
La défense des 90 000 salariés d’Alstom ne passe pas par le rachat de telle ou telle partie par l’un ou l’autre des grands groupes, General Electric ou Siemens, qui mentent comme des arracheurs de dents en promettant de ne pas toucher aux emplois dans les 3 ans à venir. Elle ne passe pas non plus par la participation de l’État et l’injection des fonds publics qui, d’une part, allongerait encore la liste des cadeaux scandaleux faits aux patrons et d’autre part, s’accompagnerait inévitablement, comme en 2004, d’un plan drastique de restructuration et de suppressions d’emplois.
La défense des 90 000 travailleurs d’Alstom passe par l’ouverture des livres de comptes, par le contrôle par les salariés d’Alstom eux-mêmes de la production et de la marche de l’entreprise, par l’expropriation immédiate du groupe sans indemnités ni rachat des actionnaires Bouygues, Franklin Templeton, Amundi (Crédit agricole), Banque centrale de Norvège, Natixis (Banque populaire-Crédit mutuel), Fidelity Investments, Union des banques suisses…
Pour cela, la responsabilité des directions syndicales et des partis d’origine ouvrière est d’appeler dans l’unité à la grève générale de tous les travailleurs d’Alstom pour empêcher tout licenciement.
La défense des 90 000 salariés d’Alstom passe par le combat acharné contre le gouvernement Hollande Valls qui, après Sarkozy, œuvre pour les capitalistes français en s’attaquant aux salariés et aux jeunes, par son renversement, par l’instauration d’un gouvernement des travailleurs en France, par la perspective des États-Unis socialistes d’Europe, du socialisme mondial.
La lutte efficace et unie des 90 000 salariés d’Alstom ouvrirait la voie aux centaines de millions d’autres travailleurs que le capitalisme international voue à l’exploitation, à la précarité, au chômage, à la déchéance économique et sociale.
Le capitalisme en crise ne laisse aucune autre perspective que la marche au chaos, il subordonne inexorablement les compétences, les savoirs, les emplois comme les immenses possibilités technologiques aux intérêts immédiats du profit. L’énergie, les transports ne peuvent trouver de développement harmonieux et respectueux de l’environnement et des hommes que dans une société socialiste dépassant le cadre étroit des frontières et des intérêts des capitalistes nationaux.
4 mai 2014