Nous nous limiterons dans ce texte à l’historique des développements de l’action du pablisme en France ainsi qu’à la lutte menée par lui contre la section française. Il n’est pas question d’examiner ici le problème des origines du pablisme, sujet de toute première importance, que l’Internationale devra soumettre à une étude et à une discussion mais qui exigerait un travail d’exposition au moins aussi ample que le présent texte.
Par sa nature même et contrairement aux affirmations de Pablo et de ses partisans du SI, c’est bien entendu au SI et au CEI que la révision pabliste se développa d’abord. Sa première manifestation nette, bien qu’incomplète, dans un document officiel de l’Internationale, se trouve dans le projet de thèse sur la situation internationale écrit par Pablo et soumis par le SI au 9e Plenum du CEI (novembre 1950) comme document préparatoire au troisième congrès mondial. Ces thèses, qui partent de la proximité de la troisième guerre mondiale proposent une modification (non encore spécifiée) des tâches de l’Internationale, allant dans le sens d’un abandon de la construction de partis révolutionnaires indépendants comme direction des masses dans la période antérieure à la guerre. Dans ce texte figurent également les premières attaques contre les « normes pures » et il y est question de l’improbabilité d’un « développement libre vers le socialisme ».
Le CEI s’est ému de cette orientation et, selon une tactique qui lui sera constante à partir de là. Pablo accepte d’intégrer à ses thèses des amendements Bleibtreu présentés par Théo (Hollande) qui coexistent dans les thèses connues sous le nom de thèses du IXe plenum avec les affirmations contradictoires de la première rédaction.
Le Comité central du PCI a été convoqué au moment même où se lève le plenum du CEI. Le malaise du CEI y est importé immédiatement. Les membres du CC français inquiets à la lecture du projet de thèses qui leur a été communiqué, voient s’affronter violemment les membres du CEI présents à leur réunion. Pablo est absent, c’est Livingston qui le remplace et qui attaque avec une violence choquante Privas et Frank qui ont manifesté au SI des réserves sur les thèses. A l’exception de deux membres du CC (Michèle Mestre et Corvin) dont Pablo a fait depuis deux mois ses porte-parole directs dans le PCI, le CC fait la critique des éléments révisionnistes introduits dans les thèses et refuse d’approuver le projet. Il est convenu qu’il se réunira un mois plus tard.
A ce CC de janvier, des annexes Bleibtreu-Frank-privas à la résolution politique préparée pour le 7e congrès du PCI et concernant ses tâches dans la lutte contre la guerre sont adoptées en dépit d’une intervention hystérique de Livingstone, représentant de Pablo. Privas propose au CC d’être désigné à la direction de « La Vérité », en remplacement de Michèle Mestre. Cette proposition est adoptée.
Du IXe plenum du CEI au mois de mars 1951, où la crise va s’ouvrir, les tendances vont se définir et prendre dans la direction du PCI le contenu qu’elles auront définitivement. Les adversaires de Pablo au sein du SI (Germain-Frank-Privas) réunissent les membres parisiens du CC du PCI, à l’exception de Michèle Mestre et de Corvin pour les informer des menaces d’exclusion du SI proférées contre eux par Pablo : déjà, par un artifice bureaucratique, Privas a été expulsé du bureau du SI ce qui a donné à Pablo sa majorité de trois voix contre deux. Immédiatement après, il met en demeure Germain et Frank de défendre au CEI et dans les sections la ligne ainsi majoritaire, sous menace d’être expulsés du SI.
Dès le début une divergence de vues se manifeste sur les méthodes de lutte :
1) Germain-Frank-Privas, effrayés par les menaces organisationnelles de Pablo, sont partisans de mener une campagne sur la défense de la démocratie, pour la modification des statuts du CEI, pour la reconnaissance des droits de la minorité dans la discussion préparatoire au congrès mondial… etc.
2) Bleibtreu désapprouve cette orientation, estimant qu’une bataille contre le révisionnisme doit se mener avec des armes politiques, que les revendications démocratiques abstraites d’une « minorité » qui ne s’exprime pas politiquement n’intéresseront personne. Il propose une contre-attaque politique par la publication d’une contre-thèse de la minorité du SI ou de la majorité du PCI. Germain met en garde le PCI, affirmant que « Pablo attend depuis longtemps l’occasion de détruire la section française ».
Pour détourner la majorité du PCI de son orientation, Germain porte à la connaissance de Bleibtreu
(janvier 1951) son projet de 10 thèses sur le stalinisme en promettant formellement de le soumettre au vote des sections et du congrès mondial. Devant cette promesse formelle, la majorité du PCI, informée, accepte de ne pas mener une bataille séparée et d’attendre la publication des Dix thèses, considérant que ces thèses constituent une réfutation très claire des éléments de révision pro-stalinienne de la thèse du IXe plenum et une contribution remarquable à l’analyse trotskyste du stalinisme. La plupart des membres parisiens du CC se rangent à ces raisons, d’autant plus que le SI demande une discussion avec le BP élargi aux membres parisiens du CC sur les « annexes » adoptées en janvier.
A la veille de cette réunion commune SI-BP élargi, les membres de la direction française reçoivent une lettre du SI qui les met en demeure d’annuler leur vote adoptant les « annexes », de rejeter les « annexes » et de les récrire dans le sens des thèses du IXe Plenum. Cette lettre paraît peu après « Où allons-nous ? » où Pablo développe ses idées les plus révisionnistes et donne à certaines d’entre elles le ton le plus provocant (« Nous devons nous aligner sans équivoque sur les forces anti-impérialistes », etc.). A la réunion commune du SI et du BP élargi, Pablo est toujours absent. C’est Germain qui représente le SI (Livingstone a, à un tel point indigné le CC français par son style d’intervention – qui l’a fait surnommer « le cow-boy » – que Pablo ne peut plus l’utiliser). Une surprise attend les assistants de cette réunion : c’est Privas qui rapporte au nom du SI et qui, dans un long discours embarrassé, tente de justifier les positions de « Où allons-nous ? » dont il faisait une critique virulente la veille. Il conclut qu’il est nécessaire de se plier aux demandes du SI. Frank et Germain parlent dans le même sens. C’est l’aveu de leur capitulation, à laquelle les a conduit leur conception de la « lutte » en souplesse par des pressions et des mesures d’organisation. Désormais, ils seront contraints de renchérir chaque jour davantage et de se montrer plus pablistes que Pablo. Sur le CC, ce retournement a l’effet inverse de celui escompté par le SI. Sans qu’ils se soient consultés depuis la réception de la lettre du SI, les membres du CC réagissent tous de la même manière. Ils retournent au SI sa demande de s’expliquer clairement, de s’expliquer sur les « mauvaises formulations », de préciser s’il s’agit de vues nouvelles qu’ils considèrent comme révisionnistes. La réunion décide la convocation urgente d’un CC extraordinaire et la rédaction d’une résolution de politique internationale. Il est remarquable que la séparation au CC entre majorité et minorité laisse du côté de la majorité les camarades qui font un travail de masse (dans les usines et les syndicats, les organisations de jeunesse, etc.) et de l’autre côté les déracinés incapables de se lier à un milieu de travail extérieur au parti. Ce texte est élaboré collectivement.
Le CC se réunit en avril 1951. Pour la première fois, Pablo y vient personnellement non pour défendre ses positions, mais pour attaquer la majorité française qu’il accuse de conservatisme et qui, d’après lui, subit la pression de Shachtman, du POUM, des yougoslaves et des neutralistes (groupés autour de l’hebdomadaire « L’observateur » : il faut relever que ces neutralistes sont pro-staliniens ; ils apporteront leur appui aux pablistes au moment de la scission, feront de la publicité à leurs publications et à leurs réunions ; Germain est un des rédacteurs attitrés et assidus de ce journal.
Le CC adopte les thèses préparées par le BP et les membres parisiens du CC, décide de reculer la date du 7e congrès du parti, contre la volonté des pablistes qui craignent la clarté et jouent de l’argument d’autorité. Frank rédige une critique des thèses de la majorité qui porte tous les stigmates de la capitulation politique : Frank couvre la révision dont il ne partage pas les vues et attaque les positions qui sont les siennes en s’efforçant d’y découvrir ce qui n’y est pas.
La majorité, après avoir défini sa position en politique internationale, développe tous les aspects et toutes les conséquences pratiques de sa politique dans le travail quotidien d’enracinement dans les masses de la section française. Une série de rapports (syndical, jeunes, d’organisation) sont élaborés. La fraction pabliste oppose à chacun d’eux un contre-texte : syndicalement, elle se prononce pour l’abandon de l’orientation de regroupement d’une tendance lutte de classe (qui d’après elle nous coupe des ouvriers staliniens qui se regroupent de plus en plus autour de leur direction en prévision de la guerre imminente), et proclame qu’il faut entrer dans la CGT (90 % des membres salariés du parti sont effectivement dans la CGT) pour y faire un travail conçu comme un travail de fraction au sein d’une organisation stalinienne et pour « se rapprocher des ouvriers communistes », tâche qu’ils croient pouvoir remplir en se rapprochant de la politique de leur direction. Le texte pabliste sur le travail jeune préconise également en fait l’abandon de la construction du Mouvement révolutionnaire de la jeunesse, auquel il oppose le travail dans l’organisation stalinienne des jeunes, l’Union de la Jeunesse républicaine de France ; la majorité prend le texte sur la construction du parti qui avait été préparé par Privas en septembre. La minorité à laquelle appartient Privas s’y oppose et préconise l’intégration du parti dans les « combattants de la paix ».
Mais les conclusions de la minorité sur ces problèmes n’ont encore rien de la netteté dans l’orientation qu’elles prendront après le 3e Congrès mondial. Cependant les développements qu’y donne la minorité nous ramènent aux positions développées par la tendance droitière de notre parti en 1945-46 d’après lesquels, pour se rapprocher des ouvriers staliniens, il faut se rapprocher de leur politique.
Rappelons qu’en été 1951, après avoir atteint le Yalu et provoqué l’intervention chinoise en Corée, Mac Arthur est limogé. Les pablistes publient alors un tract, par-dessus la tête de la direction française, expliquant que « nous avons failli avoir la guerre », trahissant ainsi l’impressionnisme du SI, qui ne modifie d’ailleurs pas pour autant sa perspective de « guerre-révolution » dans un an ou deux au plus, de radicalisation toujours croissante de la politique stalinienne et de prise du pouvoir par les différents PC comme cela s’est produit en Chine. Ces perspectives « optimistes »’ pour demain – leur optimisme concerne d’ailleurs l’avenir de la bureaucratie du Kremlin et non celui de la IVe Internationale – servent en réalité à cacher le plus profond scepticisme en ce qui concerne les ressources propres de la classe ouvrière à laquelle est déniée la possibilité de s’engager dans aucun combat d’envergure et d’élever son niveau de conscience avant la guerre.
Pourtant, des manifestations extrêmes de pro-stalinisme qui devraient retentir comme un signal d’alarme se sont produites dans des secteurs faibles du parti. Un Jeune militant de province, Maurice Burguière, est passé aux staliniens, et n’a été reconquis qu’avec l’argumentation des « annexes » de janvier ; à Lyon d’autre part, un autre jeune militant, Lefort, a rédigé des thèses qu’il considère non sans raison comme les conclusions logiques des thèses du Xe Plenum et qui affirment que la bureaucratie stalinienne cessera, à partir du déclenchement de la guerre, de jouer un rôle contre-révolutionnaire. Lefort et Burguière s’alignent sur la minorité. Burguière passera complète- ment au stalinisme après la scission, dénonçant le trotskysme comme une officine impérialiste.
Les thèses de Germain (« Dix thèses sur le stalinisme ») que Frank avait annoncées comme le document qui devait redresser Pablo, sont publiées au mois de mai, mais comme document de discussion et avec une préface qui les place sous l’égide des thèses du IXe Plenum. Ceci n’empêche évidemment pas Pablo de déclarer ce document « inopportun ». Le Bureau politique de la section française les adopte comme résolution pour le 3e congrès mondial (sans la préface). Le 7e congrès du parti les adoptera également, à l’indignation originale et comique de leur auteur.
Comme complément des thèses de la majorité du CC, Bleibtreu publie « Où va le camarade Pablo ? » article d’analyse critique de « Où allons-nous ? ». Ce texte, publié par « La Vérité » après la scission sous le titre « Défense du trotskysme », mais soumis dès cette époque au SI comme document pour la discussion préparatoire au 3e congrès mondial, n’est pas diffusé par le SI dans l’Internationale : les autres documents français, notamment les thèses d’orientation internationale n’ont pas été diffusés non plus.
Du caractère encore confus et timide de la révision, certains camarades de la majorité croient pouvoir conclure qu’il ne s’agit pas d’un cours révisionniste – le pablisme – mais d’erreurs révisionnistes qui exigent à coup sûr une lutte énergique mais peuvent être redressées sans grandes pertes au cours du 3e congrès mondial. Ceci est la cause d’une certaine faiblesse dans la lutte de la majorité au 7e congrès du parti qui a lieu en juillet 1951 et au 3e congrès mondial.
Malgré cela, le 7e congrès du parti confirme l’importance décisive de la majorité qui compte les 2/3 des forces militantes du parti (elle en fera plus des 3/4 lors de la scission). La lutte y a été violente. La minorité a tenté de faire jouer l’argument d’autorité, anticipant des décisions du congrès mondial. Bien entendu, les révisionnistes liquidateurs font courir en coulisse le bruit que la majorité veut la scission. Le congrès réaffirme le principe de discipline aux décisions du congrès mondial. Le SI déclare impossible le recul de la date du congrès mondial, demandé par le PCI, afin que la discussion sur les positions nouvelles du SI puisse avoir lieu. Bien que les principaux textes français aient été publiés dans les délais de la discussion, ils ne seront pas diffusés dans l’Internationale. Ceci prépare les manœuvres du congrès mondial.
Le 3e congrès mondial se tient en France. Les délégués des pays lointains sont convoqués un mois avant sa tenue et « chambrés » par le SI. Ils sont préparés par une campagne de calomnies contre la majorité française qu’on leur présente comme scissionniste (on insinue même que « certains dépendent des yougoslaves »). Les trois jours de discussion générale du congrès se réduisent à une série d’attaques violentes contre la section française, attaques contradictoires, les délégués pablistes lui reprochant tour à tour des positions imaginaires. Les pablistes ne craignent pas d’atteindre, au travers de la critique des positions du PCI, les thèses de Germain sur le stalinisme, caractérisées par un dirigeant hollandais comme reflet de la pression impérialiste !
Le PCI a présenté trois documents au congrès : ses thèses de politique internationale adoptées par son 7e congrès, les « Dix thèses sur le stalinisme », puis au cours du congrès de nombreux amendements aux thèses du IXe Plenum qui en corrigent toutes les affirmations révisionnistes.
Le vote du congrès, sans précédent dans notre mouvement, motive le refus de se prononcer sur les thèses françaises (après une nuit de réflexion) par le fait qu’elles ne seraient pas connues des délégués (qui ont pu polémiquer contre elles pendant deux jours sur trois) ; et le refus de se prononcer sur les « Dix thèses » par le fait que Germain, leur auteur, « ne les a pas écrites pour être soumises au vote ».
Pablo veut en finir avec la majorité dans une commission française dressée en tribunal. Des délégués s’opposent à cette procédure. Le rapport que fait Frank à cette commission est une attaque calomnieuse de la majorité sans contrepartie de programme et de conception de construction du parti. Son seul but est de faire attribuer par le congrès la direction de fait du PCI à sa minorité pabliste. La majorité s’y refuse et Pablo ne peut réussir son opération, échouant dans une tentative de scinder la majorité par l’offre d’un compromis équivoque… La dernière séance de la commission française et du congrès a vu se détendre l’atmosphère d’hostilité organisée par Pablo autour des délégués français. Pablo doit s’incliner et accepter qu’il ne soit pas donné de précédent à la violation du centralisme démocratique dans la désignation de direction de sections nationale, le PCI garde la direction que lui a donné son congrès.
Pour le SI, la discussion internationale est bien close avec le congrès. Y compris la discussion sur la révolution chinoise (« l’évènement le plus important survenu depuis octobre 1917 ») qui n’a pas eu lieu au congrès mondial et que le SI n’engagera que lorsqu’il aura mis la majorité française hors d’état d’y participer. En faisant un domaine interdit de tout problème qui pose la question du stalinisme, Pablo laisse le champ libre au développement de son révisionnisme pro-stalinien.
Une commission SI-PCI a été formée pour élaborer un texte d’application à la France de la ligne du 3e congrès mondial. Germain y représente le SI. Le congrès mondial a confirmé pour la France la ligne de construction d’un parti indépendant. La résolution qui est élaborée par la commission ne dépasse guère cette décision et proclame le maintien de l’acquis. Pablo, au cours d’une visite au BP du PCI, déclare : « ce n’est pas le pablisme qui est passé au 3e congrès mondial ». Pourtant les délégués ont à peine quitté la France que l’offensive pabliste recommence à l’occasion de la définition pour chaque sphère d’activité du parti du tournant sur la ligne du 3e congrès mondial. Le point privilégié de cette offensive sera d’abord le travail syndical. La minorité pabliste est associée à tous les secteurs de travail du parti. A ce titre, le projet de texte d’orientation du travail syndical présenté au BP a été élaboré avec la participation et l’accord de Pierre Frank. Pourtant on voit ce dernier se rallier au BP à un amendement Privas qui, tendant à notre alignement total sur le stalinisme, remet par cela même en cause (par la bande) la nécessité du parti indépendant en France. Le BP demande au SI de se prononcer sur l’amendement Privas. Le « SI élargi » où cette question vient à l’ordre du jour est un guet-apens au cours duquel Frank fait un rapport frauduleux, sur l’activité du parti dans le groupe syndical « l’unité » qui permet à Pablo de se faire donner pleins pouvoirs pour régler cette question. Il rattrape ainsi tout le temps qu’il a dû perdre au congrès mondial. Le texte d’orientation syndicale qu’il rédige concrétise « Où allons-nous ? » dans la voie de la révision pro-stalinienne et du liquidationnisme. Il écrit : « la politique stalinienne devient de fait pratiquement une politique de mobilisation militante des masses ouvrières contre les préparatifs de guerre de l’impérialisme… Elle constitue… un tournant non pas épisodique et éphémère, mais plutôt l’expression de la marche forcée que l’évolution de l’impérialisme vers la guerre contre-révolutionnaire impose aux dirigeants staliniens ».
L’offensive pabliste est alors menée sur le plan de la politique jeune et du journal. La direction dénonce en différents textes sur ces questions le passage des positions du 3e congrès mondial (et de la résolution de la commission française désignée par le congrès) aux positions pablistes liquidatrices. Toute cette bataille, toutefois, se livre dans le BP. Elle est fermée au parti que le BP n’a pas le droit d’informer. Un congrès extraordinaire est donc la seule issue. Pablo ne peut accepter une nouvelle fois de risquer ses succès bureaucratiques devant une assemblée représentative. C’est pourquoi, à la veille du Comité central convoqué pour le 20 Janvier 1952, un texte-ultimatum dévoile ses batteries (en date du 15 janvier). C’est le tournant « entriste sui generis ». Le texte sera minutieusement analysé par la majorité française. C’est le programme de la liquidation. Le BP doit l’accepter ou se démettre. Le CC le dénonce, accule Pablo aux aveux décisifs. « Nous ne pouvons pas discuter aujourd’hui ce que font les staliniens… ni avec ceux qui s’attachent aux formules du programme de transition… Nous discuterons avec ceux qui sont d’accord … etc. ». Par discipline, la direction s’engage à commencer l’application de l’entrisme dans le PC mais exige un congrès extraordinaire pour que la clarté soit faite dans le parti sur ce « tournant sans précédent ». Pour éviter la destruction du parti, la direction du parti refuse le nœud de l’ultimatum pabliste : l’abandon de la direction aux mains des minoritaires.
Pablo prononce alors la suspension de la majorité du CC, sans que le SI ne soit réuni au cours de la tenue du CC.
Les pablistes ont préparé un coup de force contre le parti, consistant à s’emparer des locaux, fichiers, etc. Mais ils échouent. La majorité refuse de s’incliner devant la mesure de suspension illégale, de direction confiée au seul Pierre Frank nommé gauleiter du SI.
Des mesures d’urgence assurent la sécurité du parti. La majorité publie tous les documents de la discussion et prépare le 8e congrès.
Le parti montre, dans ces difficiles circonstances, sa maturité politique et son attachement lucide aux principes du trotskysme. Tout ce qu’il a de vivant condamne le coup de force pabliste. Les réunions convoquées par Pierre Frank ne regroupent que quelques pablistes.
Le congrès extraordinaire se prépare. Les pablistes doivent se résigner à venir aux réunions convoquées par la majorité. La discussion générale les confond et les discrédite. Leur seule force est de jouer de la menace de l’exclusion et de l’attachement à l’organisation internationale de militants nourris dans le plus profond internationalisme. La période de suspension (20 janvier, début mars) connaît une intense vie politique. De nombreux textes dévoilent le vrai visage liquidateur pro-stalinien du pablisme.
Pourtant au 10e plenum du CEI, la majorité du PCI accepte les accords boiteux proposés par Pablo (le congrès extraordinaire aura lieu, mais la direction est modifiée : elle sera dominée par Germain muni d’une voix prépondérante). La majorité accepte cette formule parce qu’elle espère, à la faveur des nouveaux développements du pablisme, que l’isolement français va cesser, que des sections vont se joindre à elle pour mettre un frein au révisionnisme. Elle consent un lourd sacrifice aux intérêts du trotskysme international auquel elle lance un appel.
La période qui va du 10e au 11e plenum sous la direction de ce nouveau Bureau politique bicéphale (Germain tranche toujours dans le sens du pablisme mais la majorité garde en mains les leviers de commande) est une période noire (1) Sauf la conférence de « L’unité » qui se tient en même temps que le 10e plenum, c’est le marasme et le déclin du parti.
A la conférence de « L’Unité », la majorité a remporté un éclatant succès, infligeant une défaite écrasante isolant et rejetant sans faux-frais les agents yougoslaves, alors que la tactique pabliste visait à nous isoler pour, en fin de compte, détruire tout l’acquis de deux années au profit des agents yougoslaves.
Mais, voyant la direction de la IVe Internationale abandonner le trotskysme, de nombreux militants abandonnent le militantisme. Le parti se paralyse. Le SI refuse à la majorité élue par le congrès le droit de présenter son rapport politique au 8e congrès qui se prépare. A la veille du XIe plenum du CEI, Germain présente un nouvel ultimatum pabliste : capituler complètement (ne pas défendre nos positions au congrès, celui-ci se transformant en conférence d’application de l’entrisme sui generis) ou se voir définitivement exclus de la direction. Il n’y a plus de choix. Pablo demande, par la bouche de Germain, notre autodestruction. Le XIe plenum lui donne carte blanche. La majorité décide alors la convocation du CC. Les pablistes savent que le CC repoussera l’ultimatum appuyé par tout le parti. Aussi, quelques jours avant la réunion du CC, ils font main basse sur l’appareil technique du parti, et publient un tract distribué au congrès du groupe BL indochinois (groupe qui sera criminellement scissionné par la même occasion, sans cause, à la veille du retour au Viêt-Nam) accusant la majorité de préparer la scission. Secrètement, deux mois plus tôt, ils ont déposé à la préfecture de police la déclaration d’un PCI avec une direction entièrement pabliste. Par ces actes de scission, ils pensent en avoir fini avec le parti. Au CC ils refusent de revenir sur leurs actes scissionnistes. Le Comité central les suspend. Ils organisent un congrès minoritaire.
Le 8e congrès du parti constate que, sur le plan des forces numériques, la scission est de peu d’importance. La totalité des forces ouvrières du parti reste attachée au programme et comprend parfaitement le caractère liquidateur pro-stalinien du pablisme, mais la scission nous isole matériellement de l’Internationale pour une période du fait de la tactique d’isolement que Pablo a pratiquée à notre égard, pour renverser d’abord ce principal obstacle que constituait la section française. Cet isolement décourage provisoirement certains militants. Pourtant, la plupart ne doutent pas de la force qui est dans l’attachement aux principes.
La dialectique de l’histoire sert les marxistes et les événements viennent à notre secours. Le bref cours d’aventurisme stalinien en France a mené les pablistes à la frénésie, qui proclament après la désastreuse manifestation du 28 mai 1952 : « la révolution française est commencée sous la direction des hommes du Kremlin » et demandent au XIe Plenum l’exclusion de la majorité qui « déserte la révolution » (2)
Pendant que la scission s’opère, le dernier cours de Staline de Front national uni vient contredire brutalement toutes les prophéties du pablisme.
Le premier CC après le congrès (3), en réaffirmant son attachement indéfectible à la IVe Internationale, met au point la lutte pour la réintégration liée à la lutte contre la liquidation dans toute l’Internationale.
De même que, libéré de la lutte fractionnelle accablante, le parti s’élance vers l’extérieur, et va remporter au cours de l’année 1952-53 une série de succès importante (grâce auxquels nous regagnerons de nombreux militants perdus au travers de la lutte contre le pablisme et avant), sur le plan international, notre nouvelle situation nous permet de lier des contacts directs avec de nombreux trotskystes de l’Internationale, point de départ du redressement de l’Internationale.
Trompé dans son espoir d’avoir détruit le trotskysme en France par la scission, le pablisme a recours aux moyens les plus odieux pour compléter son oeuvre de destruction : procès policiers, calomnies, collaboration avec les staliniens. Ces opérations ont été des coups sérieux contre notre cause, mais se retournent finalement contre leurs auteurs qui sont désormais déshonorés.
Avec la lutte contre le pablisme, la section française de l’Internationale a connu sa plus longue et plus pénible crise de construction. Prolétarisée fortement au cours des dernières années, trempée dans le bain de la lutte des classes, elle a magnifiquement surmonté cette épreuve et témoigné à la fois de sa maturité politique et sa capacité d’action. Dans cette lutte de trois années se vérifie enfin une fois de plus la valeur incomparable de notre programme.
Octobre 1953
Parti communiste internationaliste
(1) Période marquée notamment par la publication dans « Quatrième Internationale » du rapport de Pablo sur « l’entrisme sui generis ». Pablo offre ainsi publiquement sa collaboration au Kremlin.
(2) Ces mêmes gens diront du mouvement de grève d’août 1953 que ce n’était pas la révolution et pas même la grève générale !
(3) Septembre 1952