L’armée professionnelle et la police sont les principaux instruments de la force du pouvoir d’État. (Lénine, L’État et la révolution, 1917)
LO, adjointe de la bureaucratie de la CGT
Le mouvement ouvrier français a ses particularismes : un émiettement syndical incroyable ; l’affaiblissement des deux vieux partis réformistes (PS, PCF) sans que le nouveau (LFI) les remplace vraiment dans les entreprises, les quartiers et l’électorat ; la survie sur leur gauche de plusieurs organisations capables d’éditer un hebdomadaire.
La plus grosse est aujourd’hui LO, issue d’un groupe apparu en 1956 sous le nom de VO sans que son chef (Hardy, 1928-2009) ni aucun autre fondateur n’ait jamais appartenu à la 4e Internationale (1933-1953). Cette secte nationale était marquée par une forte adaptation au PCF, au moment où le stalinisme était à son zénith dans le mouvement ouvrier français. Selon Hardy, le PCF, même si sa politique était opportuniste, n’était pas contre-révolutionnaire. Pour VO-LO, la grève générale de mai 1968 n’avait pas ouvert une situation révolutionnaire, le seul tort du PCF (et de la direction de la CGT qui lui était totalement soumise) fut de cesser les grèves alors que plus de revendications auraient pu être obtenues.
De 1972 à 2020, LO n’a pas reproché au PS et au PCF de s’allier à des partis bourgeois sur un programme bourgeois, mais au PCF de s’allier… au PS. Depuis 1981, LO a appelé à voter plus d’une fois pour des candidats de partis bourgeois « de gauche » soutenus par le PCF. Lors des municipales de 2008, elle est entrée elle-même, avec le PCF, dans des coalitions électorales avec des débris bourgeois de ce type.
LO ne voit aucun mal à ce que la CGT syndique les policiers, comme s’ils étaient des travailleurs comme les autres (les militaires, dont les gendarmes, n’ont pas le droit de se syndiquer). Dans les années 1980, l’appareil de la CGT a commencé à coopter des membres de LO en son sein (le plus connu est Jean-Pierre Mercier, délégué syndical central CGT du groupe PSA et membre du bureau politique de LO).
Vu que ses rivaux « trotskystes » ont constitué des partis larges (NPA, POI, POID) qui ne se réclament pas du communisme, LO se présente auprès des lycéens et des ouvriers comme bien plus radicale. En réalité, rien de décisif ne la distingue des autres courants centristes, car elle capitule tout autant devant les agents de la bourgeoisie au sein de la classe ouvrière et de la jeunesse. La « marxisme » de LO est purement décoratif, un dogme et des rites à fonction interne, sans conséquence pratique sur sa politique. LO proclame son internationalisme, mais ne combat pas la bureaucratie sociale-patriote de la CGT qui défend « l’intérêt national ».
N’est pas internationaliste celui qui proclame qu’il est internationaliste, mais seulement celui qui lutte effectivement en internationaliste contre son gouvernement, contre ses sociaux-chauvins, contre ses kautskistes. (Lénine, Projet de thèses, décembre 1916)
Le social-patriotisme est le programme des médecins du capitalisme ; l’internationalisme est le programme des fossoyeurs de la société bourgeoise. Cette antinomie est irréductible. (Trotsky, Entretien avec un ouvrier social-démocrate, février 1933)
À chaque fois que la classe ouvrière tente de se défendre contre le capital, qu’elle cherche la voie de la grève générale et l’auto-organisation (AG qui décident, comités élus, centralisation des comités, services d’ordre sous leur contrôle..), la direction de LO met ses militants au service des directions syndicales, surtout la CGT. Elle tait la collaboration avec le gouvernement et elle soutient avec zèle leurs diversions : journées d’action, actions spectaculaires, grèves tournantes, grèves reconductibles, meetings avec le Parti radical et EELV « pour une autre réforme »… Après chaque défaite causée par la trahison des bureaucraties syndicales corrompues, LO accuse les travailleurs de ne pas avoir assez lutté, en fait de ne pas avoir suffisamment suivi les consignes de Martinez et compagnie.
Pour LO, l’armée et la police sont des travailleurs comme les autres
Inévitablement, quand la lutte des classes s’intensifie, la contradiction s’accroit entre l’orthodoxie marxiste affichée et l’opportunisme réel. Cela apparaît dans le refus de LO d’appeler à l’autodéfense contre l’appareil répressif de l’État et dans sa présentation, calquée sur les bureaucrates syndicaux, des militaires de métier et des policiers de tout poil comme des travailleurs comme les autres.
Il était prévisible (le Groupe marxiste internationaliste l’avait annoncé) que la police et l’armée, en tant que corps de répression de l’État, seraient épargnées d’une manière ou d’une autre par l’attaque contre les retraites de la classe ouvrière menée par le gouvernement Macron-Philippe (et négociée par la direction de la CGT).
Le policier bénéficiera des avantages des régimes particuliers : possibilité d’ouverture des droits à 52 ans, un départ à la retraite à 57 ans et la bonification du 5e [la bonification qui leur offre une annuité quatre trimestres de cotisation tous les cinq ans] qui sera maintenue par une surcotisation de l’employeur, le ministère de l’Intérieur. (Yves Lefebvre, secrétaire général d’Unité-SGP Police, 12 décembre 2019)
Nous ne devons jamais oublier ce que la nation vous doit. Quand on est militaire, on ne touche pas la retraite, on a une pension. C’est différent, tout est différent. (Emmanuel Macron, allocution à la base militaire de Port-Bouët, Côte d’Ivoire, 20 décembre 2019)
Pourtant, les kautskistes de LO n’expliquent pas cette exception.
Les syndicalistes policiers justifient le maintien de leur régime spécial en arguant du danger de leur métier. En effet, vingt-cinq gendarmes et policiers sont morts en mission en 2018, sans compter les suicides. Le danger du métier est sans doute réel… tout comme celui qu’encourent bien des travailleurs. L’équité et l’égalité sont chères au gouvernement quand il vante les supposés mérites de sa réforme. Ira-t-il jusqu’à conclure que tous les travailleurs devraient bénéficier des mêmes droits à la retraite que les policiers ? (11 décembre 2019)
Le Conseil supérieur de la fonction militaire, qui chapeaute 348 000 personnes, dit clairement non à la réforme, avec des arguments percutants… qui valent pour tout le monde. C’est exactement la même chose pour tous les travailleurs. Que va faire le gouvernement ? Probablement accéder, au moins en grande partie, aux réclamations des militaires, comme il l’a fait pour la police. Mais pourquoi pour les policiers, probablement les militaires, et pas les autres. (22 janvier 2020)
En d’autres termes :
- 1. Parmi « tous les travailleurs », il y a des policiers et des militaires.
- 2. Certes, leur métier comporte du « danger », mais ils ne sont pas les seuls, les autres travailleurs aussi.
- 3. Leurs représentants, CSFM pour les militaires et « syndicalistes » pour les policiers, ont des « arguments percutants » à présenter au gouvernement.
- 4. Les autres travailleurs devraient, si le gouvernement était soucieux « d’équité » et « d’égalité », bénéficier de la même « réforme », des « mêmes droits à la retraite » que les policiers et les militaires.
Selon la théorie marxiste de l’État, un tel propos est inepte. Il ne s’agit pas d’une formulation maladroite, occasionnelle, mais l’indice d’un opportunisme répété, incrusté.
En 2016, alors qu’un mouvement de policiers dirigé par LR, le FN et les groupes fascistes se dressait contre le gouvernement PS-PRG, LO les présentait comme des travailleurs, victimes du gouvernement au même titre que les enseignants ou les soignants.
Les policiers du rang ne sont pas mieux traités que le personnel des hôpitaux ou de l’Éducation nationale. (26 octobre 2016)
En 2005, durant la révolte des jeunes de banlieues, LO réclamait plus de « police de proximité », comme le PCF.
Même sur le plan strictement policier, il n’y a pas, dans les quartiers dits sensibles, plus de police de proximité ou de postes de police permanents. La politique de Sarkozy, c’est d’envoyer ponctuellement une armada de CRS. (4 novembre 2005)
En 2001, alors qu’une protestation de policiers et de gendarmes orchestrée par le RPR et le FN visait le gouvernement PS-PCF-PRG-Verts, LO en faisait un exemple pour le reste du « monde du travail ».
Les syndicalistes policiers ont fait une démonstration qui peut être utile à l’ensemble du monde du travail et montré que, pour se faire entendre de l’État-patron, il peut être efficace de manifester son mécontentement dans la rue. (7 décembre 2001)
En 1981, sur TF1, répondant à une question de journaliste, la candidate à l’élection présidentielle Laguiller expliqua qu’il fallait plus de policiers.
Je vais étonner, eh bien, je suis pour l’augmentation du nombre de policiers. Mais il faut qu’ils soient plus près de la population. (30 mars 1981)
LO a oublié l’essentiel
L’armée et la police ont toujours été, en Europe, un nid des partis bourgeois les plus réactionnaires, elles aident les bandes fascistes. À l’opposé, les grands sites de travail et les quartiers populaires sont les foyers du syndicalisme ouvrier et des partis ouvriers. L’armée et la police françaises ont une longue tradition de répression des grèves, des révolutions ouvrières, des peuples coloniaux. La police a été sous le régime de Vichy l’auxiliaire zélée de l’appareil nazi anticommuniste et antisémite. L’état-major a mené un coup d’État réussi en 1958 (et une tentative qui a échoué en 1961).
L’armée française (plus de 60 000 civils et plus de 200 000 militaires de carrière) n’est plus une armée de conscription. Elle intervient, avec des moyens colossaux, dans le monde pour défendre les intérêts des grands groupes capitalistes français, l’impérialisme français contre ses rivaux et les peuples opprimés. Son budget a augmenté en 2020 de 4,5 %, pour atteindre 37,5 milliards d’euros. Les partis d’origine ouvrière représentés au parlement contestent parfois les alliances militaires et certaines opérations extérieures, mais tous soutiennent l’armée française parce qu’ils sont devenus sociaux-impérialistes (le PS depuis 1914, le PCF depuis 1934, LFI dès sa fondation en 2016).
Une des composantes de l’armée, la gendarmerie, remplit des fonctions de maintien de l’ordre à l’intérieur des frontières. Mais, en cas de besoin, toute l’armée peut suppléer la police nationale. Le général De Gaulle, en mai 1968, est allé se concerter avec des généraux d’active pour préparer une opération contre-révolutionnaire de ce genre. Les manœuvres militaires dans des villes, la participation à Vigipirate au nom de la lutte contre le terrorisme, l’opération Résilience, constituent autant d’entraînements de l’armée bourgeoise à la guerre civile.
Les effectifs de la police française (plus de 150 000 policiers nationaux, renforcés de 23 000 policiers municipaux), ses rémunérations, son équipement ne cessent de croître, avec le soutien des partis « réformistes » (LFI, PS, PCF…).
Les réformistes inculquent systématiquement aux travailleurs l’idée que la sacro-sainte démocratie est assurée au mieux lorsque la bourgeoisie est armée jusqu’aux dents et les ouvriers désarmés. (Quatrième internationale, Programme de transition, 1938)
De l’automne 2018 au printemps 2019, le mouvement populaire des Gilets jaunes a été victime d’une violence policière inouïe, inédite depuis mai-juin 1968, déployant des hélicoptères et des véhicules blindés. Le journaliste David Dufresne a recensé 202 blessures à la tête, 21 éborgnés et cinq mains arrachées.
Le 1er mai 2019, à Paris, la police a attaqué les cortèges de la CGT et de Solidaires. Tout l’hiver 2019-2020, lors du mouvement en défense des retraites, la police et la gendarmerie mobile fouillent les manifestants, entravent les manifestations ouvrières appelées par les syndicats, gazent à coup de grenades lacrymogènes les manifestants, les matraquent, leur tirent des balles en caoutchouc avec leurs LBD.
Coupée du peuple, constituant une caste professionnelle fermée d’hommes dressés à sévir contre les pauvres, d’hommes relativement bien payés, la police demeure infailliblement, dans toutes les républiques démocratiques où règne la bourgeoisie, l’instrument, le rempart, le bouclier le plus sûr de cette dernière. (Lénine, Ils ont oublié l’essentiel, mai 1917)
Certes, comme les directions syndicales et les partis « réformistes », LO condamne les violences policières. Mais elle n’y oppose pas l’autodéfense des grévistes et des manifestants. Son programme pour l’élection présidentielle n’en dit rien (Faire entendre le camp des travailleurs, 2017), ni celui pour les élections européennes (Lutte ouvrière dans les élections européennes, 2019).
Pour préparer la classe ouvrière à ses tâches historiques, pour construire un parti ouvrier révolutionnaire contre les directions actuelles de la classe ouvrière, il faut ranimer le programme communiste.
Abolition des armées permanentes et armement général du peuple. (Parti ouvrier, Programme du Havre, 1880) ; Toute la police exécutrice des volontés du capitalisme, de l’État bourgeois et de ses clans politiciens corrompus doit être licenciée. Exécution des fonctions de police par la milice des travailleurs. (Ligue communiste, Programme d’action, 1934)