L’impérialisme russe a, quant à lui, empêché le régime Assad de s’écrouler grâce à son soutien et lui a permis de commencer à retrouver son ancienne domination. Cette situation perturbe l’avancée d’Erdoğan en Syrie. L’ambition impériale d’Erdoğan avait auparavant amené le pays l’orée de la guerre avec l’avion russe qu’il avait fait abattre. Erdoğan qui n’a pu résister à l’embargo économique de la Russie s’est retrouvé obligé de faire un pas en arrière et à se réconcilier avec Poutine.
Le régime d’Erdoğan qui se dégageait un espace d’action grâce aux contradictions internes des impérialismes américains et russes est parvenu en utilisant tous ses moyens à préserver sa présence en Syrie jusqu’à aujourd’hui. Et son insistance à conserver sa présence à Idlib l’a fait entrer dans une guerre de fait contre le régime syrien. Sa présence en Syrie dépend entièrement des djihadistes qu’il utilise comme des pions. Avec la puissance retrouvée du régime d’Assad et son avancée dans l’ensemble du pays, l’espace d’action des djihadistes se réduit comme une peau de chagrin. Et cela perturbe directement l’espace où Erdoğan voulait établir une hégémonie en Syrie. Par conséquent, les combats entre le régime Assad et les djihadistes dans la ville d’Idlib où ces derniers sont puissants et qui a une zone frontalière avec la Turquie (101 km, 51 km à vol d’oiseau) se sont transformés en affrontement entre les armées turque et syrienne. Erdoğan, comme toujours, se fait le patron des djihadistes. Il envoie constamment des munitions à ses points d’observation face à l’avancée de l’armée syrienne. Il a déclaré que l’avancée de l’armée syrienne constituait un casus belli. Les djihadistes qui n’ont aucune chance à eux seuls face à l’armée d’Assad survivent grâce à Erdoğan. La déclaration de ce dernier à ce sujet constitue une déclaration de guerre : « Je déclare ici qu’au cas où il arriverait le moindre dommage à nos soldats qui sont aux points d’observation et ailleurs, nous ne serons plus liés par l’accord de Sotchi et frapperons les forces du régime où qu’elles soient ».
Selon les lois de la République turque, la prérogative d’une déclaration de guerre appartient au Parlement, mais Erdoğan, avec sa déclaration de sa propre initiative a foulé la constitution aux pieds et a clairement montré à quel point le Parlement est devenu un jeu de théâtre sans réelle fonction dans le régime présidentiel. Le régime d’Assad a ignoré ce défi d’Erdoğan et a continué son avancée. Selon les déclarations officielles, 14 militaires ont perdu la vie. Erdoğan, lui, continue d’amasser des armes et des munitions aux points d’observation et jette ainsi de l’huile sur le feu. La déclaration de Bahçeli [dirigeant du parti nationaliste MHP, partenaire de l’AKP d’Erdoğan] le 11 février n’a fait qu’aggraver les choses : « Tant qu’Assad ne se fera pas descendre de son trône, ni la Syrie, ni la Turquie ne connaîtront la paix… Si le peuple turc ne voit pas d’autre options, il doit planifier la conquête de Damas et en finir avec les oppresseurs. Que brûle la Syrie, que soit détruit Idlib, à bas Assad ».
Bahçeli tente de consolider la base nationaliste conservatrice et remplit la fonction de dire à haute voix le désir définitif de l’alliance AKP-MHP avec des déclarations qu’Erdoğan voudrait faire mais ne peut se permettre pour éviter les crises diplomatiques.
Pourquoi Idlib est important pour Erdoğan ?
Idlib est important pour Erdoğan car c’est une zone frontalière contrôlée par les groupes djihadistes qui sont ses alliés, c’est un point d’entrée et de sortie libre pour le régime d’Erdoğan et pour les djihadistes. Si Idlib passe sous le contrôle du régime d’Assad, Erdoğan aura perdu son point stratégique le plus important.
Si Idlib passait sous le contrôle du régime d’Assad, cela constituerait un coup dont les groupes djihadistes auraient du mal à se relever. Cela provoquerait également un problème de logement, qui causerait à son tour une nouvelle crise des réfugiés. Une éventuelle nouvelle crise des réfugiés poserait un sérieux problème à Erdoğan.
Si Idlib passait aux mains du régime d’Assad, cela lui donnerait la supériorité morale, créerait un espace de légitimité dans l’arène internationale, et condamnerait Erdoğan à reconnaître le régime d’Assad de gré ou de force. Le résultat serait que la base objective de la reconquête par le régime d’Assad avec le soutien de l’impérialisme russe des zones telles qu’Afrin ou Jarablous qu’Erdoğan a envahies et y a construit son État pirate serait constitué. Cela signifierait l’effondrement de la politique sur la Syrie qu’Erdoğan a poursuivi depuis de longues années. Si cela se réalisait, toute la notoriété politique d’Erdoğan se réduirait à néant.
Pour résumer, la voie pour rendre permanent les buts impériaux d’Erdoğan en Syrie, même à un niveau minimal, passe par Idlib. Il est obligé de maintenir une présence militaire à Idlib, ne serait-ce que symbolique. Le paradoxe dans lequel il s’est enfermé peut le pousser à toutes les folies.
Que veut faire Erdoğan ?
Nous pouvons ranger en deux catégories les objectifs d’Erdoğan dans sa politique de Syrie dans la guerre civile syrienne qui dure depuis 2011 et dont il est l’un des acteurs principaux : les buts de politique intérieure, les buts de politique extérieure.
Ces deux aspects s’interpénètrent et se complètent. Erdoğan a tenté de se présenter comme le dirigeant du monde islamique du Proche-Orient au début du « printemps arabe » en endossant les habits de « l’islam modéré ». Sous cette image, se cachent des buts entièrement impériaux. Il a cherché à se lier les groupes islamistes et djihadistes afin de les porter au pouvoir pour pouvoir devenir un chef qui comptait réellement au Proche-Orient. Le pays où il a fait le plus d’efforts pour atteindre ce but est sans aucun doute la Syrie. Erdoğan a depuis le début bâti sa stratégie syrienne sur le renversement du régime d’Assad. Il vise à renverser le régime d’Assad pour porter l’Armée syrienne libre et d’autres groupes djihadistes au pouvoir, et les subordonner. Il planifie de renverser les pouvoirs avec lesquels il rencontrerait des problèmes grâce à la coopération de Daech, de l’Armée syrienne libre ou le SADAT [entreprise turque de conseil en défense].
Un autre de ses buts est de donner également corps en Syrie à ses politiques coloniales qu’il a mis en œuvre en Turquie contre les Kurdes. Depuis les débuts de la guerre civile syrienne, le Kurdistan de l’Ouest a de facto gagné un statut et acquis des avancées historiques. Erdoğan veut annihiler tous les acquis des Kurdes et de les condamner à la servitude. C’est dans ce but qu’il a entrepris l’invasion d’Afrin, y a installé les groupes djihadistes et a commencé à y construire son État pirate. Le but principal d’Erdoğan est d’envahir le Rojava et de coloniser intégralement la zone où vivent les Kurdes. Il cherche à se dégager des difficultés politiques et économiques sur le plan intérieur grâce aux opérations militaires.
Parallèlement aux buts impérialistes, Erdoğan a travaillé à mettre en place un système présidentiel. Il a tout mis en œuvre pour atteindre ce but et y est finalement parvenu. Mais le « système présidentiel » qu’il a construit et qui se résume à une seule personne ne parvient plus à fonctionner et tous les appareils de l’État sont dans un état de décrépitude. Il doit constamment faire face à des crises politiques. Sur le front de l’ordre établi, des acteurs politiques capables d’être des alternatives à Erdoğan apparaissent.
La crise économique qui s’aggrave de jour en jour et qu’il ne parvient pas à dépasser le ronge de l’intérieur. Erdoğan n’a pas d’autre choix que de dépasser par la guerre la crise politique et économique actuelle. Il cherche à se présenter comme un héros national, à subordonner à sa volonté toutes les forces de l’ordre établi grâce au climat nationaliste qu’il a entretenu et à s’accaparer le titre du « fondateur de la nouvelle Turquie » à l’orée de l’année 2023. À chaque fois que le capitalisme entre dans une crise mondiale, il suit d’abord des politiques protectionnistes et de fermeture sur soi, puis tente de dépasser cette situation par les guerres impérialistes. La situation d’Erdoğan n’est pas très différente. Il est obligé de réaliser une occupation permanente en Syrie pour se débarrasser de la crise qui le mine sur le plan national. Il veut piller les zones envahies et mobiliser sa propre bourgeoisie pour reconstruire les villes qui sont détruites. Telles sont les principales volontés d’Erdoğan. Mais il existe sur le terrain des concurrents très puissants qui peuvent empêcher ces volontés de se réaliser. Pour atteindre ses buts, il a besoin d’écarter la Russie, le gouvernement syrien et l’Iran. Or, il n’en a ni la puissance économique, ni la capacité militaire. Jusqu’à aujourd’hui, il a assuré sa présence en Syrie en utilisant les contradictions des impérialismes russes et américains. Tantôt il s’est allié à la Russie, tantôt aux États-Unis…
Cet espace qu’il a conquis jusqu’à aujourd’hui est en train de se refermer. Et plus les espaces d’action d’Erdoğan se referment, plus ce dernier devient agressif. Ce qu’il n’arrive pas à accepter, c’est que la situation commence à se préciser en Syrie, et pas à son avantage. Afin d’entraver ce processus, il cherche à élargir et étendre la guerre autant que possible. Erdoğan cherche à s’adosser aux États-Unis et à Israël pour défier la Russie. Il rêve de mobiliser l’OTAN pour ses propres buts impérialistes au cas où la guerre s’approfondirait. Mais la difficulté à laquelle il se heurte est que les États-Unis ne seront alliés d’Erdoğan qu’en fonction de leurs intérêts du moment. Ils ne le soutiendront pas jusqu’au bout et n’entreront certainement pas en guerre contre la Russie sous le leadership de la Turquie. La Turquie est membre de l’OTAN mais n’a pas l’influence nécessaire pour la mobiliser en fonction de ses propres buts impérialistes. La plus grande contradiction d’Erdoğan est constitué par le fait que ses buts et la politique qu’il mène sont ceux d’un pays impérialiste de premier ordre. Mais il n’est qu’une puissance régionale qui se trouve tout en bas de la pyramide impérialiste. Pour résumer, Erdoğan entreprend des tâches qui le dépassent et s’obstine. Cette situation constitue le début de sa fin.
Quelle sera l’attitude de la Russie ?
L’attitude de la Russie au sujet de la Syrie a été claire depuis le début. Lorsque le régime d’Assad était sur le point de s’écrouler, tous les équilibres ont été modifiés avec l’intervention de la Russie dans le pays. Le régime d’Assad s’est rétabli avec le soutien de la Russie et a reconquis de nombreuses régions qui étaient sous le contrôle de groupes djihadistes. Ainsi, l’alternative d’une Syrie sans Assad n’est plus d’actualité.
La présence de la Russie en Syrie dépend entièrement de la continuité du régime d’Assad. C’est pourquoi toute position contre le régime d’Assad revient à prendre une position indirecte contre la Russie. Au fur et à mesure que l’impérialisme américain a perdu de sa force de sa capacité d’initiative au Proche-Orient, ces reculs ont été comblés par l’impérialisme russe. La Russie possède une influence qui lui permet d’être en position de distribuer les cartes au Proche-Orient. Pour qu’elle puisse conserver cette position et la rendre durable, la victoire définitive du régime d’Assad est nécessaire. Et cette victoire définitive passe par la reprise du contrôle par le régime d’Assad des zones dominées par les djihadistes soutenus par la Turquie et par l’expulsion de tous les groupes djihadistes de Syrie. Et cela signifie que tous les buts de la Turquie en Syrie et au Proche-Orient tomberont à l’eau. Le désir d’Erdoğan d’être présent à Idlib est de nature à rompre complètement les relations entre la Turquie et la Russie, voire à provoquer une guerre de fait. Le régime d’Assad seul n’a pas la force de faire grand-chose contre la Turquie. Mais il a la capacité, avec le soutien de la Russie et de l’Iran, de bouter la Turquie hors de ses frontières. La Russie apporte un soutien total à l’opération du régime d’Assad sur Idlib et cela réduit l’espace de mouvement de la Turquie dans la zone, la poussant ainsi à une guerre dont les conséquences seront graves. Assad ne veut pas d’une zone tampon qui ternirait sa déclaration de victoire, et est déterminé à continuer ses opérations jusqu’à ce que la Turquie et ses groupes djihadistes alliés soient repoussés hors de ses frontières.
Il se pourrait que la Turquie arrache une petite zone tampon lors des négociations diplomatiques. Mais cela ne sera qu’une situation passagère. Erdoğan vit avant tout à Idlib une crise de légitimité internationale. Sur les terres d’Idlib qu’il a envahi avec l’excuse de la lutte contre le terrorisme, il est en alliance avec le Hayat Tahrir al-Cham (Organisation de Libération du Levant, ex-Al-Qaida) que son propre gouvernement classe parmi les organisations terroristes. Il se fait le patron de bandes djihadistes que le monde entier considère comme terroristes et tente de reproduire ce schéma en Libye.
Or, dans la guerre libyenne aussi, la Russie est une force déterminante. En Libye également, les intérêts de la Russie et de la Turquie évoluent dans des directions diamétralement opposées. Les contradictions entre la Russie et la Turquie s’approfondissent à toute vitesse, les visées impérialistes d’Erdoğan en Syrie et en Libye préparent le terrain objectif d’un affrontement direct avec la Russie sur les terrains militaire et économique. Toutes les déclarations officielles de Russie indiquent qu’il n’y aura pas de retrait d’Idlib.
Quelle vont être les conséquences ?
Après qu’Erdoğan a donné le signal de l’attaque contre la Syrie, l’armée turque et les groupes djihadistes sont passés à l’attaque contre l’armée syrienne à Idlib. La Russie a répondu par des bombardements aériens. La guerre de fait d’Erdoğan contre la Russie et la Syrie a donc commencé. Erdoğan est bien décidé à élargir cette guerre et la Russie, quant à elle, est décidée à ne pas accorder de concessions à Idlib. L’éventualité la plus probable est constituée par des attaques militaires dures et des embargos économiques de la part de la Russie. Il est fortement probable que les éventuels embargos économiques poussent la Turquie qui est déjà en crise à subir des dommages importants et que cela provoque un durcissement de la lutte des classes.
Bien que si Erdoğan et ses médias d’égout qui se sont transformés en son ministère de propagande de la guerre tentent de créer jour et nuit une atmosphère chauvine et nationaliste, ils ne sont même pas parvenus à consolider leur propre base. Erdoğan tente de dépasser ses problèmes intérieurs par la guerre mais Idlib le pousse au sein de problèmes autrement plus grands. Les éventuelles divisions et ruptures deviennent d’actualité au sein des cliques bourgeoises. Aujourd’hui, les équipes de Davutoğlu [ancien premier ministre AKP] et Babacan [ancien ministre de l’économie AKP] sont sur le terrain et des scissions affectent l’AKP. D’un autre côté, le maire d’Istanbul İmamoğlu [du CHP kémaliste] est mis en avant par certains médias bourgeois comme étant le futur président de la République. Pour résumer, la bourgeoisie n’est pas sans solution de rechange. Une éventuelle grande défaite à Idlib pourrait bien déclencher le processus qui préparera la fin d’Erdoğan.
Avec un article paru dans les médias américains qui avançait qu’un nouveau putsch en Turquie était d’actualité, les médias d’Erdoğan poussent en permanence les théories du complot sur ce thème. Parallèlement, ils mènent campagne contre le CHP [parti kémaliste] en tant que branche politique de FETÖ [organisation de l’imam Fethullah Gülen, jadis allié et désormais ennemi d’Erdoğan]. L’évolution probable est que, au fur et à mesure que la défaite de la guerre d’Idlib approchera, les contradictions entre les cliques bourgeoises iront en s’accroissant et plus particulièrement des affrontements avec les fractions qui se définissent comme « eurasistes » [doctrine géopolitique en vogue à Moscou qui considère l’ensemble formé par la Russie et ses voisins proches, dont la Turquie, comme une entité qui s’oppose en tout à « l’Occident »] seront probables. À la fois pour réaliser une consolidation de sa base qui empêcherait les départs et pour maintenir une pression complète sur l’opposition, il est possible qu’une opération intérieure soit menée avec l’argument que le groupe eurasiste préparerait un coup d’État.
Le président des États-Unis Trump a déclaré « qu’Erdoğan fait la guerre à Idlib. Actuellement, il y a de nombreuses parties qui font la guerre mais moi, j’ai affaire à Erdoğan ». Trump soutient ouvertement Erdoğan, et ce dernier se sent conforté dans la guerre grâce à ce soutien. Si les États-Unis participaient de façon ouverte à la guerre, l’humanité ferait face à la menace d’une guerre globale.
Une autre possibilité est que Trump flatte Erdoğan pour le pousser à s’enfoncer dans la guerre et qu’il l’abandonnera en rase campagne au cas où il serait mis en cause. Pour Trump, Erdoğan n’est qu’une pièce sur l’échiquier.
Erdoğan soutient souvent que la Turquie est le second pays le plus puissant de l’OTAN afin de se sentir puissant face à la Russie et à la Syrie. Par ailleurs, il invite l’OTAN à le soutenir. Même s’il n’y a pas eu de déclaration claire de la part des chefs d’États membres de l’OTAN sur une intervention sur la guerre de fait entre la Turquie et la Russie, il est évident qu’ils sont peu disposés à intervenir. Une grande solitude sur le terrain attend Erdoğan.
Que doit être l’attitude communiste révolutionnaire ?
Comme les Kurdes ne sont pas présents sur le front d’Idlib, le régime d’Erdoğan ne parvient pas à créer une atmosphère nationaliste et chauvine comme lors de l’invasion des zones kurdes. Malgré tout, il présente tous les arguments contre la guerre de l’opposition selon des aphorismes nationalistes.
Les principaux reproches de l’opposition sont que cette opération est une aventure et qu’elle risque de causer de grands dommages à la Turquie, que l’alliance avec les bandes djihadistes ternit la réputation de l’armée, que la guerre est menée au nom des intérêts américains.
Aucun de ses arguments ne s’oppose à l’État bourgeois et se contentent d’être des critiques amicales envers ce dernier. Toutes ces critiques passent sous silence les tentatives d’invasion du régime d’Erdoğan et son ambition impérialiste, elles réduisent la question à la politique extérieure erronée d’Erdoğan et blanchissent ainsi l’État et l’ordre établi. Et ce faisant, elles envoient la balle dans le court des États-Unis et utilisent l’argument selon lequel la Turquie se bat pour les intérêts américains afin de généraliser au sein des masses la perspective nationaliste qui cherche l’impérialisme toujours à l’extérieur des frontières. La Turquie ne fait pas la guerre pour les intérêts des États-Unis mais pour ses propres buts impérialistes. Elle mène à cet effet une activité conjointe avec les États-Unis.
L’attitude à adopter face à l’impérialisme et à la guerre impérialiste passe par la mise au centre de sa politique la lutte contre les buts impérialistes de son État bourgeois. Elle passe par la lutte pour le renversement de son État bourgeois par les moyens révolutionnaires comme but principal. Nous, militants communistes, ne nous fondons pas uniquement sur l’attitude individuelle des acteurs politiques lorsque nous analysons les processus politiques. Nous prenons comme base la classe qu’ils représentent, leur rôle et leur position au sein du système capitaliste impérialiste internationale. Nous déduisons des tâches révolutionnaires concrètes de ces analyses et nous positionnons pour les mettre en pratique. Nous n’adoptons pas une position qui consiste à attendre à et voir face aux événements. Nous ne sommes pas l’addition des historiens, des spécialistes en études sociales et en stratégie. Pour nous, le marxisme est notre guide dans notre lutte pour changer le monde.
Durant les périodes de guerre, nous ne conseillons pas à notre État bourgeois de ne pas entrer en guerre car cela pourrait constituer sa fin et ne portons pas les illusions comme quoi l’État bourgeois existant serait l’État de toutes les classes. Nous ferons l’agitation, la propagande de ce que la guerre apportera à la classe ouvrière et la raison pour laquelle il faut lutter contre et continuerons notre activité révolutionnaire avec la perspective de transformer la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire. Notre héritage théorique et historique nous enseigne de faire la différence entre une guerre juste et injuste. Pour nous, les guerres justes sont la guerre de classe du prolétariat révolutionnaire contre la bourgeoisie et les guerres des peuples colonisés pour leur libération nationale. Face à la guerre et l’invasion, notre héritage théorique et historique nous a laissé la théorie du défaitisme révolutionnaire qui se concrétise dans le mot d’ordre « le principal ennemi est à l’intérieur, retourne ton arme contre ton État bourgeois ».
Aujourd’hui est le moment parfait pour retirer cet héritage des étagères poussiéreuses et de mettre à l’ordre du jour la doctrine historique pour agir. L’un des acteurs importants de la guerre impérialiste au Proche-Orient qui s’étend de la Syrie jusqu’en Libye est la Turquie. Pour pouvoir lutter de façon cohérente contre l’impérialisme, il faut le rechercher à l’intérieur et non pas à l’extérieur des frontières. Il faut mettre au centre de la lutte le renversement du régime du palais et de l’État bourgeois avec une perspective classe contre classe.
De la même manière qu’il existe des cliques au sein de la bourgeoisie à l’échelle nationale et que l’on voit des confrontations entre ces cliques, il existe toujours une confrontation causée par la concurrence entre impérialistes au sein du système capitaliste impérialiste qui est l’organisation internationale de la bourgeoisie nationale. Si nous considérons l’impérialisme avec les outils de l’époque de la guerre froide, si nous le réduisons aux États-Unis et à quelques pays de l’Union européenne, si nous ne considérons pas la Chine et la Russie comme des puissances impérialistes et pensons qu’ils ont une légitimité accrue face aux États-Unis, nous nous enfoncerons dans le nationalisme. La conception déformée de l’impérialisme amenée par cette répétition anachronique de la guerre froide fait qu’au sujet de la Syrie, les socialistes affichent une attitude convergente à la fraction de la bourgeoisie « eurasiste ». Nous pouvons énumérer ainsi les points sur lesquels il existe une convergence au sujet de la Syrie entre une partie importante du mouvement socialiste en Turquie et l’école « eurasiste » :
Défendre l’intégrité territoriale de la Syrie.
Considérer le régime d’Assad et l’impérialisme russe comme légitimes au Proche-Orient et présenter des bonnes relations avec eux et la Turquie comme une solution.
Voir l’impérialisme des États-Unis comme seul responsable de la guerre en Syrie et au Proche-Orient.
Croire que la reconquête du pouvoir central par le régime d’Assad soutenu par la Russie procurera la paix.
Voir tous les réfugiés syriens comme des djihadistes ou comme étant du côté des djihadistes.
Toutes les solutions mises en avant sont enfermées, en dernière analyse, dans le système capitaliste impérialiste. Que les fractions de l’ordre établi, les sociaux-démocrates et les réformistes proposent des solutions sur cet axe est normal. Ce qui ne l’est pas, c’est que les alternatives proposées par ceux qui se définissent comme socialistes et révolutionnaires se limitent aussi à l’ordre capitaliste impérialiste. Les périodes qui ne manquent pas de guerres impérialistes, de dépressions économiques, de crises politiques sont des périodes où la révolution prolétarienne est d’actualité. Alors, que durant ces périodes, la véritable tâche des socialistes est d’arracher les classes laborieuses au système, de leur présenter une perspective de révolution prolétarienne et d’organiser la lutte dans ce but, ils prennent position pour résoudre les crises politiques de l’État bourgeois. Comme nous l’avons noté souvent auparavant, une partie importante de la gauche socialiste de Turquie se noie dans un processus sans retour en arrière possible de suicide idéologique.
Pourquoi défendre l’intégrité territoriale de la Syrie camoufle le social-chauvinisme ?
Avant tout, toutes les frontières sont l’héritage des puissances coloniales. Elles ont été dessinées comme résultat des partages impérialistes. C’est pourquoi toutes les frontières sont artificielles et tant qu’il existera des frontières dans le monde, les guerres ne manqueront pas. Dans le système capitaliste impérialiste, les périodes qui sont présentées comme des périodes de paix sont en fait des périodes de préparation de nouvelles guerres. La paix définitive à l’échelle mondiale ne peut être atteinte qu’en liquidant le système capitaliste impérialiste et en bâtissant un monde communiste. Défendre l’intégrité territoriale d’un pays, défendre les intérêts d’un pays, défendre la mère-patrie revient avant tout à défendre la bourgeoisie au pouvoir et son appareil de répression qu’est l’État bourgeois. Si l’État existant n’est pas un État ouvrier, si la classe ouvrière n’est pas au pouvoir, la défense de la mère-patrie, la question de l’intégrité territoriale n’est pas le souci des socialistes mais des sociaux-chauvins. La caractéristique du chauvinisme social est qu’en temps de paix, il défend les travailleurs et les opprimés mais poursuit une politique qui vise les gouvernements existants au lieu de son État bourgeois. Durant les périodes de guerre, il défend son État bourgeois et invite les masses laborieuses à défendre la mère patrie en suivant la bourgeoisie. Durant les périodes de guerre, il adopte une position qui consiste à donner des conseils à l’État bourgeois.
De ce point de vue, s’opposer aux politiques de guerres impérialistes d’Erdoğan en arguant de la défense de l’intégrité territoriale de la Syrie cache un chauvinisme. Car avec la position qu’il adopte contre l’invasion, il se positionne aux côtés de son État bourgeois. Son opposition repose sur une crainte pour l’avenir de son État bourgeois. Il ne recherche pas à transformer cette guerre en guerre civile révolutionnaire et créer ainsi des possibilités révolutionnaires. Il conseille à son État bourgeois que la conciliation avec Assad est la meilleure solution et s’oppose à cette opération d’invasion dans l’intérêt de l’avenir et de la survie de son État bourgeois. Le même conseil est également donné au régime Erdoğan par le CHP. De par leur positionnement qui est dans les rangs de la bourgeoisie, ils adoptent une attitude qui consiste à donner des conseils amicaux à cette bourgeoisie pour son bien. Réduire la question à l’intégrité territoriale de la Syrie, c’est du chauvinisme insidieux. Car la région ainsi découpée et le régime Baas de Syrie sont constitués par l’occupation des terres du Kurdistan de l’Ouest. Défendre l’intégrité territoriale de la Syrie n’est rien d’autre que d’avancer que le droit de coloniser le Kurdistan de l’Ouest appartient à l’État bourgeois syrien. Sur la question syrienne, toute approche qui ne défendrait pas le droit du peuple kurde à déterminer son avenir aura comme résultat du chauvinisme social.
Considérer que le régime Assad et l’impérialisme russe sont légitimes en Syrie revient à enfermer les peuples laborieux de Syrie entre le djihadisme et le baasisme
Dans la guerre de partage du Proche-Orient qui a pour centre la Syrie, il existe de nombreuses parties et de nombreux fronts. Le point commun entre les différents protagonistes est qu’ils visent toutes à imposer leur hégémonie à la fin de la guerre. Cette guerre impérialiste qui dure depuis des années au Proche-Orient et en Syrie enferme les peuples laborieux de Syrie, en l’absence d’un front révolutionnaire, entre la dictature du Baas et le djihadisme. Toutes les parties prenantes de cette guerre, à savoir le régime Assad, la Russie, les États-Unis, la Turquie et l’Iran partagent la même culpabilité.
Présenter comme l’unique et le principal coupable l’impérialisme américain fait gagner en légitimité à la domination russe et à la dictature d’Assad. Les socialistes ne prennent parti ni durant une polarisation entre les impérialistes, ni durant une polarisation entre les différentes fractions bourgeoises à l’échelle nationale. Leur attitude est nette : « classe contre classe ». Ils se dressent contre tous les impérialistes ainsi que contre les forces réactionnaires avec qui les impérialistes sont en alliance. Face à la dictature du Baas et au fascisme djihadiste imposés aux peuples laborieux de Syrie, ils brandissent la bannière de la révolution prolétarienne. Ils défendent, en toute occasion, qu’aucune des parties présentes ne peut apporter la paix, qu’elles continueront toutes un ordre dans lequel les guerres, l’exploitation, l’oppression et la pauvreté perdureront. Considérer aujourd’hui l’impérialisme russe et le régime d’Assad comme légitimes et les présenter soit honteusement, soit ouvertement comme une alternative est l’expression la plus évidente qu’il n’y a plus de foi en la révolution, le socialisme et la classe ouvrière. Les socialistes qui accordent de la légitimité au régime d’Assad et à l’impérialisme russe expliquent qu’il n’y a pas de front révolutionnaire puissant en Syrie et que pour cette raison une victoire du régime d’Assad soutenu par la Russie face à l’impérialisme américain et aux djihadistes donnerait des résultats progressistes, et qu’il convient donc de les soutenir.
La raison de l’absence d’un front révolutionnaire en Syrie se noue précisément ici : les groupes socialistes et communistes en Syrie partagent cette même perspective. Une partie importante des socialistes de Syrie qui n’avait confiance ni en ses propres forces, ni en la justesse historique de leur programme, ni en la classe ouvrière a intégré l’armée de son État bourgeois pour défendre la mère patrie. Cette partie des socialistes a défendu avec son sang et au prix de sa vie l’État bourgeois qu’il était pourtant chargé de détruire. Les autres groupes socialistes révolutionnaires qui restaient en dehors de cette orientation ont cherché à attribuer un rôle d’opposition civile ou dans l’Armée syrienne libre et se sont donc liquidés et sont dans un processus de disparition. Tout courant socialiste qui n’aura pas la perspective d’une opposition de classe sera condamné à se subordonner aux cliques bourgeoises. Tout comme avec la recherche aujourd’hui face à la dictature d’Erdoğan en Turquie d’un front démocratique avec une opposition bourgeoise fondée sur l’activisme des classes moyennes, ils dérapent dans la tentative de réparer l’ordre établi.
Expliquer qu’une victoire du régime d’Assad apportera à la région la paix et la stabilité est de la stupidité libérale
La thèse selon laquelle la guerre en Syrie sera terminée avec la victoire du régime Assad et que cela apportera la paix et la stabilité à la région est souvent répétée. Cette thèse n’est rien d’autre qu’un aphorisme libéral. Il est vrai qu’une victoire absolue du régime d’Assad mettra fin à la guerre pour un temps. Car sous sa forme actuelle, la guerre civile syrienne a atteint ses limites et ses éléments d’équilibre. Suite à la victoire du régime d’Assad, le processus de reconstruction du régime et d’adoption d’une nouvelle constitution commencera. Durant ce processus, les contradictions entre les revendications des Kurdes et leur autonomie de facto et le régime d’Assad qui sortira victorieux s’exacerberont.
Le régime d’Assad peut refuser d’accorder un statut particulier aux Kurdes et cela pourrait provoquer une nouvelle guerre. Même si cette question pouvait être résolue sans guerre, au moyen de négociations, la guerre impérialiste qui continue au Proche-Orient perdurera de manière brûlante. Le Proche-Orient est le principal centre de tensions dans le monde et est en même temps le berceau des gouvernements et des éléments politiques parmi les plus réactionnaires.
C’est une région où les conflits nationaux, religieux et sectaires ne manquent pas. D’un côté, les impérialismes américains et israéliens, avec leurs alliés, conservent leur projet de Grand Proche-Orient. De l’autre, il y a les impérialismes russe et chinois qui veulent également exister. Les deux pôles ont pour but le pillage impérialiste du Proche-Orient. La victoire du régime d’Assad singinfiera également la victoire de l’impérialisme russe. Car le pouvoir permanent du régime d’Assad signifiera que la Syrie deviendra l’arrière-cour de la Russie. L’impérialisme russe qui aura gagné une base principale comme la Syrie au Proche-Orient n’hésitera pas à pousser celle-ci dans la guerre pour ses propres buts impérialistes dans la région. En bref, les prises de position impérialistes au Proche-Orient entraînent l’humanité dans une nouvelle guerre mondiale. Dans ces conditions, défendre qu’une victoire du régime d’Assad apportera la paix et la stabilité à la région revient à affirmer que la bourgeoisie est capable d’apporter la paix au Proche-Orient dans une période où le tocsin de la guerre impérialiste mondiale sonne. La paix au Proche-Orient ne sera possible qu’avec les révolutions prolétariennes et la construction des soviets ouvriers du Proche-Orient. Tout projet de paix en dehors de cette option ne sera qu’une période de préparation pour de nouvelles guerres.
Non à la guerre des peuples et à la paix des classes !
République turque envahisseuse, hors de Syrie !
Ne fais pas ton service militaire, ne tue pas et ne meurs pas pour les intérêts du palais !
La paix arrivera au Proche-Orient avec les ouvriers en lutte !
Construisons les comités d’autodéfense !
Vivent les soviets du Proche-Orient !
Parti révolutionnaire pour la révolution, préparation révolutionnaire pour le parti révolutionnaire !