Le legs des puissances coloniales : frontières artificielles, monarchies, sionisme
L’Afrique du Nord et le Proche-Orient étaient dominés à la fin du 19e siècle par la Grande-Bretagne et la France. La Grande-Bretagne échoua néanmoins, au Moyen-Orient, à coloniser l’Afghanistan en 1842. En Turquie, en 1922, en profitant de la révolution russe, une fraction de l’état-major de l’armée appuyée par la bourgeoisie turque desserra l’étreinte impérialiste et empêcha la colonisation du cœur de l’ancien empire ottoman. L’Italie fasciste tenta de se tailler un empire colonial en Afrique du Nord et de l’Est alors que l’Allemagne nazie se conciliait la Turquie.
Après la 2e Guerre mondiale, les anciens empires coloniaux européens se disloquèrent, sous la pression révolutionnaire des peuples opprimés et celle de l’impérialisme hégémonique. La bureaucratie de l’URSS craignant la révolution prolétarienne par-dessus tout, subordonna les partis communistes de la région à la bourgeoisie nationale, étouffant en particulier la révolution sociale en Iran en 1946 et en Irak en 1948.
La région semblait divisée, dans les années 1970, entre régimes autoritaires « amis de l’URSS » (Égypte, Syrie, Irak, Yémen, Libye, Afghanistan…) et dictatures militaires ou monarchies absolues liées à l’État américain (Turquie, Iran, Arabie saoudite, Jordanie, Koweït, EAU, etc.). En outre, la colonisation sioniste avait engendré, avec le soutien des impérialismes occidentaux et de l’URSS, un État juif basé sur l’expulsion des habitants arabes de la Palestine. Israël vainquit cinq fois des armées arabes qui se révélèrent plus aptes aux coups d’État et à la répression interne qu’à la libération de la Palestine (1948, 1956, 1967, 1973, 1982). Les Palestiniens furent non seulement victimes de l’armée sioniste, mais des régimes arabes de Jordanie, du Liban et de Syrie.
Une région plongée dans le chaos par l’impérialisme
Le Liban plongea dans la guerre civile de 1975 à 1989. En 1978, une révolution éclata en Iran, dirigé alors par un monarque appuyé par les États-Unis. En 1979, le clergé chiite avec à sa tête Khomeiny y mit fin de manière brutale, avec le soutien du parti stalinien obéissant au Kremlin (Tudeh), de la guérilla maoïste-castriste (Fedayin) et de la guérilla cléricale (Modjahedines) au nom du front unique anti-impérialiste. Ces derniers furent mal récompensés car leurs membres qui refusèrent de se renier furent assassinés dans les prisons de la République islamique. Hussein reçut alors l’encouragement des puissances impérialistes pour que l’Irak attaquât militairement l’Iran qui échappait à leur contrôle. La guerre ravagea les deux pays de 1980 à 1988. Quand l’Irak voulut se récompenser en envahissant le Koweït, toutes les puissances impérialistes occidentales l’envahirent en 1991.
En 1994, le Yémen connut une nouvelle guerre civile. Quand les fanatiques islamistes sunnites, supplétifs de l’impérialisme en Afghanistan, financés par les monarchies du Golfe, se retournèrent en 2001contre leurs maîtres américains, l’État américain, loin de rompre avec l’Arabie saoudite, firent la guerre à l’Afghanistan et, de manière encore plus absurde, à l’Irak. Ils ont ravagé le pays, encouragé les clivages religieux en armant les milices chiites.
En Tunisie, en Syrie, en Égypte, au Yémen, à Bahreïn… les jeunes et les travailleurs ont déclenché en 2011 une révolution régionale en cherchant à chasser leur despote respectif. Néanmoins, les États-Unis aidèrent l’état-major à reprendre le contrôle de l’Égypte, la France a conseillé la bourgeoisie pour faire refluer le mouvement avec une assemblée constituante en Tunisie. En Syrie, les djihadistes (Al-Qaida/Front al-Nosra/Hayat Tahrir al-Cham, État islamique/Daech, etc.) acheminés, armés, financés et soignés par la Turquie et les monarchies du Golfe prirent la tête de l’opposition au boucher Assad fils, ce qui justifia l’intervention de l’Iran, puis de l’impérialisme russe issu de la contre-révolution de 1991-1992 en URSS. En 2011, les impérialismes français et anglais, avec l’accord des États-Unis, envahirent la Libye et ainsi ouvert la porte à des courants encore plus islamistes que Kadhafi, dont l’EI.
En 2014, une coalition menée par l’Arabie saoudite envahit le Yémen déstabilisé par la rébellion des Houtis, une minorité relevant du chiisme. La même année, l’État irakien façonné par les États-Unis s’est effondré face aux face à l’État islamique (EI). Une nouvelle coalition impérialiste meurtrière a bombardé le nord du pays et de la Syrie de 2014 à 2018 et dispose de bases dans le pays et la région. Les mouvements de contestations pour « des réformes » en 2015-2016 avaient montré une volonté populaire de refuser la misère. La révolte dans le sud du pays durant l’été 2018, durement réprimée, fut clairement animée de mots d’ordre tournés contre les partis installés par l’occupant depuis 2003.
L’État israélien étranglait Gaza et la détruisait régulièrement, il poursuivait sa colonisation à Jérusalem et en Cisjordanie. En 2017, l’État américain a reconnu Jérusalem comme capitale. Le 28 janvier, Trump a présenté un « plan de paix » qui autorise l’annexion des colonies de Cisjordanie et de Jérusalem, lui promettant en outre la vallée du Jourdain.
Soulèvement au Liban
Au Liban, l’impérialisme français a instauré en 1926 un système confessionnel. Les affaires capitalistes communes sont gérées par un gouvernement de partis cléricaux (chrétien, chiite, sunnite…) disposant souvent de leur propre bras armé. La situation économique des masses est terrible et s’aggrave avec un chômage grandissant, une pauvreté galopante, des restrictions aux guichets bancaires qui paupérisent la population, une pollution grandissante.
Rompant avec cette division confessionnelle, des centaines de milliers de manifestants ont occupé les places des principales villes du pays le 17 octobre. Comme au Chili avec l’augmentation du ticket de métro, c’est une nouvelle taxe pour utiliser l’application whatsapp qui a mis le feu aux poudres. Très vite, la dénonciation de la corruption, la demande de la hausse des salaires, d’accès à l’emploi ont été scandées dans les rues indépendamment des communautés d’origine dans laquelle sont enfermées habituellement les classes exploitées. Depuis, les manifestations et rassemblements qui se voulaient pacifistes font face aux bandes fascistes (Hezbollah, Amal…) dont les hommes de main attaquent les tentes et stands des contestataires. Depuis plusieurs semaines, ce sont les forces armées qui font régner l’ordre. Mais le mouvement ne s’essouffle pas. Le 18 janvier, la manifestation à Beyrouth face au Parlement a fait plus de 400 blessés. Contraint à la démission fin octobre, le premier ministre Saad Hariri n’a eu un successeur que le 21 janvier. L’universitaire Diab a été choisi par un camp de partis majoritaires au parlement pour sauver le secteur bancaire et apaiser la crise.
Émeutes en Irak
En Irak, l’impérialisme américain a instauré en 2003 un système confessionnel, les nouveaux partis politiques reposant plus sur des milices religieuses que sur des votes. Depuis le 1er octobre 2019, une partie paupérisée de la population (chômage, manque de nourriture, coupures d’eau potable et d’électricité, absence de services publics…) manifestent en masse. Dans la capitale, ils occupent courageusement la place Tahrir. Parti de la jeunesse des bidonvilles, des ouvriers et des chômeurs, c’est surtout des jeunes pauvres qui mènent la révolte. Ils exigent « la chute du régime », le départ des partis cléricaux actuels, corrompus, liés soit à l’Iran soit aux États-Unis.
Malgré la répression sanglante à balles réelles, les manifestants s’en sont pris aux bâtiments du pouvoir en cherchant à atteindre la « zone verte », qu’on rejoint par un pont depuis la place Tahrir. Cette zone fermée est le secteur de Bagdad où les grands capitalistes, l’état-major, les hauts fonctionnaires et les diplomates sont protégés depuis 2003. Le mouvement s’est propagé dans d’autres villes, notamment celles du sud (Bassora, Najdaf, Babylone, Kerbala, Diwaniya…) où les milices religieuses chiites font régner habituellement la terreur.
En 4 mois, 500 militants ont été tués par la police et les bandes armées cléricales. Il y a eu 25 000 blessés. Malgré la répression, les enlèvements et assassinats, la jeunesse et les travailleurs d’Irak luttent sous l’hégémonie des associations professionnelles de la petite bourgeoisie urbaine (enseignants, ingénieurs, médecins, avocats). La coalition électorale « En marche » dirigée par le puissant mouvement chiite de l’imam Moqtada Al-Sadr, auquel s’est subordonné le Parti communiste irakien, est arrivée en tête des élections législatives de mai 2018 et a prétendu soutenir le mouvement. Mais le 24 janvier, Al-Sadr a retiré son soutien aux contestataires après avoir réduit la lutte à la seule exigence de voir partir les soldats américains d’Irak. Les 25 et 26 janvier, la police et ses supplétifs ont fait 40 nouveaux morts et 250 blessés après avoir attaqué les places occupées par les manifestants dans plusieurs villes du pays.
Manifestations en Iran
En Iran, les sanctions économiques des États-Unis plongent l’économie dans la dépression. La baisse des exportations de pétrole (de 2 millions à 600 000 barils par jour) a mis à genoux le capitalisme iranien. Le mouvement ouvrier n’est pas toléré, même sous la forme de grèves économiques. Par exemple, les ouvriers animateurs de la grève de mars 2018 de la raffinerie de sucre Haft-Tapeh croupissent en prison pour avoir réclamé des salaires en retard. L’évolution du PIB est de – 9,5 % pour 2019, l’inflation est de 40 % alors que le salaire moyen est de 220 euros par mois. Les entreprises licencient, le chômage est estimé autour de 20 % de la population active (encore plus chez les jeunes).
Le 14 novembre, la décision d’augmenter de 50 % le prix de l’essence déclenche des manifestations populaires (ouvriers, employés, chômeurs…) massives dans 100 villes, une quarantaine connaissent des émeutes et des affrontements sanglants. Les forces de répression noient la révolte dans le sang : 1 500 manifestants sont tués en quelques jours. Malgré l’union nationale après l’assassinat du général Soleimani, à la nouvelle que l’armée a abattu un avion de ligne ukrainien, tuant 176 passagers, majoritairement des étudiants iraniens, les manifestations reprennent dans les universités le 14 janvier.
Pour que la classe ouvrière prenne la tête de la lutte contre l’islamisme, le sionisme et l’impérialisme
Au Liban, en Irak, en Iran, les travailleurs qui tentent d’échapper à la division cléricale ou à la dictature religieuse doivent prendre la tête des mobilisations pour les revendications économiques et démocratiques, s’organiser en comités et préparer l’auto-défense. Face à l’État bourgeois et aux partis cléricaux des classes dominantes (propriétaires terriens, capitalistes…), il faut l’indépendance de classe et un instrument politique, un parti ouvrier révolutionnaire.
Face à la menace de guerre de Trump et du camp impérialiste, il est de la responsabilité des partis et syndicats ouvriers de tous les pays, au premier chef des États-Unis et d’Israël, de se prononcer contre la poursuite de la colonisation de la Palestine autorisée par Trump, d’exiger la fin des assassinats par les armée israélienne et américaine, l’arrêt des interventions militaires dans la région, le retrait des navires, avions, satellites et drones militaires, la fermeture de toutes les bases militaires. Une telle campagne politique à travers le monde serait une aide puissante pour la classe ouvrière, la jeunesse et les paysans pauvres de la région. En affrontant leurs gouvernements, les travailleurs des grandes puissances seront le soutien le plus efficace pour chasser les capitalistes du pouvoir, pour des gouvernements ouvriers et paysans (de Beyrouth à Téhéran, de Jérusalem à Bagdad, d’Aden à Kaboul), pour la fédération socialiste du Proche Orient.