Partis | 2015 | 2019 |
---|---|---|
Parti conservateur (PCC)/Conservative Party | 31,9 % | 34,4 % |
Parti libéral (PLC)/Liberal Party | 39,6 % | 33,1 % |
Nouveau parti démocratique (NPD)/New Democratic Party | 19,7 % | 15,9 % |
Bloc québécois (BQ) | 4,7 % | 7,7 % |
Parti vert (PV)/Green Party | 3,4% | 6,5 % |
Parti populaire du Canada (PPC)/People’s Party of Canada | _ | 1,6 % |
Les dernières élections fédérales canadiennes, qui eurent lieu le 21 octobre 2019, concernaient 27,4 millions d’électeurs. Le taux de participation fut de 66 %, soit 2,3% de moins qu’en 2015. Elles résultèrent en la désignation par la nouvelle Chambre des communes d’un gouvernement minoritaire du Parti libéral du Canada/Liberal Party of Canada de Justin Trudeau qui a plus de députés (157 sièges) mais moins de voix que son rival traditionnel, le Parti conservateur du Canada/Conservative Party of Canada (121 sièges).
Un État de plus en plus écartelé
Le Canada a connu trois gouvernements minoritaires dans les années 2000, le premier en 2004 sous la houlette des libéraux dirigés par Paul Martin et les deux autres en 2006 et 2008 sous la direction du Parti conservateur de Stephen Harper. C’est un signe de crise de la représentation politique qu’éprouve la bourgeoisie canadienne car non seulement elle est divisée, comme toutes les autres, sur la manière de dominer les autres classes sociales, mais elle est aussi fragilisée par les tensions contradictoires qu’elle subit de la part de plus grandes puissances impérialistes, surtout du puissant voisin terrestre, les États-Unis, et de l’impérialisme émergent dans la zone de l’Océan Pacifique, la Chine [sur le nouveau traité ACEUM, voir Avant-Garde n° 4, hiver 2018-2019].
Ainsi, le premier ministre Trudeau a cédé à la pression étasunienne en arrêtant le 1er décembre 2018 la directrice financière et vice-présidente du groupe chinois des télécommunications Huawei qui est actuellement en résidence surveillée à Vancouver dans une de ses somptueuses villas.
Nous avions jusqu’à présent de très bonnes relations avec la Chine. Nos échanges étaient en pleine croissance. En arrêtant Meng Wanzhou, le Canada a mis la Chine en colère. Depuis, elle cherche des moyens d’exprimer son mécontentement. (Mike von Massow, professeur à l’université de Gueph, cité par Mediapart, 27 septembre 2019)
L’État chinois a arrêté deux ressortissants canadiens en décembre dernier, il a bloqué les importations de graines de colza en mars, il a suspendu celles de viande de porc en juin. Les agriculteurs sont touchés alors que l’industrie pétrolière et gazière est, quant à elle, plutôt dépendante des achats des États-Unis et dans une moindre mesure de l’Europe.
Les rapports différenciés avec les bourgeoisies étrangères nourrissent les forces centrifuges de la province à majorité francophone mais aussi des provinces à majorité anglophone.
L’Alberta et le Saskatchewan ont depuis longtemps été irrités par la plus grande influence des provinces plus peuplées de l’Ontario et du Québec. Leur colère a grandi depuis 2014, quand le prix mondial du pétrole a dégringolé, causant des difficultés régionales. (The Economist, 26 octobre 2019)
Le pays est profondément divisé, ce que montre le résultat des élections, le mouvement séparatiste reprend de la vigueur dans l’ouest canadien, le bilinguisme officiel est jugé trop coûteux, les droits des francophones sont attaqués notamment en Ontario, etc.
Les frères ennemis de la politique bourgeoise fédérale
Le Parti libéral du Canada/Liberal Party of Canada a réussi à conserver le pouvoir tout en perdant des votes et des sièges à la Chambre des Communes. Il est passé de 177 circonscriptions à 157 et son gouvernement est devenu minoritaire, c’est-à-dire qu’il peut tomber si les partis d’opposition rejettent en bloc ses projets de loi. Contrairement à ses promesses lors des élections de 2015, il n’a rien fait pour garantir de meilleures conditions de vie aux peuples autochtones et établir avec eux de nouvelles relations. Tant que le capitalisme sera en place, les Premières Nations seront condamnées à vivre sous le joug de la bourgeoisie canadienne, anglophone et francophone, et leurs membres seront traités comme des citoyens de seconde zone. Nous devons bien sûr appuyer toute mesure qui peut améliorer leur sort, mais tout en gardant en tête que la véritable solution aux problèmes des autochtones ne peut venir que d’une révolution prolétarienne victorieuse.
Trudeau a régulièrement dénoncé les accointances de ses concurrents du Parti conservateur du Canada/Conservative Party of Canada avec les compagnies pétrolières de l’Ouest canadien. Il les accusait de nuire à l’environnement avec leurs projets pétroliers pour développer les sables bitumineux de l’Alberta. Mais en 2018, son gouvernement n’a pas hésité à acheter l’oléoduc Trans Mountain de la compagnie Kinder Morgan qui traversait de sérieuses difficultés financières. Trudeau a ainsi rendu possible la poursuite de la construction de cet oléoduc de l’Alberta jusqu’en Colombie-Britannique sur la côte du Pacifique. Peu importe leur couleur et leurs pieux discours, tous les partis bourgeois sont résolus et engagés à défendre les profits des capitalistes. L’environnementalisme bourgeois est une duperie pour rallier la jeunesse scolarisée et les travailleurs et les travailleuses qualifiés sous son drapeau et les détourner de la lutte des classes. Les libéraux ont montré plus d’une fois qu’ils ne valaient guère mieux que les adversaires conservateurs.
Quant au Parti conservateur dirigé par le catholique pratiquant et anti-avortement Andrew Scheer, il s’est beaucoup concentré sur la baisse des impôts et la réduction du budget fédéral de l’ordre de 58 milliards $, ce qui veut dire davantage d’austérité pour la classe ouvrière. La question de l’avortement a surgi au cours de la campagne électorale, mettant Scheer dans l’embarras, lui qui voulait éviter le sujet.
S’il a été réticent à s’affirmer lors du premier débat des chefs en français, Andrew Scheer a clarifié jeudi sa position sur l’avortement. « Je suis personnellement pro-vie », a déclaré le chef conservateur sans hésiter, accusant au passage les libéraux de vouloir « diviser les Canadiens ». (Radio Canada, 3 octobre 2019)
L’avortement a été complètement illégal au Canada jusqu’en 1969, quand Pierre Elliott Trudeau a promulgué le Bill Omnibus qui autorisait l’avortement si la santé et la vie de la mère étaient en jeu. Un comité de médecins devait donner son consentement. En 1988, la Cour suprême a complétement décriminalisé l’avortement qui est maintenant financé par l’État. Les risques que le gouvernement canadien annule ce droit sont faibles en ce moment et ce même sous la houlette du Parti conservateur, mais nous devons demeurer vigilants surtout dans une époque d’austérité et de réaction.
Le succès du parti bourgeois québécois indépendantiste
Le seul parti qui a fait des gains importants est le Bloc Québécois : il est passé de 10 députés élus à 32 sur un total de 78 circonscriptions dans la Belle Province- alors qu’en 2011 il avait été presque rayé de la carte avec seulement 4 élus.
C’était l’étiquette électorale du principal parti nationaliste bourgeois et indépendantiste même s’il a été discret sur la question de l’indépendance du Québec tout au long de la campagne électorale. Le BQ a été fondé au début des années 1990 pour devenir le pendant du Parti Québécois sur la scène politique fédérale canadienne et préparer l’accession du Québec à l’indépendance en vue du référendum de 1995 qui s’est soldé finalement par une victoire très serrée du Non.
Devant le recul progressif du soutien à l’indépendance du Québec, avec des hauts et des bas, le Bloc s’est concentré sur la défense des « intérêts québécois » au parlement canadien. Le discours du BQ était centré sur « la laïcité », en fait la xénophobie qu’il partage avec le gouvernement CAQ du Québec. Car, que ce soit avec le PL, le PQ ou la CAQ, les établissements des Églises chrétiennes reçoivent toujours la manne de l’argent public.
Selon le comité d’experts chargés d’analyser le financement des commissions scolaires, le réseau privé est financé à hauteur de 75 %. (Le Soleil, 12 juin 2014)
Le PQ a voté la loi 21 [voir Avant-Garde n° 5, printemps 2019], ainsi qu’une défense des intérêts supposés et des champs de compétence du Québec face aux prétendus empiètements du gouvernement fédéral et le PQ a mis le Bloc au service du gouvernement CAQ.
Peu importe le parti politique au pouvoir à l’Assemblée nationale, le mandat du Bloc québécois est « d’être le porteur de la voix du Québec à Ottawa », a estimé M. Blanchet en point de presse à Montréal, à sa sortie du bureau du premier ministre du Québec. (Le Devoir, 16 février 2019)
L’apparition de partis « populistes »
La démocratie parlementaire est fragilisée dans le monde entier avec des restrictions aux libertés démocratiques et une poussée de personnages et de partis populistes, cléricaux, xénophobes ou fascisants. Le Canada semble y échapper avec le maintien de l’alternance libéraux-conservateurs au niveau fédéral mais il n’y échappe pas totalement comme le prouvent le surgissement de la Coalition avenir Québec en 2011 et celui du Parti populaire du Canada/People’s Party of Canada en 2018.
Les élections d’octobre 2018 au Québec ont permis à la CAQ, une rupture sur la droite du PQ, de gouverner avec plus de 37 % des voix la province [voir Avant-Garde n° 4, automne 2018]. Elle était absente des élections fédérales.
Par contre, le PPC, une rupture sur la droite du PCC/CPC a participé pour la première fois aux élections fédérales. Tout aussi partisan de la restriction de l’immigration que la CAQ, mais pas sur la base de la même langue, il n’a obtenu que 1,64 % des voix et aucun siège.
Le recul du parti réformiste pancanadien
Le Nouveau Parti démocratique/New Democratic Party, le seul parti ouvrier à l’échelle de tout le Canada, est de type social-démocrate. Son chauvinisme canado-anglais a facilité l’emprise du nationalisme bourgeois au Québec. Le NPD conserve néanmoins une base ouvrière et des liens avec les syndicats, comme celui de Unifor (travailleurs canadiens de l’automobile). Un soutien électoral peut lui être apporté ainsi qu’à Québec solidaire [sur QS, voir Avant-Garde n° 2, été 2018], faute de candidats prolétariens révolutionnaires, à condition de critiquer de manière impitoyable et sans concession sa ligne et de combattre, au sein des syndicats, les bureaucraties corrompues et intégrées.
Durant la campagne électorale, il promettait des mesures sociales comme un programme national d’assurances-médicaments et davantage d’investissements pour la construction de logements sociaux, mais sans aucune référence à la classe ouvrière, se contentant de défendre les intérêts des « gens ordinaires » face aux riches et puissants (https://www.npd.ca/cout-de-la-vie).
C’est typique des partis ouvriers bourgeois de nos jours que d’escamoter complètement la classe ouvrière au profit de concepts sans contenu de classe. Le NPD a même retiré toute référence au socialisme et à la propriété sociale des moyens de production depuis 2013. Le NPD, qui a déjà soutenu un gouvernement libéral minoritaire entre 1972 et 1974 à l’époque du premier ministre Pierre Elliott Trudeau, père de Justin Trudeau, n’y fait pas exception du tout, bien au contraire.
Le très timoré PDN/NPD a subi une grande dégringolade lors de ces élections passant de 39 députés à 24 pour l’ensemble du Canada et au Québec de 14 à un seul.
Ce qu’il restait de la vague orange de 2011 a pratiquement été effacé de la carte électorale au Québec. Le Nouveau Parti Démocratique n’a pu y faire élire qu’un seul candidat, alors qu’il a réussi à maintenir une bonne part de ses acquis dans le reste du Canada. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, assure qu’il n’abandonnera pas la province pour autant. (Radio-Canada, 22 octobre 2019)
Il semble avoir perdu des voix au profit du Parti vert/Green Party, qui brouille encore plus les lignes de classe, voire du BQ aux relents xénophobes grandissants.
La classe ouvrière a besoin de libertés démocratiques, mais le parlementarisme bourgeois n’a rien à lui apporter. Les élections, dans le capitalisme, servent à choisir qui gérera les intérêts de la classe dirigeante capitaliste ; elles apportent aussi plus de légitimité et de stabilité à l’État que les régimes d’exception.
Contrairement aux partis réformistes et aux organisations semi-réformistes Alternative socialiste [sur AS, voir Avant-Garde n° 1, printemps 2018], Gauche socialiste, Riposte socialiste, Socialisme international… nous, communistes révolutionnaires, ne cultivons pas d’illusions sur une quelconque possibilité de parvenir à des changements sociaux en faveur des travailleur-euses suite à des élections tenues dans le cadre de l’État bourgeois.
La tâche principale à l’heure actuelle est de rassembler les éléments communistes dispersés pour construire un parti ouvrier indépendant de la bourgeoisie, révolutionnaire et internationaliste, qui prenne la tête des luttes du prolétariat canadien et de tous les opprimés pour renverser le système capitaliste et le remplacer par une société socialiste mondiale sans classes.