Remarque préliminaire
Trois mois après la consultation populaire sur l’armée fédérale autrichienne des camarades ont découvert à Valence quelles erreurs ultragauches et opportunistes – selon leur opinion – le GKK a faits en cette question. Encore pire – c’est tout le COREP et ses camarades français qui doivent être leurs souffre-douleur : il leur est reproché quelque chose comme un manque de vigilance révolutionnaire envers la section autrichienne.
Considérons donc les arguments de nos critiques, point par point.
Tout d’abord une clarification : le concept de « référendum » est faux dans le contexte de la question de l’armée fédérale. Un référendum est, selon la Constitution autrichienne, clairement défini comme un scrutin en oui/non sur une loi ou un changement de constitution dont le résultat engage le Conseil national. La consultation populaire par contre est un instrument purement facultatif de la démocratie bourgeoise « directe », une sorte de sondage d’opinion « officiel ». Son résultat n’est donc pas contraignant.
Les camarades Carolina et Ernesto mettent dès le début l’artillerie lourde en position : le tract du GKK représenterait une ligne « apolitique » et, oh horreur, ne mentionnerait de façon incroyable ni le gouvernement, ni la sociale-démocratie. Particulièrement blâmable serait le fait que nous parlons de « super riches » au lieu de » bourgeoisie » dans ce tract.
Nous traiterons ultérieurement ce complexe de vocabulaire mais nous désirons indiquer aux camarades de Valence que de petits lapsus peuvent leur échapper dans le feu du combat :
« A cette question nous pouvons la conscience tranquille répondre ni par oui ni par non car ce n’est pas de notre armée dont il s’agit » signifie expliquer qu’il importe peu pour la classe ouvrière autrichienne de savoir si son armée se transforme à 100 % en une armée de mercenaires et si le service militaire obligatoire disparait auquel est liée (visiblement) la formation militaire de la jeunesse. » (p.2)
Une position identifiée au militarisme bourgeois
Comme ils suivent ouvertement nos publications sur internet, ils savent certainement que l’on peut y trouver nos publications en entier, entre autres nos « Thèses sur le militarisme » parues en numéro spécial de notre journal KLASSENKAMPF lorsque la discussion sur le service militaire obligatoire a commencé en Autriche (février 2011) : les thèses nous parurent si importantes que nous les avons inclues aussi dans notre déclaration programmatique.
Dans le numéro plus tard, daté de mai 2011, nous avons consacré un dossier de cinq pages à la mise en place de l’armée fédérale autrichienne et au rôle de la social-démocratie.
Dans le n° 14 de notre journal, paru une semaine après la consultation populaire, nous avons rendu compte de son résultat et des perspectives du militarisme autrichien. Procéder ainsi comme si une jeune organisation, cachée aux yeux de ses professeurs expérimentés en France, avait publié un tract « apolitique » est singulier et suscite plutôt l’impression qu’on chercherait, en marge des discussions de fusion entre le CCI(t) et le GB, à pousser un coin dans les rangs prochainement unifiés du COREP en France avec un « péché » sorti comme un lapin du chapeau.
Avant d’aborder la collection de citations des camarades valenciens, encore deux remarques concrètes : vous nous reprochez d’être ultragauches et de nous adapter au KPO. Nous ne répondons pas au deuxième reproche car une lecture de toutes nos publications suffit pour juger de cette absurdité. En ce qui concerne notre position « ultragauche », nous nous en occuperons plus tard.
Livrez nous la réponse, camarades !
Nous avons douloureusement regretté votre réponse à la question dont vous faites vous-même la clé de voute de votre « critique » : « quelle position au référendum », avides d’apprendre comme nous le sommes, nous avons attendu la réponse programmatique correcte de camarades expérimentés.
Le premier point – que nous n’appelons pas les travailleurs et la jeunesse à voter pour l’introduction de l’armée professionnelle – a certes continué à nous aider, mais l’idée ne nous en était même pas venue (en dépit de notre inexpérience et de notre gauchisme).La question deux sera plus passionnante. Malheureusement les camarades ne nous donnent pas ici de conseil applicable. Il leur manque les informations, disent-ils, mais ils nous instruisent malgré tout que la gamme des réponses possibles oscille entre le « vote utile » (Oui) et la recommandation claire (Non).
Bien – mais nous ne commenterons pas non plus le « vote utile » : la « critique « et la « réponse »des camarades de Valence tombe malheureusement dans le vide. De façon digne de reconnaissance dans leur critique du GKK, ils renvoient au site web du ministère de l’intérieur autrichien pour reproduire le bulletin de vote officiel. On peut y voir clairement que pour les deux questions, il n’y a pas l’option « oui » ou « non » mais seulement « ou bien « – « ou bien ». Ou précisément le vote nul auquel nous avons appelé – sous forme d’un boycott actif.
Tandis que les camarades ne disposent pas d’informations suffisantes pour pouvoir juger des aspects du service militaire et du service civil en Autriche, ils sont par contre absolument sûrs sur une question principielle : le GKK a perdu une occasion d’intervenir dans la fissure profonde surgie dans le SPO par le positionnement de la JS, une fissure qui est un signe de radicalisation de la base contre la direction du SPO et le gouvernement bourgeois.
Oui, les camarades valenciens nous ont pris ici le colt fumant à la main : nous ne sommes vraiment pas intervenus dans cette radicalisation… parce qu’elle n’existe pas. Comme les camarades renvoient déjà dans le deuxième paragraphe de leur « critique » au bulletin « Funke », nous supposons fortement que leur analyse politique repose en première ligne sur des documents de la Tendance marxiste internationale (grantiste). Car « Funke » parle depuis 1992 du « surgissement d’une aile gauche de masse » dans la JS et le SPO, qu’en dehors de lui personne d’autre n’a encore aperçue. En attendant, Funke construit simplement lui-même cette aile : des membres du Funke initient des groupes de la JS, bâtissent donc une organisation pour commencer tout de suite l’entrisme dans celle-ci.
Nous aimerions bien nous aussi avoir une organisation de jeunesse active, radicalisée de la sociale-démocratie en Autriche dans laquelle nous puissions intervenir. Mais il n’y en a pas. Du point de vue des membres la JS autrichienne, c’est une organisation d’environ 300 camarades, dont une partie s’identifie à « Funke », une autre est composée d’enfants de permanents du SPO qui se préparent à une carrière dans le parti. La majorité ne reste que très brièvement dans l’organisation – soit parce que les luttes internes incessantes pour des postes sont insupportables pour elle ou que la proximité politique avec le SPO les repousse.
Le marxisme : guide pour l’action ou trésor doré de citations ?
Mais venons-en maintenant à la « position programmatique » des camarades valenciens concernant l’obligation militaire dans les armées bourgeoises. On nous propose en référence les citations suivantes :
- Engels sur la question militaire prussienne (1865)
- Lénine sur le programme militaire de la révolution prolétarienne (1916)
- Les thèses du 3e congrès mondial de la Komintern sur la construction des partis communistes (1921)
- Les lettres de Trotsky sur l’introduction de l’obligation militaire aux États-Unis (1940)
Malheureusement, on a ici un maniement stérile et hagiographique de citations des « classiques », arrachées de leur contexte temporel et spatial et déclarées brusquement « position programmatiques de l’organisation ouvrière révolutionnaire ».
Engels est intervenu en 1865 avec son texte sur la question militaire prussienne dans les discussions d’un « parti ouvrier allemand » n’existant pas encore. En 1863, Ferdinand Lassalle avait initié la fondation de l’Union générale ouvrière allemande (ADAV) à laquelle collaboraient des forces influencées par Marx et Engels. Donc, l’ADAV n’était en aucun cas un parti ouvrier révolutionnaire (ce qui, en passant appuie la célèbre formule de « l’introduction de la conscience de classe dans le prolétariat »).
Dans la révolution allemande de 1848/49, la Ligue des communistes imprégnée idéologiquement par Marx et Engels avait d’abord tenté de construire l’aile radicale, progressiste, du mouvement démocratique révolutionnaire et s’était appuyé pour cela sur des unions ouvrières ; à partir d’avril 1849, la Ligue s’orienta vers la fondation d’un parti ouvrier séparé clairement de la bourgeoisie, car le déroulement du processus révolutionnaire avait montré clairement que la bourgeoisie n’était pas en état et ne voulait pas réaliser son propre programme démocratique. La bourgeoisie redoutait les aspirations du prolétariat plus que les forces réactionnaires de la vieille société.
En mars 1850, Marx théorisa dans son « Adresse du comité central à la Ligue des communistes » les leçons de la révolution et de la contre-révolution. Les passages les plus célèbres disent :
Tandis que les petits bourgeois démocratiques veulent terminer la révolution au plus vite et après avoir tout au plus réalisé les revendications ci-dessus, il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente, jusqu’à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées du pouvoir, que le prolétariat ait conquis le pouvoir et que non seulement dans un pays, mais dans tous les pays dominants du monde l’association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires et concentrer dans leurs mains au moins les forces productives décisives. Il ne peut s’agir pour nous de modifier la propriété privée, mais Seulement de l’anéantir ; ni de masquer les antagonismes de classes, mais d’abolir les classes ; ni d’améliorer la société existante, mais d’en fonder une nouvelle.
Ensuite, Marx développe la vision d’une nouvelle vague révolutionnaire dans laquelle le prolétariat conscient de lui-même sera véritablement en état de chasser la bourgeoisie et d’ériger au cours du processus révolutionnaire sa propre double hégémonie prolétarienne :
Il faut qu’à côté des nouveaux gouvernements officiels ils établissent aussitôt leurs propres gouvernements ouvriers révolutionnaires, soit sous forme d’autonomies administratives locales ou de conseils municipaux, soit sous forme de clubs ou comités ouvriers, de façon que les gouvernements démocratiques bourgeois non seulement s’aliènent aussitôt l’appui des ouvriers, mais se voient, dès le début, surveillés et menacés par des autorités qui ont derrière elles toute la masse des ouvriers.
21 ans avant la Commune de Paris, 55 ans avant le premier soviet de Petrograd (1905) Marx décrit ici la phase « soviétique » de la prise du pouvoir par le prolétariat dans le cadre d’un processus de révolution permanente.
Marx développe ici aussi le premier « programme militaire prolétarien », bien entendu sous la condition d’un double pouvoir existant, donc dans une situation dans laquelle le pouvoir de la (petite) bourgeoisie n’est en rien affermi et son appareil d’État est contesté :
Mais, pour pouvoir affronter de façon énergique et menaçante ce parti dont la trahison envers les ouvriers commencera dès la première heure de la victoire, il faut que les ouvriers soient armés et bien organisés. Il importe de faire immédiatement le nécessaire pour que tout le prolétariat soit pourvu de fusils, de carabines, de canons et de munitions et il faut s’opposer au rétablissement de l’ancienne garde nationale dirigée contre les ouvriers. Là où ce rétablissement ne peut être empêché, les ouvriers doivent essayer de s’organiser eux-mêmes en garde prolétarienne, avec des chefs de leur choix, leur propre état-major et sous les ordres non pas des autorités publiques, mais des conseils municipaux révolutionnaires formés par les ouvriers. Là où les ouvriers sont occupés au compte de l’État, il faut qu’ils soient armés et organisés en uni corps spécial avec des chefs élus ou en un détachement de la garde prolétarienne. Il ne faut, sous aucun prétexte, se dessaisir des armes et munitions, et toute tentative de désarmement doit être repoussée, au besoin, par la force. Annihiler l’influence des démocrates bourgeois sur les ouvriers, procéder immédiatement à l’organisation propre des ouvriers et à leur armement et opposer à la domination, pour le moment inéluctable, de la démocratie bourgeoise les conditions les plus dures et les plus compromettantes : tels sont les points principaux que le prolétariat et par suite la Ligue ne doivent pas perdre de vue pendant et après l’insurrection imminente.
Marx adresse donc cette exigence non à la bourgeoisie, il développe une ligne directrice pour les futurs partis ouvriers : l’organisation militaire dépend de l’avancée d’une situation révolutionnaire.
Cette remarque historique préliminaire est nécessaire pour pouvoir comprendre correctement la contribution d’Engels à la discussion dans l’ADAV à la suite des débats sur l’organisation et le financement de l’armée prussienne. Dans cet article, il dit :
Au cours de la lutte entre les restes de la vieille société antédiluvienne et la bourgeoisie, arrive partout un moment où les deux combattants se tournent vers le prolétariat et recherchent son soutien. Ce moment coïncide généralement avec celui où la classe ouvrière commence elle-même à bouger. Les représentants féodaux et bureaucratiques de la société décadente appellent à frapper avec eux les exploiteurs, les capitalistes, les seuls ennemis de l’ouvrier ; les bourgeois font remarquer aux ouvriers qu’ils représentent ensemble la nouvelle époque sociale et ont donc les mêmes intérêts face à la vieille forme de société décadente. A cette époque, la classe ouvrière accède peu à peu à la conscience qu’elle est une classe propre avec ses propres intérêts et avec son propre avenir indépendant ; et vient ainsi la question qui s’est imposée successivement en Angleterre, en France et en Allemagne : comment le parti ouvrier doit-il se positionner vis-à-vis des deux adversaires ? Cela dépendra avant tout de quels buts se donne le parti ouvrier- – cette partie de la classe travailleuse parvenue à la conscience des intérêts communs de la classe – dans l’intérêt de la classe. Autant que l’on sache, les ouvriers les plus avancés en Allemagne posent la revendication : émancipation des ouvriers envers les capitalistes par le transfert de la propriété aux travailleurs associés, pour la marche de la production pour une comptabilité commune et sans capitalistes et comme moyen de l’obtention de ce but : conquête du pouvoir politique par le droit de vote général et direct. (souligné par nous)
Marx insiste dans une lettre à Engels pour que celui-ci montre clairement que le programme de l’ADAV n’est pas « notre »programme – ce qu’Engels a fait dans le passage souligné par nos soins. Il met en évidence que les ouvriers « les plus avancés », donc les plus progressistes en Allemagne défendent un programme hautement modéré : établissement de coopératives et voie parlementaire vers le pouvoir. Enfin, dans le texte que les camarades valenciens nous recommandent, il donne des conseils tactiques qui se réfèrent au vote de députés potentiellement « sociaux-démocrates ».
Engels, actif lui-même dans la révolution de 1848-49, le fusil à la main, a combattu contre les troupes de la réaction, entre autre dans le Bade révolutionnaire et il a sans cessé propagé l’idée de l’armée de milice et le service militaire apparait en accompagnement de la lutte pour le droit de vote général. C’est une des tâches que la révolution bourgeoise a à résoudre.
Mais qu’elle ne puisse pas vraiment l’accomplir, c’est ce qu’il argumente dans une lettre à Marx du 16 janvier 1868 dans laquelle il tire, entre autre, les leçons de la guerre civile américaine (en remarquant au passage que des milices combattirent des deux côtés !) :
Ce qui impressionne partout les gens dans les milices est la grande masse des gens que l’on obtient d’un coup et la relative facilité à former les gens, particulièrement devant l’ennemi. Mais il n’ya là rien de nouveau : le vieux Napoléon pouvait aussi conduire devant l’ennemi des recrues de 3 mois formées en régiments. Mais il faut pour cela de bons cadres et de nouveau quelque chose d’autre que le système de milices suisse ou américain. Les yankees avaient encore à la fin de la guerre un manque de cadres. Depuis l’introduction du chargement par la culasse, c’en est fini de la pure milice. Ce qui ne veut pas dire que toute organisation militaire rationnelle se situe n’importe où entre la prussienne et la suisse – où ? Cela dépend des circonstances du moment. Seule une société communiste organisée et éduquée peut s’approcher du système de milices et encore de façon asymptotique.
Mais parfois avec Engels les chevaux de cavalerie s’emballent comme le montre la partie essentielle suivante de son essai « L’Europe peut-elle désarmer ? » écrit en 1893, donc vers la fin de sa vie : Lorsque je revins au Rhin après un exil de dix ans, je fus agréablement surpris de voir partout dans les cours des écoles de village des barres fixes installées. Jusque-là très bien, malheureusement, ça n’allait pas bien loin. En bons prussiens, les instruments furent bien achetés mais ça a toujours cloché pour l’usage.Ca a toujours été une autre question – ou plutôt pas de question du tout. Est-ce trop exiger qu’on prenne cela au sérieux pour une fois ? Que l’on enseigne à la jeunesse scolaire de toutes les classes la gymnastique systématiquement et à fond tant que les membres sont encore élastiques et souples au lieu d’éreinter, comme maintenant, les garçons de vingt ans à la sueur de leur front pour rendre légers et dociles les os, les muscles et les tendons ankylosés. Tout médecin vous dira que la division du travail estropie les hommes qui lui sont soumis, développe toute une série de muscles aux dépens d’autres, que dans chaque branche de métier les conséquences sont différentes, que chaque travail produit sa propre mutilation. N’est ce pas une folie de laisser s’estropier les gens et plus tard de les rendre ensuite souples et droits au service militaire. L’horizon officiel a du mal à percevoir qu’on obtiendrait des soldats trois fois meilleurs en prévenant à temps cette mutilation dans l’école primaire et l’école de perfectionnement ? Mais ce n’est que le début. On peut enseigner avec facilité aux jeunes gens à l’école la formation et le mouvement de troupes serrées militairement. Le jeune élève se tient et va doit de par nature, spécialement quand il a leçon de gymnastique. Comme nos recrues se tiennent : comme il est difficile de leur apprendre à se tenir droit et à marcher droit, chacun de nous l’a vu durant son temps de service. Les mouvements en marche et en compagnie peuvent s’exercer dans chaque école et avec une facilité inconnue à l’armée. Ce qui est pour la recrue une difficulté détestée, souvent presque impraticable, est pour le jeune élève un jeu et un amusement. La direction et l’alignement en marchant de front et, en changeant de direction, si difficiles à obtenir chez des recrues adultes, sont appris en jouant par des écoliers dès que l’exercice est pratiqué systématiquement. Si l’on utilise une bonne partie de l’été à des marches et des exercices sur le terrain, les corps et l’esprit des jeunes garçons n’en gagneront pas moins que le fisc militaire à qui on épargnera des mois entiers de temps de service. Que de telles promenades militaires se prêtent particulièrement à faire résoudre par des écoliers des devoirs du service en campagne et que cela est propice dans une grande mesure à développer l’intelligence des écoliers et à les rendre capables de s’approprier dans un temps relativement court une instruction spécialement militaire, c’est ce dont mon vieil ami Beust, lui-même ancien officier prussien, a livré la preuve pratique dans son école de Zürich. Avec l’état actuel compliqué de la chose militaire, il est inutile de penser à une transition au système de milices sans préparation militaire de la jeunesse et précisément sur ce terrain les tentatives réussies de Beust sont de la plus haute importance. Cette longue citation nous sera pardonnée parce qu’elle prouve que même Engels n’était pas immunisé contre les erreurs et qu’elle pose en même temps une question fondamentale : celle des contenus d’un armement du prolétariat. Franz Mehring, le grand marxiste allemand, historien révolutionnaire, journaliste, internationaliste inflexible et compagnon de lutte de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht a commenté l’écrit en question avec un léger sourire entendu : Néanmoins, Engels a fait aussi quelques concessions aux conceptions bourgeoises dans la question des milices : sans doute ce n’est que dans les dernières années de sa vie, où sa réflexion n’était certainement pas moins révolutionnaire qu’aux jours de sa fraiche force virile mais où la floraison puissante du mouvement ouvrier après quatorze ans d’espoir et d’attente lui faisait sous-estimer les obstacles sur son chemin. Ce même optimisme l’avait empêché de renoncer dans les jours les plus sombres et les plus durs. C’est pourquoi nous ne devons pas négliger dans la facture l’erreur commise dans son dernier écrit militaire… L’erreur dans la manière était le fait que l’État prussien au début du 20e siècle réalisa précisément cette politique pensée positivement par Engels et utilisa l’éducation prémilitaire pour un endoctrinement de la jeunesse chauvin et monarchiste sans pitié. Un homme que la plupart des organisations se réclamant du mouvement ouvrier estimaient et citent contre le militarisme mais que, malheureusement, très peu ont sérieusement étudié, Karl Liebknecht, a étayé, indirectement, cette critique par Mehring d’Engels tardif dans un discours devant le parlement prussien et sans doute sous une forme importante aussi pour nos amis valenciens. Sous le titre « Contre l’éducation militariste et monarchiste de la jeunesse », Liebknecht s’attaquait aux exercices sportifs soi-disant « apolitiques » que le gouvernement prussien voulait faire subventionner par le budget culturel, comme premier degré de la formation militaire de la jeunesse. Personne d’autre que monsieur le Ministre des affaires culturelles n’a confirmé de façon appropriée la justesse de ma conception dans ses exposés par lesquels il s’est opposé à moi. Il s’est placé du point de vue selon lequel toutes les organisations soutenues par lui ne seraient en rien politiques, elles ne défendraient que le point de vue de la fidélité au roi et de l’amour de la patrie. Oui, Messieurs, tout d’abord le point de vue de la fidélité au roi est bien un point de vue politique marqué et lorsque vous parlez d’amour de la patrie, nous savons bien exactement quelle sorte d’amour de la patrie les partis de la majorité de cette maison ont en tête et que le sorte d’amour de la patrie il s’agit pour Monsieur le Ministre. Ce n’est pas le patriotisme au pur sens du mot mais ils veulent produire dans la grande masse du peuple une conception de la patrie qui leur convienne, ils veulent éduquer le peuple artificiellement, à l’encontre de ses propres intérêts et en faire des patriotes selon leur goût et, cela, nous nous y opposons, bien entendu. Approfondissons cette question complexe par une citation d’un révolutionnaire qui combattit comme Engels dans le feu de la révolution et construisit même une armée : Léon Trotsky. En avril 1920, il déclarait au 9e congrès du Parti communiste de Russie : Le mot d’ordre de la milice, le programme de la milice était aussi partagé par des représentants de la démocratie bourgeoise. L’idée de la milice était dans la réconciliation de toutes les classes de la société bourgeoise, dans la formation d’un front uni concernant le pays. Ce point de vue démocratique est situé, parait-il, au-dessus des classes. Même dans le socialisme, il émergeait comme résultat de la Deuxième Internationale. Si l’on prend en main une des œuvres les plus brillantes sur le système des milices, le livre de Jean Jaurès, on y trouve aussi tous les préjugés de la démocratie petite bourgeoise. Jaurès espérait que la réforme de l’armée en milice dans le cadre de la république démocratique pénétrerait progressivement, reteindrait et socialiserait tous les citoyens mobilisés. Même Bebel a représenté dans sa brochure sur la milice dans une grande mesure les illusions démocratiques, au fond petites bourgeoises dans la question relative à l’organisation de l’armée. Seules la guerre impérialiste et la révolution qui en a résulté de même que notre construction de l’Armée rouge, seuls ces puissants événements ont montré que la forme de l’armée ne détermine pas son caractère de classe. L’armée peut organisationnellement être une armée de caserne, peut aussi être une armée de milice, elle reflète cependant toujours les traits, les besoins, les intérêts de la classe dominante au moment en question dans le pays en question. Nous avons donc repoussé complètement ces illusions de la démocratie petite bourgeoise. Le point décisif dans l’argumentation de Trotsky est le caractère de classe de toute forme d’armée dans une société de classe. Il en découle entre autre la position du 3e congrès de la Komintern que les camarades valenciens nous citent également en référence (bien qu’elle n’a rien à faire en substance avec la question du « référendum »). Évidemment, des révolutionnaires n’arrêteront pas leur agitation et leur propagande devant les portes de la caserne, évidemment on doit chercher à mettre en pratique le mot d’ordre « retournez les fusils ». La contribution scolastique et stérile de Carolina et Ernest prend de nouveau sa revanche : le 3e congrès de la Komintern était imprégné de grands espoirs d’un nouvel élan révolutionnaire dans les pays impérialistes développés. L’exemple de la révolution russe, de la révolution de novembre allemande, le début d’une révolution autrichienne en 1918, la république hongroise des conseils montraient le potentiel révolutionnaire des prolétaires armés en uniforme. Mais les révolutions n’éclatèrent pas à cause du service militaire ou du recrutement en masse : ceux-ci étaient un élément dans une situation révolutionnaire dans laquelle une guerre avait extrêmement aggravé les oppositions de classe. Cela se vérifie encore plus clairement dans la citation de Lénine par Carolina et d’Ernest dans laquelle on peut reconnaitre que Lénine présuppose une éruption révolutionnaire imminente. Il serait donc absurde d’en déduire quelque chose comme une position bolchevik pour le service militaire. Lénine lui-même indique que la formation concrète du militarisme bourgeois a un déploiement aussi conditionné historiquement que le passage de la fabrique isolée aux trusts et aux cartels. L’argumentation des camarades de Valence devient particulièrement problématique là où ils se réfèrent aux lettres et aux textes de discussion de Trotsky sur le débat à propos du service militaire aux États-Unis en 1940. Au plénum du SWP américain du 27-29 septembre 1940, fut adoptée une « résolution sur la politique militaire prolétarienne » dans laquelle il est dit : Nous nous opposons donc à ce qu’on envoie au combat des soldats-ouvriers sans formation ni équipement convenables. Nous repoussons la direction militaire de soldats-ouvriers par des officiers bourgeois qui n’ont aucune attention pour leur traitement, leur protection et leur vie. Nous exigeons des moyens fédéraux pour la formation militaire d’ouvriers et d’officiers-ouvriers sous le contrôle des syndicats.des réquisitions pour l’armée ? Oui, mais seulement pour la construction et l’équipement de camps de formation ouvriers ! Formation militaire obligatoire pour les ouvriers ? Oui, mais seulement sous le contrôle des syndicats ! La base de cette résolution était la supposition que l’impérialisme aurait produit une « époque de militarisme universel ». Dans cette situation, l’antimilitarisme (révolutionnaire) n’avait pour la direction du SWP qu’une utilisation limitée. James Cannon, le dirigeant historique du trotskysme américain, justifie cette position en détail dans son discours au plénum mentionné que l’on peut consulter in extenso sur Internet. La politique du SWP se basait sur les prémisses suivantes développées entre 1939 et 1940 par Trotsky et les dirigeants du SWP : Si nous laissons de côté les pronostics manifestement faux (dictature militaire à court terme) nous voyons dans la Politique militaire prolétarienne une tentative impressionniste de capter les dispositions antifascistes des masses et de les utiliser pour la propagande des révolutionnaires, mais en ignorant en cela le caractère de classe de l’armée et de la guerre. Il est regrettable que le SWP ait pu s’appuyer ici sur des déclarations de Trotsky peu avant son assassinat (20 aout 1940) qu’il n’a donc jamais pu repenser et réviser. Dans « Quelques questions sur les problèmes américains », Trotsky écrivait le 7 aout 1940 : Les travailleurs américains ne veulent pas être conquis par Hitler et à ceux qui disent « nous avons besoin d’un programme de paix » le travailleur répond : « Mais Hitler ne veut pas d’un programme de paix ». C’est pourquoi nous disons : « Nous défendons les États-Unis avec une armée ouvrière, avec des officiers ouvriers, avec un gouvernement ouvrier et ainsi de suite ». Si nous ne sommes pas des pacifistes qui attendant un avenir meilleur, mais des révolutionnaires actifs, alors notre devoir est de pénétrer complètement la machine militaire. Ce texte est certes destiné à la discussion interne. Cependant Trotsky néglige que des révolutionnaires ne défendent pas « les » Etats-Unis mais un état ouvrier américain à créer ! Mais ces confusions conduisent alors à ce que le SWP place l’armée impérialiste au même niveau qu’une « entreprise occupée » et veut la placer sous le contrôle des syndicats. L’armée bourgeoise est un instrument d’oppression au service de la classe dominante que nous voulons combattre et paralyser de l’intérieur mais que nous ne voulons pas placer sous « notre contrôle ». Les gardes rouges de la révolution d’Octobre et les insurgés de Kronstadt n’étaient pas « l’armé » bourgeoise sous contrôle syndical » mais des ouvriers et des paysans armés surgis de la décomposition de l’armée tsariste bourgeoise. Peut-être nous, révolutionnaires autrichiens, sommes ici un peu plus sensibles que les camarades de Valence parce que le « trotskyste » autrichien Josef Frey est tombé dans le même piège avec sa « tactique militaire combinée » pendant la 2e Guerre mondiale qui présente des glissements clairs en direction du social-patriotisme. Les camarades font du mode d’expression de notre déclaration un indice de notre inexpérience juvénile ou de notre déviation des principes stricts de l’orthodoxie. Oui, nous avons utilisé dans notre déclaration le concept « super-riches » au lieu de « capitalistes »ou de « bourgeoisie ». Nous avions longuement discuté de ce point. L’arrière-plan de cette décision d’utiliser ce concept « non-scientifique » était notre volonté de vouloir nous adresser avant tout à de jeunes ouvriers, écoliers, étudiants non formés politiquement avec notre déclaration courte et concise. De nombreux discussions et entretiens nous montrent que la masse des travailleurs autrichiens et de la jeunesse n’entend rien aux concepts de « capitalistes » ou de « bourgeois ». Ce n’est pas du mépris arrogant envers la « masse imbécile », ce sont les répercussions d’une dépolitisation de dizaines d’années de toute la société, des syndicats, des organisations ouvrières par la bureaucratie sociale-démocrate dominant les syndicats et le parti. Nous avons indiqué plus haut les références de notre presse. Les camarades valenciens si exigeants peuvent s’y convaincre que nous pouvons aussi parler le marxisme couramment. Mais, précisément sur le thème du service militaire, nous voulions essayer d’abaisser autant que possible les barrières de langage. Il nous est difficile de juger la réussite de ce rapprochement linguistique vers les masses. Généralement, nous avons conduit une série de discussions autour du thème militaire dans laquelle nous avons expliqué notre programme révolutionnaire global. Mais pas une seule fois, nous ne nous sentons déracinés dans cette question. Les camarades du SWP et même Trotsky n’ont-ils pas sans cesse utilisé les « 60 familles » comme synonyme pour la bourgeoisie américaine dans les discussions autour du « programme de transition » fin 1937-38, ou les « 200 familles » en France citées sans arrêt à partir de 1934 dans l’agitation trotskyste ? Le Groupe lutte de classe accorde une grande importance au thème du « militarisme ». En raison précisément de l’aggravation de la crise de l’économie mondiale impérialiste, non seulement des conflits guerriers se multiplient, mais aussi la militarisation à l’intérieur, l’équipement perfectionné d’unités de police spéciale paramilitaires ou l’emploi de firmes privées de mercenaires augmentent (voir dernièrement à Chypre ou les plans du gouvernement grec de faire surveiller les bâtiments du parlement par des mercenaires de Blackwater). C’est ainsi que la question de l’autodéfense prolétarienne vient naturellement à l’ordre du jour tout autant que la nécessité de la propagation de comités correspondants allant jusqu’aux embryons d’une milice ouvrière. En Autriche, ce ne sont pas des thèmes très abstraits. Internationalement, cette question se pose déjà concrètement. En ce sens, nous considérons cette réponse non comme un exercice obligatoire oiseux mais aussi comme contribution à notre formation interne et théorique.Une erreur que Trotsky ne pouvait plus corriger
Sur le vocabulaire de notre déclaration
Remarque finale
Conjointement, des parties de la classe dominante financent des bandes fascistes auxquelles affluent des petit-bourgeois désespérés ou des prolétaires déclassés…
Juillet 2013