Une crise capitaliste frappe le pays en 2018
En 2018, le marché des changes a vu l’appréciation du dollar américain et du yen, la dépréciation modérée de l’euro et de la livre britannique, l’effondrement de la lire turque, du real brésilien, du rand sud-africain, de la roupie indienne, de la roupie indonésienne et du peso argentin. Ce phénomène découle du resserrement en cours de la politique monétaire, mené par la banque centrale étasunienne (Fed) contre l’avis de Trump. La remontée des taux d’intérêt tend à augmenter la rentabilité des placements en dollar, y compris pour la bourgeoisie argentine qui n’hésite pas à échanger ses pesos contre des dollars (fuite des capitaux).
Elle reflète aussi la difficulté des monnaies des États dominés à incarner la valeur. L’inflation a échappé à tout contrôle l’année dernière, comme au Venezuela, car elle était alimentée par la création excessive de monnaie (« planche à billets ») à laquelle se livrait la banque centrale argentine (BCRA) pour financer le déficit public (plus de 5 % du PIB).
L’inflation annuelle a atteint 47,6 % en 2018. C’est la plus élevée depuis 1991. Les prix sont, à cette date, la variable la plus débridée du tableau de bord macroéconomique. Mauricio Macri affirmait, durant la campagne électorale qui l’a mené à la présidence, fin 2015, que l’inflation était la preuve de l’incapacité du gouvernement d’un pays. (El País, 15 janvier 2019)
Fin 2018, l’inflation a ralenti à cause de la baisse des salaires réels et de la stabilisation du peso sur le marché des devises. La considérable dépréciation antérieure du peso a présenté l’avantage de freiner les importations (les produits venant de l’étranger sont plus chers en peso) et de stimuler les exportations argentines (les prix des produits argentins en dollar baissent).
Il y a des données récentes qui peuvent pousser à l’optimisme : la dernière sur les échanges extérieurs, par exemple, montrent que, fin 2018, l’effet de la dépréciation de la devise a non seulement conduit à une chute des importations, mais à un bond significatif dans les exportations. La croissance a été significative dans les principaux secteurs d’exportation : agriculture, industrie et énergie. (The Economist, 27 décembre 2018)
Le gouvernement Macri appelle le FMI au secours
Mais la fuite des capitaux, l’austérité budgétaire et la politique très restrictive de la BCRA décidée en 2018 (aucune augmentation de la masse monétaire jusqu’en juin 2019, taux directeur jusqu’à 70 %) ont aggravé la récession spontanée du capitalisme argentin du 2e trimestre 2018. Le PIB a diminué de 2,5 % en 2018 et il devrait encore diminuer de 1,5 % en 2019.
L’économie de l’Argentine se contractera en 2019, car des politiques plus strictes visant à réduire les déséquilibres ralentiront la demande intérieure, avant un retour à la croissance en 2020. (FMI, Perspectives économiques mondiales, 21 janvier 2019)
Par conséquent, le gouvernement Cambiemos, une coalition de plusieurs partis bourgeois dont Propuesta Republicana (PRO) de Macri et Unión Cívica Radical (UCR) affiliée à « l’Internationale socialiste », a dû emprunter massivement au Fonds monétaire international : 56 milliards de dollars au total. La dette publique a monté à 80 % du PIB (contre 40 % au début du mandat de Macri).
L’accord avec le FMI a stabilisé rapidement le peso sur le marché des devises. Mais le FMI a posé des conditions.
Les nouveaux objectifs fiscaux, qui font partie de l’accord avec le FMI, sont devenus plus rudes. En 2019, le gouvernement doit éliminer totalement le déficit primaire [le déficit du budget hors paiement des intérêts], alors qu’il était de 2,7 % en 2018. Selon le nouveau plan, le resserrement budgétaire est partagé à peu près par moitié entre la réduction des dépenses et l’accroissement de la fiscalité : 1,4 % du PIB au détriment de l’investissement public et des subventions et 1,3 % du PIB avec une rentrée temporaire de taxe sur les exportations. (The Economist, 27 décembre 2018)
La classe ouvrière, principale victime de la crise
Le taux de chômage officiel n’est que de 9 % mais même l’institut de statistiques (INDEC) mesure qu’il a augmenté de presque 2 % depuis 2017. De novembre 2017 à novembre 2018, l’Argentine a perdu 172 200 emplois (1,4 %).
En restreignant les subventions aux services publics, le président Macri et le gouvernement à majorité PRO augmentent le prix de l’eau, du transport public, de l’électricité, etc. si bien que la part des dépenses contraintes augmente considérablement dans le budget des travailleurs. Une autre cible est le montant des pensions de retraite. Pendant l’inflation galopante, les salaires ont augmenté moins vite que les prix.
Les salariés ont subi une perte de pouvoir d’achat d’environ 10 %, la plus grave depuis la crise de 2002. (El País, 15 janvier 2019)
L’opposition bourgeoise proteste contre la politique du gouvernement, mais elle préfère que ce soit Macri et le Cambiemos-PRO qui se chargent de se compromettre avec le FMI et d’appliquer l’austérité. Le Frente para la Victoria-Unidad Ciudadana péroniste (FpV-UC) attend les élections générales d’octobre 2019 pour revenir au pouvoir.
La CGT aux mains du nationalisme bourgeois
Le syndicalisme est divisé : la CGT domine dans les entreprises et la CTA dans la fonction publique. La CGT est contrôlée par le péronisme, le FpV-UC et le Peronismo Federal-Alianza Compromiso Federal. Moyano (CGT) et Yasky (CTA) décrètent conjointement des « journées d’action », des grèves de 24 heures qui servent d’exutoire aux travailleurs mais sans menacer le capitalisme argentin : 6 avril 2017, 25 juin 2018, 25 septembre 2018… Actuellement, les bureaucrates syndicaux convoquent des processions aux bougies et aux flambeaux, province par province, en réclamant le rétablissement des subventions mais en « oubliant » la nécessaire hausse des salaires.
Le réformisme politique traditionnel est très affaibli : le Partido Socialista (PS) se trouve actuellement, faute d’allié, sans son mini-front populaire habituel ; le Partido Comunista (PC) soutient quant à lui le FpV-UC bourgeois de Kirchner.
Le front de gauche
Une coalition Frente de Izquierda y de los Trabajadores (FIT) tente d’occuper la place des deux vieux partis ouvriers bourgeois PS et PCA. La FIT regroupe les deux principales organisations centristes : le Partido de los Trabajadores Socialistas (PTS) et le Partido Obrero (PO), ainsi que l’Izquierda Socialista (IS), de taille plus réduite et qui se réclame aussi du léninisme et du trotskysme. À l’élection présidentielle de 2011, la FIT a obtenu 2,5 % des votes ; en 2015, 3,2 %. Elle a deux députés (1 PO, 1 PTS).
Mais, en guise de « trotskysme », le PTS (dont les correspondants en France CCR sont membres du NPA) et PO sont tous deux partisans du « front uni anti-impérialisme » qui permet de justifier le soutien à la bourgeoisie nationale. Cette révision de la stratégie de la révolution permanente est héritée de la destruction politique de feue la 4e Internationale (1951). Le PTS et le PO sont incapables d’affronter les bureaucraties syndicales de la CGT et de la CTA. Ils font passer leurs journées d’action comme des pas en avant, des étapes utiles à la lutte de classe du prolétariat.
Le piège de l’assemblée constituante
Face à la crise économique et politique actuelle, l’IS n’avance aucune solution politique. Le PTS, le PO, ainsi que le MST de taille moindre (dont les adeptes français forment le GLC), défendent une solution bourgeoise, l’Assemblée constituante, comme ils l’avaient déjà fait en 2002, quand un président élu avait été chassé par les masses en colère.
La perspective de l’assemblée constituante libre et souveraine apparait comme s’ajustant au mieux à la situation, étant donné qu’elle permet de poser aux travailleurs la question du pouvoir. (PO, 23 août 2018) ; Nous proposons que soit convoquée une assemblée constituante libre et souveraine. (PTS, 17 septembre 2018)
L’Assemblée nationale ou constituante ne peut jouer un rôle progressiste, à notre époque, que dans des pays privés des libertés élémentaires, ce qui n’est pas le cas de l’Argentine.
Le mot d’ordre d’une assemblée nationale (ou constituante) conserve toute sa valeur dans des pays comme la Chine ou l’Inde… (Trotsky, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938)
Dans les pays de démocratie bourgeoise, l’assemblée constituante ne sert qu’à passer un noeud coulant au prolétariat et à sauver le capitalisme et l’État bourgeois de la révolution sociale, comme en France en 1946. Même dans un pays précapitaliste, une colonie ou un régime fasciste, le mot d’ordre ne peut remplir une fonction démocratique réelle que sur la base de l’armement du peuple, ce qui n’est pas vraiment l’axe du PTS, du PO, du MST…
L’agitation doit être complétée par une propagande pour qu’au moins les secteurs les plus avancés du prolétariat sachent que la voie d’une assemblée constituante passe par l’insurrection contre les usurpateurs militaires, par la prise du pouvoir par les masses populaires. (Trotsky, Réponse à l’Opposition de gauche chinoise, 22 décembre 1929)
Faute d’armement du peuple, l’assemblée nationale ou constituante a servi à étrangler la révolution comme en Italie en 1946, en Indonésie en 1955, en Algérie en 1962, au Venezuela en 1999 et 2017, en Bolivie en 2006, en Équateur en 2007, au Népal en 2008, en Tunisie en 2011…
Les formules de la démocratie ne sont pour nous que des mots d’ordre passagers ou épisodiques dans le mouvement indépendant du prolétariat, et non un noeud coulant démocratique passé autour du cou du prolétariat par les agents de la bourgeoisie. (Trotsky, L’Agonie du capitalisme et les tâches de la 4e Internationale, 1938)
Dans une démocratie bourgeoise, la seule alternative progressiste est la dictature du prolétariat, le pouvoir des conseils de travailleurs.
Les revendications économiques et sociales les plus pressantes (annulation de la dette publique, augmentation et indexation des salaires, réduction du temps de travail, droit à l’avortement, expropriation des banques, des groupes capitalistes et des latifundios…) doivent être liées à la constitution d’assemblées populaires et de comités de travailleurs, à l’autodéfense contre l’État bourgeois et les fascistes, à la perspective d’un gouvernement ouvrier et des États-Unis socialistes d’Amérique.