Quiconque pense que la Grande-Bretagne peut traverser la folie du Brexit et ensuite revenir tranquillement à la politique antérieure se fait les plus grandes illusions. (The Economist, 19 janvier 2019)
Le référendum de 2016 : un faux choix pour les travailleurs
En 1973, l’adhésion à l’Union européenne (UE) fut le choix de la majorité du grand capital britannique, dont la représentation politique est partagée aujourd’hui entre la direction du Parti conservateur (CP), le Parti libéral-démocrate (LD), le Parti national écossais (SNP) et le Sinn Féin nationaliste irlandais (SF).
L’hostilité du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), d’une minorité importante du CP et du Parti unioniste démocrate (UDP) reflétait le choix d’autres fractions de la bourgeoisie : celle qui est subordonnée aux États-Unis (plus significative qu’en Allemagne, en France ou au Japon), celle qui fait davantage d’affaires avec le reste du monde qu’avec l’Europe continentale, celle qui reste limitée au marché intérieur et qui souffre de la concurrence européenne.
En 2014, le Premier ministre David Cameron (Parti conservateur) décida un référendum sur l’appartenance à l’UE pour couper l’herbe sous le pied au xénophobe UKIP qui venait de gagner les élections au Parlement européen [voir Révolution communiste n° 17].
La campagne était mensongère de part et d’autre, mais celle pour quitter l’UE a battu des records de démagogie et de chauvinisme, ce qui n’a pas empêché le plus gros débris issu du stalinisme (CPB) et les deux plus grandes organisations « trotskystes » (SWP et SP) de se s’y rallier. La campagne pour rester dans l’UE était soutenue mollement par le Parti travailliste dirigé par Jeremy Corbyn (LP) et avec plus de zèle par quelques groupes centristes (SR, AWL…).
En juin 2016, le référendum donna près de 52 % des voix pour le départ [voir Révolution communiste n° 18]. En France, LFI, le PCF, le POID, le POI, la GR, le GLC, la LTF… y virent une victoire des travailleurs, ce qui était assez curieux vu que l’UPR, DlF et le FN se réjouissaient et en profitèrent pour réclamer un référendum pour le « Frexit ».
Cameron laissa la place à Theresa May, du même parti, ancienne Ministre de l’Intérieur et initiatrice à ce titre de la « politique d’environnement hostile » pour décourager l’entrée des étrangers. Les tensions grandirent en Irlande du Nord et en Écosse, les actes racistes se multiplieèrent en particulier contre les Polonais. Le nouveau gouvernement renchérit dans sa politique hostile aux migrants, en multipliant les tracasseries administratives et les renvois.
Depuis le référendum sur l’UE, les détentions et les expulsions des étrangers, y compris les citoyens de l’UE, ont augmenté brutalement. (The Guardian, 28 novembre 2017)
Cela déboucha sur le scandale Windrush, le Ministère de l’Intérieur ayant détruit les papiers, chassé de leur emploi et de leur logement, déporté plusieurs centaines de citoyens parfaitement britanniques mais coupables d’avoir des origines antillaises (Jamaïque…) ou africaines.
Depuis deux ans, le gouvernement May négocie laborieusement avec l’Union européenne qui manifeste de la fermeté, ne serait-ce que pour décourager d’autres départs.
Défaite retentissante de la Première ministre à la Chambre des communes
L’Union européenne étale au monde, pour la grande joie du président américain Trump, sa faiblesse. Mais l’État américain mettrait encore plus à genoux l’impérialisme britannique dans des éventuelles négociations bilatérales. Au moins, au sein de l’UE, la Grande-Bretagne avait son mot à dire et pouvait jouer d’oppositions internes.
Le Brexit expose les difficultés auxquelles s’expose tout pays qui essaie, selon les termes de la campagne pour la sortie, de « reprendre le contrôle » dans un monde internationalisé et interdépendant. Si vous récupérez le droit de définir vos propres règles et vos propres normes, il devient plus difficile de faire des affaires avec des pays qui en ont des différentes. Si vous voulez échanger, vous finissez probablement par vous conformer au droit d’un partenaire plus puissant qui, pour la Grande-Bretagne, est soit l’UE, soit les États-Unis, sans rien pouvoir dire sur leur adoption. (The Economist, 19 janvier 2019)
May active en mars 2017 l’article 50 du Traité de l’Union européenne qui entraîne la séparation avant le 29 mars 2019. Elle est loin d’honorer sa promesse d’un « gouvernement fort et stable » : à cause de la fracture au sein même de la classe dominante, son gouvernement a connu de fortes secousses avec la démission en 18 mois de pas moins de 32 ministres. Depuis les élections législatives anticipées de 2017, May ne peut gouverner qu’avec le soutien de l’UDP, le parti loyaliste, clérical et ultraréactionnaire d’Irlande du Nord [voir Révolution communiste n° 24].
En novembre 2018, le gouvernement britannique conclut un accord avec la Commission européenne (composée de 27 commissaires, un par État membre, et d’un président désigné par les chefs d’État et de gouvernement). Cet accord négocié laborieusement par May et Barnier permettait une sortie progressive et relativement ordonnée du Royaume-Uni de l’Union européenne et évitait, au moins temporairement, de recréer une frontière entre la République irlandaise (qui reste membre de l’UE) et l’Irlande du Nord (qui reste membre du Royaume-Uni). Il s’agit d’un quasi-statu quo qui aurait maintenu la situation de 2016-2018 jusqu’en 2020. Cet accord était soutenu par une fraction significative du patronat britannique (la majorité de la finance et l’essentiel des industries manufacturières) qui ne souhaite pas perdre les lucratifs marchés européens tout en essayant de profiter d’un Brexit « souple » synonyme de main-d’oeuvre à bon marché.
En décembre 2018, May repousse le vote de la Chambre des communes, indispensable pour ratifier le traité conclu. Cependant, le 15 janvier, la Chambre des communes rejette massivement l’accord avec 432 députés contre et seulement 202 pour. C’est une défaite historique d’une ampleur jamais vue depuis plus de cent ans.
Sur 317 députés de sa majorité CP-UDP, 118 ont voté contre May. Ces députés « hard brexiters » ont voté avec les députés « remainers », une aile des conservateurs (CP), tous les libéraux-démocrates (LD) et les nombreux députés travaillistes (LP) de type blairiste pour rejeter l’accord. Les uns l’ont rejeté car ils ne le trouvaient pas suffisamment en rupture avec l’Union européenne. Ainsi, le conservateur « hard brexiter », Jacob Rees-Mogg a indiqué le jour du vote que « le peuple n’a pas voté pour un compromis, mais pour quitter l’Union européenne », et que « mieux vaut une absence d’accord qu’un mauvais accord ». À l’autre bord, se retrouvent les partisans d’un nouveau référendum qui espèrent revenir sur le vote de 2016 en agitant la menace d’un effondrement de l’économie britannique et de la pénurie.
Ainsi la Banque d’Angleterre promet « la pire des récessions depuis la Seconde guerre mondiale, une baisse de la livre sterling d’un quart de sa valeur en un an, une hausse massive du chômage et des taux d’intérêt, ainsi qu’une émigration nette » (Les Échos, 28 novembre 2018). Un rapport gouvernemental indique que s’il n’y avait pas d’accord avec l’Union européenne, il se produirait une chute de 9,3 % du PIB en quinze ans.
L’État britannique et l’Union européenne dans une passe difficile
Dans la foulée, le gouvernement conservateur a échappé de justesse le 16 janvier à la motion de censure déposée par le Parti travailliste. Elle a été rejetée par 325 contre 306.
Pour le moment, May a exclu de convoquer un nouveau référendum ou des élections législatives anticipées en faisant valoir que cela ne ferait qu’accroître « les incertitudes et les divisions » et repousser la date du Brexit.
Corbyn a rappelé de son côté qu’il n’y avait pas à la Chambre des communes de majorité en faveur d’un Brexit sans accord. Il a réclamé par conséquent que « toutes les options soient sur la table » lors des prochains jours, y compris celle d’une réouverture des négociations avec l’UE.
À l’autre bout de l’échiquier, Dominic Raab, qui a démissionné en novembre dernier de son poste de ministre du Brexit, avait jugé avant le vote qu’il était au contraire temps pour le Royaume-Uni de se préparer à un « no deal ».
Évidemment, l’Union européenne s’est dite jusqu’à présent opposée à toute renégociation. Mais le rejet parlementaire britannique semble créer pour la première fois des failles. Le soir du vote, le chancelier autrichien Sebastian Kurz rejette toute renégociation. La chancelière allemande Angela Merkel, saisissant le risque d’affaiblissement de l’Union européenne, a déclaré : « Je travaillerai jusqu’au bout pour trouver une solution avec un accord et j’oeuvrerai dans le but d’avoir la meilleure relation avec Londres ». Par contre, le président français Macron est réticent :
On regardera, peut-être qu’on peut améliorer un ou deux points, je n’y crois pas tellement car on a été au bout de ce qu’on pouvait faire dans l’accord et on ne va pas pour essayer de régler un problème de politique intérieure britannique ne pas défendre les intérêts des Européens. (Le Figaro, 15 janvier 2019)
La solution d’un « no deal » menace les accords de paix en Irlande en réinstallant de fait la frontière. Le Premier ministre irlandais Leo Varadkar se dit très inquiet et met la pression sur l’État britannique et l’UE.
De son côté, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, constate que le risque de sortie sans accord est accru : « Bien que nous ne souhaitions pas que cela se produise, la Commission européenne va poursuivre ses préparatifs pour faire en sorte que l’UE soit parfaitement prête », a-t-il dit dans un communiqué le lendemain du vote.
May a présenté aux députés britanniques un nouveau plan, passablement vague mais confirmant que la Grande-Bretagne paiera la facture du divorce (39 milliards de livres). L’amendement retenu de Graham Brady retoque la clause de l’accord avec l’UE qui maintient de fait l’Irlande du Nord dans l’UE (mais sans annoncer comment la frontière serait administrée concrètement) et demande que la période de transition soit étendue (au 31 décembre 2021 au lieu de 2020). La Chambre des communes vote ce plan le 29 janvier. La Première ministre va donc devoir retourner à Bruxelles.
Les députés ont accepté l’accord qu’elle a négocié avec l’UE, à condition que le filet de sécurité pour l’Irlande soit retiré. Mais, sur la question décisive de ce qui doit le remplacer, un problème sur lequel les négociateurs ont passé presque deux ans à se gratter la tête à Bruxelles, la motion ne suggère que de vagues « solutions de remplacement ». Mme May se base sur cette formule floue pour demander le beurre et l’argent du beurre à Bruxelles. (The Economist, 2 février 2019)
Mais l’Union européenne a dégainé la première, affirmant dès lundi 28 que ce point ne serait pas rediscuté. « Les négociations sont finies », a rappelé Sabine Weyand, l’adjointe allemande du négociateur français de l’UE Barnier. Elle a également affirmé que le risque d’une sortie du Royaume-Uni sans accord est « élevé ».
Le parti ouvrier bourgeois n’a pas de solution et n’est pas une solution
Personne ne sait ce que la direction du Parti conservateur veut exactement. Mais la classe ouvrière ne connait pas non plus la position de son parti traditionnel sur le rapport à venir entre la Grande-Bretagne et l’UE. La ligne de Corbyn se réduit à supplanter May.
En cas d’élections législatives, les communistes-révolutionnaires ne doivent pas apparaître comme ceux qui s’opposent à l’accès au gouvernement du Parti travailliste. S’ils n’ont pas les moyens d’avoir des candidats dans des circonscriptions choisies, ils soutiendront partout ceux du LP contre les partis bourgeois, qu’ils soient anglais, gallois, écossais ou irlandais.
Je dirais aux travailleurs : vous refusez mon opinion sur le Parti travailliste, vous y croyez. Mettez votre parti au pouvoir. Je vous aiderai autant que je peux. Je sais qu’ils ne feront pas ce que vous espérez. (Trotsky, Conversation avec CLR James, avril 1939)
Les communistes-révolutionnaires n’ont aucune illusion dans les élections législatives de la bourgeoisie la plus expérimentée et retorse du monde. Et encore moins dans les référendums, contrairement au petit POID.
La question qui est aujourd’hui posée, c’est celle du respect du mandat. Le mandat qui a été confié à Jeremy Corbyn par des centaines de milliers de militants est inséparable du mandat donné par le peuple britannique, par son vote pour le Brexit. (Tribune des travailleurs, 30 septembre 2016)
Le « mandat » de tout centrisme consiste à enchaîner la classe ouvrière aux directions traitres. La variante lambertiste (POID, POI…) se distingue par son parlementarisme et son chauvinisme.
La sortie de l’UE n’a rien de progressiste et le Parti travailliste veut le maintien dans l’OTAN (Manifesto For the Many, Not the Few, 2017, p. 120).
La constitution d’un gouvernement Corbyn n’offrirait pas à la classe ouvrière une meilleure solution. Le LP est né comme un parti bourgeois par son programme.
Le Parti travailliste est-il véritablement un parti politique ouvrier ? Cela ne dépend pas seulement de la question de savoir s’il est composé d’ouvriers, mais également quels sont ceux qui le dirigent et quel est le caractère de son action et de sa tactique politique. De ce point de vue, le seul juste, le LP est un parti foncièrement bourgeois, car il est dirigé par des réactionnaires, par les pires réactionnaires, qui agissent tout à fait dans l’esprit de la bourgeoisie ; c’est une organisation de la bourgeoisie, organisation qui n’existe que pour duper systématiquement les ouvriers. (Lénine, Discours au 2e congrès de l’Internationale communiste, 6 août 1920)
Au gouvernement, le LP a toujours capitulé devant la bourgeoisie britannique. Aujourd’hui, il n’a pas d’autre horizon que parlementaire, monarchique, national et capitaliste.
Pour ouvrir une issue politique en faveur des masses, il manque un parti ouvrier révolutionnaire et internationaliste.
Les bureaucrates serviles, mercenaires et indignes de la confédération syndicBretagneale et du Parti travailliste expriment tout ce qui est pourri, humiliant, soumis et féodal dans la classe ouvrière britannique. À l’opposé, les tâches du parti communiste sont de libérer les qualités révolutionnaires de la classe ouvrière britannique. (Trotsky, Lettre à Reg Groves, 10 novembre 1931)
Pour les États-Unis socialistes d’Europe
Au sein des syndicats, du Parti travailliste et en dehors, il faut regrouper l’avant-garde contre le protectionnisme et contre un nouveau référendum, pour un gouvernement ouvrier qui ouvre la perspective des États-Unis socialistes d’Europe.
Un parti ouvrier révolutionnaire développerait un programme du type :
- Aucun paiement à l’UE d’une quelconque facture de divorce !
- Dissolution de la chambre des lords, séparation de l’État et de l’Église anglicane, abolition de la monarchie !
- Abrogation de toutes les lois antisyndicales et de précarisation du travail ! Augmentation des salaires, suppression des droits d’inscription à l’université, des moyens pour le NHS, des logements sociaux de qualité !
- Mêmes droits pour les travailleurs étrangers ! Ouverture des frontières aux travailleurs, aux étudiants, aux réfugiés !
- Droit de séparation des minorités nationales, unité de l’Irlande, république fédérale socialiste des îles britanniques !
- Sortie de l’OTAN, armement du peuple et dissolution de corps de répression !
- ationalisation sans indemnité ni rachat des groupes capitalistes !