Un internationalisme platonique
Le programme électoral de LO affirme qu’il faut « éradiquer le chômage, augmenter les salaires et les pensions, imposer le contrôle sur les comptabilités des grands groupes capitalistes » (Faire entendre le camp des travailleurs, p. 5), sans dire que de telles mesures nécessitent la collaboration de tous les travailleurs en Europe et dans le monde. En effet, la plupart des groupes capitalistes dominant le marché mondial sont des multinationales, chacune exploitant dans de nombreux pays des dizaines de milliers de travailleurs.
Pour LO qui dénonce le protectionnisme à juste titre, il suffit d’en revenir à « la solidarité et à l’internationalisme » (p. 17). Oui mais comment ? La « solidarité » entre les travailleurs doit s’exprimer par la rupture des syndicats et des partis ouvriers de chaque pays avec leur propre bourgeoisie et leur État.
Quand LO se cantonne à « Accueillons les migrants à bras ouverts » (p. 22), cela ne peut suffire à assurer « la liberté d’installation et de circulation » (p. 21)… à moins de croire à la charité si chère aux clergés. Alors encore une fois, quel mot d’ordre, quel combat ? Il n’y en a qu’un : la lutte pour que toutes les organisations ouvrières exigent la liberté d’installation et de circulation pour les migrants et la régularisation de tous les sans-papiers, les mêmes droits pour les prolétaires qui travaillent ici. Ces deux derniers mots d’ordre sont absents du programme électoral de LO.
Le programme explique : « Il faut refuser que ces guerres se fassent en notre nom ! » (p. 24). Comment faire ? Il faut exiger dans les syndicats qu’avec les partis ouvriers ils luttent effectivement pour le retrait des troupes impérialistes à commencer par les françaises, pour la fermeture des bases militaires à l’étranger, pour la suppression de l’armée de métier, pour l’armement de la population, pour la défaite de notre propre impérialisme. Malheureusement, la brochure oublie tout cela. De même, elle omet la nécessité de détruire l’État bourgeois national et d’ouvrir la voie des États-Unis socialistes d’Europe.
Contre le mot d’ordre réactionnaire de la défense nationale, il faut lancer celui de la destruction révolutionnaire de l’État national. À la maison de fous de l’Europe capitaliste il faut opposer le programme des États-Unis socialistes d’Europe comme étape sur la route vers les États-Unis socialistes du monde. (4e Internationale, Manifeste, conférence de mai 1940)
Peut-on exproprier le capital sans prendre le pouvoir ?
Comme les réformistes, LO envisage une redistribution des revenus pour que « soient préservés les emplois et les salaires, en prenant sur les profits des entreprises et sur les dividendes des actionnaires » (Faire entendre le camp des travailleurs, p. 10). Certes, LO défend désormais « l’expropriation de la grande bourgeoisie » (p. 11) alors qu’elle se contentait jusqu’à présent de « réquisition », c’est-à-dire d’une mesure provisoire ne mettant pas en cause la propriété privée. Mais certaines formulations en atténuent la portée. Il suffirait de menacer les patrons : « il faut retirer leur pouvoir de nuisance à ces grands groupes, en les contraignant à ne supprimer aucun emploi, sous peine de réquisition s’ils ne s’y plient pas » (p. 7).
Outre cette ambiguïté, le programme s’abstient de dire comment s’y prendre. La brochure n’appelle pas à l’action des masses, à la grève, à l’établissement de comités pour réaliser le contrôle ouvrier et de milices pour se défendre, à les centraliser pour dresser un pouvoir ouvrier capable d’exproprier.
Comment harmoniser les diverses revendications et formes de lutte, ne fût-ce que dans les limites d’une seule ville ? L’histoire a déjà répondu à cette question : grâce aux soviets, qui réunissent les représentants de tous les groupes en lutte. Personne n’a proposé, jusqu’à maintenant, aucune autre forme d’organisation, et il est douteux qu’on puisse en inventer une. Les soviets ne sont liés par aucun programme a priori. Ils ouvrent leurs portes à tous les exploités. Par cette porte passent les représentants de toutes les couches qui sont entraînées dans le torrent général de la lutte. L’organisation s’étend avec le mouvement et y puise continuellement son renouveau. Toutes les tendances politiques du prolétariat peuvent lutter pour la direction des soviets sur la base de la plus large démocratie. C’est pourquoi le mot d’ordre des soviets est le couronnement du programme des revendications transitoires. (4e Internationale, Programme de transition, conférence de septembre 1938)
La perspective politique de LO est « un État des travailleurs et des classes populaires » (Faire entendre le camp des travailleurs, p. 19). Il serait facile à mettre en place car « il n’y a aucune difficulté à mettre en oeuvre la démocratie la plus directe » (p. 20). Pourtant LO sait que « l’ensemble de l’appareil d’État, avec ses tribunaux et son armée a pour mission de défendre l’ordre social » (p. 20). Elle cache pudiquement son appel, avec le PS, le PCF et des partis bourgeois, à « rétablir l’ordre » contre la jeunesse révoltée de quartiers populaires de l’automne 2005. Ou ses propres illusions sur les manifestations de policiers contre le gouvernement PS : « une démonstration qui peut être utile à l’ensemble du monde du travail » (Lutte ouvrière, 7 décembre 2001) ; « les policiers sont en première ligne pour constater la dégradation sociale » (Lutte ouvrière, 19 octobre 2016).
Toute la police exécutrice des volontés du capitalisme, de l’État bourgeois et de ses clans politiciens corrompus doit être licenciée. Exécution des fonctions de police par la milice des travailleurs. (Ligue communiste-section française de la 4e Internationale, Programme d’action, août 1934)
Oubliant toutes les leçons de la Commune de Paris et de la Révolution russe, LO ne dit pas un mot de la nécessité de détruire l’ancien appareil d’État ! Les communistes savent qu’il est au service de la bourgeoisie. C’est pourquoi ils exigent le désarmement des forces de répression, l’organisation de milices ouvrières d’auto-défense contre les bandes armées de l’État et des fascistes. Avec l’armement du peuple et les conseils ouvriers, la révolution et son gouvernement ouvrier pourront établir la dictature du prolétariat contre la minorité exploiteuse.
À l’occasion de chaque grève et de chaque manifestation de rue, il faut propager l’idée de la nécessité de la création de détachements ouvriers d’autodéfense. Il faut inscrire ce mot d’ordre dans le programme de l’aile révolutionnaire des syndicats. (4e Internationale, Programme de transition, conférence de septembre 1938)
LO édulcore le programme de la révolution car elle est liée à la direction de la CGT
Le programme de LO ne dit quasiment rien de la lutte contre la loi El Khomri et de sa défaite qui a fortifié la classe capitaliste et affaibli la classe ouvrière. La raison de cette discrétion est simple : LO a oeuvré de bout en bout contre la grève générale illimitée jusqu’au retrait. Elle a soutenu, avec le NPA, le PCF et le PdG, les 14 journées d’action que les bureaucraties syndicales CGT, FO, FSU, Solidaires qui ont permis à la loi de passer.
LO participe activement à l’appareil de la CGT et certains de ses membres disposent des avantages que les capitalistes concèdent à la bureaucratie. À PSA Aulnay en 2012-2013, LO dirige la CGT et applique l’orientation de Lepaon, son secrétaire général. Finalement, l’usine ferme et de nombreux travailleurs sont licenciés, mais Jean-Pierre Mercier grimpe dans l’appareil et devient le porte-parole de la CGT de PSA (Lepaon est, lui, nommé délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale le 16 février 2017 par le gouvernement Hollande-Cazeneuve).
Ces liens avec la bureaucratie syndicale, elle-même corrompue par le patronat et l’État, sont l’explication des insuffisances du programme électoral. Sa couverture porte en sous-titre « candidate communiste ». Ce n’est qu’une ruse pour avoir l’oreille des cadres de la CGT ou de la FSU, du parti qui se dit encore communiste mais qui ne l’est plus depuis longtemps puisqu’il a été subordonné à la bureaucratie stalinienne depuis le milieu des années 1920. Le PCF est devenu tout aussi social-patriote et traître que le PS au milieu des années 1930.
Par la transformation social-patriotique du stalinisme, toute distinction entre la 2e Internationale et la 3e Internationale a pratiquement disparu. (4e Internationale, L’Évolution de l’Internationale communiste, conférence de juillet 1936)
En conclusion du programme électoral, LO appelle à construire un parti « de la révolution sociale et du communisme », mais qui n’a pas pour but de donner le pouvoir aux travailleurs.
Et dans les périodes de luttes collectives de grande ampleur, il jouerait un rôle inestimable en exprimant les intérêts généraux du mouvement et pousserait celui-ci au maximum de ses possibilités, pour modifier le rapport de force entre le camp des travailleurs et celui de la bourgeoisie. (Faire entendre le camp des travailleurs, p. 38)
L’aveu est de taille : ce serait un parti pour améliorer –illusoirement- la situation de la classe ouvrière en restant dans le cadre du capitalisme, donc un parti réformiste supplémentaire. LO n’a pas pour objectif de construire un parti pour l’insurrection, la prise du pouvoir et la dictature du prolétariat. Un tel parti nécessite un combat acharné contre les agents de la bourgeoisie dans la classe ouvrière et la jeunesse (les partis sociaux-impérialistes incluant le PCF et les bureaucraties syndicales) et contre les centristes qui refusent de rompre avec eux.
La 4e Internationale déclare une guerre implacable aux bureaucrates de la 2e et de la 3e Internationales, de l’Internationale d’Amsterdam et de l’Internationale anarcho-syndicaliste, de même qu’à leurs satellites centristes ; au réformisme sans réformes, au démocratisme allié de la Guépéou, au pacifisme sans paix, à l’anarchisme au service de la bourgeoisie, aux « révolutionnaires » qui craignent mortellement la révolution. (4e Internationale, Programme de transition, conférence de septembre 1938)
La classe ouvrière a besoin d’un parti qui combatte pour le pouvoir.
Chacune de nos revendications transitoires doit conduire à une seule et même conclusion politique : les ouvriers doivent rompre avec tous les partis traditionnels de la bourgeoisie pour établir, en commun avec les paysans, leur propre pouvoir. (4e Internationale, Programme de transition, conférence de septembre 1938)