Les partis nationalistes kurdes bourgeois (UPK d’Irak, PDK d’Irak, PDKI d’Iran) ou petits-bourgeois (PKK de Turquie, PYD de Syrie, PJAK d’Iran) croient que l’ennemi de leur ennemi principal (la bourgeoisie de la nation dominante de leur État) peut être leur ami. Mais la puissance régionale ou impérialiste sur laquelle ils misent les abandonne souvent en fonction de ses propres intérêts, ce dont les travailleurs et les opprimés font alors les frais.
Les socialistes des nations opprimées doivent s’attacher à promouvoir et à réaliser l’unité complète et absolue, y compris sur le plan de l’organisation, des ouvriers de la nation opprimée avec ceux de la nation oppressive. Sans cela, il est impossible de sauvegarder une politique indépendante du prolétariat et sa solidarité de classe avec le prolétariat des autres pays, devant les manœuvres de toutes sortes, les trahisons et les tripotages de la bourgeoisie. Car la bourgeoisie des nations opprimées convertit constamment les mots d’ordre de libération nationale en une mystification des ouvriers : en politique intérieure, elle exploite ces mots d’ordre pour conclure des accords réactionnaires avec la bourgeoisie des nations dominantes ; en politique extérieure, elle cherche à pactiser avec une des puissances impérialistes rivales pour réaliser ses buts de rapine. (Parti bolchevik, La Révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, février 1916)
Ainsi, le PKK et le PYD jouent en 2014 la carte des impérialismes (russe et surtout américain) en Syrie et en Irak. En septembre 2014, alors que la Turquie bloque les renforts du PKK et du PYD destinés à Kobané, l’armée américaine donne aux nationalistes kurdes l’aide nécessaire contre l’EI. Obama se rabat sur les combattants du PKK et du PYD contre l’EI/Daech, faute de pouvoir envoyer un contingent massif après les échecs des occupations de l’Irak et de l’Afghanistan. En Syrie, l’État américain sait que la plupart des forces de l’ASL sont depuis 2013 aux mains des djihadistes de Al-Nosra/Al Qaida (renommée Fatah Al-Cham en 2016) ; en Irak, il se méfie également des milices chiites qui lui sont hostiles et qui sont liées à l’Iran.
À partir de juillet 2015, plusieurs attentats frappent en Turquie les Kurdes et les organisations ouvrières. Attribués à l’EI, ils jouissent d’une probable complicité de l’appareil répressif de l’État [voir Révolution communiste n° 13, 15]. L’organisation nationaliste petite-bourgeoise PKK décide de reprendre les attentats contre les forces de police (qui causent de nombreuses victimes civiles). L’été 2015, sous prétexte d’intervenir contre l’EI, l’armée turque étend ses interventions en Syrie et en Irak. Ses chars et ses avions s’en prennent aux bases et aux positions du PKK en Irak et du PYD en Syrie. Pour Erdogan, l’EI et le PYD-PKK sont également « terroristes ». Les nationalistes kurdes sont partiellement maîtres du Rojava, que leur laisse Assad, et veulent étendre leur contrôle à toute la frontière entre la Syrie et la Turquie, ce que l’État bourgeois turc ne peut tolérer. Le gouvernement américain freine un temps son allié traditionnel, tandis que le président du Kurdistan irakien, Barzani (PDKI), complice de la bourgeoisie turque, demande au PKK d’évacuer ses bases en Irak.
En 2015, le PKK croit pouvoir répéter en Turquie l’expérience des victoires du PYD contre Daech en Syrie. Mais la population lui est beaucoup moins favorable : les Kurdes (et de nombreux Arabes) de Syrie n’avaient guère le choix face aux djihadistes ; ceux de Turquie aspirent majoritairement à la paix. En outre, le soutien de l’armée américaine (information, armement, aide de forces spéciales) lui fait évidemment défaut pour ses opérations contre la seconde armée de l’OTAN. La guerre urbaine que le PKK déclenche dans plusieurs villes kurdes du sud-est de la Turquie se solde par une cuisante défaite. L’armée turque rase des quartiers entiers et tue des centaines de jeunes combattantes et combattants courageux mais fourvoyés. Aujourd’hui, son dirigeant historique emprisonné en Turquie, Ocalan, en est réduit à appeler Erdogan à faire la paix.
L’été 2016, l’impérialisme américain met des limites aux ambitions du PYD en Syrie.
Soucieux de ménager le partenaire turc, allié incontournable au sein de l’OTAN, M. Biden a lancé un avertissement aux milices kurdes, les sommant de se retirer sur la rive orientale de l’Euphrate, faute de quoi elles ne pourront en aucune circonstance recevoir le soutien américain. (Le Monde, 26 août)
La direction du PYD signe en septembre 2016 un accord avec le mouvement Ghad Al-Suri, dirigé par Ahmad Jarba, ancien président de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution (ex-CNS) qui est reconnue par les impérialismes occidentaux comme le gouvernement de la Syrie. Jarba avait été élu en 2013 président de la CNFOR grâce au soutien de la monarchie absolue de l’Arabie saoudite, contre un rival soutenu par la monarchie absolue du Qatar.
Un accord récemment signé au Caire est présenté comme une alliance inédite entre les Kurdes et un groupe de l’opposition syrienne. L’affaire a été conclue le 10 septembre entre le mouvement Syrie demain dirigé par Ahmad Jarba et le Parti de l’union démocratique (PYD) dans le but de travailler conjointement « pour la construction de l’avenir de la Syrie ». Dans l’accord, les deux parties dénoncent la distorsion de la révolution syrienne par la lutte pour le pouvoir entre les différentes fractions syriennes. Elles conviennent aussi que la seule solution à la crise est dans la négociation entre l’opposition syrienne et le régime sous les auspices de l’ONU et d’autres États, en particulier la Russie et les États-Unis. (Al Monitor, 30 septembre)
Le nationalisme kurde est incapable de s’appuyer sur les travailleurs kurdes, turcs et arabes. Ainsi, le PYD choisit pour alliée une clique bourgeoise islamiste probablement propulsée par les États-Unis. Il remet ouvertement le sort de la Syrie et de ses peuples aux bourgeoisies impérialistes : celle des États-Unis qui ont plongé le Machrek dans la barbarie, celle de la Russie qui participe à la destruction du pays pour sauver un dirigeant bourgeois sanguinaire et ses bases militaires.