Le 28 juillet, le maire de Cannes, Davis Isnard, un proche de Sarkozy et de Ciotti, promulgue un arrêté municipal pour interdire le port d’un vêtement de plage dit « burkini », « manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse alors que la France et les lieux de culte sont actuellement la cible d’attentats terroristes ». Il est vrai que l’homme s’était déjà illustré en réorganisant la police municipale pour quadriller le terrain, en déployant une police équestre, en installant dans sa ville un des réseaux les plus serrés de caméras, soit une pour 156 habitants, à l’instar de son compère l’ex maire de Nice Estrosi, dont chacun a pu mesurer l’efficacité pour prévenir les attentats de juillet. Courant août, une trentaine de communes suivent l’exemple, en invoquant dans leurs arrêtés « l’exigence d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades ». Les pandores étaient dépêchés sur les plages pour verbaliser les contrevenantes et exiger qu’elles changent immédiatement de tenue ou bien quittent les lieux. Se sentant des ailes, ils s’en prennent alors à toutes celles qui, burkini ou non, signalent d’une manière ou d’une autre leur confession musulmane.
Ainsi, 21 femmes auraient fait l’objet de brimades à Cannes et 24 à Nice. Alors que de nombreuses associations dont la LDH avaient déposé plusieurs recours contre ces arrêtés, le Premier ministre PS Valls vole au secours des maires LR. Il déclare le 17 août au quotidien La Provence « comprendre les maires qui, dans ce moment de tension, ont le réflexe de chercher des solutions, d’éviter les troubles à l’ordre public ». Il se trouve en bonne compagnie puisque le même jour Le Pen déclare que « le burkini doit être proscrit des plages françaises où il n’a strictement rien à faire. C’est une question de laïcité républicaine, d’ordre public, assurément ; mais bien au-delà, c’est l’âme de la France dont il est question ». Le 25 août, Valls parle sur RMC « d’une bataille idéologique face à des signes de revendications d’un islamisme politique qui vise à faire en sorte que, dans l’espace public, on face reculer la République ». Cazeneuve approuve.
C’est plus que n’en espéraient tous les partisans d’une interdiction du burkini par la loi, qui, comme Ciotti ou Woerth, saluent cette « position courageuse », mais réclament de Valls qu’il passe aux actes. Encouragée par cet appui au plus haut sommet de l’Etat, la réaction a le champ libre, elle va se déchaîner, et peu importe que même le Conseil d’État, fin août, condamne les arrêtés qui, dit-il, ont « clairement et illégalement violé les libertés fondamentales ». Sarkozy réclame une loi contre le burkini. Pour Le Maire, « le burkini est une provocation, ça doit cesser, on doit interdire le burkini sur les plages ». Le 26 août, le FN enfonce le clou : « le débat sur le burkini est révélateur des conséquences de plus en plus néfastes de l’immigration massive et du communautarisme que les gouvernements de droite et de gauche ont organisés depuis de nombreuses années ». En réalité, tous ces réactionnaires qui convoquent les mânes de la laïcité, des bonnes mœurs et de la République ne proposent pas d’en finir avec le financement public des écoles privées confessionnelles, pour l’essentiel catholiques, car ils savent où sont leurs amis ; ils n’exigent pas la fin du financement public du clergé dans l’Est ; ils ne veulent pas non plus interdire les processions religieuses, car ils ont le sens du ridicule ; ils ne proposent pas plus d’interdire aux juifs de porter la kippa dans la rue ni aux prêtres intégristes de porter la soutane, car ils ont le sens de la mesure… Quant à la défense des bonnes mœurs, faut-il sourire ?
Le burkini, voilà l’ennemi ! Évidemment, pour la réaction, il faut imposer comme une évidence dans les esprits le syllogisme : le burkini est porté par des musulmans, le burkini est la marque de l’islamisme politique, donc les musulmans sont des suppôts de l’islamisme politique. Et comme de nombreux immigrés sont également musulmans, suivez mon regard, la boucle est bouclée. Dans cette surenchère, Sarkozy n’est pas en reste, lui qui avait déjà défendu l’identité nationale dès 2007 contre les immigrés, en rajoute une couche dans son livre programme Tout pour la France en vue des élections présidentielles, où il préconise de « réduire drastiquement le nombre d’étrangers que nous aurons à accueillir chaque année », de porter la condition de résidence pour devenir français de 5 ans à 10 ans, de restreindre les conditions du regroupement familial, de supprimer l’aide médicale etc.
L’enjeu, pour une fraction de la bourgeoisie, est de diffuser le racisme et la xénophobie à grande échelle pour diviser la classe ouvrière et la jeunesse afin de restaurer un État fort et de préparer le terrain pour de nouvelles attaques qui s’annoncent terribles. L’enjeu, pour la classe ouvrière et la jeunesse, est d’imposer le front unique des organisations ouvrières, partis et syndicats, pour défendre bec et ongles les immigrés et leurs descendants, qu’ils soient musulmans ou non. Qu’attendent les directions syndicales, le PCF, le PS, etc. pour convoquer dans toutes les villes des manifestations pour faire cesser les brimades racistes ?