Aiguillonnés par le retour des crises capitalistes (1973), les gouvernements de tous les pays avancés entreprennent de précariser le travail, en même temps qu’ils démantèlent la protection sociale. Pour cela, ils s’appuient sur les partis réformistes et sur les bureaucraties syndicales, en profitant de la démoralisation mondiale causée par la restauration du capitalisme en Europe de l’est, en URSS et en Chine (1989-1992).
Pour les capitalistes et leurs économistes,
les travailleurs sont des paresseux
En janvier 2005, à l’occasion de l’assemblée générale du Medef, Laurence Parisot affirma que « la liberté de penser s’arrête là où commence le code du travail ». Gérard Larcher, aujourd’hui président LR du Sénat, alors Ministre délégué aux relations du travail, lui fit écho en qualifiant le droit du travail de « charia » et en traitant ses défenseurs d’« ayatollahs ».
Même refrain dix ans plus tard quand son successeur Pierre Gattaz conçoit le code du travail comme « le fléau n°1 » (L’Obs, 26 août 2015) et prône « l’adoption d’un CDI sécurisé, comme un contrat de mariage, qui comprendrait notamment le montant des indemnités en cas de rupture, avec aussi de nouvelles causes réelles de licenciement, comme par exemple la baisse du chiffre d’affaires » (La Tribune, 23 avril 2015). Début janvier, le Medef augmente la pression sur le gouvernement.
Pour débloquer la situation de l’emploi : une sécurisation pour un contrat de travail agile, prévoyant un plafonnement des indemnités prud’homales lié à l’ancienneté du salarié, et des motifs de rupture liés à la situation de l’entreprise ou la réalisation d’un projet. (Lettre ouverte, 11 janvier 2016)
La caution « scientifique » est fournie par les économistes néo-classiques avec la thèse du « marché du travail ». Selon eux, si l’État ne s’en mêle pas, si on laisse faire le marché d’un bien quelconque (l’offre et la demande), il s’établit spontanément un « prix d’équilibre » qui est le prix qui égalise l’offre et la demande. Ce prix est « optimal », c’est celui qui maximise l’échange (il ne peut pas y avoir davantage de demande satisfaite, ni plus d’offre vendue). Dans le cas du « marché du travail », le salaire d’équilibre conduit au plein-emploi. Dans ces conditions, il n’y a pas de chômage, seulement des fainéants, comme le relève un économiste critique.
Cela ne signifie pas que tous les salariés travaillent. Cela signifie que tous les salariés qui veulent travailler à ce prix travaillent. Autrement dit, ceux qui ne veulent pas travailler à ce prix ne sont pas considérés comme des chômeurs. Et c’est bien normal, car à ce prix, ils préfèrent les loisirs. (Laurent Cordonnier, Pas de pitié pour les gueux, Raisons d’agir, 2000, p. 39)
Les gouvernements doivent suivre une politique économique « libérale »: réduire les allocations chômage, faciliter les licenciements, ne pas empêcher la main-d’oeuvre de se faire embaucher à un bas salaire…
Diviser pour régner
En effet, selon les chiens de garde du capital, s’il y a du chômage, c’est que quelque chose perturbe le « marché du travail » : les allocations chômage, le salaire minimum, la puissance des syndicats, le frein juridique au licenciement, l’égoïsme des travailleurs en place… Ainsi, pour Assan Lindbeck et d’autres professeurs d’université très bien rétribués par la classe dominante pour justifier le capitalisme, il existe une « dualité du marché du travail ». Le rapport déterminant du « marché du travail » n’est pas entre capital et travail, mais entre travailleurs eux-mêmes car les salariés installés (les insiders) seraient des privilégiés qui empêchent les autres (les outsiders) d’avoir un emploi.
Si les outsiders proposent de baisser les salaires pour se faire embaucher, les insiders ont le pouvoir de rendre leur embauche coûteuse à l’entreprise (en limitant la coopération avec eux) à quoi s’ajoute le pouvoir de faire passer le goût aux outsiders de diminuer leur salaire (en leur menant la vie dure)… Au total, le pouvoir de nuisance des salariés en place est responsable du chômage des laissés-pour-compte. (Laurent Cordonnier, Pas de pitié pour les gueux, Raisons d’agir, 2000, p. 98)
La version la plus grotesque du diviser pour régner, mais pas la moins dangereuse, est la variante xénophobe des partis fascistes qui excusent les capitalistes qui refusent d’embaucher et qui licencient, mais accusent les travailleurs de nationalité étrangère (ou des minorités nationales du pays).
En réalité, les salariés sont des exploités qui ne sont jamais à l’abri, même les plus « protégés » (en France : les titulaires qui travaillent pour l’État, les collectivités territoriales, les hôpitaux publics et pour les dernières entreprises publiques). Le chômage est involontaire, il dépend de la place du pays dans la hiérarchie mondiale, des fluctuations du capitalisme et des rapports de force entre les classes fondamentales. Le chômage de masse facilite le chantage des patrons à la faillite de l’entreprise ou à la fermeture du site, permet d’augmenter l’exploitation et la précarisation de l’ensemble des travailleurs.
À mesure qu’il développe les pouvoirs productifs du travail et fait donc tirer plus de produits de moins de travail, le système capitaliste développe aussi les moyens de tirer plus de travail du salarié, soit en prolongeant sa journée, soit en rendant son labeur plus intense… L’excès de travail imposé à la fraction de la classe salariée qui se trouve en service actif grossit les rangs de la réserve, et, en augmentant la pression que la concurrence de la dernière exerce sur la première, force celle-ci à subir plus docilement les ordres du capital. (Karl Marx, Le Capital, livre I, ch. 25, 1867)
Le rôle de l’État bourgeois
Or, en France, le chômage a considérablement augmenté après 1973. Récemment, 6 447 000 toutes catégories confondues en septembre 2015, contre 5 211 800 en avril 2012, soit une hausse de 24 % depuis le début de la présidence Hollande (sans compter les radiations estimées à 300 000 par an). Tous les gouvernements français en ont profité pour flexibiliser :
- « lois Aubry » de 1998 et de 2000 (flexibilité du temps de travail),
- « loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi » de 2003 (flexibilité du temps de travail),
- « loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat » d’août 2007 (flexibilité du salaire),
- « loi ANI sur la modernisation du marché du travail » de 2008 (flexibilité de l’emploi),
- « loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail » de 2008 (flexibilité du temps de travail),
- « loi de modernisation de l’économie » de 2008 (statut de l’auto-entrepreneur : flexibilité de l’emploi),
- « loi de sécurisation de l’emploi » de 2013 (flexibilité de l’emploi),
- « loi Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » de 2015 (flexibilité du temps de travail, flexibilité du salaire),
- « loi Rebsamen relative au dialogue social et à l’emploi » de 2015 (flexibilité de l’emploi et du temps de travail)…
Tous ces dispositifs sont intégrés au Code du travail (qu’ils ont fait grossir). Il ne faut donc pas faire du Code du travail lui-même un acquis, ni idéaliser le CDI qui n’a pas empêché des millions de licenciement de celles et ceux qui étaient employés sous cette forme de contrat de travail. Même les dispositions qui restent favorables ne sont guère appliqués là où les travailleurs ne sont pas organisés, d’autant que les inspecteurs du travail sont détournés du contrôle en entreprise, que ce soit sous Sarkozy ou sous Hollande.
Le résultat est que, à un pôle de la société, les capitalistes vivent dans un luxe insolent et détruisent l’environnement tandis que, à l’autre pôle, le sort du prolétariat se détériore.
Les contrats précaires
Les étrangers, les jeunes, les femmes, les vieux sont particulièrement touchés par le chômage et l’incertitude.
Sont reconnues précaires par l’Insee les formes dites « atypiques » d’emploi, c’est-à-dire hors contrat à durée indéterminée à plein temps (CDI) : contrat à durée déterminée (CDD), mission d’intérim (CTT), travail « détaché », travail dissimulé. Mais les horaires décalés, le travail posté (2 ou 3 équipes successives en 24 heures), le travail de nuit, le travail du dimanche [voir Révolution communiste n° 4], la rémunération à la tâche (qui réapparaît avec l’auto-entrepreneuriat) sont autant de formes, anciennes ou récentes, que prend le travail précaire.
Même les « cadres » et ingénieurs peuvent être victimes depuis 2008 d’un « contrat à objet défini ».
L’Insee, qui sous-estime donc la précarité, compte 3,2 millions de travailleuses et de travailleurs dans ce cas, soit 14 % des salariés. Le chiffrage était d’à peine plus de 5 % au milieu des années 1980. Ils sont en CDD (pour 58 % des précaires ), en CTT (17 %), en stages (14 %) et en apprentissage (11 %).
En outre, la grande majorité des emplois créés sont des CDD (84 % en 2014 contre 73 % en 1999). La durée moyenne de ces contrats est de moins d’un mois, sachant que deux tiers durent moins d’un mois et que 90 % durent moins de trois mois. Les jeunes sont les premiers à faire les frais de cette instabilité grandissante. 23 % des salariés de 15 à 24 ans sont en CDD. La précarité est plus forte chez les jeunes actifs (plus de 50 % chez les 15-24 ans, contre 17 % au milieu des années 1980). L’accès au premier emploi stable est aujourd’hui à 27 ans, contre 20 ans cinquante ans plus tôt. Après un an d’ancienneté, seuls 8 % signent un contrat à durée indéterminée, 53 % continuent leur contrat précaire, 25 % sont sans emploi. Ce sont les moins diplômés qui subissent le plus la précarité.
Longtemps épargnés, les 60 ans et plus étaient 8 % à être en CDD en 2011 contre 2 % en 1990-1994. Et ils n’échappent pas au raccourcissement de la durée des contrats : 29 % des seniors en CDD ont signé un contrat de moins d’un mois, contre 16 % pour les moins de 30 ans. La loi Macron a renforcé cette pratique puisqu’elle a, entre autres, permis de reconduire un CDD deux fois au lieu d’une [voir Révolution communiste n° 13].
La paupérisation
En réalité, la précarité concerne aussi les travailleurs dotés d’un CDI. Il y a 1,7 million de travailleurs en sous-emploi (Insee, 3 décembre 2015), surtout des femmes (30 % des femmes travaillent à temps partiel, 6 % des hommes).
L’emploi ne garantit pas la satisfaction des besoins élémentaires. Les emplois instables sont souvent mal rémunérés et s’accompagnent souvent du renoncement aux soins (ce sont les « sans dents » selon les termes de Hollande en privé) et de l’instabilité familiale, parfois de la perte du domicile fixe.
La moitié des salariés perçoivent moins de 1 772 euros par mois et la sécurité sociale rembourse de moins en moins les consultations médicales et les médicaments. Une des rares mesures positives du gouvernement était la généralisation du tiers payant. Les organisations réactionnaires de médecins ayant protesté en arguant des complications dues aux multiples mutuelles, le Conseil constitutionnel l’a invalidée le 22 janvier.
Le seul moyen de remédier à ces méfaits est de faire fusionner toutes ces caisses en une seule qui soit contrôlée par les travailleurs eux-mêmes. (Karl Marx, Intervention au Conseil général de l’Association internationale des travailleurs, 24 novembre 1868)
Non seulement l’augmentation du salaire minimum (SMIC) a été sensiblement plus faible sous Hollande que sous Sarkozy, mais il augmente moins vite que les autres salaires puisqu’entre 2008 et 2015, le SMIC augmentait de 11,4 % et le salaire de base ouvrier augmentait de 13,5 %.
Le SMIC n’a augmenté au 1er janvier que de 0,6 % (9,67 euros brut / h, 1 466,62 euros brut / mois à plein temps). C’est le minimum légal pour tenir compte de l’inflation. Pas de « coup de pouce ». Une augmentation de neuf euros par mois est bien suffisante pour le gouvernement PS-PRG. La ministre du travail suggère que les ouvriers et les employés, en étant trop bien payés, sont responsables du chômage.
Dans le contexte actuel, nous considérons qu’un « coup de pouce » n’est pas la meilleure solution pour augmenter le pouvoir d’achat compte tenu de ses effets sur le coût du travail et donc l’emploi. (Myriam El Khomri, Les Échos, 14 décembre).
En outre, sans parler des salariés non déclarés le patronat dispose de nombreuses possibilités légales de payer des travailleuses et des travailleurs en-dessous du salaire minimum :
- les stagiaires ne reçoivent que 3,60 euros par heure de présence effective pour un stage de plus de 2 mois ; en deçà, ils sont gratuits ;
- lorsqu’ils ont moins de six mois d’expérience, les salariés de moins de 17 ans peuvent être payés à 80 % du SMIC ;
- les apprentis de moins de 18 ans peuvent être payés un quart du SMIC pendant leur première année ;
- les jeunes de moins de 21 ans en contrat de professionnalisation peuvent percevoir seulement 55 % du SMIC…
Le salariat camouflé
Les patrons utilisent aussi des formes plus ou moins illicites : « travail au noir » (l’emploi non déclaré fréquent dans l’agriculture, le bâtiment, les cafés et la restauration…), l’embauche de travailleurs étrangers sans papiers, la minoration d’heures supplémentaires (courant dans les très petites et les petites entreprises), l’emploi de stagiaires en remplacement d’un titulaire, le détournement de l’entraide familiale… L’économie informelle correspond à plus de 10 % du PIB (un peu moins que la moyenne européenne, beaucoup moins que dans les pays les plus dominés).
Avec le statut d’auto-entrepreneur (2008), des travailleurs réalisent des missions spécifiques via une plateforme en ligne, sans aucune couverture sociale ni droit du travail. L’ubérisation (bâtiment, transport de colis et de plis, services informatiques, transport de personnes en ville…) signe le retour du travail à la tâche puisque le rapport juridique de subordination a été remplacé par une relation commerciale entre un travailleur « indépendant » et un donneur d’ordre. Le rêve du patronat !
L’apartheid
Les administrations utilisent massivement des travailleurs précaires, moins payés que les titulaires, ce qui présente aussi l’avantage de diviser les salariés : ils sont environ 1 million (932 000 en 2013, Insee, avril 2015). Les entreprises publiques discriminent aussi.
Plus de 800 travailleurs marocains ont obtenu réparation pour les discriminations qu’ils ont subies durant leur carrière dans l’entreprise ferroviaire. La SNCF va devoir payer des dommages et intérêts… Ces « indigènes du rail » ont été recrutés au début des années 1970, la plupart directement au Maroc. Il s’agissait alors pour la SNCF de pourvoir des postes pénibles et dangereux, dont ne voulaient pas les travailleurs français. Et, au passage, l’entreprise d’État leur a fabriqué un statut de droit privé sur mesure les excluant du statut particulier des cheminots. La liste des discriminations dont ils ont été victimes est interminable. Ces hommes à la retraite, ou proches de l’être, ont été cantonnés toute leur vie au bas de l’échelle. Ils n’ont pas pu passer les examens internes et ceux qui occupaient des fonctions de maîtrise n’en ont jamais eu le statut, parce qu’ils étaient étrangers. Leur protection sociale est bien inférieure à celle de leurs collègues français : ils ont dû travailler en moyenne sept ans de plus, pour une retraite trois fois moindre. Ils n’ont pas eu accès aux services de médecine gratuits de la SNCF. Ultime vexation : ceux qui, en cours de carrière, ont acquis la nationalité française et ont pu accéder au statut de cheminot, ont été obligés de renoncer à leurs années d’ancienneté. (L’Humanité, 21 septembre 2015)
La CGT, majoritaire à la SNCF, a toléré l’apartheid durant 40 ans. En plus, les bureaucrates syndicaux font partie des patrons puisqu’ils cogèrent l’entreprise (7 CGT au conseil d’administration, 4 UNSA, 3 SUD-Rail et 3 CFDT).
Pour en finir avec la précarité, il faut en finir avec le capitalisme
Le gouvernement veut poursuivre dans cette voie le peu qui lui reste à vivre, en facilitant la « négociation », notamment sur la durée du travail et le licenciement. Ceux qui veulent le supplanter, les prétendants à l’investiture LR, rivalisent dans la réaction en voulant étendre la flexibilité à tous les fonctionnaires. Un gouvernement du FN, en dépit de toute la démagogie de Marine Le Pen envers les chômeurs, serait encore pire : entre les petits patrons qui veulent se débarrasser de tout frein à l’exploitation et les besoins des travailleurs salariés, le parti fascisant choisirait vite.
Codifiant le salariat et l’exploitation capitaliste, le droit du travail a vocation à disparaître dans le socialisme-communisme, lorsque les producteurs associés géreront la production et la répartition. Il n’en reste pas moins que dans le cadre des rapports de production capitalistes, le droit du travail, s’il ratifie la subordination et avalise les sanctions, comporte certaines protections des travailleurs salariés.
Il faut défendre tout acquis, sans embellir le CDI et le code du travail. Depuis 1982 et le blocage des salaires par le gouvernement PS-PCF-PRG, les gouvernements comprenant le PS et le PCF (ou le PS seul) n’ont pas annulé les mesures essentielles des gouvernements de type LR ou LR-UDI-MoDem. Jamais les directions syndicales n’ont appelé à la grève générale contre une attaque, jamais elles n’ont cessé de discuter les projets réactionnaires.
- Boycott des négociations de dislocation du droit du travail !
- Pas de salaire à moins de 1 500 euros, augmentation de 200 euros pour tous !
- Interdiction des licenciements, échelle mobile des heures de travail jusqu’à la disparition du chômage !
- Intégration des précaires, égalité des droits pour les immigrés, un travail digne pour tous !
- Nationalisation sans indemnité des grands groupes capitalistes !
- Intégration des mutuelles à la sécurité sociale, remboursement total des soins, la sécurité sociale sous le contrôle des seuls travailleurs !
- Une centrale syndicale unifiée, de lutte de classe et démocratique !
Pour en finir avec la précarité, il faut en finir avec l’exploitation : la classe ouvrière doit prendre le pouvoir, exproprier le grand capital, étendre la révolution socialiste en Europe et dans le monde. Pour cela, il faut préparer un parti ouvrier révolutionnaire, combattre dans les syndicats les bureaucraties qui s’associent à toutes les contre-réformes, mettre sur pied des organes d’auto-organisation des masses en lutte.