Les impérialismes occidentaux ont précipité le Proche-Orient dans la barbarie
La colonisation sioniste se poursuit en Palestine. Les monarchies absolues d’Arabie, du Koweït, du Qatar, des EAU, de Bahreïn, ainsi que la théocratie anachronique d’Iran, sont toujours en place. La charia s’étend. Plusieurs États d’Afrique du Nord et d’Asie de l’Ouest se sont effondrés : Irak, Syrie, Libye, Yémen…
Les guerres et les bombardements, les persécutions des minorités nationales et religieuses, le renforcement de l’oppression des femmes et le totalitarisme s’expliquent d’abord par le sous-développement, la domination impérialiste, les interventions militaires des États-Unis et de leurs alliés, les rivalités entre ceux-ci et le nouvel impérialisme russe, le conflit entre les puissances régionales (Iran, Arabie saoudite, Turquie…).
En 1953, les États-Unis et la Grande-Bretagne renversent Mossadegh en Iran avec l’aide des islamistes. L’Irak a agressé l’Iran en 1980 avec l’incitation des États-Unis, ce qui a permis au régime théocratique d’achever sa contre-révolution. Hussein a été mal récompensé : en 1991, une coalition avalisée par l’ONU (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Espagne, Pays-Bas, Australie, Argentine, Arabie saoudite, Syrie…) détruit les infrastructures et envahit le pays.
Après l’annexion du Koweït par l’Irak, en 1990-1991, les puissances coalisées avaient envoyé leurs troupes pour restituer le pétrole aux émirs – et aux compagnies occidentales. On inaugura au passage un nouveau cycle de guerres technologiques et asymétriques –quelques centaines de morts dans la coalition pour « libérer » le Koweït, contre plusieurs dizaines de milliers côté irakien. (Thomas Piketty, Le Monde, 22 novembre 2015)
Pendant une décennie, l’embargo barbare de l’ONU affame la population, la prive de médicaments. En 2003, sous des prétextes mensongers, les États-Unis et la Grande-Bretagne envahissent une nouvelle fois l’Irak. L’occupation débouche sur la division du pays et un conflit réactionnaire de dimension régionale qui se présente comme une guerre de religion entre deux branches de l’islam.
De 2003 à 2008, pendant l’occupation américaine, une guerre interconfessionnelle entre sunnites et chiites a ensanglanté l’Irak, un conflit sans précédent dans la longue histoire des relations entre les deux grandes communautés musulmanes de ce pays : des centaines de milliers de morts, en grande majorité chiites, et un processus de fragmentation territoriale. (Pierre-Jean Luizard, Le Piège Daech, 2015, La Découverte, Paris, p. 8)
Le régime du Baas syrien et la famille Assad ont souvent servi l’impérialisme : en maintenant l’ordre policier en Syrie depuis 1963, en écrasant la résistance palestinienne au Liban en 1976 [voir résolution du CoReP et du PRS sur la Palestine, 30 juillet 2009], en participant à la coalition militaire contre l’Irak en 1991, en assurant la stabilité de la frontière avec Israël. Mais les bourgeoisies impérialistes ne sont pas pour autant satisfaites. Dès décembre 2006, comme les lanceurs d’alerte l’ont révélé, le gouvernement américain tente de séparer la Syrie de l’Iran, en attisant le mécontentement des sunnites sur une base religieuse.
La mobilisation des jeunes et des travailleurs contre tous les régimes bourgeois de la région aurait pu y mettre un terme. Amorcée par les manifestations de masse de la jeunesse iranienne en 2009, presque tous les gouvernements d’Afrique du Nord et d’Asie de l’Ouest ont fait face à une poussée révolutionnaire en 2010 et 2011. Faute d’une internationale ouvrière et de partis révolutionnaires pour les mener au pouvoir, les masses ont été trahies par leurs organisations politiques et syndicales (qui les ont mis à la remorque d’une fraction ou d’une autre de la bourgeoisie) ou mystifiées par les formations islamistes (Frères musulmans : FM-PLJ, Ennahda… ; salafistes : Al-Nour, Ansar-al-charia… ; djihadistes : EEIl, Al-Nosra, AQPA…).
Avec l’appui des grandes puissances et d’Israël, ouvertement hostile à cette vague démocratique, les classes dominantes de la région ont repris l’initiative en menant une contre-révolution systématique, soit par une transition « démocratique » et sous couvert de « constituante » (Tunisie et Égypte, 2011), soit par la répression (Iran, Irak, Maroc, Algérie, Turquie), soit par l’immixtion militaire de puissances régionales (Arabie Saoudite à Bahreïn, 2011, au Yémen, 2015) ou de puissances impérialistes (États-Unis, France et Grande-Bretagne en Libye, 2011), soit par une guerre civile entre plusieurs cliques bourgeoises comme en Libye et en Syrie depuis 2011.
La région est particulièrement victime du changement climatique, alors que les capitalismes les plus pollueurs sont actuellement la Chine et, de manière cumulée, les États-Unis.
Entre 2007 et 2010, favorisée par le réchauffement en cours, une sécheresse d’une sévérité jamais vue depuis le début des relevés météorologiques s’installe sur la région. Les Nations unies estiment que 1,3 million de Syriens en sont affectés. En 2008, pour la première fois de son histoire, la Syrie doit importer du blé. L’année suivante, plus de 300 000 agriculteurs désertent le nord-est du pays faute de pouvoir poursuivre leur activité. Car non seulement il ne pleut pas, mais un grand nombre de nappes phréatiques, surexploitées depuis les années 1980, sont à sec… En 2010, 17 % de la population syrienne est en situation d’insécurité alimentaire. (Le Monde, 24 novembre 2015)
La région est disputée par les grandes puissances impérialistes : la Russie et la Chine d’un côté ; les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne. Le départ de l’armée américaine d’Irak en 2011 représente une nouvelle défaite historique pour la bourgeoisie la plus puissante du monde, après celle de 1975 au Vietnam. Une conséquence est sa difficulté à déployer en masse des troupes à l’étranger. Elle est donc bornée aux forces spéciales, à l’aviation, à la fourniture de renseignement et d’armement. Cela laisse plus de marge à la théocratie iranienne et à celles du Golfe arabo-persique.
Il y a toujours quelque chose de fabuleux au sujet des États-Unis et de leurs alliés occidentaux faisant équipe avec les monarchies absolues et théocratiques sunnites de l’Arabie Saoudite et du Golfe pour répandre la démocratie et pour étendre les droits de l’homme en Syrie, en Irak et en Libye. Les États-Unis étaient affaiblis au Proche-Orient en 2011 par rapport à 2003, parce que leurs armées n’avaient pas réalisé leurs objectifs en Irak et l’Afghanistan. Quand survinrent les soulèvements de 2011, c’est l’aile militarisée, cléricale et djihadiste des mouvements rebelles qui a reçu les injections massives de l’argent des rois et des émirs du Golfe. Les opposants laïques et non cléricaux ont été vite marginalisés, réduits au silence ou tués. (Patrick Cockburn, The Rise of the Islamic State, 2014-2015, Verso, Londres, p. 7)
Les travailleurs syriens pris dans l’étau des contre-révolutions baasiste et islamiste
L’islamisme le plus illuminé et le plus mafieux s’est emparé des armements fournis par les alliés des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne.
La plupart des armes envoyées par l’Arabie saoudite et le Qatar aux groupes rebelles syriens qui combattant le gouvernement de Bachar Al-Assad sont allées aux islamistes radicaux djihadistes, et non aux groupes d’opposition moins cléricaux que l’Ouest veut soutenir, selon des dirigeants américains et des diplomates du Proche-Orient. (New York Times, 15 octobre 2012)
Par conséquent, la révolution sociale qui débutait en Syrie a été écrasée dès 2012 par les deux faces de la contre-révolution bourgeoise, celle du régime baasiste officiel soutenue par les impérialismes de Russie et de Chine et celle de l’islamisme soutenu par ceux des États-Unis et de l’Europe de l’Ouest. Un document déclassifié des services secrets de l’armée américaine (publié par Judicial Watch, 18 mai 2015) en atteste.
La situation générale : a) à l’intérieur du pays, les événements prennent clairement une tournure sectaire, b) les Salafistes, les Frères musulmans et Al-Qaïda en Irak sont les principales forces menant l’insurrection en Syrie, c) l’Occident, les pays du Golfe et la Turquie soutiennent l’opposition, tandis que la Russie, la Chine et l’Iran soutiennent le régime d’Assad. (Defense Intelligence Agency, Information Report, 12 août 2012, p. 2)
La possibilité de la création d’un État islamiste sur les décombres de la Syrie et de l’Irak, qui se réalisera en 2014, procède de l’écrasement de la révolution naissante et du soutien aux djihadistes de la part des impérialismes occidentaux et des régimes islamistes du Golfe et de Turquie.
Les conséquences en Irak : … c) Si la situation se détériore, il est envisageable que s’établisse une principauté salafiste déclarée ou non, dans l’est de la Syrie, et c’est exactement ce que veulent les puissances qui soutiennent l’opposition, et cela afin d’isoler le régime syrien… d) cela crée l’atmosphère idéale pour Al-Qaida en Irak pour reprendre Mossoul et Ramadi… (Defense Intelligence Agency, Information Report, 12 août 2012, p. 5)
Dès lors, la seule partie significative de la Syrie qui échappe à la réaction se réduit aux zones sous contrôle du nationalisme kurde (qui est un adversaire de la révolution prolétarienne). La domination écrasante de la rébellion militaire par l’islamisme a rejeté une partie de la population dans les bras d’Assad, par ailleurs aidé par les troupes d’élite iranienne et leurs alliés du Hezbollah libanais. Des millions de Syriens ont fui les barbaries jumelles du régime et des djihadistes ou les bombardements néocoloniaux. Obama a autorisé l’utilisation de commandos de forces spéciales, de drones tueurs, de frappes aériennes, en Asie de l’ouest et en Asie centrale. Le 3 octobre, un bombardement américain a détruit l’hôpital de Médecins sans frontières à Kunduz (Afghanistan). Les bombardements américains et français en Syrie et en Irak, britanniques en Irak, russes en Syrie causent forcément des victimes civiles.
S’il refuse toujours de fournir des missiles sol-air aux insurgés syriens de peur qu’ils se retrouvent dans les mains de l’EI, le gouvernement américain (Parti démocrate) autorise les livraisons de certaines armes sophistiquées (des missiles antitanks TOW) qui permettent à la coalition de toutes les forces anti-Assad (Jaish Al-Fatah) de frapper l’armée syrienne.
L’armée d’Assad a lancé des offensives sur plusieurs fronts au nord et au nord-ouest ces dernières semaines, avec l’appui des frappes aériennes matraquant les positions de rebelles que les forces gouvernementales s’efforcent de reprendre… Les rebelles disent qu’ils ont été capables de tenir grâce au soutien de leurs alliés : un flot grandissant de missiles antitanks TOW ont permis à leurs combattants de contenir les assauts des forces d’Assad. (Washington Post, 6 novembre 2015)
L’Arabie saoudite, qui livre les missiles antitanks, privilégie ses alliées djihadistes (Al-Nosra, Ahrar Al-Sham…) qui dominent de toute façon la coalition insurgée.
Les États du Golfe ont longtemps désiré livrer des missiles sol-air à l’opposition, mais ont été retenus par M. Obama. Cependant, ces derniers temps, ils se sont révélés moins obéissants. La prise d’Idlib est largement attribuable à l’accentuation de l’aide à leurs alliés en dépit des objections américaines. (The Economist, 10 octobre 2015)
Le déchaînement de la réaction baasiste et islamiste, auquel s’ajoutent les bombardements américains, russes et français, aboutit à un sinistre bilan : 250 000 morts, des centaines de milliers de blessés et de torturés, 4 millions d’exilés.
Les régimes islamistes du Golfe et les djihadistes locaux transforment aussi le Yémen en enfer.
L’intervention spectaculaire de l’impérialisme russe
Le 30 septembre, le gouvernement russe a jeté son aviation et sa marine dans la guerre syrienne, lui aussi au nom de la lutte « contre le terrorisme ». Comme en Turquie, si les partis d’opposition sont tolérés en Russie, les médias sont contrôlés par l’État ; ils ont relayé complaisamment les images de l’armée russe, réplique de la propagande visuelle accompagnant les invasions impérialistes occidentales de l’Irak en 1991 et en 2003.
La nouvelle guerre est présentée à la télévision russe comme un film à grand spectacle. Les nouveaux programmes savourent les tirs des avions de combat rugissant près de la caméra. (The Economist, 10 octobre 2015)
Comme Erdogan, Poutine n’attaque que marginalement l’EI-Daech, dans la mesure où il est en contact avec les troupes régulières. L’armée russe, dont les appareils sont bénis par les prêtres orthodoxes, frappe majoritairement les autres troupes, tout aussi islamistes et soutenues par la Turquie, l’Arabie saoudite, les Émirats… et les États-Unis.
À écouter Vladimir Poutine, la Russie a pris la tête d’une nouvelle guerre mondiale contre le terrorisme… Le 30 septembre, les avions de combat russes sont entrés en action pour soulager les troupes assiégées de Bachar Al-Assad. Il met en place un réseau d’échange de renseignement avec l’Irak et l’Iran. L’Église orthodoxe russe parle de guerre sainte. La prétention de M. Poutine de combattre l’État islamique est douteuse. Le premier jour de bombardement montre qu’il s’en prend à d’autres rebelles sunnites, dont certains soutenus par les États-Unis. (The Economist, 3 octobre 2015)
En réalité, le Califat pousse seulement plus loin que le gouvernement russe le terrorisme armé, le cléricalisme, la dénonciation de la décadence occidentale, le culte du passé, l’homophobie…
D’abord, le gouvernement russe affiche son intention de soutenir le despote syrien Assad fils qui a réagi au mouvement de la jeunesse et des travailleurs de 2011, analogue aux débuts de révolution en Tunisie et en Égypte, par une répression violente : arrestations et tortures de masse, bombardements de sa propre population. Ensuite, en sauvant le régime syrien, quitte à abandonner Assad lui-même, l’État russe préserve sa base navale de Tartous. Enfin, l’impérialisme russe profite des faiblesses de l’impérialisme dominant, comme il l’avait déjà fait en Géorgie et en Ukraine [voir la résolution du CoReP, 8 mars 2014].
La Russie a complété son intervention militaire d’une offensive diplomatique. Le 23 octobre, des pourparlers ont réuni à Vienne la Russie, les États-Unis, l’Arabie saoudite et la Turquie. Depuis, les négociations sur la Syrie se poursuivent, rejointes par la France et, pour la première fois, par l’Iran qui a cédé aux exigences impérialistes en freinant son programme nucléaire. Les attentats du 13 novembre à Paris ont fait tourner le gouvernement Hollande (PS-PRG) vers la solution russe déjà ralliée par la diplomatie américaine : Daech étant l’ennemi, le départ d’Assad n’est plus un préalable à la négociation et à la collaboration militaire. Mais il est difficile à la bourgeoisie française, malgré l’union nationale (ralliée par les syndicats et les partis ouvriers bourgeois : PS, PCF et PdG), de tenir à la fois le front militaire du Sahel et celui du Machrek. Hollande s’adresse donc, pour l’instant en vain, à Obama et Merkel.
Le début d’une intervention impérialiste est toujours sa partie la plus facile. Cela vaut pour la Russie. La justification des frappes par la lutte contre le terrorisme qui menacerait de s’étendre à la Russie risque de faire long feu. Poutine s’est fait singulièrement discret après que les affiliés égyptiens de l’EI-Daech ont réussi à abattre un avion et à tuer ainsi 224 personnes, le 31 octobre. Le thème de la « guerre sainte » chrétienne est un cadeau aux islamistes, dans l’État russe comme au Proche-Orient.
L’EI, un terrorisme réactionnaire ; le Califat, un État totalitaire
L’EI-Daech est apparu sous le forme d’une organisation affiliée à Al-Qaïda en Irak, rassemblant fanatiques sunnites et ancien membres de l’appareil répressif de l’État du Baas (armée, police, services secrets). Ces derniers n’étaient pas réputés pour leur piété, mais se sont retrouvés sans emploi à cause de la victoire américaine. Les succès remportés en commun ont jusqu’à présent assuré la fusion des deux composantes, qui pourraient bien se diviser en cas de défaite. L’EI-Daech s’est implantée en 2012 et 2013 en Syrie avec l’aide de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie. Puis il a infligé en 2014 des défaites spectaculaires à l’armée officielle irakienne et a fait reculer les peshmergas de l’État kurde dirigé par le PDK.
En 2014, il a écrasé l’armée irakienne (en fait la milice de la bourgeoisie irakienne chiite), surarmée par les États-Unis et a fait reculer les peshmergas, la force armée du mini-État bourgeois [voir déclaration du CoReP, 24 août 2014]. L’EI-Daech a le soutien d’une partie de la population sunnite parce que l’État bourgeois irakien est en fait aux mains d’une clique chiite et que l’armée officielle est perçue comme des troupes d’occupation.
Du point de vue de la seule rationalité, l’islam aurait dû être abandonné par les peuples colonisés : de même que l’extermination ultérieure des Juifs d’Europe par l’impérialisme allemand prouve qu’il n’y a pas de Jéhovah, que vaut un Allah qui laisse les chrétiens conquérir et asservir ? Mais le christianisme n’est pas pour autant adopté par les peuples des colonies et des semi-colonies.
Le christianisme se présente aux Chinois et aux Indiens comme une religion d’oppresseurs, de conquérants, d’esclavagistes, de redoutables brigands s’introduisant avec effraction dans la demeure d’autrui. (Léon Trotsky, Où va l’Angleterre ?, 1925, Anthropos, Paris, p. 70)
En Afrique du Nord et en Asie de l’Ouest, la religion musulmane sert de résistance élémentaire face à la colonisation étrangère et de consolation illusoire aux masses opprimées.
L’oppression nationale, comme dans l’Inde hindouiste ou les pays bouddhistes d’Asie renforça l’adhésion à la religion méprisée par l’oppresseur. Comme de Lesseps, le constructeur du canal de Suez, disait des Algériens : « La résistance des Algériens est plus une affaire de patriotisme que de fanatisme. La religion était le seul drapeau autour duquel ils pouvaient se rassembler. (Paul Siegel, The Meek and the Militant, 1986, Zed, Londres, p. 184)
Mais la résurgence à la fin du 20e siècle de la religion et la montée de l’islamisme politique découlent de la trahison historique du stalinisme et de l’échec du nationalisme panarabe à verbiage socialiste. Le stalinisme a détruit les partis communistes qui avaient la confiance des ouvriers, voire des paysans pauvres et des minorités (en Palestine, en Égypte, en Irak, en Iran…). Il a discrédité au 20e siècle le marxisme dans toute la région en se subordonnant à la bourgeoisie locale, au nom du front uni anti-impérialiste et de la révolution par étapes (l’étape « démocratique » maintenant, le socialisme dans un avenir très lointain).
Or, le nationalisme bourgeois « progressiste » (nassérisme, FLN, Néo-Destour, Baas, Fatah, Jamahiriya…) a échoué lamentablement : il a été incapable d’unifier les Arabes, de vaincre Israël, de développer le capitalisme national et il a fini par capituler devant l’impérialisme. Tous les régimes bourgeois ont pris une coloration cléricale dès l’indépendance, même ceux qui s’appuyaient sur l’URSS (Nasser, Bourguiba, Ben Bella, Arafat, Hussein, Al-Assad, Kadhafi…). Plus leur popularité diminuait, plus ils ont recouru à la torture de masse et au cléricalisme. Ce fut le cas du régime du Baas en Irak.
Dès janvier 1991, suite à sa débâcle au Koweit, Saddam avait ordonné que soit inscrit sur le drapeau la mention « Dieu est le plus grand ». L’islam était devenu une ressource à part entière pour le régime… En 1993, était officiellement lancée une campagne de la foi visant à réaffirmer les valeurs de l’islam dans la société irakienne… Plusieurs mosquées avaient été mises en chantier… La vente d’alcool était interdite… (Myriam Benraad, Irak, la revanche de l’histoire, Vendémiaire, Paris, 2015, p. 88)
Sur la base de la conquête de Mossoul, la deuxième ville d’Irak, il a proclamé un califat. Tous les musulmans du monde devraient lui prêter allégeance.
Musulmans, rejetez la démocratie, la laïcité, le nationalisme et les autres ordures de l’Occident. Revenez à votre religion. (AFP, 29 juin 2014)
Pitoyable camouflage : comme si le droit de faire grève, de pratiquer la religion de son choix ou de ne pas en avoir, de ne pas être torturé, de ne pas être violé, de ne pas être mariée contre son gré, de s’établir ou de rester dans l’endroit de son choix, de ne pas être espionné… n’étaient pas des aspirations de tous les travailleurs, de tous les jeunes et de toutes les femmes dans le monde ; comme si ces droits étaient réellement respectés dans tout « l’Occident ».
Le porte-parole de l’EI, Bakr al-Baghdadi, prétend renouer avec le califat précapitaliste des origines de l’extension de l’Islam. Mais la roue de l’histoire ne peut tourner en arrière. Tous les courants politiques religieux d’aujourd’hui sont avant tout marqués par le pourrissement du mode de production capitaliste au stade impérialiste, bien différent des conditions qui étaient celles de l’apparition des grandes religions. En effet le capitalisme est entré en décomposition, ce qui nourrit la réaction, l’irrationalisme, l’obscurantisme, le cléricalisme, le complotisme… y compris dans les pays avancés eux-mêmes.
L’homme s’avilit non par l’athéisme, mais par la superstition et l’idolâtrie. (Karl Marx, La Sainte famille, ch. 6, III)
En Asie et en Afrique, les djihadistes se sont d’abord appuyés sur la bourgeoisie parasitaire qui vit de la rente du pétrole et du gaz exportés vers les pays impérialistes, puis ils se sont greffés sur des réseaux capitalistes maffieux internationaux : enlèvements et rançonnage, trafic de pétrole vers la Turquie, trafic d’antiquités, trafic d’esclaves, trafic d’organes, trafic de drogue… Au nom de la charia, Boko Haram a fédéré des criminels du Nigeria et du Cameroun. L’EI a attiré des milliers de délinquants du Proche-Orient, d’Europe de l’Ouest, du Caucase… qui peuvent violer, accaparer et assassiner avec une justification religieuse.
Les djihadistes comme les mollahs en Iran en 1979, sont une variante de fascisme. Après l’échec de la révolution prolétarienne et face à l’effondrement de l’État, des aventuriers réussissent à mobiliser contre la démocratie et contre le mouvement ouvrier, des fonctionnaires licenciés, des déclassés, des commerçants appauvris…
Pour tous les pays où le fascisme l’a emporté, nous avons eu, avant son développement et sa victoire, une vague de radicalisation des masses, des ouvriers comme des paysans pauvres et des fermiers et de la petite bourgeoisie… Le fascisme ne vient qu’après que la classe laborieuse a manifesté son incapacité à prendre dans ses mains le destin de la société… Pour la dictature fasciste, il faut d’abord qu’il y ait un sentiment de désespoir dans les larges masses. (Léon Trotsky, « Réponses à des questions concernant les États-Unis », 7 août 1940, Œuvres t. 24, ILT, p. 287-288)
Quand ils prennent le pouvoir, les fascistes gouvernent toujours au compte des capitalistes et des propriétaires fonciers. Le califat de l’EI en Irak et en Syrie, comme celui de Boko Haram au Nigeria, défend la propriété privée des riches sunnites et maintient l’exploitation capitaliste, comme l’ont fait auparavant les ayatollahs chiites en Iran, [voir résolution du CoReP sur l’Iran, 31 décembre 2010], la Phalange chrétienne en Espagne.
Au sein du califat, les bandes islamo-maffieuses imposent leur totalitarisme à toute la population, aussi délirante que le nationalisme et le racisme des fascistes. Ils exterminent les militants ouvriers comme les fascistes italiens, les nazis allemands, les phalangistes espagnols avant eux. Ils détruisent le patrimoine historique (pré-islamiste ou non sunnite) comme les nazis brûlaient les livres et les tableaux. Ils dépouillent et mettent en esclavage les membres des minorités nationales et religieuses, comme les nazis. La vengeance des masses, si elles ne sont pas écrasées par les bombardements impérialistes, n’en sera que plus grande.
Fascisme de pays dominé, le djihadisme prend forcément une posture anti-impérialiste. Son caractère international lui permet de recruter dans le monde entier, mais il n’est qu’une parodie grimaçante de l’internationalisme ouvrier car il est un fondamentalisme religieux et, comme tous les autres, un sursaut du passé. Né du capitalisme en déclin, l’anti-impérialisme affiché des barbus est en fait symbolique et impuissant, ainsi que leur prétention à renverser la colonisation sioniste. En fait, l’EI-Daech limite son califat à la Syrie et à l’Irak. Il laisse La Mecque à la monarchie saoudienne et il se garde bien d’affronter l’armée israélienne qui contrôle l’autre ville sacrée de l’Islam, Jérusalem.
En dehors du califat, les chefs de l’EI-Daech massacrent surtout des musulmans en Irak, en Syrie, au Liban… en envoyant des dupes fanatisés se faire exploser dans les pèlerinages, les mosquées, les quartiers populaires chiites… L’EI-Daech est incapable de mettre en cause le capitalisme mondial et les racines de la domination impérialiste, puisqu’il redoute et hait la seule force sociale capable d’y mettre fin, le prolétariat mondial. En réalité, comme auparavant Septembre noir, le GIA, Al-Qaida à travers leurs attentats contre les rames de métro, les trains de banlieue, les immeubles de bureau, les athlètes, les avions civils… l’EI-Daech tente de faire pression sur les gouvernements impérialistes en mobilisant des délinquants fanatisés pour massacrer des artistes, des enfants juifs, des travailleurs sans défense (attentats contre des avions, des trains, des lieux de spectacle, des stades, des restaurants, des musées, des plages…). Son but n’est pas de vaincre l’impérialisme, mais de conquérir le pouvoir et de le conserver dans des pays dominés, qui, sous sa coupe, le resteront.
Plus motivés que les officiers corrompus de l’armée officielle irakienne, les guérilleros laïques et mixtes de l’YPG (le bras armé du PYD) ont su affronter les islamo-fascistes de l’EI-Daech tant en Syrie qu’en Irak.
Pour extirper l’islamisme, il faut combattre et vaincre l’impérialisme mondial
La classe ouvrière d’Asie de l’ouest et du monde entier est dans la plus grande confusion. La sociale-démocratie et le travaillisme en appellent à l’ONU, qui n’est qu’un front des puissances impérialistes, ou soutiennent les immixtions politiques et les expéditions armées de leur bourgeoise, voire font partie de gouvernements impérialistes qui interviennent militairement (France, actuellement, par exemple). Les débris du stalinisme mêlent l’attitude précédente et l’alignement sur les despotes ou les islamistes. Les épigones centristes du « trotskysme » s’alignent aussi sur la bourgeoisie : soit sur l’ONU (« 4e Internationale » pabliste-mandéliste…), soit sur Assad (les « 4es Internationales » healystes), soit sur l’islamisme (cliffistes, pablistes-morénistes…).
Tous ces opportunistes ne sont pas avares de « révolutions » qui seraient accomplies par des fractions de la bourgeoisie (perse ou arabe, séculaire ou cléricale). Ainsi, la LOI d’Argentine, qui a scissionné en 2004 l’organisation communiste internationale (le Collectif révolution permanente) a envoyé une « Brigade Léon Sedov » (sic) combattre pour une « révolution » qui serait menée en Syrie par les islamistes. Symétriquement, SF de Grande-Bretagne, qui a rompu en 2011 avec le CoReP, a présenté alors Kadhafi comme l’auteur d’une « révolution » et soutient maintenant Assad.
Encerclés par le capitalisme décadent et empêtrée dans les conditions impérialistes, l’indépendance d’un État arriéré sera à moitié fictive et son régime politique, sous l’influence des contradictions de classe internationales et de la pression internationale, tombera inévitablement dans une dictature contre le peuple. (4e Internationale, Manifeste, 1940, GB, Paris, p. 22)
À l’époque du déclin du capitalisme, les stratégies qui ont toujours été réactionnaires (le social-impérialisme selon lequel les grandes puissances apportent la démocratie et le progrès aux peuples dominés) et qui ont été dépassées (la révolution par étape d’où découle le front uni anti-impérialiste avec la bourgeoisie nationale) doivent faire place au programme de la révolution permanente :
- défense des revendications démocratiques par le prolétariat,
- alliance du prolétariat avec les autres travailleurs et la jeunesse en formation,
- rupture avec toutes les fractions de la bourgeoisie,
- transcroissance de la révolution démocratique en révolution socialiste,
- extension internationale de la révolution prolétarienne.
Les communistes internationalistes ne choisissent pas entre deux contre-révolutions bourgeoises ni entre deux puissances impérialistes. Ils soutiennent les mouvements nationaux (quelle que soit leur direction) dans la mesure où ils affrontent effectivement l’impérialisme (comme à Falloujah en Irak en 2004) ou la bourgeoisie locale (juive, arabe, turque, perse…). Mais ils ne leur font aucune confiance pour conduire cette lutte et ils soutiennent les mouvements des masses exploitées et opprimées contre tout despotisme bourgeois.
Au Proche-Orient, les tâches démocratiques (indépendance, libertés, laïcité, droits des minorités nationales, égalité des femmes, remise en cause des découpages coloniaux…) sont plus que jamais à l’ordre du jour. Mais aucune fraction de la bourgeoisie, quel que soit son discours, n’en est capable : évidemment pas la bourgeoisie étrangère impérialiste ; pas non plus la bourgeoisie nationale, qu’elle soit panarabe ou panislamiste, chiite ou sunnite, kurde… Seule la classe ouvrière peut accomplir complètement ce que la bourgeoisie du capitalisme ascendant a partiellement réalisé jusqu’au 20e siècle. Ce faisant, les travailleuses et les travailleurs ne se borneront pas aux tâches démocratiques, mais débuteront une révolution socialiste, dont l’accomplissement ne peut être que mondial.
Le seul programme véritable pour la liquidation de toute oppression, sociale et nationale, est celui de la révolution permanente. (4e Internationale, Manifeste, 1940, GB, Paris, p. 23)
Les plus grands terroristes du monde sont les États américain, russe, français, britannique, israélien. La solution pour que tous les peuples de la région vivent en paix passe inéluctablement par la défaite de l’impérialisme mondial, par le renversement des juntes militaires et des régimes policiers et tortionnaires, par l’écrasement de l’islamo-fascisme. L’impérialisme perpétue la domination de quelques grands groupes et de quelques pays et conduit le monde entier à sa perte. C’est ce système qui engendre la colonisation sioniste, les gouvernements despotiques et les mouvements djihadistes qui mettent la région à feu et à sang. Les organisations ouvrières ont pour premier devoir d’empêcher les immixtions et expéditions militaires de leur propre bourgeoisie et d’ouvrir les frontières de leur État aux réfugiés. Pour aider plus radicalement les travailleurs d’Asie de l’Ouest, les femmes, les nationalités opprimées et les minorités religieuses, les travailleurs d’Europe de l’ouest, de Chine, de Russie, du Japon et des États-Unis doivent défaire leurs propres gouvernements, prendre le pouvoir, détruire l’État des exploiteurs et des militaristes.
Les bourgeoisies locales ont prouvé qu’elle était incapable d’accomplir une révolution démocratique et nationale. Il revient à la classe ouvrière d’arracher les libertés démocratiques, l’égalité des femmes, la séparation de la religion et de l’État. Elle revendiquera aussi le droit aux études et aux soins, la lutte contre le chômage et la pauvreté, la réforme agraire pour les paysans pauvres, la destruction de l’État sioniste pour faire place à une Palestine laïque et pluriethnique, le droit à l’auto-détermination pour tous les peuples (Kurdes notamment). Dans cette voie, la classe ouvrière et la paysannerie travailleuse d’Asie de l’Ouest poseront la question de leur propre pouvoir, exproprieront par la révolution les capitalistes nationaux comme étrangers, ouvriront la perspective de la Fédération socialiste de la Méditerranée et des États-Unis socialistes du Proche-Orient.
Cette possibilité est apparue, lors de la dernière décennie avec la lutte nationale des Kurdes et avec les soulèvements populaires en Iran, en Tunisie, en Égypte, en Irak, en Turquie… Le prolétariat est de taille importante en Turquie, en Égypte, en Iran, en Israël. Pour que sa révolution soit victorieuse, pour qu’un gouvernement ouvrier et populaire prenne le pouvoir dans chaque pays, il faut que l’avant-garde se rassemble dans une internationale ouvrière basée sur le marxisme et forge partout des partis de type bolchevik
Plus vite les rangs de l’avant-garde fusionneront, plus l’époque des convulsions sanglantes sera raccourcie, moins notre planète aura à supporter de destructions. (4e Internationale, Manifeste, 1940, GB, Paris, p. 37)
La main dans la main avec des milliards d’opprimés de tous les continents, avec des centaines de millions de travailleuses et travailleurs des pays impérialistes, les salariés, les paysans et les étudiants d’Asie de l’ouest lutteront pour la paix, la liberté, l’indépendance et le bien-être de l’Asie de l’ouest et le bonheur de l’humanité entière.
24 novembre 2015