La population paie le prix des guerres de la bourgeoisie française
Le 13 novembre, trois commandos surarmés de Français et de Belges, au compte de l’État islamique-Daech (la plupart d’anciens délinquants devenus des fanatiques), ont attaqué une salle de concert (où ils ont d’abord tiré à l’arme automatique sur les spectateurs au rez-de-chaussée, en tuant d’emblée et en achevant plusieurs dizaines, avant de prendre une vingtaine d’otages à l’étage), des terrasses de cafés et de restaurants (causant plusieurs dizaines d’autres victimes) et un stade de football (attentat qui a échoué). Les terroristes ont tué au total 130 personnes et en ont blessé 352, toutes désarmées, majoritairement des étudiants et des jeunes travailleurs, dont plusieurs dizaines d’étrangers (3 Chiliens, 4 Roumains, 3 Marocains…). De quoi étaient-ils coupables ? D’après les commanditaires des tueurs, d’aimer se distraire et de l’avoir fait dans une ville, supposée chrétienne, d’Europe.
Dans une attaque bénie dont Allah a facilité les causes, un groupe de croyants des soldats du califat a pris pour cible la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la croix en Europe, à Paris. (EI-Daech, Communiqué, 15 novembre 2015)
L’état d’urgence proclamé immédiatement le soir des attentats marque un tournant dans la situation politique française. On se souvient de Bush s’exclamant « nous tenons une opportunité » au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. S’en était suivi alors un ensemble de mesures liberticides (Patriot Act, Guantanamo…) et les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak.
De même, le déchainement des commandos islamo-fascistes dans les rues de Paris donne à toute la représentation politique de la bourgeoisie française une occasion inespérée pour renforcer l’appareil d’État et restreindre les libertés démocratiques arrachées en 1944-45 par la poussée révolutionnaire et l’armement des travailleurs. Utilisant l’émotion et la condamnation par toute la population, la bourgeoisie française resserre les rangs pour mettre en place une machine redoutable. Aussitôt après les attentats, le président et le gouvernement appellent à l’union nationale pour imposer l’état d’urgence, modifier le budget, fermer les frontières aux réfugiés et redoubler l’expédition néocoloniale au Proche-Orient.
Qu’est-ce que l’état d’urgence ?
L’état d’urgence est un régime d’exception, dernier stade avant l’état de siège. Il n’a été employé en France, le plus souvent avec la complicité du PCF et du PS, qu’en des circonstances bien précises : face à l’insurrection algérienne en 1955 ; le 17 mai 1958 pour déboucher sur l’attribution des pleins pouvoirs à De Gaulle ; d’avril 1961 à mai 1963 pour couvrir les exactions et la répression pendant la guerre d’Algérie ; en 1984 pour mater dans le sang les mouvements indépendantistes de Nouvelle-Calédonie et en novembre 2005 dans certains départements face à la révolte des jeunes des banlieues. A cette occasion, toutes les organisations ouvrières (à l’exception de l’ex-LCR) avaient approuvé la répression policière du gouvernement Chirac-Sarkozy.
Faire cesser les violences, qui pèsent sur des populations qui aspirent légitimement au calme, est évidemment nécessaire. Dans ce contexte, l’action des forces de l’ordre, qui doit s’inscrire dans un cadre strictement légal et ne pas conduire à des surenchères, ne saurait être la seule réponse. (Alternatifs, CGT, FA, FSU, LO, MJS, PCF, Solidaires, UNEF, UNL, UNSA, etc., Communiqué commun, 21 novembre 2005)
Sous le régime d’état d’urgence, gouvernement et préfets peuvent instaurer le couvre-feu, interdire de séjour « toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics », assigner à résidence toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre public », ordonner la fermeture de lieux de réunion, interdire les réunions « de nature à provoquer ou à entretenir le désordre », ordonner des perquisitions de jour et de nuit sans le contrôle d’un juge… Le refus de se soumettre est passible d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux mois et d’une amende de 3 750 euros.
L’union nationale est en marche
Le gouvernement PS-PRG reprend, en s’en vantant, les programmes de LR et du FN. Le Pen (FN), conviée par Hollande à l’Élysée le 15 novembre, approuve les mesures liberticides : « nous avons indiqué que nous étions attachés à cette union nationale » et que « les Français attendaient des décisions fermes » comme Sarkozy (LR) : « Je soutiens la décision prise ce soir de décréter l’état d’urgence et la fermeture des frontières ».
Les partis ouvriers bourgeois ne disent pas autre chose que la réaction. Pour le PS, Cambadélis approuve l’union sacrée avec la bourgeoisie, l’état d’urgence et la fermeture des frontières : « Nous avons remercié le président de la République d’avoir reçu l’ensemble des formations politiques… Les Français sont touchés par ce qui vient d’intervenir et ils veulent des mesures fortes ». Pour le PdG, Mélenchon déclare le lendemain qu’il faut « répondre à l’appel des autorités sans barguigner ». Pour le PCF, Laurent estime le 16 novembre que « la déclaration d’état d’urgence était parfaitement justifiée ».
Devant les parlementaires réunis le 16 novembre, Hollande annonce un projet de loi pour prolonger l’état d’urgence de 3 mois, la création de 5 000 postes supplémentaires dans la police et la gendarmerie, de 3 500 autres dans la justice et les douanes, le gel de toutes les suppressions de postes prévues dans l’armée : « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ». Tous les députés et sénateurs, dont ceux du PS, du PdG et du PCF, se lèvent, applaudissent Hollande et entonnent La Marseillaise.
Évidemment, l’enseignement et la santé publics, les fonctionnaires civils paieront pour ces largesses aux forces de répression. Il déclare aussi son intention de modifier la Constitution pour « pouvoir disposer d’un outil approprié pour fonder la prise de mesures exceptionnelles, pour une certaine durée, sans passer par l’état de siège », autrement dit inclure les principales dispositions de l’état d’urgence dans la constitution, ce qui permettrait ainsi de gouverner sous une forme d’état d’urgence permanent ! Ce qui devrait dresser les cheveux sur la tête de n’importe quel démocrate ne suscite qu’approbation. Tous les députés votent le 19 la prolongation pour trois mois de ce régime, moins 6 contre (0 PCF, 3 PS – ils furent rapidement convoqués par Cambadélis pour un avertissement – et 3 EELV). Les sénateurs votent à l’unanimité la prolongation (12 hypocrites s’abstenant).
Les directions syndicales participent au chœur de l’union nationale. Le 14 novembre, pas un mot dans le communiqué de l’intersyndicale pour condamner l’état d’urgence. Dans la foulée, la CGT de l’AP-HP suspend l’appel à la grève contre le plan Hirsch, tout comme la CGT d’Air France l’appel à manifester contre les sanctions et le plan de licenciement. La bureaucratie de FO indique simplement qu’elle « restera vigilante sur le respect des libertés »… la bureaucratie de la CGT ne demande pas la levée de l’état d’urgence.
La CGT oeuvre pour préserver les droits et la citoyenneté de tous. C’est en ce sens, qu’elle a sollicité une rencontre avec le Gouvernement, sur le contenu des futures modifications constitutionnelles envisagées et pour les mesures à prendre allant dans le sens des attentes des salariés, dans le cadre de l’état d’urgence. (CGT, Communiqué, 18 novembre)
L’état d’urgence n’est pas là pour assurer la protection de la population
Comme ce journal l’avait annoncé après les assassinats de dessinateurs et de Juifs sans défense par des délinquants fanatisés se réclamant d’Al-Qaida et de Daech [Révolution communiste n° 9], la limitation des libertés, les lois d’espionnage de la population (comme la loi Cazeneuve de 2015), le gonflement des effectifs de la police et des services secrets (DGSI, DGSE) n’ont pas empêché de nouveaux attentats barbares.
À cause des attentats djihadistes (c’est un de leurs buts) et de l’état d’urgence, tous les Arabes et tous les musulmans se sentent suspects. Plus de 2 500 perquisitions – parfois accompagnées de violences policières –, plus de 350 assignations à résidence et plus de 250 gardes à vue ont à ce jour été ordonnées. « Elles se poursuivront sans trêve ni pause aussi longtemps que la menace terroriste existera », déclare le ministre de l’Intérieur Cazeneuve.
Tout l’habillage de l’état d’urgence est là : il s’agirait d’un mal nécessaire pour protéger la population du terrorisme. En quoi la sécurité de la population est-elle mise en cause par des militants écologistes ou anarchistes, également perquisitionnés, gardés à vue ou assignés à résidence, qui souhaitaient manifester à l’occasion de la COP 21, ou bien contre le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes ? En quoi la sécurité de la population était-elle menacée par la manifestation, pourtant interdite, à laquelle ont participé les militants du Groupe marxiste internationaliste en défense des réfugiés et migrants à Paris le dimanche 22 novembre ?
Fermeture des frontières et multiplication des bombardements de la Syrie et de l’Irak
L’état d’urgence au plan intérieur trouve son prolongement à l’extérieur. Le gouvernement ferme les frontières. Les premières victimes du tournant sécuritaire et liberticide sont donc les réfugiés qui fuient justement les fascistes de Daech, mais aussi les tortures du régime syrien (qui soudain devient fréquentable aux yeux des impérialismes occidentaux) et les bombardements des armées de la France, de la Russie et des États-Unis (les plus grands terroristes de la planète).
Mercredi 25 novembre, 515 députés votent pour la poursuite des frappes aériennes en Syrie, seuls 4 votent contre. Les 10 députés du Front de gauche (PCF-PdG) s’abstiennent, en regrettant que ces interventions militaires ne soient pas sous l’égide de l’ONU et que la dictature du Baas syrien ne soit pas soutenue par la bourgeoisie française, comme au bon temps du général De Gaulle : « une guerre se gagne avec des forces terrestres, notamment celles de Bachar El-Assad » (Jean-Jacques Candelier, député PCF, à l’Assemblée nationale le 25 novembre).
Le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne est essentiel pour le futur de l’UE. Si nous ne le faisons pas, alors les peuples vont dire : « Ça suffit l’Europe ! » L’Europe doit trouver des solutions pour que les migrants soient pris en charge dans les pays voisins de la Syrie. Sinon, l’Europe met en question sa capacité de contrôler efficacement ses frontières. (Manuel Valls, AFP, 25 novembre 2015)
Hollande décide de multiplier les bombardements et d’envoyer le porte-avions. Vu les moyens réduits de l’impérialisme français et l’engagement important de l’armée française en Afrique, il multiplie les voyages pour obtenir la collaboration de la Russie (oubliée, l’Ukraine !) et l’aide de ses alliés… Les bombardements de plus d’un an n’ont pas renversé Daech. Plus d’un État « allié de la France » a toléré, financé, entraîné et armé l’islamisme durant les décennies précédentes : États-Unis, Qatar, Arabie saoudite, Turquie… et ils le font encore pour Al-Qaida en Syrie (Front Al-Nosra).
La bourgeoisie française elle-même n’a-t-elle pas aidé plus d’une fois l’islamisme ? C’est par avion spécial affrété par Giscard que le très réactionnaire imam Khomeiny quitte sa résidence de Neauphle-le-Château pour rejoindre l’Iran en 1979 et y organiser les milices islamo-fascistes qui écraseront la révolution, emprisonneront et tortureront, exécuteront par milliers les militants ouvriers, réprimeront les femmes, les minorités, les homosexuels, liquideront les libertés démocratiques. L’État français a, depuis 2003, accordé une place de choix à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), une émanation des Frères musulmans. Sarkozy a ouvert une base militaire en 2009 aux Émirats arabes unis, une monarchie islamiste qui fait régner la charia. Il a ouvert la Libye aux cliques islamistes. Tant Sarkozy que Hollande ont vendu des armes aux monarchies du Golfe, qui sont despotiques et islamistes.
Front unique contre l’état d’urgence
La classe ouvrière et la jeunesse ont été abasourdies par la violence des attentats du 13 novembre. Elles sont privées de repères politiques et de points d’appui par la collaboration du PS, du PCF, du PdG, des directions syndicales à l’union nationale autour du programme de LR et du FN, qui aboutit à la restriction des libertés démocratiques, au renforcement de l’appareil de répression, à l’intensification des opérations de guerre , à la fermeture des frontières aux réfugiés.
Pendant ce temps, la bourgeoisie française n’a pas oublié, elle, où étaient ses intérêts. Elle prépare dès janvier des modifications du Code du travail diminuant la protection des salariés concernant le temps de travail, les repos et les congés. Macron, quant à lui, peaufine une nouvelle loi en faveur des capitalistes. Pendant ce temps, 4 salariés d’Air France, parmi ceux qui avaient osé protester contre le DRH venu leur annoncer 2 980 suppressions de postes supplémentaires sont licenciés pour faute lourde, c’est-à-dire sans aucune indemnité, et sont poursuivis au pénal tandis qu’un délégué du personnel fait l’objet d’une procédure similaire. Pendant ce temps, le chômage connaît une progression de plus de 40 000 personnes en octobre. Pendant ce temps, les enseignants sont contraints d’assister aux formations obligatoires pour mettre en place la « réforme » des collèges dont ils ne veulent pas.
Les bureaucraties syndicales et les partis réformistes trahissent une fois de plus. Cela prouve que les travailleurs doivent s’organiser au sein des syndicats et pour construire un parti ouvrier révolutionnaire.
Libre entrée des réfugiés ! À bas les interventions françaises en Syrie, en Irak, au Tchad, au Mali, en Centrafrique… ! Fermeture de toutes les bases militaires à l’étranger ! À bas l’état d’urgence ! A bas l’union nationale ! Place aux revendications !